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25/07/2024 | FRANCE | N°22/01180

France | France, Cour d'appel de Basse-Terre, 2ème chambre, 25 juillet 2024, 22/01180


COUR D'APPEL DE BASSE-TERRE



2ème CHAMBRE CIVILE



ARRÊT N° 418 DU 25 JUILLET 2024





N° RG 22/01180 -

N° Portalis DBV7-V-B7G-DQES



Décision attaquée : jugement du juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Pointe-à-Pitre en date du 7 novembre 2022, dans une instance enregistrée sous le n° 21/00620



APPELANTE :



S.C.I. Sarnaja

[Adresse 2]

[Localité 3]



Représentée par Me Jamil Houda, avocat au barreau de GUADELOUPE/ST MARTIN/ST BART





INTIMEE :



S.A.S. Soredom

[Adresse 1]

[Localité 4]



Représentée par Me Béatrice Fusenig, de la SELARL Derussy-Fusenig-Mollet, avocate au barreau de GUADELOUPE/ST MARTIN/ST BART

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COUR D'APPEL DE BASSE-TERRE

2ème CHAMBRE CIVILE

ARRÊT N° 418 DU 25 JUILLET 2024

N° RG 22/01180 -

N° Portalis DBV7-V-B7G-DQES

Décision attaquée : jugement du juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Pointe-à-Pitre en date du 7 novembre 2022, dans une instance enregistrée sous le n° 21/00620

APPELANTE :

S.C.I. Sarnaja

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentée par Me Jamil Houda, avocat au barreau de GUADELOUPE/ST MARTIN/ST BART

INTIMEE :

S.A.S. Soredom

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par Me Béatrice Fusenig, de la SELARL Derussy-Fusenig-Mollet, avocate au barreau de GUADELOUPE/ST MARTIN/ST BART

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 29 janvier 2024, en audience publique, devant la cour composée de :

M. Frank Robail, président de chambre,

Madame Annabelle Cledat, conseillère,

Monsieur Thomas Habu Groud, conseiller,

qui en ont délibéré.

Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait rendu par sa mise à disposition au greffe de la cour le 2 mai 2024. Elles ont ensuite été informées de la prorogation de ce délibéré, in fine, à ce jour, en raison de l'absence d'un greffier et la surcharge des magistrats.

GREFFIER,

Lors des débats et lors du prononcé : Mme Sonia Vicino, greffière.

ARRÊT :

- contradictoire, prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées conformément à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.

- signé par M. Frank Robail, président de chambre et par Mme Sonia Vicino, greffière, à laquelle la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PROCEDURE

Par acte notarié du 6 mars 1992, M. [K] [E], bailleur, a conclu un contrat de bail à construction avec la SCI Sarnaja, locataire, dont il est le gérant, ayant pour objet un terrain situé à [Localité 6] (Baie-Mahault).

Par acte notarié en date du 5 février 1993, la société de développement régional Antilles Guyane (ci-après Soderag), prêteuse, a conclu un contrat de prêt d'un montant de 4 940 000 francs, soit 753 098,15 euros, avec la société civile immobilière Sarnaja, emprunteuse, afin de financer la construction de locaux industriels sur ce terrain.

Le contrat prévoyait que le remboursement du prêt d'une durée de 15 ans serait réalisé par prélèvements trimestriels à compter du 30 juin 1994. Les échéances des quatre premiers trimestres étaient d'un montant de 135 850 francs et les suivantes de 173 918 francs.

Le remboursement du prêt était garanti par un cautionnement hypothécaire de M. [E], un cautionnement solidaire et indivisible de ce même gérant, une délégation d'assurance-décès de M. et Mme [E], une délégation d'assurance multirisques sur les bâtiments à édifier et une délégation des loyers perçus par la SCI Sarnaja.

En mars 1994, la Soderag a accordé, sous la forme d'un nouveau prêt, un aménagement des échéances impayées pour un montant de 386 380 francs (prêt n° 2879).

Par courrier recommandé avec accusé de réception en date du 23 octobre 1995, la Soderag a prononcé la déchéance du terme du prêt en raison du non-respect des échéances des deux prêts et réclamé le remboursement de la somme totale de 10 795 421,35 francs.

Le 8 janvier 1996, la Soderag a fait signifier à M. [E], en qualité de caution, un commandement aux fins de saisie immobilière. Ce commandement a été annulé par jugement du 6 janvier 2000 du tribunal de grande instance de Pointe-à-Pitre qui a également prononcé la nullité du cautionnement et la radiation des inscriptions hypothécaires. Par arrêt en date du 13 juin 2005, la cour d'appel de Basse-Terre a infirmé ce jugement et, statuant à nouveau, a notamment donné acte à M. [E] de ce qu'il reconnaissait la validité de l'acte de prêt du 5 février 1993 et dit qu'il n'avait pas le droit d'exercer le retrait litigieux. Le pourvoi à l'encontre de cette décision a été déclaré non admis par arrêt du 15 mai 2007.

Entre-temps, par acte notarié en date du 2 décembre 1998, la Soderag a cédé à la société de crédit pour le développement de la Guadeloupe (ci-après Sodega) les encours bruts au 1er juillet 1998 des créances résultant des prêts consentis ayant servi à financer des opérations réalisées dans le département de la Guadeloupe, dont les créances à l'encontre de la société Sarnaja. Par acte d'huissier de justice délivré le 25 janvier 2000, cette cession a été signifiée à cette dernière selon les modalités de l'article 659 du code de procédure civile.

Le 6 juin 2013, puis le 6 juin 2018, la société financière Antilles Guyane (Sofiag) venant au droits de la Sodega à la suite d'une fusion-absorption, a fait signifier à la société Sarnaja un commandement aux fins de saisie-vente.

