COUR D'APPEL DE BASSE-TERRE
1ère CHAMBRE CIVILE
ARRET N° 388 DU 11 JUILLET 2024
N° RG 23/00078 -
N° Portalis DBV7-V-B7H-DQ5S
Décision déférée à la Cour : jugement du tribunal judiciaire de Basse-Terre du 8 décembre 2022, enregistré sous le n° 21/00464.
APPELANT :
M. [X] [S]
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représenté par Me Myriam MASSENGO LACAVE, avocat postulant, au barreau de Guadeloupe/Saint-Martin/Saint-Barthélémy(TOQUE 58) et avocat plaidant Me Stéphane GOLDENSTEIN, avocat au barreau de Paris.
INTIME :
M. [F] [U]
[Adresse 5]
[Localité 3]
Représenté par Me Florence BARRE AUJOULAT, avocat postulant au barreau de Guadeloupe/Saint-Martin/Saint-Barthélémy (TOQUE 1) et avocat plaidant la SELARL DUPUY PEENE, avocat au barreau de Toulouse
COMPOSITION DE LA COUR :
Mme Judith DELTOUR, présidente de chambre
Mme Valérie MARIE-GABRIELLE, conseillère
Mme Pascale BERTO, vice-présidente placée.
DÉBATS :
A la demande des parties, et conformément aux dispositions des articles 907 et 799 du code de procédure civile, l'affaire ne requérant pas de plaidoirie, le conseiller de la mise en état a autorisé le dépôt des dossiers au greffe de la chambre.
GREFFIER :
Lors du dépôt des dossiers et du prononcé : Mme Yolande MODESTE, greffière.
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par Mme Judith DELTOUR, présidente de chambre et par Mme Yolande MODESTE, greffière.
Procédure Prétentions et moyens
Alléguant un prêt sous seing privé du 2 novembre 2007, enregistré le 12 novembre 2007 portant sur un prêt de 20 000 euros de M. [X] [S] à M. [F] [U], un avenant du 16 janvier 2008 portant prêt de la somme complémentaire d' 1 000 000 d'euros et un prêt sous seing privé du 21 juin 2009, d'1 000 000 euros, remboursable dans les dix ans, au taux de 3 %, suivant mise en demeure de lui payer la somme de 2 020 000 en principal, par acte d'huissier de justice du 24 septembre 2021, M. [X] [S] a assigné M. [F] [U] devant le tribunal judiciaire de Basse-Terre pour obtenir sa condamnation au paiement de 2 020 000 euros, outre les intérêts à courir à raison de 3% l'an sur la somme d'1 000 000 euros, représentant au 1er juin 2022, la somme de 390 000 euros à parfaire et avec intérêts au taux légal sur la somme d'1 020 000 euros depuis la mise en demeure du 1er mars 2021, la somme de 3 000 euros de dommages et intérêts pour résistance abusive dans l'exécution de ses obligations contractuelles, des dépens comprenant aussi les droits proportionnels de recouvrement et d'encaissement prévus à l'article A 444-32 de l'arrêté du 26 février 2016 qui seront aussi mis à sa charge et de 4 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Par jugement rendu le 8 décembre 2022, le tribunal judiciaire de Basse-Terre a
- rejeté la demande de M. [X] [S] tendant au remboursement de la somme de 2 390 000 euros ;
- rejeté les autres demandes formulées à l'encontre de M. [F] [U] ;
- rejeté le surplus des demandes ;
- mis les dépens d'instance à la charge de M. [X] [S] ;
- condamné M. [X] [S] à payer à M. [F] [U] la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- rappelé que la décision bénéficie de plein droit de l'exécution provisoire.
