COUR D'APPEL DE BASSE-TERRE
1ère CHAMBRE CIVILE
ARRÊT N° 390 DU 11 JUILLET 2024
N° RG 23/00094 -
N° Portalis DBV7-V-B7H-DQ6Q
Décision déférée à la Cour : jugement du tribunal judiciaire de Pointe-à-Pitre du 2 juin 2022, enregistré sous le n° 22/00090.
APPELANTE :
Mme [Y] [H]
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représentée par Me Charles NATHEY de la SELARL JURINAT, avocat au barreau de GUADELOUPE/ST MARTIN/ST BARTHELEMY (TOQUE 42)
INTIMEE :
Etablissement MAISON ESPACE
(M. [B] [E])
[Adresse 4]
[Localité 3]
Non représentée.
COMPOSITION DE LA COUR :
Mme Judith DELTOUR, présidente de chambre
Mme Valérie MARIE-GABRIELLE, conseillère
Mme Pascale BERTO, vice-présidente placée.
DÉBATS :
A la demande des parties, et conformément aux dispositions des articles 907 et 799 du code de procédure civile, l'affaire ne requérant pas de plaidoirie, la présidente a autorisé le dépôt du dossier au greffe de la chambre.
GREFFIER :
Lors du dépôt des dossiers et du prononcé : Mme Yolande MODESTE, greffière.
ARRÊT :
Par défaut, prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par Mme Judith DELTOUR, présidente de chambre et par Mme Yolande MODESTE, greffière.
Procédure
Alléguant lui avoir confié un contrat de maîtrise d'oeuvre dans le cadre de la construction d'une maison à Morne-à-l'eau, l'abandon du chantier et le non-respect de son obligation de résultat, par acte d'huissier de justice du 17 janvier 2022, Mme [Y] [H] a assigné M. [E] [B] exerçant sous l'enseigne Maison espace, devant le tribunal judiciaire de Pointe-à-Pitre pour obtenir le constat d'une faute de nature à engager sa responsabilité contractuelle, sa condamnation au paiement de 20 000 euros en réparation de son préjudice moral, de 520 921,66 euros à titre de pénalité de retard de 2% du montant total des travaux hors taxes, des dépens et de
3 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Par jugement réputé contradictoire du 2 juin 2022, le tribunal judiciaire de Pointe-à-Pitre a
- débouté Mme [Y] [H] de l'intégralité de ses demandes ;
- condamné Mme [Y] [H] aux dépens ;
- rappelé l'exécution provisoire de droit de la décision.
Par déclaration reçue le 23 janvier 2023, Mme [H] a interjeté appel de la décision en ce qu'elle l'a déboutée de ses demandes et l'a condamnée au paiement des dépens.
Suivant avis de non-constitution du 8 mars 2023, la déclaration d'appel a été signifiée par dépôt à l'étude après vérification de l'adresse le 28 mars 2023. L'intimé n'a pas constitué avocat.
Par conclusions communiquées le 21 mars 2023 et signifiées le 28 mars 2023, auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé, Mme [H] a demandé, au visa des articles 1103, 1231-1, 1231-2 du Code Civil, de
- statuer ce que de droit sur la recevabilité de l'appel ;
- infirmer le jugement dans toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau,
- condamner M. [E] [B] à payer à Mme [Y] [H] la somme de 20 000 euros en réparation du préjudice moral subi ;
- condamner M. [E] [B] à 540 000 euros à titre de pénalité de retard de 3% du montant total des travaux hors taxes, sur 10 mois ;
- condamner M. [E] [B] à lui payer 6 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens dont distraction au profit de Me Charles Nathey de la SELARL Jurinat avocat aux offres de droit.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 4 décembre 2023. L'appelante ayant donné son accord pour que la procédure se déroule sans audience, le dépôt des dossiers a été autorisé le 22 avril 2024. L'affaire a été mise en délibéré pour être rendu le 11 juillet 2024.
La cour a sollicité des observations, pour le 27 juin 2024 sur :
- l'application à la cause des dispositions relatives aux clauses pénales, en vertu de l'article 1231-5 du Code civil,
- la norme AFNOR NF P 003-001qui prévoit le plafonnement des pénalités journalières de retard.
L'appelante a indiqué par son avocat, qu'elle ne s'opposait ni à l'application des dispositions de l'article 1231-5 du Code civil, ni au plafonnement résultant de la norme AFNOR.