Informé que la société Sarnaja louait l'immeuble construit avec le prêt litigieux à la société Conseil Froid Climatisation (ci-après CFC), par acte d'huissier du 19 mars 2021, dénoncé le 25 mars 2021, la société Soredom, nouvelle dénomination de la Sofiag, a fait pratiquer à l'encontre de la société Sarnaja, une mesure de saisie-attribution à exécution successive entre les mains de la société CFC aux fins de recouvrement de la somme de 4 518 200,64 euros.

Par acte d'huissier du 21 avril 2021, la société Sarnaja a fait assigner la société Soredom devant le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Pointe-à-Pitre aux fins de contestation de cette mesure et en lui demandant de :

ln limine litis,

- la recevoir en ses fins de non-recevoir,

- annuler le procès-verbal de signification de la cession de créances en date du 25 janvier 2000,

- juger que ledit procès-verbal lui était inopposable,

- juger que la cession de créances était caduque faute de preuve d'une reprise des engagements par la Sofiag lors de la fusion absorption et en raison de la nullité de cette fusion,

- juger que la signification de la cession de créances par conclusions du 1er octobre 2021 lui était inopposable car réalisée postérieurement à la saisie contestée

- juger en conséquence la Soredom irrecevable en son action pour défaut de qualité et d'intérêt à agir,

- juger que l'action de la Soredom était atteinte par la prescription extinctive depuis le 23 octobre 2005 sur le fondement de l'article L. 110-4 du Code commerce,

- ordonner en conséquence la mainlevée de la saisie attribution à exécution successive pratiquée entre les mains de la société Conseil Froid Climatisation-CFC ;

Au fond,

- juger que la Soredom venant aux droits de la Soderag avait manqué à ses obligations d'information et de conseil en lui accordant un crédit disproportionné à ses facultés,

- condamner la Soredom à lui payer la somme de 4 231 607 euros au titre de la perte de chance de ne pas contracter sur le fondement de l'article 1240 du Code civil et ordonner la compensation entre cette somme et l'éventuelle créance qui serait retenue pour la Soredom,

- juger que la prescription des intérêts antérieurs à 5 années précédant la saisie attribution litigieuse était acquise et que la Soredom ne fournissait aucun élément chiffré de sa prétendue créance,

- annuler la clause de stipulation des intérêts en raison du caractère erroné du TEG,

- juger que seuls des intérêts au taux légal étaient susceptibles d'être appliqués ;

- ordonner en conséquence la mainlevée de la saisie attribution pratiquée,

- constater que la saisie-attribution avait été pratiquée sur le fondement d'une créance vieille de 26 ans et déjà prescrite,

- juger que la saisie était irrégulière car la créance était éteinte,

- juger que la Soredom avait commis une faute délictuelle engageant sa responsabilité et que la saisie litigieuse était abusive,

- condamner la Soredom à lui verser, en raison de son manquement à son obligation de bonne foi, la somme de 1 000 000 d'euros à titre de dommages et intérêts, somme qui serait compensée en cas de condamnation de la SCI Sarnaja avec la somme réclamée,

- condamner en conséquence la SAS Soredom à lui payer une somme de 25 000 euros à titre de dommages et intérêts outre celle de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- ordonner en conséquence la mainlevée pure et simple de la saisie-attribution pratiquée le 19 mars 2021,

A titre subsidiaire,

- dire et juger que les intérêts remontant à plus de 5 ans sont prescrits,

- ordonner à la Soredom de présenter un état de sa créance expurgée des intérêts annulés et /ou prescrits, sous astreinte de 300 euros par jour de retard,

- en cas de défaillance de la Soredom à justifier de la créance, la débouter de toutes ses demandes.

La société Soredom a demandé au juge de l'exécution de :

ln limine litis, se déclarer incompétente pour statuer sur la demande de la société Sarnaja visant à la voir condamnée à lui régler la somme de 4 231,607 euros,

Au fond,

- dire et juger que les demandes de la société Sarnaja étaient irrecevables, et en toute hypothèse infondées,

- débouter la société Sarnaja de toutes ses demandes, fins et conclusions,

- dire et juger que la saisie-attribution à exécution successive querellée était bien fondée,

- donner effet et valider la mesure de saisie-attribution pratiquée, le 19 mars 2021, à l'encontre de la société Sarnaja,

- fixer sa créance à l'encontre de la société Sarnaja à la somme de 2 881353,96 euros au 25 mars 2022,

A titre subsidiaire,

- fixer sa créance à l'encontre de la société Sarnaja à la somme de 942 466,66 euros au 25 mars 2022, assortie des intérêts au taux légal à compter du 6 juin 2008,

A titre reconventionnel:

- condamner la société SCI Sarnaja à lui verser la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts ;

- condamner la société SCI Sarnaja à lui verser la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens comprenant les frais de la saisie-attribution du 10 mars 2021,

- écarter l'exécution provisoire de droit.

Par jugement du 7 novembre 2022, le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Pointe-à-Pitre a :

- déclaré la contestation formée par la SCI Sarnaja à l'encontre de la saisie-attribution pratiquée le 19 mars 2021 et dénoncée le 25 mars 2021 par la SAS Soredom, recevable,

- rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action de la société Soredom,

- prononcé la nullité de la clause d'intérêts des deux prêts et dit qu'il y avait lieu de substituer au taux d'intérêt contractuel le taux légal,

- dit que la SAS Soredom disposait d'une créance certaine, liquide et exigible d'un montant de 940 492,75 euros ;

- débouté la SCI Sarnaja de sa demande de mainlevée de la saisie-attribution pratiquée le 25 mars 2021 par la SAS Soredom,

- donné par suite pleinement effet à la saisie-attribution pratiquée le 19 mars 2021 par la SAS Soredom à l'encontre de la SCI Sarnaja,

- débouté la SCI Sarnaja de l'ensemble de ses demandes de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation d'information et au devoir de conseil, pour mise en 'uvre tardive et déloyale de la saisie et enfin pour saisie abusive,

- débouté la SAS Soredom de sa demande de dommages et intérêts pour résistance abusive,

- condamné la SCI Sarnaja à verser à la SAS Soredom, la somme de 1000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la SCI Sarnaja aux dépens.

