COUR D'APPEL DE BASSE-TERRE
2ème CHAMBRE CIVILE
ARRET N° 417 DU 25 JUILLET 2024
N° RG 22/01040 -
N° Portalis DBV7-V-B7G-DPZI
Décision attaquée : jugement du juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Pointe-à-Pitre en date du 27 juillet 2022 dans une instance enregistrée sous le n° 21/00738
APPELANTE :
Madame [L] [D]
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée par Me Sully Lacluse, de la SELARL Lacluse & Cesar, avocat au barreau de GUADELOUPE/ST MARTIN/ST BART
INTIME :
Monsieur [M] [E]
[Adresse 5]
[Adresse 5]
[Localité 4]
Représenté par Me Betty Naejus, de la SCP Naejus-Hildebert, avocate au barreau de GUADELOUPE/ST MARTIN/ST BART
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 15 janvier 2024, en audience publique, devant Monsieur Thomas Habu Groud, conseiller chargé du rapport, les avocats ne s'y étant pas opposé.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
M. Frank Robail, président de chambre,
Mme Annabelle Clédat, conseillère,
M. Thomas Habu Groud, conseiller.
Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour le 18 avril 2024. Elles ont ensuite été informées de la prorogation de ce délibéré, in fine, à ce jour en raison de l'absence d'un greffier et de la surcharge des magistrats.
GREFFIER,
Lors des débats et du prononcé : Mme Sonia Vicino, greffière.
ARRÊT :
- contradictoire, prononcé n publiquement par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées conformément à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.
- signé par M. Frank Robail, président de chambre, et par Mme Sonia Vicino, greffière, à laquelle la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS ET PROCEDURE
Mme [L] [Y] [D] et M. [M] [E] ont vécu plusieurs années en concubinage.
Par un jugement d'adjudication du tribunal de grande instance de Pointe-à-Pitre en date du 18 janvier 2007, Mme [D] a enchéri à hauteur de 75 000 euros afin d'acquérir deux appartements situés [Adresse 2] au [Localité 4] en Guadeloupe.
M. [E] s'est installé dans l'un de ces logements en 2010.
Le 1er juillet 2021, Mme [D] a fait assigner M. [E] devant le Tribunal Judiciaire de Pointe-à-Pitre aux fins de paiement et d'expulsion.
Mme [D] sollicitait plus précisément :
- le prononcé de la résiliation du bail verbal ;
- l'expulsion de M. [E] et de toute personne dans les lieux de son chef et ce avec l'assistance de la force publique s'il y a lieu ;
- le transport et la séquestration des meubles et objets mobiliers garnissant les lieux dans un garde-meubles ou dans tout autre lieu au choix du bailleur aux frais, risques et périls du défendeur et ce, en garantie de toutes sommes qui pourraient être dues ;
- la condamnation du défendeur au paiement par provision de la dette locative de 38 396,35 euros indiquée dans la sommation de payer, augmentée des loyers impayés de mai et juin 2021 soit 1 600 euros ;
- la condamnation du défendeur au paiement d'une indemnité d'occupation mensuelle de 1 000 euros, charges en sus, à compter du 1er juillet 2021 et ce, jusqu'à libération effective des lieux par remise des clefs, à titre provisionnel
- l'indexation de l'indemnité d'occupation sur l'indice INSEE du coût de la construction s'il évolue à la hausse, l'indice de base étant le dernier indice paru à la date de l'ordonnance à intervenir, si l'occupation devait se prolonger plus d'un an ;
- la condamnation du défendeur aux dépens qui comprendraient le coût de la sommation de payer en date du 5 mai 2021 et la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens ;
- subsidiairement, la désignation d'un expert judiciaire pour fixer le montant du loyer de l'appartement, avec comme mission de :
* se rendre sur les lieux litigieux,
* se faire communiquer tous les documents et pièces qu'il estimerait utiles pour l'accomplissement de sa mission, à savoir déterminer le montant du loyer,
* la fixation d'une somme que M. [E] devrait consigner.
Au soutien de ses demandes, elle faisait valoir qu'elle avait acquis seule le bien litigieux en 2007 et que M. [E] avait uniquement participé à l'achat en avançant une partie du prix, soit la somme de 36 000 euros. Elle soutenait que, suivant bail verbal, elle avait donné le bien à bail à M. [E] en contrepartie d'un loyer mensuel de 800 euros et qu'il avait cessé de régler ses loyers en janvier 2017. Elle indiquait qu'elle l'avait vainement mis en demeure de régler la somme de 34 564 euros au titre des loyers et charges dus du 1er janvier 2018 au 1er janvier 2021. Elle ajoutait qu'elle avait consenti ce bail pour compenser les sommes que M. [E] lui avait avancées.