Par déclaration reçue le 17 janvier 2023, M. [S] a interjeté 'appel nullité' et demandé d'infirmer le jugement en ce qu'il l'a débouté de ses demandes et l'a condamné au paiement des dépens et de 1 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Par dernières conclusions communiquées le 27 novembre 2023, M. [S] a demandé au visa des articles 1132, 1134, 1315, 1326, 1341 à 1343 anciens du code civil applicables aux faits de l'espèce,
- d'infirmer le jugement,
En conséquence,
- condamner M. [F] [U] à payer à M. [X] [S] la somme en principal de 2 020 000 euros ;
- condamner M. [F] [U] à payer à M. [X] [S] les intérêts à courir à raison de 3% l'an depuis le 21 juin 2009 jusqu'à la décision à intervenir sur la somme d'1 000 000 euros et un intérêt au taux légal sur la somme d'1 020 000 euros depuis la mise en demeure du 1er mars 2021 ;
- condamner M. [F] [U] à payer à M. [X] [S] la somme de 3 000 euros de dommages et intérêts pour résistance abusive dans l'exécution de ses obligations contractuelles ;
- condamner M. [F] [U] à payer à M. [X] [S] la somme de 6 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner M. [F] [U] au paiement des entiers dépens, dépens comprenant aussi les droits proportionnels de recouvrement et d'encaissement prévus à l'article A444-32 de l'arrêté du 26 février 2016 qui seront aussi mis à sa charge.
Il a fait valoir l'existence de prêts successifs les 20 novembre 2007, 16 janvier 2008 et 21 juin 2009 pour un montant total de 2 020 000, dans le cadre d'un partenariat en vue de permettre à M. [U] d'entrer par le biais d'une société au capital d'une société Finalliance, ses tentatives de recouvrement, la fin de leur amitié, l'absence de contestation de la dette avant la procédure, la date des actes et les dispositions de l'article 1326 du Code civil applicables au litige, l'inversion de la charge de la preuve par le premier juge, l'absence de contestation de la signature de la première reconnaissance de dette et l'absence de contestation de la remise des fonds pour la seconde.
Par dernières conclusions communiquées le 29 novembre 2023, M. [U] a sollicité de
- confirmer la décision déférée ;
Sur l'acte de prêt de 20 000 euros du 2 novembre 2007 :
- débouter M. [S] de ses demandes ;
Sur la convention du 26 janvier 2008 :
- juger que la pièce adverse 12 (lettre de Me Febvre à Me Pechenard du 24 juin 2008) doit être écartée des débats comme couverte par la confidentialité des échanges entre avocats ;
- prononcer la mise hors de cause de M. [F] [U] ;
- débouter M. [S] de ses demandes ;
Sur la convention du 21 juin 2009 :
- débouter M. [S] de ses demandes,
Sur les demandes complémentaires :
- débouter M. [S] de ses demandes,
Reconventionnellement :
- condamner M. [S] au paiement de la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner M. [S] au paiement des dépens.
Il a rappelé la procédure antérieure, la motivation du jugement, l'absence de production de l'acte sous seing privé portant prêt de 20 000 euros et de la remise des fonds, il a fait valoir l'absence de preuves des conditions du prêt, la production d'un chèque à l'ordre de Finalliance et non à son ordre, l'absence d'inversion de la charge de la preuve et la confirmation de la décision, que la pièce N° 12 est un courrier d'avocat qui doit être écarté comme couvert par le principe de confidentialité, que M. [S] est passé par M. [U], associé de la société Comptoir financier colombier pour entrer dans le capital de la société Finalliance et qu'il contestait avoir signé le document du 21 juin 2009 ce que confirmait l'expertise.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 4 décembre 2023. Les parties ayant donné leur accord pour que la procédure se déroule sans audience, le dépôt des dossier a été autorisé le 22 avril 2024. L'affaire a été mise en délibéré pour être rendu le 11 juillet 2024.
Motifs de la décision
Pour statuer comme il l'a fait le premier juge a considéré s'agissant du premier prêt que M. [S] ne prouvait pas qu'il avait prêté la somme à M. [U] et s'agissant du second prêt résultant d'une reconnaissance de dette du 21 juin 2009, qu'il n'était pas démontré que M. [U] avait signé cette pièce et que M. [S] lui avait remis les fonds litigieux.