La SCI Sarnaja a interjeté appel de cette décision par déclaration remise au greffe de la cour par voie électronique le 22 novembre 2022, en limitant son appel aux chefs du jugement par lesquels le juge de l'exécution a :

- rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action de la société Soredom,

- dit que la SAS Soredom disposait d'une créance certaine, liquide et exigible d'un montant de 940 492,75 euros ;

- débouté la SCI Sarnaja de sa demande de mainlevée de la saisie-attribution pratiquée le 25 mars 2021 par la SAS Soredom,

- donné par suite pleinement effet à la saisie-attribution pratiquée le 19 mars 2021 par la SAS Soredom à l'encontre de la SCI Sarnaja,

- débouté la SCI Sarnaja de l'ensemble de ses demandes de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation d'information et au devoir de conseil, pour mise en 'uvre tardive et déloyale de la saisie et enfin pour saisie abusive,

- condamné la SCI Sarnaja à verser à la SAS Soredom, la somme de 1000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la SCI Sarnaja aux dépens.

La procédure a fait l'objet d'une orientation à bref délai avec fixation de l'affaire à l'audience du 13 mars 2023.

La société Soredom a remis au greffe sa constitution d'intimée par voie électronique le 28 novembre 2022.

L'affaire a été renvoyée à la mise en état.

A l'audience du 29 janvier 2024, la clôture des débats est intervenue, la décision a été mise en délibéré au 2 mai 2024. Les parties ont ensuite été avisées de la prorogation de ce délibéré, in fine, à ce jour, par mise à disposition au greffe, en raison de l'absence d'un greffier et de la surcharge des magistrats.

PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

1/ La SCI Sarnaja, appelante :

Vu les dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 17 août 2023, par lesquelles la société Sarnaja demande à la cour de :

- la recevoir en ses fins de non-recevoir,

- annuler le procès-verbal de signification de la cession de créances en date du 25 janvier 2000,

- juger que ledit procès-verbal lui est inopposable.

- infirmer le jugement en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a prononcé la nullité de la clause d'intérêt des deux prêts et y a substitué le taux légal,

Et statuant à nouveau,

- juger que la cession de créances est caduque faute de preuve d'une reprise des engagements par la Sofiag lors de la fusion absorption et en raison de la nullité de cette fusion,

- juger que la signification de la cession de créances par conclusions du 1er octobre 2021 lui est inopposable car réalisée postérieurement à la saisie contestée,

- juger en conséquence la SAS Soredom irrecevable en son action pour défaut de qualité et d'intérêt à agir.

- juger que l'action de la SAS Soredom était atteinte par prescription extinctive depuis le 25 octobre 2005 ou le 8 janvier 2006 sur le fondement de l'article L 110-4 du code commerce,

- juger que faute de démontrer que le commandement de saisie immobilière du 8 janvier 1996 avait été publié, il ne produit aucun effet interruptif,

- juger que la reconnaissance de dette par la SCI Sarnaja n'est pas établie et qu'il n'y a donc pas eu d'interruption de la prescription,

- ordonner en conséquence la mainlevée de la saisie-attribution à exécution successive pratiquée entre les mains de la société CFC,

- juger que la Soredom venant aux droits de la Soderag avait manqué à ses obligations d'information et de conseil en lui accordant un crédit disproportionné à ses facultés,

- condamner Ia Soredom à lui payer la somme de 4 231 607 euros au titre de la perte de chance de ne pas contracter sur le fondement de l'article 1240 du code civil et ordonner la compensation entre cette somme et l'éventuelle créance qui serait retenue pour la Soredom,

- juger que la prescription des intérêts antérieurs à 5 années précédant la saisie-attribution litigieuse est acquise et que la Soredom ne fournit aucun élément chiffré de sa prétendue créance,

- confirmer le jugement en ce qu'il a prononcé la nullité de la clause d'intérêt des deux prêts et y a substitué le taux légal,

- juger que seuls des intérêts au taux légal sont susceptibles d'être appliqués,

- ordonner en conséquence la mainlevée de la saisie-attribution pratiquée,

- constater que la saisie-attribution a été pratiquée sur le fondement d'une créance vieille de 26 ans et déjà prescrite,

- juger que la saisie est irrégulière car la créance était éteinte,

- juger que la SAS Soredom a commis une faute délictuelle engageant sa responsabilité et que la saisie litigieuse est abusive,

- condamner la Soredom à lui verser en raison de son manquement à son obligation de bonne foi, la somme de 1 000 000 d'euros à titre de dommages et intérêts, somme qui serait compensée en cas de condamnation de sa part avec la somme réclamée,

- condamner en conséquence la SAS Soredom à lui payer une somme de 6 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- ordonner en conséquence la mainlevée pure et simple de la saisie-attribution pratiquée le 19 mars 2021,

A titre subsidiaire

- dire et juger que les intérêts remontant à plus de 5 ans sont prescrits,

- ordonner à la Soredom de présenter un état de sa créance expurgée des intérêts annulés et / ou prescrits sous astreinte de 300 euros par jour de retard,

- En cas de défaillance de la Soredom à justifier de la créance, la débouter de toutes ses demandes.