M. [E] sollicitait quant à lui :
- le rejet des demandes de Mme [D] ;
- dans l'hypothèse de la désignation d'un expert, la désignation de Mme [D] pour verser la consignation ;
- le renvoi des parties à procéder à la liquidation partage de la société créée de fait entre eux devant un notaire ;
- la condamnation de Mme [D] à lui verser la somme de 47 646,89 euros ;
- la condamnation de Mme [D] à lui verser la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens, dont distraction au profit de la SCP Naejus-Hildebert.
Au soutien de ses demandes, il faisait valoir qu'aucun bail verbal n'avait été conclu entre eux et que le bien litigieux avec été acquis dans le cadre d'une société créée de fait. Il soutenait que si le bien immobilier avait été mis au nom de Mme [D], le paiement du prix de l'immeuble résultait de la mise en commun d'un apport en vue de la location de l'ensemble immobilier constitué de deux logements. Il affirmait avoir participé au paiement de quasiment la moitié du prix d'acquisition (36 000 euros) et à des travaux d'aménagement, pour une somme globale de 47 646,89 euros. Il poursuivait en relatant qu'il avait acquitté les charges de copropriété du logement qu'il avait occupé de 2010 jusqu'au 1er trimestre 2020.
En réponse aux conclusions de son adversaire, Mme [D] faisait valoir que la preuve des éléments constitutifs de la société créée de fait n'était pas rapportée. Elle expliquait que l'intention de s'associer en vue d'une entreprise commune ne pouvait se déduire ni de la participation financière à la réalisation d'un projet immobilier, ni de la mise en commun d'intérêts inhérents au concubinage. Elle ajoutait que le défendeur ne prouvait pas non plus une intention commune de contribuer aux pertes établie de manière égale. A ce titre, elle précisait avoir assumé seule les charges de copropriété de l'appartement dont la jouissance bénéficiait uniquement à M. [E], et qu'elle avait d'ailleurs été condamnée à ce titre.
Par jugement du 27 juillet 2022, le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Pointe-à-Pitre a :
- rejeté la demande principale de résiliation du contrat de bail ;
- rejeté la demande principale de condamnation en paiement de la somme de 38 396,35 euros au titre des loyers et charges impayés ;
- rejeté la demande principale d'expulsion ;
- rejeté la demande principale de transport et séquestration des meubles ;
- rejeté la demande principale de condamnation en paiement d'une indemnité d'occupation ;
- rejeté la demande principale d'indexation de l'indemnité d'occupation
- rejeté la demande subsidiaire de désignation d'un expert judiciaire ;
- rejeté la demande reconventionnelle de liquidation-partage de la société créée de fait entre les parties ;
- rejeté la demande reconventionnelle de paiement de la somme de 47 646,89 euros ;
- rejeté les demandes formulées au titre des frais irrépétibles ;
- condamné Mme [L] [Y] [D] aux dépens, dont distraction au profit de la SCP Naejus-Hildebert.
Mme [D] a interjeté appel de cette décision par déclaration remise au greffe de la cour par voie électronique le 14 octobre 2022, en limitant expressément son appel aux chefs de jugement par lesquels le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Pointe-à-Pitre a :
- rejeté la demande principale de résiliation du contrat de bail ;
- rejeté la demande principale de condamnation en paiement de la somme de 38 396,35 euros au titre des loyers et charges impayés ;
- rejeté la demande principale d'expulsion ;
- rejeté la demande principale de transport et séquestration des meubles ;
- rejeté la demande principale de condamnation en paiement d'une indemnité d'occupation ;
- rejeté la demande principale d'indexation de l'indemnité d'occupation
- rejeté la demande subsidiaire de désignation d'un expert judiciaire ;
- rejeté les demandes formulées au titre des frais irrépétibles ;
- condamné Mme [L] [Y] [D] aux dépens, dont distraction au profit de la SCP Naejus-Hildebert.
La procédure a fait l'objet d'une orientation à la mise en état
M. [E] a remis au greffe sa constitution d'intimé par voie électronique le 18 novembre 2022.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 18 septembre 2023 et l'affaire a été fixée à l'audience du 15 janvier 2024, date à laquelle la décision a été mise en délibéré au 18 avril 2024 ; les parties ont ensuite été avisées de la prorogation de ce délibéré à ce jour, par mise à disposition au greffe, en raison de l'absence d'un greffier et de la surcharge des magistrats.
PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
1/ Mme [L] [D], appelante :
Vu les dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 24 juillet 2023 par lesquelles Mme [D] demande à la cour de :
- la déclarer recevable en son appel ;
En conséquence,
- réformer le jugement en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a rejeté la demande reconventionnelle de liquidation-partage de la société créée de fait entre les parties et rejeté la demande reconventionnelle de paiement de la somme de 47 646,89 € ;
Statuant à nouveau,
- déclarer résilié le bail verbal visant l'appartement sis au numéro [Adresse 5] au [Localité 4] ;
- ordonner par conséquent l'expulsion de M. [M] [E] et de toute personne dans les lieux de son chef et ce, avec l'assistance de la force publique s'il y a lieu,
- ordonner le transport et la séquestration des meubles et objets mobiliers garnissant les lieux dans un garde-meubles ou dans tout autre lieu au choix du bailleur aux frais, risques et périls de l'intimé et ce, en garantie de toutes sommes qui pourront être dues,
- condamner M. [E] au paiement par provision de la dette locative de 38 396,35 euros indiquée dans la sommation de payer, augmentée des loyers impayés de mai et juin 2021, soit 1 600 euros,
- condamner M. [E] au paiement d'une indemnité d'occupation mensuelle de 1000 euros, charges en sus, à compter du 1er juillet 2021 et ce, jusqu'à la libération effective des lieux par remise des clés, à titre provisionnel,
- dire que si l'occupation devait se prolonger plus d'un an, l'indemnité d'occupation serait indexée sur l'indice INSEE du coût de la construction s'il évolue à la hausse, l'indice de base étant le dernier indice paru à la date de l'ordonnance à intervenir,
- condamner M. [E] aux dépens qui comprendront le coût de la sommation de payer en date du 5 mai 2021 et la somme de 2 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile
Subsidiairement,
Avant dire-droit,
- ordonner une mesure d'expertise judiciaire visant à fixer le montant du loyer de l'appartement sis au numéro [Adresse 5] au [Localité 4] ;
- commettre pour y procéder tel expert qu'il plaira à la juridiction avec mission de :
*se rendre sur les lieux litigieux ;
*se faire communiquer tous documents et pièces qu'il estimera utiles pour l'accomplissement de sa mission, à savoir, déterminer le montant du loyer ;
- dire que l'expert fera connaître sans délai son acceptation,
- dire que l'expert tiendra informé le magistrat chargé du contrôle des expertises de l'avancement de ses opérations, des difficultés rencontrées et des diligences accomplies par lui,
- fixer la provision à valoir sur la rémunération de l'expert que M. [M] [E] devra consigner entre les mains du régisseur d'avances et de recettes près le tribunal judiciaire de Pointe-à-Pitre, afin de garantir le paiement des frais et honoraires de l'expert, sous peine de caducité de la mesure d'expertise, en application de l'article 271 du code de procédure civile,
- dire que l'expert devra commencer ses opérations, dès qu'il aura reçu avis de la consignation de la provision,
- dire que dans les deux mois de sa saisine, l'expert indiquera le montant de sa rémunération définitive prévisible afin que soit éventuellement ordonnée une provision complémentaire dans les conditions de l'article 280 du code de procédure civile et dire qu'à défaut d'une telle indication, le montant de la consignation initiale constituera la rémunération définitive de l'expert,
- dire que l'expert établira un pré-rapport avant son rapport définitif et laissera un délai d'un mois aux parties pour faire leurs éventuelles observations,
- dire qu'il déposera son rapport au greffe du tribunal ;
- dire que l'expert répondra dans le rapport définitif aux éventuelles observations écrites des parties,
- dire que l'expert sera saisi et effectuera sa mission conformément aux dispositions des articles 263 et suivants du code de procédure civile et qu'en particulier, il pourra recueillir les déclarations de toute personne informée et s'adjoindre tout spécialiste de son choix pris sur la liste des experts près ce tribunal.
2/ M. [M] [E], intimé :
Vu les dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 9 avril 2023 par lesquelles M. [E] demande à la cour de :
- déclarer les demandes de Mme [L] [D] infondées ;
- confirmer en toutes ses dispositions le jugement du 27 juillet en ce qu'il a rejeté l'ensemble des demandes de Mme [L] [D].