La recevabilité de l'action en paiement n'est pas contestée.
En application des dispositions de l'article 1326 du Code civil, applicable au litige, l'acte juridique par lequel une seule partie s'engage envers une autre à lui payer une somme d'argent ou à lui livrer un bien fongible doit être constaté dans un titre qui comporte la signature de celui qui souscrit cet engagement ainsi que la mention, écrite par lui-même, de la somme ou de la quantité en toutes lettres et en chiffres. En cas de différence, l'acte sous seing privé vaut pour la somme écrite en toutes lettres.
Sur la convention du 12 novembre 2007
Censée porter reconnaissance de dette et contenir un prêt de 20 000 euros sans intérêt accordé par M. [S] à M. [U], elle n'est pas versée au débat, en dépit de la mention de son enregistrement.
À défaut de production de cette convention et de possibilité de déterminer si elle constitue un prêt ou une reconnaissance de dette, à défaut également de preuve de la remise des fonds et d'une obligation de remboursement, nonobstant son rappel dans une reconnaissance de dette ultérieure, M. [S] ne rapporte pas la preuve de l'obligation qu'il invoque.
Le jugement doit être confirmé.
Sur la convention du 16 janvier 2008 :
En l'espèce, un 'avenant à la convention de reconnaissance de dette du 2 novembre 2007" entre les 'soussignés', identifiés par leurs noms, prénoms, dates et lieux de naissance, adresses, M. [S] 'créancier' et M. [U] 'débiteur', rappelle un prêt de 20 000 euros sans intérêt par acte sous seing privé du 12 novembre 2007, enregistré et indique : 'ultérieurement le créancier a remis au débiteur qui le reconnaît expressément une somme complémentaire d'un million d'euros (1 000 000 €)'. L'acte précise que les parties conviennent de soumettre ce nouveau prêt aux mêmes termes et conditions que le précédent et précisent que la convention de reconnaissance de dette porte désormais sur 1 020 000 euros. L'acte fait à [Localité 4] est daté du 16 janvier 2008 et signé par les deux parties la signature de M. [U] étant précédée de 'bon pour reconnaissance de dette complémentaire d'un million d'euros (1 000 000 €)'.
À l'inverse de ce qui a été retenu, la reconnaissance de la dette fait présumer la remise des fonds, de sorte qu'il incombe à celui qui a signé l'acte de reconnaissance et qui prétend, pour en contester la cause, que la somme qu'il mentionne ne lui pas été remise, d'apporter la preuve de ses allégations. Cette preuve n'est pas rapportée. En effet, l'existence d'un chèque d'un million d'euros établi par M. [S], à l'ordre de Finalliance et daté du 9 janvier 2008, ne suffit pas à démontrer que M. [U] n'est pas débiteur de la somme d'1 000 000 euros visée à la reconnaissance de dette, puisqu'aucun numéro de chèque n'est visé dans la reconnaissance de dette, laquelle porte sur un montant différent et que la date du chèque est antérieure à la date de la convention.
La régularité formelle de la reconnaissance de dette n'est pas contestée, aucun vice du consentement n'est allégué ou démontré et son contenu est licite et certain. Si M. [S] et d'ailleurs M. [U], indiquent qu'une somme d'un million d'euros a été versée au profit de la société Finalliance à la demande de M. [U], permettant à la société de ce dernier -Comptoir financier colombier- d'entrer au capital de la société Finalliance, ce qui est confirmé par les statuts de la SAS Comptoir financier colombier (pièce N°11), il n'en reste pas moins, sans qu'il soit besoin d'écarter ou d'examiner d'autre pièce, que M. [U] s'est explicitement reconnu débiteur de la somme d'1 000 000 euros au terme de la reconnaissance de dette datée du 16 janvier 2008.