2/ La société Soredom, intimée :

Vu les dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 16 juin 2023 par lesquelles la société Soredom demande à la cour de :

- réformer le jugement entrepris en ce qu'il s'est déclaré compétent pour statuer sur la demande de condamnation au titre du manquement à ses obligations d'information et de conseil,

Statuant à nouveau

- se déclarer incompétente pour statuer sur cette question,

Au fond,

- débouter la société Sarnaja de toutes ses demandes, fins et conclusions,

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a statué comme suit :

* rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action de la société Soredom,

* dit que la SAS Soredom dispose d'une créance certaine, liquide et exigible d'un montant de 940 492,75 euros ;

* débouté la SCI Sarnaja de sa demande de mainlevée de la saisie-attribution pratiquée le 25 mars 2021 par la SAS Soredom,

* donné par suite pleinement effet à la saisie-attribution pratiquée le 19 mars 2021 par la SAS Soredom à l'encontre de la SCI Sarnaja,

* débouté la SCI Sarnaja de l'ensemble de ses demandes de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation d'information et au devoir de conseil, pour mise en 'uvre tardive et déloyale de la saisie et enfin pour saisie abusive,

* condamné la SCI Sarnaja à verser à la SAS Soredom, la somme de 1000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

* condamné la SCI Sarnaja aux dépens.

- Réformer le jugement entrepris en ce qu'il a :

* prononcé la nullité de la clause d'intérêts des deux prêts et dit qu'il y a lieu de substituer au taux d'intérêt contractuel le taux légal,

Et

* fixé la créance de la Soredom à la somme de 942 466,66 euros au 25 mars 2022,

Statuant à nouveau,

- déclarer que la demande de la société Sarnaja en substitution du taux d'intérêt conventionnel par le taux légal est prescrite et donc irrecevable,

- fixer sa créance à l'encontre de la société Sarnaja à la somme de 2 878 393,18 euros au 25 mars 2022, assortie des intérêts au taux contractuel de 15 % à compter du 6 juin 2008,

Si par extraordinaire, la cour jugeait que la demande en substitution de la société Sarnaja était recevable,

- fixer sa créance à l'encontre de la société Sarnaja à la somme de 942.466,66 euros, au 25 mars 2022, assortie des intérêts au taux légal à compter du 6 juin 2008,

En tout état de cause :

- condamner la société Sarnaja à lui verser la somme de 10 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens comprenant les frais de la saisie-attribution du 10 mars 2021.

En application de l'article 455 du code de procédure civile, il convient de se reporter aux dernières conclusions pour un exposé détaillé des prétentions et moyens.

MOTIFS DE L'ARRET

Sur la recevabilité de l'appel

La société Sarnaja a relevé appel le 22 novembre 2022 d'un jugement rendu le 7 novembre 2022, sans qu'il soit justifié aux débats, ni même prétendu, qu'il ait été signifié à l'une ou l'autre des parties entre ce 7 novembre et ce 22 novembre 2022.

Il y a donc lieu de déclarer cet appel recevable.

Sur la qualité à agir de la société Soredom

Pour contester la qualité à agir de la société intimée, la société appelante invoque une rupture dans la chaîne de transmission de la créance de la Soderag à son encontre, en premier lieu, en raison de la nullité de la signification de la cession de créance et en second lieu, du fait de la nullité du traité de fusion de la Sodega par la Sofiag et de son inopposabilité à son égard.

Sur la nullité de la signification de la cession de créance

Aux termes de l'article 1690 du code de procédure civile, le cessionnaire n'est saisi à l'égard des tiers que par la signification du transport faite au débiteur. Néanmoins, le cessionnaire peut être également saisi par l'acceptation du transport faite par le débiteur dans un acte authentique.

L'article 659 du code de procédure civile dispose que lorsque la personne à qui l'acte doit être signifié n'a ni domicile, ni résidence, ni lieu de travail connus, l'huissier de justice dresse un procès-verbal où il relate avec précision les diligences qu'il a accomplies pour rechercher le destinataire de l'acte. Le même jour ou, au plus tard, le premier jour ouvrable suivant, à peine de nullité, l'huissier de justice envoie au destinataire, à la dernière adresse connue, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, une copie du procès-verbal, à laquelle est jointe une copie de l'acte objet de la signification. Le jour même, l'huissier de justice avise le destinataire, par lettre simple, de l'accomplissement de cette formalité [...].

En l'espèce, il est constant que par acte notarié en date du 5 février 1993, la Soderag, prêteuse, a conclu un contrat de prêt d'un montant de 4 940 000 francs, soit 753 098,15 euros, avec la société civile immobilière Sarnaja, emprunteuse. Puis, par acte notarié en date du 2 décembre 1998, la Soderag a cédé à la Sodega les encours bruts au 1er juillet 1998 des créances résultant des prêts consentis ayant servi à financer des opérations réalisées dans le département de la Guadeloupe, dont la créance à l'encontre de la société Sarnaja.

Enfin, par acte d'huissier de justice délivré le 25 janvier 2000, cette cession a été signifiée à cette dernière selon les modalités de l'article 659 du code de procédure civile.

Le procès-verbal de signification de la cession mentionne :

« L'huissier de justice soussigné s'est présenté à l'adresse sus-indiquée. Il a constaté qu'à ce jour, aucune personne répondant à l'identification du destinataire de l'acte n'y a son domicile ou sa résidence.

En conséquence, il a été procédé aux diligences suivantes pour rechercher le destinataire de l'acte :

Il s'est présenté aux voisins et commerçants du quartier, puis à la gendarmerie de la localité. Il résulte que [la] société Sarnaja SCI ne demeure plus à l'adresse indiquée. Ces diligences n'ayant pas permis de retrouver le destinataire de l'acte, l'huissier de justice constate que l'intéressé ne demeure plus à l'adresse indiquée ».

