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17/06/2024 | FRANCE | N°21/01060

France | France, Cour d'appel de Basse-Terre, Chambre sociale, 17 juin 2024, 21/01060


GB/LP







COUR D'APPEL DE BASSE-TERRE



CHAMBRE SOCIALE



ARRÊT N°140 DU DIX SEPT JUIN DEUX MILLE VINGT QUATRE



AFFAIRE N° : N° RG 21/01060 - N° Portalis DBV7-V-B7F-DLWB



Décision déférée à la Cour : Jugement du Conseil de Prud'hommes de Pointe-à-Pitre - section commerce - du 9 Septembre 2024.





APPELANTE



Madame [J] [B]

[Adresse 4]

[Adresse 4]

[Localité 1]

Représentée par Me Chantal BEAUBOIS, avocat au barreau de GUADELOUPE/ST MARTIN/ST

BARTH





INTIMÉE



S.A.R.L. DATEX GUADELOUPE

[Adresse 7],

[Adresse 7],

[Adresse 7]

[Localité 1]

Représentée par Me Elsa KAMMERER, avocat au barreau de GUADELOUPE/ST MARTIN/ST B...

GB/LP

COUR D'APPEL DE BASSE-TERRE

CHAMBRE SOCIALE

ARRÊT N°140 DU DIX SEPT JUIN DEUX MILLE VINGT QUATRE

AFFAIRE N° : N° RG 21/01060 - N° Portalis DBV7-V-B7F-DLWB

Décision déférée à la Cour : Jugement du Conseil de Prud'hommes de Pointe-à-Pitre - section commerce - du 9 Septembre 2024.

APPELANTE

Madame [J] [B]

[Adresse 4]

[Adresse 4]

[Localité 1]

Représentée par Me Chantal BEAUBOIS, avocat au barreau de GUADELOUPE/ST MARTIN/ST BARTH

INTIMÉE

S.A.R.L. DATEX GUADELOUPE

[Adresse 7],

[Adresse 7],

[Adresse 7]

[Localité 1]

Représentée par Me Elsa KAMMERER, avocat au barreau de GUADELOUPE/ST MARTIN/ST BARTH

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 15 Avril 2024, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Mme Gaëlle BUSEINE, conseillère, chargée d'instruire l'affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme Rozenn Le GOFF, conseillère, présidente,

Mme Annabelle CLEDAT, conseillère,

Mme Gaëlle BUSEINE, conseillère,

Les parties ont été avisées à l'issue des débats de ce que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour le 3 juin 2024, date à laquelle la mise à disposition de l'rrêt a été prorogée au 17 Juin 2024.

GREFFIER Lors des débats Mme Lucile POMMIER, greffier principal.

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées conformément à l'article 450 al 2 du CPC.

Signé par Madame Rozenn Le GOFF, conseillère, présidente et par Mme Lucile POMMIER, greffier principal, à laquelle la décision a été remise par le magistrat signataire.

********

FAITS ET PROCÉDURE :

Mme [B] [J] a été embauchée par la Sarl Datex Guadeloupe par contrat de travail à durée indéterminée en qualité d'employée de restauration-préparation chaude au sein de la cuisine de [Localité 3], à compter du 11 mars 2009.

Par avenant en date du 24 août 2010, Mme [B] a été amenée à occuper les fonctions de responsable de satellite au sein du réfectoire du lycée de [Localité 6] durant huit mois, la réintégration à son ancien poste à l'issue de cette période étant prévue par cet avenant.

Mme [B] a ensuite été affectée au sein des cuisines centrales de [Localité 2] et de [Localité 3].

Par courrier du 11 mai 2010, l'employeur notifiait à la salariée un avertissement pour défaut de respect de ses directives.

Par lettre du 14 octobre 2015, l'employeur notifiait à Mme [B] un avertissement pour non respect des horaires de travail et des tâches confiées.

Par courrier du 30 janvier 2017, l'employeur proposait à la salariée une nouvelle affectation que la salariée refusait par lettre de son conseil en date du 24 février 2017.

Par lettre du 13 avril 2017, l'employeur informait la salariée de sa renonciation à la proposition de réaffectation et du maintien de Mme [B] au sein de la cuisine de [Localité 3].

Par courrier du 14 janvier 2019, l'employeur notifiait à la salariée un nouvel avertissement en considération du non respect de ses directives et de son comportement au travail.

Par avis du 1er mars 2019, le médecin du travail déclarait Mme [B] apte à l'exercice de ses fonctions.

Mme [B] saisissait le conseil de prud'hommes de Pointe-à-Pitre le 24 septembre 2019, aux fins de voir :

- juger qu'elle a été victime de harcèlement moral,

- juger que la Sarl Datex Guadeloupe a manqué à son obligation générale de sécurité,

- condamner la Sarl Datex Guadeloupe à lui payer les sommes suivantes :

* 20000 euros à titre de dommages et intérêts pour le harcèlement moral dont elle a été victime,

*20000 euros à titre de dommages et intérêts pour le manquement de l'employeur à son obligation de prévention du harcèlement,

* 10000 euros à titre de dommages et intérêts pour la discrimination dont elle a été victime,

* 20000 euros à titre de dommages et intérêts pour son préjudice moral,

- annuler l'avertissement qui lui a été notifié par courrier du 19 janvier 2019,

- condamner la Sarl Datex Guadeloupe à lui verser la somme de 2000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

Par jugement rendu contradictoirement le 9 septembre 2021, le conseil de prud'hommes de Pointe-à-Pitre a :

- mis hors de cause la Sarl Datex Martinique,

- déclaré Mme [B] [J] recevable en son action,

- jugé qu'il n'y a pas eu d'acte de discrimination, ni de harcèlement moral à l'encontre de Mme [B] [J],

- dit que la Sarl Datex Guadeloupe n'a pas manqué à son obligation de sécurité,

- débouté la demanderesse de l'intégralité de ses prétentions,

- débouté la partie défenderesse de l'ensemble de ses demandes,

- condamné la partie demanderesse aux éventuels dépens de l'instance.