- débouter Mme [L] [D] de toutes ses demandes ;
- infirmer le jugement du 27 Juillet 2022 en ce qu'il a rejeté ses demandes de liquidation-partage de la société créée de fait entre les parties ;
- renvoyer les parties à procéder devant tel notaire qu'il leur plaira, à la liquidation partage de la société créée de fait entre eux.
- infirmer le jugement du 27 Juillet 2022 en ce qu'il a rejeté sa demande subsidiaire de paiement de la somme de 47 646,89 euros ;
- condamner Mme [L] [D] à lui payer la somme de 47 646,89 euros.
- condamner Mme [L] [D] à lui payer la somme de 3 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner Mme [L] [D] aux entiers dépens dont distraction au profit de SCP Naejus-Hildebert.
En application de l'article 455 du code de procédure civile, il convient de se reporter aux dernières conclusions des parties pour un exposé détaillé des prétentions et moyens.
MOTIFS DE L'ARRET
Sur la recevabilité de l'appel
L'article 538 du code de procédure civile dispose que le délai de recours par la voie ordinaire est d'un mois en matière contentieuse.
Ce délai court à compter de la signification de la décision contestée.
En l'espèce, Mme [L] [D] a interjeté appel le 14 octobre 2022 du jugement rendu le 27 juillet 2022, sans qu'aucune pièce du dossier ne permette d'établir qu'il lui ait été préalablement signifié.
Son appel doit en conséquence être déclaré recevable.
Il en de même de l'appel incident de M. [E] formé dans le délai légal de remise au greffe de ses conclusions.
Sur l'existence d'un contrat de bail
En vertu de l'article 1353 du code civil, celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver.
Aux termes de l'article 1714 du même code, on peut louer ou par écrit ou verbalement, sauf, en ce qui concerne les biens ruraux, application des règles particulières aux baux à ferme et à métayage.
L'article 1715, alinéa 1er, du même code dispose que si le bail fait sans écrit n'a encore reçu aucune exécution, et que l'une des parties le nie, la preuve ne peut être reçue par témoins, quelque modique qu'en soit le prix, et quoiqu'on allègue qu'il y a eu des arrhes données.
Il s'ensuit que la preuve d'un bail verbal ayant reçu commencement d'exécution peut se faire par tous moyens.
Cependant, la seule occupation des lieux n'est pas suffisante pour prouver le commencement d'exécution, s'il n'est pas établi que les deux parties ont commencé d'exécuter leurs principales obligations.
Ainsi, l'existence d'un bail verbalement formé ne peut être établie en se fondant sur le silence de l'occupant à la réception d'un commandement de payer émanant du demandeur et sur un témoignage attestant de son occupation des lieux (Cass. 2e civ., 12 juin 2001, pourvoi n° 99-17.138).
Enfin, à supposer le commencement d'exécution prouvé, il est nécessaire d'établir qu'il y a eu accord sur la chose et sur le prix.
En l'espèce, Mme [D] soutient que la preuve du commencement d'exécution du bail verbal allégué découle de l'occupation effective des lieux litigieux par M. [E] attestée tant par l'huissier de justice lui ayant délivré une sommation de payer le 5 mai 2021, que par les témoignages de Mme [K] [Z], de Mme [V] [U], sa s'ur, de Mme [R] [H] épouse [N] et de Mme [O] [J]. L'appelante ajoute que la preuve de l'occupation effective résulte également de l'état des dépenses que M. [E] reconnaît avoir engagées pour l'appartement, lesquelles sont établies par ses relevés de compte.
L'appelante fait également valoir qu'elle a manifesté sa volonté d'obtenir le paiement d'un loyer par M. [E] par différents écrits adressés à ce dernier à savoir, la sommation de payer du 5 mai 2021 et le courrier de son avocat du 26 janvier 2021.
Cependant, comme le fait justement valoir l'intimé qui conteste l'existence du contrat de bail allégué, l'occupation des locaux et la volonté manifestée par Mme [D] d'obtenir le paiement d'un loyer ne suffisent pas à établir le commencement d'exécution d'un bail.
Par conséquent, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a retenu que Mme [D] ne rapportait pas la preuve de l'existence du bail verbal allégué.
Dès lors, les demandes de résiliation du bail, d'expulsion de M. [E], de transport et de séquestration de ses meubles, de condamnation au paiement par provision d'un dette locative ainsi que d'une indemnité d'occupation, seront rejetées.