La société appelante soutient que ces diligences sont insuffisantes parce qu'à l'adresse indiquée par son Kbis en 2000, il y avait un immeuble de trois étages dont le rez-de-chaussée était occupé par un commerce, tenu par un membre de la famille [E] très connu à [Localité 3], dans lequel il y avait toujours des personnes présentes aux jours ouvrables pour recevoir l'acte de signification ou renseigner l'huissier sur la façon d'entrer en contact avec le destinataire de l'acte.

Elle ajoute que M. [K] [E] était une personnalité très connue à [Localité 3] et qu'il était impossible que le commissaire de justice instrumentaire ne puisse pas le connaître ni parvenir à le localiser afin de réaliser une signification à personne.

La société Sarnaja prétend également que la société cessionnaire de la créance ne démontrait pas que la lettre recommandée prévue à l'article 659 précitée lui avait bien été adressée et qu'elle l'avait réceptionnée.

Cependant, l'examen des mentions précitées du procès-verbal de recherches établit que l'huissier de justice a activement recherché le destinataire de l'acte et a indiqué avec précision les diligences accomplies en ce sens.

De plus, comme le relève justement l'intimée, l'appelante affirme qu'une signification à personne était possible sans produire aucune pièce au soutien de son allégation. Aucun élément n'est versé aux débats pour prouver qu'une telle signification aurait pu se réaliser.

En outre, l'article 659 du code de procédure impose seulement à l'huissier de justice, devenu commissaire de justice :

d'adresser le jour même ou le premier jour ouvrable suivant à la dernière adresse connue du destinataire, par pli recommandé avec avis de réception, une copie du procès-verbal et de l'acte objet de la signification,

et, le jour même, d'aviser le même destinataire, par lettre simple, de l'accomplissement de cette formalité.

Il résulte de ce texte qu'il n'exige pas de l'huissier de justice qu'il justifie des suites de ces envois.

Or, la société intimée produit aux débats la preuve de l'envoi du procès-verbal par lettre recommandée avec accusé de réception.

Les exigences de l'article 659 précité ont donc été pleinement respectées.

Surabondamment, il sera rappelé qu'il est constant que si la signification de la cession de créance ou l'acceptation authentique de la cession par le débiteur cédé est en principe nécessaire pour que le cessionnaire puisse opposer au tiers le droit acquis par celui-ci, le défaut d'accomplissement de ces formalités ne rend pas le cessionnaire irrecevable à réclamer au débiteur cédé l'exécution de son obligation quand cette exécution n'est susceptible de faire grief à aucun droit advenu depuis la naissance de la créance, soit audit débiteur cédé, soit à une autre personne étrangère à la cession

En outre, il est tout aussi constant que la remise au débiteur cédé, lors d'une audience devant le juge de l'exécution, des conclusions comprenant copie de l'acte authentique de cession, équivaut à une signification au débiteur auquel la cession est dès lors opposable.

Il résulte de cette jurisprudence que le cessionnaire d'une créance peut mettre en 'uvre une mesure d'exécution forcée mobilière telle qu'une saisie-attribution avant d'avoir procéder à la signification de la cession au débiteur cédé et saisi.

C'est donc à juste titre que la Soredom fait valoir que ses conclusions du 1er octobre 2021 comprenant copie de la cession litigieuse, ont opéré signification de cette dernière à la société Sarnaja.

Enfin, il sera relevé que, contrairement aux affirmations de l'appelante, l'extrait de l'acte de cession signifié comporte toutes les mentions lui permettant d'identifier le cédant, le cessionnaire, le débiteur cédé ainsi que l'objet de la cession.

Au regard de cet ensemble d'éléments, il convient de constater la régularité de la signification de la cession de créance à la société Sarnaja et, par voie de conséquence, l'opposabilité de cette cession au débiteur saisi.

Dès lors, le jugement entrepris sera confirmé.

Sur la nullité de la fusion-absorption de la Sodega par la Sofiag

Aux termes de l'article L. 236-4 du code de commerce, dans sa rédaction applicable à la cause, la fusion ou la scission prend effet :

1° En cas de création d'une ou plusieurs sociétés nouvelles, à la date d'immatriculation, au registre du commerce et des sociétés, de la nouvelle société ou de la dernière d'entre elles ;

2° Dans les autres cas, à la date de la dernière assemblée générale ayant approuvé l'opération sauf si le contrat prévoit que l'opération prend effet à une autre date, laquelle ne doit être ni postérieure à la date de clôture de l'exercice en cours de la ou des sociétés bénéficiaires ni antérieure à la date de clôture du dernier exercice clos de la ou des sociétés qui transmettent leur patrimoine.

L'appelante soutient que le traité de fusion de la Sodega par la Sofiag stipulait qu'à défaut de réalisation avant le 1er janvier 2005, l'acte serait nul et que l'acte a été déposé au greffe du tribunal de commerce le 31 janvier 2005, soit un mois après le terme fixé par les parties. Elle en déduit que cet acte est nul et que l'opération de fusion lui est inopposable.

D'une part, comme l'a relevé à juste titre le premier juge, la société Sarnaja n'a pas qualité à agir en nullité de l'opération de fusion-absorption.

D'autre part, il résulte des pièces versées aux débats que le traité de fusion du 30 septembre 2004 a été approuvé par assemblée générale du 23 décembre 2004 et est devenu obligatoire à cette date entre la Sodega et la Sofiag. La fusion a donc été réalisée avant le 1er janvier 2005.

Enfin, l'opposabilité aux tiers de la fusion-absorption résulte de sa mention au registre du commerce et des sociétés avec l'indication de sa cause, ainsi que celle de la raison ou de la dénomination sociale, de la forme juridique et du siège, des personnes ayant participé à l'opération.