Par déclaration reçue au greffe de la cour le 8 octobre 2021, Mme [B] formait appel dudit jugement, qui lui était notifié le 10 septembre 2021, en ces termes : 'L'appel tend à l'infirmation et à la réformation de la décision susvisée en ce qu'elle a :

* jugé qu'il n'y a pas eu d'acte de discrimination, ni de harcèlement moral à l'encontre de Mme [B] [J],

* dit que la Sarl Datex Guadeloupe n'a pas manqué à son obligation de sécurité,

* débouté Mme [B] de l'intégralité de ses prétentions,

* condamné Mme [B] aux éventuels dépens de l'instance'.

Par ordonnance du 3 octobre 2022, le magistrat chargé de la mise en état a :

- constaté le désistement d'incident de la société Datex Guadeloupe,

- renvoyé l'affaire à la conférence virtuelle de mise en état du 12 janvier 2023 pour dernières conclusions au fond et, à défaut, clôture et fixation,

- dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile,

- dit que les dépens de l'incident seront supportés par la société Datex Guadeloupe.

Par ordonnance du 14 mars 2024, le magistrat chargé de la mise en état a prononcé la clôture de l'instruction et renvoyé la cause à l'audience du lundi 15 avril 2024 à 14h30.

MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :

Selon ses dernières conclusions, notifiées par voie électronique le 12 septembre 2023 à la société Datex Guadeloupe, Mme [B] demande à la cour de :

- infirmer le jugement déféré,

- juger qu'elle a été victime de harcèlement moral,

- juger que la société Datex a manqué à son obligation de sécurité,

- juger qu'elle a subi une inégalité salariale et une discrimination vis-à-vis de ses collègues,

- en conséquence, condamner la société à lui verser les sommes suivantes :

* 20000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral,

* 20000 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité,

* 10000 euros à titre de dommages et intérêts pour inégalité de traitement et discrimination,

* 20000 euros au titre de son préjudice moral,

* 5000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Mme [B] soutient que :

- elle a subi des agissements constitutifs de harcèlement moral dont elle établit la matérialité,

- l'employeur n'a pris aucune disposition face à la situation conflictuelle de harcèlement et de traitement inégalitaire dont il avait connaissance,

- elle a été privée des avancements auxquels elle avait droit,

- elle a subi un préjudice moral distinct dont elle justifie,

- ses demandes visant à réparer ses différents préjudices sont justifiées.

Selon ses dernières conclusions, notifiées par voie électronique le 12 décembre 2023 à Mme [B], la Sarl Datex Guadeloupe demande à la cour de :

- confirmer le jugement déféré,

- juger qu'il n'existe pas d'acte de discrimination ni de harcèlement moral de la part de la société à l'encontre de Mme [B],

- juger que la société n'a pas manqué à son obligation de sécurité,

- débouter Mme [B] de l'ensemble de ses moyens, fins et conclusions,

- condamner Mme [B] à lui verser la somme de 2500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner Mme [B] aux entiers dépens.

La société Datex Guadeloupe expose que :

- la salariée a adopté une attitude de contestation et conflictuelle, impliquant des changements d'affectation nécessaires à la bonne marche de la société, voire des avertissements,

- aucun acte de harcèlement moral ne saurait être retenu,

- la gestion des incidents impliquant la salariée n'a fait l'objet d'aucune attitude discriminatoire,

- des dispositions ont été prises pour protéger la salariée dans le conflit l'opposant à ses collègues de travail,

- la salariée ne justifie d'aucun préjudice moral distinct.

En application de l'article 455 du code de procédure civile, il convient de se référer aux conclusions de l'appelante pour plus ample exposé de ses moyens et prétentions.

MOTIFS :

Sur le harcèlement moral :

Aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir des agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

En outre, aux termes de l'article susvisé et de l'article L 1154-1 du code du travail lorsque le salarié établit la matérialité de faits précis et concordants constituant selon lui un harcèlement, il appartient au juge d'apprécier si ces éléments, pris dans leur ensemble, laissent supposer l'existence d'un harcèlement moral et, dans l'affirmative, il incombe à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Mme [B] se prévaut des faits suivants :

- avoir été la victime d'agissements répétés de Mme [L] visant à l'humilier et à la dénigrer,

- avoir été la victime d'une agression par cette dernière au couteau,

- avoir subi des actes malveillants de la part de cette personne qui sabotait son travail et la menaçait,

- son supérieur hiérarchique n'a tenu aucun compte de ses dénonciations à cet égard,

- il a systématiquement pris parti pour Mme [L] de manière injustifiée sans avoir vérifié les allégations mensongères de cette dernière,

- il a lui-même adopté une attitude humiliante et vexatoire à son égard allant même jusqu'à la menacer de licenciement,

- elle a donc fait l'objet de sanctions disciplinaires et de mesures vexatoires totalement injustifiées,

- elle n'a bénéficié d'aucune promotion et d'aucun avancement depuis 2014.