Motifs de la décision
Pour statuer comme il l'a fait le premier juge a considéré que Mme [H] ne justifiait pas d'un contrat de maîtrise d'oeuvre mais d'un marché de travaux, qu'elle n'établissait pas la responsabilité de défendeur, ni le paiement de sommes, qu'il était seulement acquis que le chantier n'était pas achevé en décembre 2021, qu'elle ne justifiait pas de ses prétentions financières.
Bien qu'il ne s'agisse pas d'un contrat de maîtrise d'oeuvre, les parties sont néanmoins liées par un contrat, puisque Mme [H] se fonde sur un marché privé de travaux portant sur la construction d'une maison. L'entreprise étant chargée des travaux de maçonnerie, charpente électricité et plomberie moyennant paiement de
90 000 euros, avec un délai d'exécution de neuf mois à dater de l'ordre de service, une pénalité de 2% du montant des travaux HT est prévue, les travaux devaient être payés par tranches et sous condition suspensive d'obtention du permis de construire et du prêt.
Mme [H] produit :
- le contrat mentionné qui précise en outre que le maître d'ouvrage s'engage à effectuer les paiements de la manière suivante :
1) Démarrage des travaux 30 % 27 000 euros
2) Achèvement des fondations 30 % 18 900 euros
3) Achèvement des murs 30 % 13 230 euros
4) Mise hors d'eau (Toiture) 30 % 9 261 euros
5) Électricité -Plomberie 75 % 16 206,75 euros
5) Fin de chantier 100 % 5 402,25 euros.
Il précise que l'ouvrage aura les dimensions prévues et mentionnées sur le devis, que l'entreprise ne pourra réclamer aucune augmentation s'il donne les dimensions supérieures à celles prévues, mais qu'aucune dimension inférieure ne pourra être tolérée, que les prix sont nets, forfaitaires et non révisables. Il ajoute que les travaux supplémentaires devront faire l'objet d'un ordre écrit ;
- une sommation délivrée le 22 février 2021 à M. [B] exerçant sous l'enseigne Maison espace, mentionnant le paiement de 63 391 euros et l'absence de terminaison du chantier ; M. [B] a répondu que le chantier serait livré aux environs de fin mars 2021 ;
- un procès-verbal de constat d'huissier de justice du 13 décembre 2021, qui fait état d'un report du délai d'exécution à décembre 2020 en raison de la crise sanitaire, qu'une nouvelle date été fixée au 31 mars 2021. Ce procès-verbal met en évidence que les murs sont montés avec les attentes pour les menuiseries et les passages de câbles, que les murs sont partiellement enduits, qu'il n'existe aucune réservation pour la plomberie, que la charpente et la toiture en tôles sont posées, que la chappe n'est pas coulée, qu'un coffrage est toujours en place, que les descentes d'eaux pluviales et gouttières ne sont pas posées, que les gaines pour l'électricité sont posées et les réservations pour la plomberie ;
- quatre situations entre le 13 décembre 2019 et le 27 juillet 2020, dont elle justifie du paiement par chèques (27 000 + 18 900 + 12 193,55 + 10 297,45) pour un total de
68 391 euros.
Aucun devis détaillé n'est fourni, de sorte qu'il ne peut être déterminé si l'entreprise avait la charge de la fourniture des matériaux nécessaires à la plomberie, des matériaux nécessaires à l'installation électrique ou si elle avait seulement en charge la mise en oeuvre de ces fournitures. Le marché partiel et lacunaire met en évidence notamment l'absence de prévision de travaux d'assainissement, de travaux d'arrivée et d'évacuation des eaux, de travaux d'étanchéité, de fourniture et pose des menuiseries, de réalisation des cloisons, de pose de carrelage ou plancher, d'enduit extérieur.
Mme [H] justifie par la production des situations de travaux et de copies de chèques au nom de l'entreprise et de ses relevés de comptes, du paiement de 68 391 euros correspondant aux phases démarrage des travaux, achèvement des fondations, achèvement des murs, mise hors d'eau toiture. La comparaison du contrat et des paiements effectués met en évidence que l'entreprise s'est arrêtée à la mise hors d'eau (pose de la toiture). Le constat d'huissier de justice démontre que ces travaux ont été réalisés et que l'entreprise s'est précisément arrêtée à ce stade.