La fusion absorption litigieuse ayant fait l'objet d'une publicité légale le 31 janvier 2015, elle est opposable à la société Sarnaja.

Par ailleurs, selon l'article 236-3 du code de commerce, la  fusion  emporte transmission universelle du patrimoine de la société dissoute à la société bénéficiaire, absorbante. Cette dernière se substitue donc activement et passivement, dans tous les droits et obligations, contractuels et délictuels, de la société fusionnée.

En affirmant que la Soredom ne rapportait pas la preuve que lors de la fusion absorption de la Sodega par la Sofiag, cette dernière avait repris les actifs et le passif de la Sodega, la société appelante sollicite une preuve qui n'a pas à être rapportée, la transmission universelle du patrimoine étant un effet légal de la fusion.

Elle sera donc déboutée de sa demande tendant à voir juger que la cession de créances serait caduque faute de preuve d'une reprise des engagements par la Sofiag lors de la fusion absorption et en raison de la nullité de cette fusion.

En conséquence, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a reconnu la qualité à agir de la Soredom.

Sur la prescription de l'action de la société Soredom

L'article 189 bis de l'ancien code de commerce énonçait que les obligations nées à l'occasion de leur commerce entre commerçants ou entre commerçants et non-commerçants se prescrivent par dix ans si elles ne sont pas soumises à des prescriptions spéciales plus courtes.

La loi n°2208-561 du 17 juin 2008 relative à la prescription, entrée en vigueur le 19 juin 2008, qui a réduit à 5 ans le délai de prescription applicable, dispose que le délai quinquennal s'applique aux prescriptions à compter du jour de l'entrée en vigueur de la loi, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure (articles 15 et 26, II de ladite loi).

Selon l'article 2244 du code civil, dans sa rédaction antérieure à la loi n°2208-561 du 17 juin 2008, une citation en justice, même en référé, un commandement ou une saisie, signifiés à celui qu'on veut empêcher de prescrire, interrompent la prescription ainsi que les délais pour agir.

En outre, la péremption du commandement valant saisie immobilière n'a pas pour conséquence d'anéantir l'effet interruptif de prescription attaché à la délivrance de ce commandement.

De plus, aux termes de l'article 2248 du code civil, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2208-561 du 17 juin 2008, la prescription est interrompue par la reconnaissance que le débiteur ou le possesseur fait du droit de celui contre lequel il prescrivait.

Enfin, en vertu de l'article 1206 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, les poursuites faites contre l'un des débiteurs solidaires interrompent la prescription à l'égard de tous.

Il s'ensuit que l'interruption de la prescription à l'égard de la caution solidaire produit ses effets à l'égard du débiteur principal.

Au cas présent, les litigants conviennent que le prêt litigieux conclu le 5 février 1993 est soumis à la prescription décennale de l'article 189 de l'ancien code de commerce. Elles s'accordent également pour considérer que la déchéance du prêt ayant été prononcée le 23 octobre 1995 et ayant été notifiée à l'emprunteuse le 25 octobre 1995, la prescription décennale a commencé à courir à cette dernière date.

La société appelante soutient que ce délai de prescription n'ayant pas été interrompu l'action en recouvrement de l'intimée était prescrite.

Cependant plusieurs actes interruptifs de la prescription décennale sont intervenus :

- le 8 janvier 1996 : un commandement en saisie-immobilière délivré à la société Sarnaja à l'initiative de son créancier ;

- Selon les énonciations de l'arrêt en date du 13 juin 2005 de la cour de céans, dont la force probante n'a pas été remise en cause dans le cadre d'une procédure d'inscription en faux, dans ses conclusions du 29 octobre 2004, M. [K] [E], caution solidaire de la débitrice principe, a demandé à la cour de lui donner acte de ce qu'il offrait à la Sodega, cessionnaire de la créance à l'encontre de la société appelante, d'opérer le retrait litigieux. En concluant ainsi, la caution solidaire a nécessairement reconnu la créance à l'encontre de la débitrice principale.

De surcroît, comme le fait justement valoir la société intimée, à la suite de l'entrée en vigueur de la loi n° 2208-561 du 17 juin 2008, le nouveau délai décennal qui avait commencé à courir à compter du 30 octobre 2004 a été substitué, à compter du 19 juin 2008, par la prescription quinquennale.

Cette prescription a elle-même été successivement interrompue par les commandements de payer aux fins de saisie-vente délivrés à la société Sarnaja par son créancier, le 6 juin 2013, le 6 juin 2018 et le 26 mars 2021.

Au regard de cet ensemble d'éléments, c'est à juste titre que les premiers juges ont retenu que l'action en recouvrement forcé de la Soredom au titre de l'acte notarié du 5 février 1993 n'était pas prescrite.

Le jugement entrepris sera donc confirmé sur ce point.

Sur le manquement à l'obligation d'information et au devoir de conseil

En vertu de l'article L 213-6, alinéa 1er, du code de l'organisation judiciaire, le juge de l'exécution connaît, de manière exclusive, des difficultés relatives aux titres exécutoires et des contestations qui s'élèvent à l'occasion de l'exécution forcée, même si elles portent sur le fond du droit, à moins qu'elles n'échappent à la compétence des juridictions de l'ordre judiciaire.

En application de cette disposition, si le juge de l'exécution est compétent pour connaître de la contestation d'une mesure d'exécution forcée, il n'entre pas dans ses attributions de se prononcer sur une demande de condamnation à des dommages-intérêts contre le créancier saisissant qui n'est pas fondée sur l'exécution ou l'inexécution dommageable de la mesure. Dès lors qu'une telle demande ne constitue pas une contestation de la mesure d'exécution au sens du texte précité, le juge de l'exécution ne dispose pas du pouvoir juridictionnel de statuer sur celle-ci (Civ. 2e, 15 avr. 2021, n° 19-20.281 ).