S'agissant des agissements de Mme [L] allégués par la salariée, celle-ci verse aux débats :

- un procès-verbal d'audition de victime par la gendarmerie de [Localité 5] en date du 9 février 2017, suivant lequel Mme [B] signale des faits de mauvais traitements de la part de son directeur M. [P] [S] et d'une collègue Mme [L] [C]. Elle précise notamment : 'Dès le départ il y avait des petites tensions avec Mme [L] [C]. Elle essayait de toujours faire en sorte que je sois en retard dans mes repas, mais je laissais passer. Je vais vous donner un exemple. Les repas que je confectionne sont destinés à des chauffeurs puisque les établissements sont loin. Donc j'étais censée utiliser les matériels de cuisine avant elle. Elle s'arrangeait toujours pour faire ses préparations avant les miennes de sorte qu'elle occupait le four ou d'autres matériels avant moi. Ça me gênait mais je laissais passer.

En mars 2015, je me suis rendue chez le médecin du travail qui a remarqué que ma tension était trop haute. J'ai dû me faire arrêter pendant 15 jours. Le jour de mon retour, j'ai encore eu un souci avec Mme [L] qui m'a insultée et qui a mis un colorant dans mon repas pour le saboter. J'ai eu un malaise et les pompiers ont remarqué que ma tension était à 22. J'ai été emmenée en urgence au CHU et j'ai dû me faire arrêter 3 mois.(...)

Vendredi 3 février, j'ai demandé à Mme [L] si elle avait fini d'utiliser la sauteuse afin que je fasse ma préparation. Après une brève discussion critique sur ma manière de cuisiner elle s'est permise de modifier mon repas en rajoutant de l'eau dans mes haricots rouges et elle a versé le riz que je comptais préparer dans les haricots.

Ce matin, Mme [L] voulait absolument rectifier la sauce que j'ai dû préparer. Elle a rajouté du poivre dans ma sauce une première fois. Je lui ai fait la remarque afin qu'elle arrête ses bêtises. Après ma réflexion, elle est allée de nouveau chercher du poivre pour en rajouter dans la sauce. Elle m'a dit 'si tu n'es pas contente, tu n'as qu'à jeter'. (...)

Une heure plus tard, elle était en train de parler de moi dans la cuisine. Elle parlait de ma famille. A un moment donné, j'ai reçu un appel de mon fils et j'ai donc pris mon téléphone en main. Cette dame s'est encore énervée et avec ses deux mains et a frappé le téléphone qui est tombé de mes mains. Mes collègues étaient présents'.

- une attestation de Mme [D] [Y], chef d'atelier froid, en date du 1er juillet 2022, précisant : 'Ayant travaillé avec Mme [B] [J], j'atteste n'avoir jamais eu aucun différend professionnel ou personnel avec cette dernière. Tout s'est bien passé depuis mon début à [Localité 6] avec elle et jusqu'à ce jour'.

- une attestation de M. [H] [K], chauffeur, en date du 6 juillet 2022, précisant : 'Moi [H] [K], je suis à Datex Guadeloupe depuis le 09 novembre 2012, certifie n'avoir eu aucun problème particulier avec Mme [B] [J] jusqu'à ce jour. On a des relations très cordiales en tant que collègue de travail. Et surtout sa qualité de travail est appréciée par tous ainsi que par moi'.

- un courrier non daté de Mr [M] [W], précisant : 'Je soussigné M. [W] [M] directeur de cuisine centrale, souhaite faire appel à Mme [J] [B] pour la prestation de repas livrés aux personnes âgées de la ville de [Localité 1]. En effet, durant cette période de crise sanitaire, j'ai fait appel à Mme [J] [B] pour la qualité de ses prestations culinaires au sein de la cuisine de [Localité 3]. La présentation et le rendu attendu correspond à mes attentes ainsi qu'à celles des clients de ce marché. C'est la raison pour laquelle durant la période de confinement Mme [J] [B] s'occupe de la production des repas livrés aux personnes âgées de la ville de [Localité 1]'.

- une attestation de Mme [G] [A], employée de restauration, en date du 3 novembre 2020, suivant laquelle : 'A aucun moment je n'ai vu aucune affiche sur le tableau de note de service concernant le stationnement de nos voitures dans l'enceinte de la cuisine de [Localité 3]. Depuis l'arrivée de M. [M] en mai 2017, Mme [B] et moi-même nous avons toujours fait pour l'aider et le soutenir dans ses fonctions (organisation, menu, commandes)'.

- une attestation de Mme [V] [O], employée de restauration, en date du 24 mai 2019, indiquant : 'J'ai vu Mme [L] et Mme [B] lors d'une dispute. Mme [L] a menacé Mme [B] avec un couteau. Février 2017'.

- une seconde attestation de Mme [V] [O], en date du 30 octobre 2020, suivant laquelle : 'Jusqu'à la date d'aujourd'hui et jusqu'à maintenant, toujours en bon rapport au niveau du travail et relationnel, dans le respect. Tous les grammages sont faits par Mme [B], je n'ai jamais vu Mme [B] agresser ni physiquement, ni verbalement avec quiconque. Par contre, j'ai vu Mme [L] [C] agresser Mme [B] avec un couteau du chef. En mémoire, courant le mois de février 2017. Comme je l'avais déjà précisé dans la précédente attestation. Qu'au jour d'aujourd'hui, je n'ai jamais eu de note de service concernant l'enceinte, de garer notre voiture à l'intérieur de l'établissement'.

Concernant les faits reprochés à son supérieur hiérarchique, Mme [B] vise dans ses écritures la proposition de réaffectation, du 30 janvier 2017, compte tenu d'une altercation l'impliquant, cette proposition de réaffectation étant qualifiée de 'proposition de sanction conformément au droit positif et ne constitue pas une notification de sanction'. Elle vise aussi l'avertissement du 14 janvier 2019 lié à son comportement au travail. Elle produit également aux débats deux lettres, en date du 8 octobre 2016 et du 11 janvier 2017, adressées à la présidente directrice générale de la société, relatives à l'attitude qu'elle estime irrespectueuse de M. [P] [S] à son endroit, caractérisée par le fait qu'il ne s'adresse jamais à elle quant il s'agit de la production, alors qu'elle est la cuisinière, qu'il modifie les données mentionnées sur sa feuille de pointage et qu'elle n'a pas été informée de différents changements d'organisation à son retour de congés le jeudi 5 janvier 2017.