En application des dispositions de l'article 1231-5 du Code civil, lorsque le contrat stipule que celui qui manquera de l'exécuter paiera une certaine somme à titre de dommages et intérêts, il ne peut être alloué à l'autre partie une somme plus forte ni moindre. Néanmoins, le juge peut, même d'office, modérer ou augmenter la pénalité ainsi convenue si elle est manifestement excessive ou dérisoire. Lorsque l'engagement a été exécuté en partie, la pénalité convenue peut être diminuée par le juge, même d'office, à proportion de l'intérêt que l'exécution partielle a procuré au créancier, sans préjudice de l'application de l'alinéa précédent.
S'agissant du calcul de la pénalité de retard, le contrat prévoyait un délai d'exécution de neuf mois à dater de l'ordre de service, une pénalité de 2% du montant des travaux HT est prévue, indiquant 'outre les faits de grèves, intempéries ou cyclones, seuls les cas de force majeure pourront jouer en faveur de l'entrepreneur'.
Aucune indication n'est donnée sur le début du chantier (la déclaration réglementaire d'ouverture de chantier n'est pas produite), mais le délai d'exécution est fixé à 9 mois à compter de l'ordre de service. Mme [H] ne produit pas d'ordre de service mais indique que les travaux ont commencé le 14 décembre 2019, ayant payé la première situation le 13 décembre 2019, ce qui conduirait à une date de livraison mi-septembre 2020. Cependant, d'une part les délais d'exécution ont été suspendus en vertu des ordonnances relatives à la crise sanitaire et des confinements consécutifs et ils ont été prorogés en raison des intempéries et des événements cycloniques locaux sur la période, d'autre part, le procès-verbal d'huissier de justice du 13 décembre 2021, se fondant sur les déclarations de Mme [H] mentionne qu'un report avait été prévu auparavant pour une fin de chantier en décembre 2020.
En tout état de cause, il est démontré que l'entreprise a arrêté les travaux à l'étape où Mme [H] a arrêté les paiements, de sorte que le retard trouve sa cause non seulement dans des événements indépendants de la volonté des parties mais encore dans le comportement de chacune des parties.
Il est établi aussi que l'entreprise s'était engagée sur un délai d'exécution de 9 mois et que le 13 décembre 2021, en dépit d'un engagement de terminer 'fin mars 2021", les travaux visés au marché n'étaient pas achevés, ce qui constitue une faute nonobstant l'absence de notification de nouvelles situations de travaux. L'entreprise n'a pas indiqué qu'elle abandonnait le chantier, elle n'a pas mis en demeure Mme [H] de lui payer les sommes restant dues pour reprendre les travaux. En outre, la pénalité de retard, même prévue au contrat ne peut excéder suivant la norme AFNOR NF P 003-001, un montant total plafonné à 5% du marché.
Compte tenu de ces éléments, le jugement doit être infirmé, statuant de nouveau, M. [B] exerçant sous l'enseigne Maison espace est condamné au paiement de
4 147,46 euros correspondant à 5 % du montant HT du marché. Mme [H] est déboutée du surplus de ses demandes.
Mme [H] ne justifie d'aucun préjudice moral. Elle doit être déboutée de sa demande à ce titre.
M. [B] exerçant sous l'enseigne Maison espace qui succombe est condamné au paiement des dépens avec distraction pour ceux des frais dont avance aurait été faite sans avoir reçu provision au profit de l'avocat aux offres de droit. Il est également condamné au paiement de 1 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Par ces motifs
La cour
- infirme le jugement en ses dispositions critiquées,
Statuant de nouveau,
- condamne M. [E] [B] exerçant sous l'enseigne Maison espace à payer à Mme [Y] [H] la somme de 4 147,46 euros au titre de la pénalité de retard ;
- déboute Mme [Y] [H] du surplus de ses demandes ;
Y ajoutant
- condamne M. [E] [B] exerçant sous l'enseigne Maison espace au paiement des dépens avec distraction au profit de M. Charles Nathey SELARL Jurinat, en application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,
- condamne M. [E] [B] exerçant sous l'enseigne Maison espace à payer à Mme [Y] [H] la somme de 1 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
La décision a été signée par Mme Judith DELTOUR, présidente de chambre et par Mme Yolande MODESTE, greffière.
La présidente La greffière