De même, le juge de l'exécution, saisi d'une demande de mainlevée ou de nullité d'une mesure d'exécution, n'est pas compétent pour se prononcer sur une action en responsabilité qui n'est pas fondée sur l'exécution ou l'inexécution dommageable de cette mesure, cette action serait-elle présentée au soutien d'une exception de compensation. (Com., 22 mars 2017, n° 15-15.742).

En l'espèce, la société appelante sollicite la condamnation de la Soredom au paiement de la somme de 4 231 607 euros à titre de dommages et intérêts en invoquant son manquement à ses obligations d'information et de conseil.

La décision entreprise a débouté la SCI Sarnaja de l'ensemble de ses demandes de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation d'information et au devoir de conseil, pour mise en 'uvre tardive et déloyale de la saisie et enfin pour saisie abusive.

Or, la Soredom avait soulevé in limine litis l'incompétence du juge de l'exécution pour statuer sur la demande indemnitaire de la société Sarnaja et elle réitère ce moyen en cause d'appel.

Le juge de l'exécution ne disposant pas de pouvoir juridictionnel pour se prononcer sur une demande de condamnation à des dommages-intérêts contre le créancier saisissant qui n'est pas fondée sur l'exécution ou l'inexécution dommageable de la mesure, les premiers juges ne pouvaient pas se prononcer sur la demande indemnitaire de la SCI Sarnaja en l'en déboutant sur le fond.

Il convient donc d'infirmer le jugement entrepris de ce chef et de déclarer irrecevable la demande de la société appelante de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation d'information et au devoir de conseil.

Sur la déchéance du droit aux intérêts

En application des dispositions combinées des articles 1304 et 1907 du code civil et L. 313-2 ancien du code de la consommation, la prescription de l'action en nullité de la stipulation de l'intérêt conventionnel engagée par le débiteur en raison d'une erreur affectant le taux effectif global, est fixée à 5 ans.

Le point de départ de la prescription, si le demandeur est un professionnel, se situe au jour de la conclusion du contrat, tandis que dans le cas où il n'est pas professionnel, le point de départ de la prescription quinquennale de l'action en nullité de la stipulation d'intérêts court à compter du jour où il a eu ou aurait dû avoir connaissance de l'inexactitude du taux effectif global.

Il est de jurisprudence constante que la qualité de professionnel d'une société civile immobilière s'apprécie au regard de son objet statutaire et de la destination du prêt litigieux.

Ainsi, la SCI ayant conclu un prêt en vue de l'acquisition d'un immeuble doit être considérée comme un professionnel lorsque le contrat est en lien avec son objet social (1re Civ., 7 mars 2018, pourvoi n° 16-27.613).

En l'espèce, pour écarter la prescription de l'action en nullité de la clause de stipulation d'intérêts invoquée par la Soredom, le juge de l'exécution a retenu que le contrat de prêt n'indiquait ni la profession du gérant de la SCI Sarnaja ni celle de son épouse et en a déduit qu'il ne pouvait dès lors être considéré qu'ils disposaient de connaissances particulières en matière de prêt notamment sur les éléments relatifs au taux effectif global.

Cependant, l'objet social de la SCI Sarnaja, selon le Kbis qu'elle verse aux débats, est le suivant : « acquisition, prise à bail, construction, vente d'immeubles ».

En outre, le contrat de prêt litigieux stipulait que le financement était destiné à la construction de locaux industriels de 1 500 m2 à [Localité 5].

Au regard de son objet social et de la destination du prêt litigieux, la SCI Sarnaja avait nécessairement agi en qualité de professionnelle en souscrivant le crédit litigieux.

Dès lors, en application de la jurisprudence précitée, le délai de prescription quinquennal de l'action en nullité du taux d'intérêt conventionnel, intentée par la société appelante, a commencé à courir à compter de la conclusion du contrat en date du 5 février 1993 et a expiré le 6 février 1998.

Par conséquent, l'action en nullité de la stipulation de l'intérêt conventionnel, exercée par l'appelante dans le cadre de l'instance introduite par elle par acte d'huissier du 21 avril 2021, est prescrite et sa demande à cet égard est donc irrecevable.

Le jugement sera par suite infirmé de ce chef.

Sur le caractère certain, liquide et exigible de la créance

La société Sarnaja fait valoir que la créance de l'intimée ne serait pas certaine en raison d'anomalies affectant l'acte de prêt :

- le contrat de prêt notarié a été signé le 5 février 1993 mais le tableau d'amortissement indique que le prêt n'a été mis en place que le 31 mars 1994,

- il ressort du tableau d'étalement que dès l'origine, elle n'était pas en mesure de rembourser les intérêts du prêt, ce qui aurait conduit à leur étalement pour une somme de 386 380 francs (soit 58 903,25 euros).

Aucune de ces argumentations ne remet cependant en cause la créance de la Soredom, ce d'autant que le contrat de prêt prévoyait expressément le décalage d'une année entre la conclusion du contrat et la date d'exigibilité de la première échéance trimestrielle de remboursement.

De plus, la créance est exigible en raison de la déchéance du terme du 23 octobre 1995, qui n'est pas contestée.

Elle est également liquide au regard du décompte des sommes dues produit par la société créancière et que la SCI Sarnaja ne discute pas plus.