Le procès verbal de gendarmerie précité mentionne, au sujet de M. [P] [S] : 'Monsieur [T] était directeur de cuisine de mars 2014 jusqu'à janvier 2015. Il a été remplacé par M. [P] en janvier 2015. Dès son arrivée, M. [P] est venu me parler et m'a dit 'vous savez, c'est facile de faire licencier un salarié'. J'étais seule au moment où il m' dit ça. Je précise que c'est quelqu'un que je connaissais déjà. Il était directeur de Datex Guadeloupe de mars 2011 à juin 2011. Il venait constamment après nous les cuisinières au lycée de [Localité 6], pour nous expliquer comment faire la cuisine. En tant que responsable de cuisine, à plusieurs reprises j'ai eu à lui dire qu'il fallait nous laisser travailler. Quant il est revenu à [Localité 3] et qu'il m'a fait cette réflexion, j'ai eu l'impression que j'allais être en difficulté.

Effectivement, tout est fait pour me déstabiliser. Il critique constamment mon travail. Ma cuisine n'est pas bonne, je ne nettoie pas mon espace de travail quand je pars, etc...

Il donne des instructions à mes quatre collègues, concernant la production, sauf à moi. Quant [C] et moi nous avons des problèmes, il donne toujours raison à [C]. Il ne m'écoute pas sur le fond des problèmes. (...)

Monsieur [P] ne s'est pas déplacé de son bureau pour venir voir ce qui se passait mais une collègue est allée l'appeler. Quand il est arrivé, il m'a dit que moi je perturbais la production et il m'a menacée d'une mise à pied. Il m'a précisé que Mme [L] avait le droit de rectifier mon repas car elle est responsable de cuisine'.

S'agissant du défaut d'avancement et de promotion allégué par la salariée, celle-ci produit un tableau mentionnant les différentes dates d'avancement des salariés, ainsi que leur taux horaire. Ce tableau met en évidence une promotion de Mme [B] en 2018, la précédente étant en 2014.

Elle produit également, au soutien de la dégradation de son état de santé :

- son dossier médical en date du 27 avril 2015, mentionnant de l'hypertension traitée,

- une prescription de médicaments en date du 27 avril 2015,

- des arrêts de travail relatifs aux années 2015 et 2017,

- une lettre du CIST adressée à la société, en date du 1er juin 2015, signalant une visite médicale réalisée à la demande de la salariée (visite de pré-reprise), qui se plaint de relations professionnelles difficiles, voire conflictuelles avec une de ses collègues, Mme [L] [C]. Ce courrier précise que celles-ci ne sont pas sans causer des troubles sur son état de santé physique, moral et psychique et rappelle qu'il s'agit de propos humiliants, dégradants, tels 'tu es une vermine' et ce devant M. [S] [P], des menaces verbales en créole visant sa personne, des actions de 'sabotage' de son travail (verse une bouteille de paquerelle dans la sauteuse et de la sauce tomate en sa présence, ce qui a été mal accepté),

- un courrier du CIST en date du 8 mars 2017 adressé à la direction de la société au sujet des difficultés relationnelles décrites par la salariée, notamment avec sa hiérarchie, ainsi que les propos désobligeants à l'égard de sa personne,

- une prescription de médicaments en date du 15 juillet 2020.

Il résulte des éléments repris ci-dessus que Mme [B] établit seulement la matérialité de faits relatifs à un incident au cours duquel sa collègue, Mme [L], l'aurait menacée avec un couteau.

S'agissant des autres faits, consistant à interférer dans son travail, à la dénigrer et à l'humilier, les éléments présentés par la salariée reposent sur ses seules déclarations, non étayées, qui ne peuvent être considérés comme justifiant de leur matérialité.

Concernant son supérieur hiérarchique, M. [P] [S], Mme [B] n'établit pas davantage la matérialité d'un comportement consistant à lui faire des observations dans son travail, à ne pas tenir compte de celles suivant lesquelles elle manifestait sa volonté de ne pas être l'objet d'interférences de sa part dans l'exécution de ses tâches, de comportements vexatoires ni du soutien injustifié qu'il aurait apporté à sa collègues, dès lors que les pièces qu'elle présentent à l'appui de ses assertions reposent sur ses seules déclarations.

Le défaut de promotion de la salariée entre l'année 2014 et 2018, classée ERC2, est en revanche établi, de même que la dégradation de son état de santé caractérisé par des arrêts de travail et le traitement d'une hypertension.

De même, la salariée soutient qu'elle n'a pas bénéficié d'entretiens professionnels, contrairement aux termes de l'article L. 6315-1 du code du travail.

En revanche, la seule observation formulée par son supérieur hiérarchique au sujet de la facilité de licencier un salarié, dénuée de précisions relatives à son contexte, ainsi que les instructions données uniquement aux autres collègues de travail, alors qu'il ressort des pièces qu'elle verse aux débats qu'il lui donnait également des directives relatives à ses tâches, ne permettent pas de retenir ces griefs.

Les affirmations du médecin du CIST dans ses différents courriers de propos humiliants, menaces verbales et actions de sabotage subis par la salariée, ne peuvent davantage être retenus comme étant matériellement établis, dès lors qu'ils ne sont pas corroborés par d'autres pièces et ne constituent que des éléments relatés par la salariée.