La demande de paiement est fondée à ce titre. Le jugement doit être infirmé et M. [U] condamné au paiement de la somme d'1 000 000 euros avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 1er mars 2021.
Sur la convention du 21 juin 2009
En application des dispositions de l'article 1325 applicable au litige, les actes sous seing privé qui contiennent des conventions synallagmatiques ne sont valables qu'autant qu'ils ont été faits en autant d'originaux qu'il y a de parties ayant un intérêt distinct.
Au terme d'un acte sous seing privé portant 'contrat de prêt' du 21 juin 2009, M. [S] a prêté à M. [U] la somme d'un million d'euros, virée du compte LCL du prêteur. M. [U] s'est engagé à rembourser cette somme dans les dix ans avec un taux d'intérêts de 3% en une ou plusieurs échéances.
Ce prêt n'a pas été enregistré. Le document a été établi en deux exemplaires, il contient engagement de prêt et engagement de remboursement, de sorte que l'intention libérale est exclue.
M. [U], conformément à la possibilité qui lui est offerte par l'article 1323 du Code civil, applicable au litige, à qui on oppose cet acte sous seing privé désavoue formellement son écriture ou sa signature et les deux examens techniques produits par chacune des parties (pièces 15 et 2) portent des conclusions radicalement contraires.
L'examen technique produit par l'appelant, s'est fondé sur sept éléments de comparaison datant majoritairement de 2006 et 2007 (à l'exception du passeport de 2014) soit concomitamment à la signature du contrat de prêt litigieux, alors que celui produit par l'intimé s'est fondé sur six éléments de comparaison, datant de 2017 à 2019 (à l'exception du passeport de 2014) et seulement sur des signatures portées sur des actes notariés. Dès lors que la signature litigieuse est portée sur un document informel sous seing privé entre deux amis de longue date, l'examen technique produit par M. [S] emporte la conviction.
Le tribunal a relevé que la preuve de la remise des fonds, qui n'était pas explicitement contestée, n'était pas rapportée. En effet, suivant la mise en demeure du 1er mars 2021, M. [U] a seulement indiqué qu'il n'avait 'pas connaissance de devoir quoi que ce soit à M. [S]'. Quoiqu'il en soit, à défaut de preuve de la remise de fonds, alors même qu'elle résulterait d'un virement bancaire, M. [S] doit être débouté de sa demande de paiement de cette somme.
Sur les dommages et intérêts
Les pièces et le dossier démontrent que M. [U] n'ignorait pas qu'il restait devoir de l'argent à M. [S] et qu'il ne l'a pas restitué. Cependant, M. [S] ne démontre pas la résistance abusive qu'il allègue, étant relevé qu'il a été débouté de ses demandes par le premier juge et qu'il ne justifie d'aucun préjudice.
M. [S] doit être débouté de sa demande de dommages et intérêts au titre de la résistance abusive.
Le jugement doit être infirmé en ce qu'il a statué sur les dépens et les demandes en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile. M. [U] qui succombe doit être condamné au paiement des dépens de première instance et d'appel, prévus par l'article 695 du code de procédure civile et d'une somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile. M. [S] est débouté du surplus de sa demande au titre des dépens et M. [U] est débouté de sa demande en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Par ces motifs
la cour
- infirme le jugement en ce qu'il a rejeté l'ensemble des demandes de M. [X] [S],
Statuant de nouveau,
- condamne M. [F] [U] à payer à M. [X] [S] la somme d'1 000 000 euros (un million d'euros) avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 1er mars 2021;
Y ajoutant,
- déboute M. [X] [S] de ses autres demandes ;
- déboute M. [F] [U] de ses autres demandes ;
- condamne M. [F] [U] au paiement des dépens de première instance et d'appel ;
- condamne M. [F] [U] à payer à M. [X] [S] la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
La décision a été signée par Mme Judith DELTOUR, présidente de chambre et par Mme Yolande MODESTE, greffière.
La présidente La greffière