Le montant de la créance de 2 878 393,18 euros se décompose comme suit :

Prêt no 1

135 868,05 euros au titre des échéances impayées au 30 octobre 1995,

741 331,67 euros au titre du capital restant dû au 30 octobre 1995,

100 euros au titre des pénalités de 2%

3 292,90 euros au titre des primes assurance décès impayées

1 816 884,91 euros au titre des intérêts de retard au taux conventionnel du 6 juin 2008 au 25 mars 2022.

Prêt n° 2

17 670,98 euros au titre des échéances impayées au 30 octobre 1995,

41 232,28 euros au titre du capital restant dû au 30 octobre 1995,

10 euros au titre des pénalités de 2%,

122 002,39 euros au titre des intérêts de retard au taux conventionnel du 6 juin 2008 au 25 mars 2022

Le jugement entrepris sera donc infirmé en ce qu'il a décidé que la créance de la Soderom s'élevait à la somme de 940 492 euros assortie des intérêts au taux légal à compter du 6 juin 2008. Statuant à nouveau sur ce point, cette créance sera retenue à hauteur de la somme de 2 878 393,18 euros, outre les intérêts conventionnels.

Par ailleurs, selon l'article 954, alinéa 3, du code de procédure civile, la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n'examine les moyens au soutien de ces prétentions que s'ils sont invoqués dans la discussion.

Or, si, dans le dispositif de ses conclusions, l'appelante demande, à titre subsidiaire, à la cour de « juger que la prescription des intérêts antérieurs à 5 années précédant la saisie-attribution est acquise », dans la partie « discussions » de ses écritures, elle n'articule aucun moyen au soutien de cette prétention.

Par conséquent, la SCI Sarnaja sera déboutée de cette demande.

Sur la demande indemnitaire pour mise en 'uvre tardive de la saisie-attribution et saisie abusive

La SCI Sarnaja soutient qu'en engageant des poursuites à son encontre plus de 27 ans après la conclusion du prêt et le premier incident de paiement non régularisé, et 26 ans après la déchéance du terme, la Soredom aurait cherché à faire revivre artificiellement une créance prescrite depuis de longues années.

Elle ajoute qu'en sa qualité de professionnel du crédit, la Soredom ne pouvait ignorer que la saisie-attribution litigieuse était hors délai et vouée à l'échec. Elle affirme que cette action tardive constitue un abus du droit d'ester en justice lui ayant causé un préjudice moral.

Elle prétend également que la saisie-attribution contestée, intempestive et abusive, lui a causé un préjudice financier en bloquant indument ses loyers, seule source de revenus pour assurer l'entretien, les réparations et le paiement de l'important impôt foncier généré par l'immeuble.

Elle sollicite donc la somme de 1 000 000 euros à titre de dommages et intérêts.

Cependant, l'appelante ignore ou fait fi, ce disant, de ce qu'à la suite de la déchéance du terme le 23 octobre 1995, la créancière n'est pas restée inactive :

- le 8 janvier 1996, elle lui a signifié, ainsi qu' à sa caution, un commandement en saisie immobilière ;

- pour échapper à cette saisie, la caution a initié une procédure qui a duré 12 années jusqu'à l'arrêt de la cour de cassation en date du 15 mai 2007 ;

- Le 6 juin 2013 puis le 6 juin 2018, la société créancière lui a fait signifier un commandement aux fins de saisie-vente.

Dès lors, les fautes alléguées par la société Sarnaja ne sont pas démontrées.

En outre, et en tout état de cause, l'appelante ne verse aux débats aucun élément permettant de prouver le préjudice allégué.

Le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu'il a rejeté la demande de dommages et intérêts pour mise en 'uvre tardive et déloyale de la saisie-attribution et saisie abusive.

Sur les dépens et frais irrépétibles

La SCI Sarnaja, qui succombe dans ses prétentions, sera condamnée aux entiers dépens de l'instance d'appel. Le jugement sera par ailleurs confirmé en ce qu'il l'a condamnée aux entiers dépens de première instance.

En outre, l'équité commande de la condamner à payer à la Soredom la somme de 7 000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en appel.

La SCI Sarnaja sera subséquemment déboutée de sa demande au titre de ses frais irrépétibles, tant de première instance pour lesquels le même jugement sera encore confirmé, que d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Déclare recevable l'appel de la SCI Sarnaja,

Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a :

- prononcé la nullité de la clause d'intérêts des deux prêts et dit qu'il y avait lieu de substituer au taux d'intérêt contractuel le taux légal,

- dit que la SAS Soredom disposait d'une créance certaine, liquide et exigible d'un montant de 940 492,75 euros ;

- débouté la SCI Sarnaja de sa demande de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation d'information et au devoir de conseil.

Statuant à nouveau de ces seuls chefs et y ajoutant,

Dit irrecevable la demande de dommages et intérêts de la SCI Sarnaja pour manquement à l'obligation d'information et au devoir de conseil,

Dit irrecevable comme prescrite l'action en nullité de la clause de stipulation d'intérêts incluse dans l'acte notarié de prêt en date du 5 février 1993,

Dit que la SAS Soredom dispose à l'encontre de la SCI Sarnaja d'une créance certaine, liquide et exigible d'un montant de 2 878 393,18 assortie des intérêts au taux conventionnel de 15 % à compter du 6 juin 2008,

Déboute la SCI Sarnaja de sa demande tendant à ce qu'il soit jugé que la prescription des intérêts antérieurs à 5 années précédant la saisie-attribution litigieuse est acquise,

Déboute la SCI Sarnaja de ses demandes au titre des dépens et des frais irrépétibles,

Condamne la SCI Sarnaja à payer à la SAS Soredom, la somme de 7 000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel,

Condamne la SCI Sarnaja aux entiers dépens d'appel.

Et ont signé,

La greffière, Le président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Basse-Terre
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 22/01180
Date de la décision : 25/07/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 03/08/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-07-25;22.01180 ?
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