La modification des données de pointage ne ressort pas davantage des pièces du dossier et il résulte des termes de la lettre en date du 11 janvier 2017, adressée par la salariée à la direction de l'entreprise, qu'elle n'a pas pu se rendre à une réunion d'information qui lui était proposée à son retour de congés le 4 janvier 2017, celle-ci ayant refusé de s'y rendre, compte tenu de ce qu'il s'agissait de son jour de repos. Dans ces conditions, il ne peut être reproché à l'employeur un défaut d'information constaté à sa reprise de poste le lendemain.

S'agissant des sanctions injustifiées alléguées par la salariée, il appert que la proposition de réaffectation du 30 janvier 2017, qualifiée par l'employeur de 'proposition de sanction', n'a pas été menée à son terme et ne saurait être retenue comme étant une sanction effective.

Quant à l'avertissement du 14 janvier 2019, celui-ci concernait une altercation entre la salariée et une employée de la commune au sujet du non respect de la consigne de ne pas garer son véhicule dans l'enceinte de la cuisine, les retards de livraison des repas en raison de la nécessité d'attendre la fin de ses préparations et l'absence de recherche de solution concernant une demande de la commune relative à un complément de repas. Il appert que Mme [B] ne s'explique pas sur le caractère injustifié de cet avertissement et qu'il ressort seulement de l'attestation de Mme [V] versée aux débats que les salariés n'auraient pas été informés des consignes relatives au stationnement. Ce seul grief qu'elle estime injustifié pourra uniquement être retenu.

Il résulte de l'analyse menée ci-dessus que Mme [B] produit les éléments repris ci-dessus relatifs à la matérialité de ses allégations afférentes à la menace de sa collègue à l'aide d'un couteau, le défaut de promotion professionnelle entre 2014 et 2018, ainsi que la dégradation de son état de santé à compter de l'année 2015. Pris dans leur ensemble, ils sont de nature à laisser supposer l'existence d'un harcèlement moral.

Pour sa part, l'employeur verse aux débats, s'agissant des relations conflictuelles entre la salariée et sa collègue, ainsi que son supérieur hiérarchique :

- un courrier de la gérante de la société Datex, en date du 22 juin 2022, suite à celui du CIST de 2015, expliquant le contexte conflictuel entre Mme [B] et ses collègues, ainsi que les mesures prises.

- un avertissement en date du 11 mai 2010 adressé à la salariée relatif au défaut de respect de consignes, compte tenu de son refus de nettoyer les vestiaires et les sanitaires, son refus de porter des masques, son refus de porter sa tenue de travail le mercredi et l'emploi d'expressions en créole pouvant porter à confusion en termes de traçabilité sur les bacs gastronomes.

- l'avertissement adressé à la salariée par lettre du 14 octobre 2015, relatif au non respect de directives concernant ses départs de son poste de travail avant l'horaire prévu, alors que la production et le nettoyage ne sont pas terminés, le non respect d'une directive du directeur relative à une recette décidée dans le cadre de la semaine bleue, ainsi que son emportement verbal à son endroit.

- un courrier datée du 16 novembre 2016, en réponse à celui de la salarié du 8 octobre 2016, rappelant que l'avertissement de 2015 n'avait pas été contesté, qu'il était constaté depuis l'année 2010 des relations conflictuelles avec ses collègues ou sa hiérarchie, lesquelles perduraient, que le matériel mis en place au sein de la cuisine était conforme aux prescriptions légales, ainsi que l'absence de badgeage de sa part à la fin de ses heures de travail.

- un courrier du 13 avril 2017 adressé à la salariée relatif au constat de deux nouvelles altercations depuis sa reprise de poste et au souhait de la part de la direction d'une meilleure collaboration de sa part.

- des courriels de la société Datex Guadeloupe à la direction générale, en date du 13 octobre 2015, relatifs au souhait de notifier un avertissement à Mme [B], compte tenu de son départ de poste avant la fin des horaires assignés et du non respect des consignes relatives à la semaine bleue, ainsi que de son attitude envers son supérieur hiérarchique.

- un courrier de M. [N] [Z], délégué du personnel, adressé à la direction de la société Datex Guadeloupe, en date du 26 janvier 2017, précisant : 'Je soussigné M. [N] [Z], agissant en qualité de délégué du personnel, reconnais avoir fait une réunion concernant l'altercation qui a eu lieu le vendredi 26 janvier 2017 entre Mme [B] [J] et Mme [L] [C] en présence du directeur M. [P] [S] et leur collègue'.

- un courrier daté du 26 novembre 2016 de la société Datex, adressé à la caisse des écoles de [Localité 3], relatif aux points actés lors de la commission des menus du 15 novembre 2015.

- une attestation de M. [R] [U], en date du 9 mai 2018, précisant : 'Je soussigné [U] [R] certifie par la présente que lors de ma mission sur la cuisine de [Localité 2] en tant que directeur adjoint de la production, j'ai rencontré de graves difficultés de comportement de Mme [B] qui refusait systématiquement toutes les tâches qui lui incombaient. Ce comportement nuisait gravement à l'organisation de la production et m'obliger à pallier à ses manquements en répartissant en permanence, créant des tensions au sein de l'équipe de production'.

- une attestation de M. [X] [E], ancien directeur, en date du 7 mai 2018, suivant laquelle : 'Je soussigné [X] [E], ancien directeur sur le département, certifie par la présente : eu égard à la gravité de l'agissement de Mme [B] altérant le bon fonctionnement de l'entreprise, Mme [B] étant réfractaire aux demandes de tâches de sa hiérarchie, ce qui implique un désordre au sein de son équipe et une obligation à redistribuer son travail à ses collègues. Le fonctionnement ne peut être pérenne pour notre entreprise et met en danger la bonne entente entre collègues'.