Le jugement sera également confirmé de ces chefs.
Sur la demande subsidiaire de désignation d'un expert
Aux termes de l'article 146 du code de procédure civile, une mesure d'instruction ne peut être ordonnée sur un fait que si la partie qui l'allègue ne dispose pas d'éléments suffisants pour le prouver. En aucun cas une mesure d'instruction ne peut être ordonnée en vue de suppléer la carence de la partie dans l'administration de la preuve.
En l'espèce, Mme [D] sollicite, à titre subsidiaire, qu'une mesure d'expertise soit ordonnée afin de déterminer le montant du loyer dû par M. [E].
Cependant, comme l'a souligné à juste titre le premier juge, la solution du litige ne peut dépendre de l'expert en évaluation du montant du loyer alors que l'existence même d'un contrat de bail n'est pas rapportée.
Par conséquent, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a rejeté la demande de désignation d'un expert pour évaluer le montant du loyer.
Sur la demande incidente de liquidation de la société créée de fait
Aux termes de l'article 1832, alinéa 1er, du code civil, la société est instituée par deux ou plusieurs personnes qui conviennent par un contrat d'affecter à une entreprise commune des biens ou leur industrie en vue de partager le bénéfice ou de profiter de l'économie qui pourra en résulter.
Selon la jurisprudence, l'existence d'une société créée de fait entre concubins, qui exige la réunion des éléments caractérisant tout contrat de société, nécessite l'existence d'apports, l'intention de collaborer sur un pied d'égalité à la réalisation d'un projet commun et l'intention de participer aux bénéfices ou aux économies ainsi qu'aux pertes éventuelles pouvant en résulter.
En outre, les éléments constitutifs de la société créée de fait doivent être tous établis et de manière séparée, et ne peuvent se déduire les uns des autres.
Ainsi, la mise en commun de ressources pour acquérir un bien ne peut suffire à caractériser non seulement l'affectio societatis, mais également la vocation aux bénéfices et aux pertes.
En l'espèce, M. [E] fait valoir que Mme [D] et lui-même, alors concubins, ont décidé de mettre en commun des apports pour l'acquisition en vue de la location d'un ensemble immobilier constitué de deux logements situés au [Localité 4]. Il ajoute que si l'achat pour le prix de 75 000 euros a été réalisé au nom de Mme [D], il a participé à son financement à hauteur de près de la moitié du prix et a ensuite financé les travaux d'aménagement des logements, soit un investissement global de 47 646,89 euros. Il précise également que de 2010 au premier trimestre 2020, il avait, comme tout propriétaire, payé les charges de copropriété du logement qu'il occupe. L'intimé incident en déduit que l'appelante et lui-même ont 'uvré de concert à la réalisation d'un intérêt commun, en constituant des apports qu'ils ont affectés à ce qui s'apparente à une entreprise commune, traduisant leur volonté de s'associer, en se répartissant les charges et en l'absence de gains espérés faute d'un résultat bénéficiaire.
Cependant, comme l'a relevé le premier juge, si la participation des ex-concubins pourrait s'apparenter à un apport en société, M. [E] ne produit aucun élément de preuve permettant d'établir l'existence des autres éléments constitutifs de la société créée de fait, c'est-à-dire l'affectio societatis et la vocation aux bénéfices et aux pertes.
Le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu'il a retenu l'absence d'éléments probatoires quant à l'existence d'une société créée de fait et a rejeté, par voie de conséquence, les demandes de liquidation-partage et de condamnation en paiement de la somme de 47 646,89 euros.
Sur les dépens et frais irrépétibles
Mme [D], qui succombe dans ses prétentions, sera condamnée aux entiers dépens de l'instance d'appel. Le jugement sera par ailleurs confirmé en ce qu'il l'a condamnée aux entiers dépens de première instance.
En outre, l'équité commande de laisser à chaque partie la charge de ses propres frais irrépétibles, engagés tant en première instance qu'en appel, ce pourquoi le jugement querellé sera encore confirmé du chef du rejet des demandes au titre des premiers de ces frais irrépétibles.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Déclare recevable l'appel principal de Mme [L] [D],
Déclare recevable incident de M. [M] [E],
Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions déférées,
Y ajoutant,
Dit que chaque partie conservera la charge de ses propres frais irrépétibles engagés dans le cadre de l'instance d'appel,
Condamne Mme [L] [D] aux entiers dépens de l'instance d'appel.
Et ont signé,
La greffière, Le président