- une attestation de M. [M] [W], directeur régional Datex Guadeloupe, en date du 7 mai 2018, indiquant : 'Je soussigné M. [M] [I], Directeur Régional Datex Guadeloupe depuis le 10 mai 2017. J'écris ce courrier afin de faire remonter certaines difficultés rencontrées avec Mme [B] sur la cuisine de [Localité 3]. La gestion de Mme [B] s'avère compliquée en terme managérial, car elle adopte un comportement de confrontation et conflictuel en permanence. Elle ne fait qu'à sa tête. Il s'agit d'une personne qui est tout le temps sur la défensive et influence la plupart de ses collègues en cuisine. Concernant l'hygiène et la propreté de la cuisine, Mme [B] ne respecte pas les procédures de nettoyage et de désinfection, car je retrouve assez régulièrement des traces de salissures sur les sols et plans de travail, qui me laisse douter de ses pratiques de nettoyage. De plus, j'éprouve de grandes difficultés à assurer la livraison des repas en temps et en heure, car une certaine lenteur dans le travail de Mme [B] pousse les chauffeurs à prendre du retard sur leur livraison'.

- une attestation de Mme [L] [C], ancienne cuisinière, en date du 17 janvier 2020, précisant : 'Je soussignée Mme [C] [L], ancienne cuisinière à la cuisine centrale de [Localité 3] pour le compte de la société Datex Guadeloupe, estime avoir subi des violences verbales et physiques de la part de Mme [J] [B] sur mon lieu de travail. En effet, lors de mon passage au sein de la Datex Guadeloupe, j'étais accompagnée de Mme [B], cuisinière, Mme [G], magasinière et le directeur, M. [P] [S]. Lors de mon service, Mme [B] ne respectait pas les fiches techniques données et ne faisait qu'à sa tête sur les menus. Le grammage des ingrédients n'était pas respecté, elle surdosait les épices, elle ne respectait pas les procédures de désinfection, ce qui lui a valu plusieurs remarques de ma part ainsi que celles de la direction en place, excédée par son comportement. A chaque remarque qu'on lui faisait, elle se braquait et devenait agressive verbalement et parfois physiquement. De plus, la qualité de ses repas se faisait sentir suite aux retours négatifs des divers clients à la direction, mais aussi la lenteur de la mise en place de ses plats nous ont mis en retard sur les livraisons des repas. Cette situation devenait très tendue quotidiennement, car travailler avec quelqu'un qui n'arrive pas à se remettre en question et qui pense avoir la science infuse reste compliqué à supporter. J'ai longtemps supporté les sautes d'humeur de Mme [B], par amour du métier, jusqu'au jour où elle m'a menacée avec un couteau de cuisine sur mon lieu de travail. Je me suis vraiment senti en danger et crains pour ma vie. Dès ce jour, j'ai déposé ma lettre de démission car ne voulant plus travailler avec Mme [B]. Je me suis dit que c'était la meilleure chose à faire pour avoir ma paix'.

- un courrier de M. [M], adressé à la direction de la société Datex, non daté, concernant l'incident du 6 décembre relatif au stationnement de Mme [B] et les réclamations de la mairie de [Localité 3] concernant les retards de livraison, la dégradation de la qualité de certains repas et la mauvaise cuisson des plats, ainsi que la responsabilité de Mme [B] concernant ces griefs liés à son défaut de rapidité et la persistance de celle-ci dans un comportement de refus d'amélioration de sa productivité.

- une note de service du 8 février 2019, signée du directeur, du délégué du personnel et de la direction, relative à la persistance de la présence d'un véhicule au sein de l'enceinte de la cuisine, lieu de passage des enfants et de la nécessité, par mesure de sécurité, de ne pas positionner ce véhicule à cet endroit.

- une lettre de Mme [L] [C], en date du 14 septembre 2016, suivant laquelle celle-ci présente sa démission à la direction de la société Datex.

- une attestation en date du 10 décembre 2020, de M. [M] [W], relative à l'affichage de la note de service, interdisant de stationner dans l'enceinte de la cuisine centrale, sur le tableau d'affichage de la cuisine centrale de [Localité 3].

- plusieurs attestations de formation de Mme [B], de 2013 à 2017.

En premier lieu, si les attestations produites par l'employeur ne comportent pas l'ensemble des mentions prescrites par l'article du 202 du code de procédure civile, ainsi que le souligne la salariée, elle constituent des commencements de preuve dont il appartient au juge d'apprécier la valeur probante.

En deuxième lieu, il résulte des éléments versés aux débats par l'employeur, que la salariée a été destinataire de plusieurs avertissements relatifs au défaut de qualité de son travail, au non respect des directives et à son comportement agressif. Il n'est pas établi qu'elle ait contesté ces mesures disciplinaires, ni que l'avertissement du 14 janvier 2019 soit injustifié, dès lors qu'il ressort des pièces du dossier qu'une note a été affichée au sujet du stationnement des véhicules. Il ressort également des pièces produites que Mme [B], bien qu'ayant suivi plusieurs formations et qu'étant intégrée au sein d'une équipe de la cuisine, a persisté dans une attitude de contestation, réfractaire à toute directive et qu'elle a continué à faire montre d'emportements. Dans ces conditions, les immixtions de sa collègue ou de sa hiérarchie et l'inattention de son supérieur hiérarchique au souhait de la salariée de ne plus être l'objet d'ingérences de sa part dans ses tâches, ainsi que son soutien apporté à Mme [L], sont justifiées par la nécessité de contrôler et d'amener la salariée à évoluer dans ses pratiques de travail et son comportement. S'agissant de la menace avec un couteau, il appert que l'employeur verse des pièces contredisant celles de Mme [B] quant à l'imputabilité de cet incident, étant observé qu'à la période évoquée par la collègue qui se présente comme ayant été témoin des faits commis en février 2017, Mme [L] ne faisait plus partie des effectifs de l'entreprise et que l'employeur n'est pas contredit sur son assertion relative à l'absence de dépôt de plainte de la part de la salariée. Dans ces conditions, la cour relève que l'employeur justifie que ce fait ne saurait être retenu.

S'agissant du défaut de promotion durant quatre années, l'employeur produit la grille des taux horaires en Guadeloupe au 1er janvier 2020, mettant en évidence les différentes classifications et taux prévus pour les fonctions de production, ainsi que les conditions de passage d'un niveau à un autre au sein d'une même qualification à une autre. Il appert que ces conditions sont le sérieux et l'assiduité, notamment moins de 10% d'absence sur l'année soit 14 jours et l'absence d'avertissement ou de mesure de sanction. Un autre critère a trait à la procédure : pas de contrôles bactériologiques individuels non satisfaisants et le respect du guide des bonnes pratiques (port de masque, calotte, gant, tenue propre, pas de bijoux en production....). L'employeur souligne à juste titre que la salariée ne remplissait pas les conditions d'un avancement, dès lors qu'elle avait fait l'objet d'un avertissement durant cette période, non pas en 2017 tel qu'indiqué dans ses écritures, mais en 2015. Si la salariée allègue l'absence d'accord collectif applicable à la relation de travail, il appert que la grille fournie par l'employeur, bien que dépourvue de toute indication précise quant à la convention collective de rattachement, laquelle ne ressort pas des pièces du dossier, mentionne les fonctions de production et le taux horaire perçus par la salariée et mentionnée dans sa pièce relative aux promotions accordées aux différents collaborateurs de la société. En tout état de cause, et à supposer l'absence d'accord collectif établie, l'employeur fournit des éléments objectifs liés à la sanction disciplinaire de la salariée ayant influé sur ses possibilités de promotion, étant observé que la salariée revendique un droit à promotion tous les quatre ans, ce qui fut son cas en l'espèce.

L'employeur souligne également à juste titre que Mme [B] a été déclarée apte à l'exercice de ses fonctions par avis du 1er mars 2019 et qu'il avait répondu précisément au courrier du CIST de 2015.

En revanche, il appert que l'employeur ne s'explique pas sur le défaut d'entretiens professionnels allégué par la salariée.

Il résulte de l'analyse de l'ensemble des éléments repris ci-dessus que l'employeur justifie par des éléments objectifs les décisions prises à l'égard de Mme [B].

Si, seul le défaut d'entretiens professionnels n'est toutefois pas justifié, il appert que la dégradation de l'état de santé de la salarié ne peut être liée à cette situation, mais à celle conflictuelle pour laquelle la salariée ne peut être étrangère en termes d'imputabilité.

Dans ces conditions, aucun harcèlement moral ne saurait être retenu et le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté la salariée de sa demande de dommages et intérêts y afférente.

Sur le manquement à l'obligation de sécurité :

Il résulte de l'article L. 421-1 du code du travail que l'employeur, tenu d'une obligation de sécurité envers les salariés, doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Il ne méconnaît pas cette obligation légale s'il justifie avoir pris toutes les mesures prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail.

Selon l'article L. 1152-4 du même code, l'employeur prend toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements de harcèlement moral.

L'article 1153-5 du même code prévoit que l'employeur prend toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les faits de harcèlement sexuel, d'y mettre un terme et de les sanctionner.

En l'espèce, il résulte des pièces du dossier que, par courrier du 1er juin 2015, le CIST a alerté l'employeur sur les conditions de travail conflictuelles dans lesquelles la salariée exerçait ses fonctions. Il appert également que l'employeur a répondu au CIST par lettre du 22 juin 2015, en expliquant les difficultés relationnelles de la salariée depuis 2010, ainsi que les mesures mises en oeuvre. Parmi celles-ci, l'employeur énumère son affectation en 2010 au réfectoire du lycée de [Localité 6], puis à la cuisine de [Localité 2], son accord pour la réaffecter à sa demande au sein de la cuisine de [Localité 3], les entretiens menés par sa hiérarchie en vue de résoudre les difficultés relationnelles rencontrées par la salariée, l'information du syndicat par la direction et l'étude en cours visant à proposer un autre lieu d'affectation de Mme [B] en septembre 2015.

Il est également établi que Mme [B] a adressé à sa direction deux lettres, en date du 8 octobre 2016 et du 11 janvier 2017, relatives notamment à la situation de tensions qu'elle connaissait au travail. L'employeur lui a répondu respectivement par lettres du 16 novembre 2016 et du 30 janvier 2017 en lui expliquant la conformité du matériel mis à sa disposition, la nécessité de se conformer aux directives et aux procédures établies, ainsi que de procéder à un badgeage en fin de service et lui a expliqué pour quelles raisons il ne lui avait pas été possible d'être destinataire d'informations relatives à la nouvelle organisation en place, faute d'avoir été présente à la réunion correspondante le 4 janvier 2017.

Le CIST a également de nouveau alerté la direction de la société Datex par courrier du 8 mars 2017 en suggérant la mise en place d'une médiation.

Il résulte de la chronologie ci-dessus rappelée, qu'à l'exception de la dernière lettre du CIST du 8 mars 2017, l'employeur a répondu aux courriers de la salariée et de la médecine du travail. Il appert que, par différentes propositions de poste, entretiens et alerte du syndicat, l'employeur s'est efforcé de rechercher des solutions pouvant convenir à la salariée pour régler les difficultés relationnelles qu'elle rencontrait au travail.

Toutefois, l'employeur ne justifie pas des suites réservées au dernier signalement de la médecine du travail en date du 8 mars 2017, témoignant de la persistance de difficultés relationnelles rencontrées par la salariée, ni de celles afférentes à la proposition de médiation ainsi formulée. Ce défaut de justification de la prise en compte de cette alerte révèle un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité.

Il résulte des pièces du dossier qu'en 2017, Mme [B] a fait l'objet de plusieurs arrêts maladie, mais qu'elle a été déclarée apte sans réserves en 2019 à l'exercice de ses fonctions par la médecine du travail.

Dans ces conditions, le manquement de l'employeur à son obligation de sécurité sera justement réparé en accordant à Mme [B] une somme de 300 euros à titre d'indemnisation du préjudice en résultant.

Sur l'inégalité de traitement et la discrimination :

Selon l'article L. 1132-1 du code du travail, aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de l'accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie à l'article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L. 3221-3, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de son origine, de son sexe, de ses moeurs, de son orientation ou identité sexuelle, de son âge, de sa situation de famille ou de sa grossesse, de ses caractéristiques génétiques, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une race, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de ses convictions religieuses, de son apparence physique, de son nom de famille, de son lieu de résidence ou en raison de son état de santé ou de son handicap.

Aux termes de l'article L. 1134-1 du code du travail, lorsque survient un litige en méconnaissance des dispositions du chapitre II, le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte, au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

Concernant l'inégalité de traitement , il y a lieu de rappeler que selon l'article L3221-4 du code du travail, sont considérés comme ayant une valeur égale, les travaux qui exigent des salariés un ensemble comparable de connaissances professionnelles consacrées par un titre, un diplôme ou une pratique professionnelle, de capacités découlant de l'expérience acquise, de responsabilités et de charge physique ou nerveuse.

Suivant le principe 'à travail égal, salaire égal', l'employeur est tenu d'assurer l'égalité de rémunération entre les salariés d'une même entreprise, effectuant un même travail ou un travail de valeur égale, pour autant que ceux-ci soient placés dans une situation identique ou similaire.

Ce principe a été étendu aux avantages non financiers, pour viser l'égalité de traitement, entendue au sens large, c'est à dire englobant l'ensemble des droits individuels et collectifs, qu'il s'agisse des conditions de rémunération, d'emploi, de travail, de formation ou des garanties sociales. Le principe d'égalité est ainsi appliqué à la classification et au coefficient.

Pour qu'il y ait rupture de l'égalité de traitement, deux conditions sont nécessaires : une identité de situation entre les salariés concernés et une différence de traitement.

La règle ne prohibe pas toute différence de rémunération ou de traitement entre les salariés occupant un même emploi, mais exige que ces différences soient justifiées par des raisons objectives, ce qui constitue la limite assignée au pouvoir de direction de l'employeur en la matière.

Il appartient au salarié, qui invoque une atteinte au principe d'égalité de rémunération ou de traitement, de soumettre au juge les éléments de fait susceptibles de caractériser une inégalité de traitement et, pour ce faire, de justifier qu'il se trouve dans une situation identique ou similaire à celui auquel il se compare. S'il effectue cette démonstration, c'est à l'employeur de justifier par des éléments objectifs, pertinents et matériellement vérifiables, cette différence constatée.

D'une part, Mme [B] ne verse pas de pièces aux débats permettant d'apprécier une inégalité de traitement par rapport à d'autres salariés, étant précisé que le tableau d'avancement qu'elle produit concerne des classifications distinctes et n'apporte pas de précisions relatives à l'ancienneté des salariés par comparaison à la sienne. En tout état de cause, il appert qu'elle a bénéficié d'un avancement en septembre 2018, soit quatre années après sa précédente évolution, situation conforme à ce qu'elle sollicite.

D'autre part, elle ne s'explique ni ne verse de pièces au dossier relatives à une éventuelle discrimination dont elle entend se prévaloir.

Par suite, le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté Mme [B] de sa demande de dommages et intérêts pour discrimination et inégalité de traitement.

Sur le préjudice moral :

L'appréciation de l'existence et de l'étendue du préjudice relève du pouvoir souverain des juges du fond.

Si Mme [B], qui précise être toujours en poste au sein de l'entreprise, se prévaut d'un préjudice résultant de la nécessité de se battre au quotidien pour garder son emploi et ne pas céder à la pression exercée par son employeur pour lui faire quitter la société, elle n'en justifie pas.

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté la salariée de sa demande présentée à ce titre.

Sur les autres demandes :

Compte tenu de l'issue du présent litige, le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté les parties de leurs demandes présentées sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles de première instance et il convient, pour le même motif, de dire qu'il n'y a pas lieu à application de l'article 700 du code de procédure en cause d'appel.

Les parties seront, par voie de conséquence, déboutées de leurs demandes subséquentes.

Infirmant le jugement, il convient de laisser à chaque partie la charge de leurs propres dépens de première instance et d'appel.

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, mis à disposition au greffe et en dernier ressort,

Confirme le jugement rendu le 9 septembre 2021 entre Mme [B] [J] et la Sarl Datex Guadeloupe, sauf en ce qu'il a débouté Mme [B] de sa demande de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité et en ce qu'il a condamné Mme [B] [J] aux dépens de première instance,

Statuant à nouveau,

Condamne la Sarl Datex Guadeloupe à verser à Mme [B] [J] une somme de 300 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité,

Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile et déboute les parties de leurs demandes subséquentes en appel,

Laisse à chaque partie la charge de ses dépens de première instance et d'appel.

Le greffier, La présidente,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Basse-Terre
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 21/01060
Date de la décision : 17/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-17;21.01060 ?
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