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03/06/2024 | FRANCE | N°19/01134

France | France, Cour d'appel de Basse-Terre, Chambre sociale, 03 juin 2024, 19/01134


VS/RLG









COUR D'APPEL DE BASSE-TERRE



CHAMBRE SOCIALE



ARRÊT N° 124 DU TROIS JUIN DEUX MILLE VINGT QUATRE



AFFAIRE N° : RG 19/01134 - N° Portalis DBV7-V-B7D-DEJ5



Décision déférée à la cour : jugement du Tribunal Judiciaire de Pointe à Pitre - Pôle Social - du 18 juin 2019.



APPELANTE



Madame [P] [J]

[Adresse 4]

[Adresse 4]

[Localité 2]

Représentée par Maître Chrystelle CHULEM, avocat au barreau de GUADELOUPE/ST MARTIN/ST BART
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br>(bénéficie d'une aide juridictionnelle Partielle numéro 2019/001422 du 18/09/2019 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de BASSE-TERRE) (Toque 103)



INTIMÉES



CAISSE GENERALE DE ...

VS/RLG

COUR D'APPEL DE BASSE-TERRE

CHAMBRE SOCIALE

ARRÊT N° 124 DU TROIS JUIN DEUX MILLE VINGT QUATRE

AFFAIRE N° : RG 19/01134 - N° Portalis DBV7-V-B7D-DEJ5

Décision déférée à la cour : jugement du Tribunal Judiciaire de Pointe à Pitre - Pôle Social - du 18 juin 2019.

APPELANTE

Madame [P] [J]

[Adresse 4]

[Adresse 4]

[Localité 2]

Représentée par Maître Chrystelle CHULEM, avocat au barreau de GUADELOUPE/ST MARTIN/ST BART

(bénéficie d'une aide juridictionnelle Partielle numéro 2019/001422 du 18/09/2019 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de BASSE-TERRE) (Toque 103)

INTIMÉES

CAISSE GENERALE DE LA SECURITE SOCIALE DE LA GUADELOUPE

[Adresse 9]

[Adresse 9]

[Localité 3]

Représentée par Mme [W] [I], munie d'un pouvoir de représentation.

Société [5] CENTRE MEDICAL [8] ' Clinique [5]', prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 6]

[Adresse 6]

[Localité 1] GUADELOUPE

Représentée par Maître Jean-Pierre Laire, avocat plaidant inscrit au Barreau de Paris & par Maître Jamil HOUDA, avocat postulant inscrit au barreau de GUADELOUPE/ST MARTIN/ST BART (Toque 28)

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 4 mars 2024, en audience publique, devant la cour composée de :

Madame Rozenn Le Goff, conseillère, présidente,

Madame Annabelle Clédat,

Mme Gaëlle Buseine, conseillère,

Les parties ont été avisées à l'issue des débats de ce que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour le 6 mai 2024, date à laquelle cette mise à disposition a été prorogée au 3 juin 2024.

GREFFIER Lors des débats : Mme Valérie Souriant, greffier principal.

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées conformément à l'article 450 al 2 du code de procédure civile.

Signé par Mme Rozenn Le Goff, conseillère, présidente, et par Mme Valérie Souriant, greffier principal, à laquelle la décision a été remise par le magistrat signataire.

******

FAITS ET PROCÉDURE

Mme [P] [J] a été embauchée au sein de la clinique exploitée par la société [5] le 1er avril 1978, en qualité d'aide-soignante.

Le 1er janvier 2014, la salariée a chuté dans l'escalier menant aux cuisines de l'établissement et

glissé sur 4-5 marches.

Une déclaration d'accident a été faite auprès de la Caisse Générale de Sécurité Sociale de la Guadeloupe qui a reconnu le caractère professionnel de l'accident par courrier du 30 avril 2014.

Mme [P] [J] a bénéficié d'arrêts de travail ininterrompus à compter du 1er janvier 2014, au terme desquels elle a été déclarée inapte par le médecin du travail.

Le médecin-conseil de la Caisse Générale de Sécurité Sociale de la Guadeloupe a estimé que l'état de santé de Mme [J] était consolidé le 15 mars 2018.

Le médecin du travail a déclaré Mme [P] [J] inapte le 15 avril 2018.

Mme [J] a saisi le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de la Guadeloupe le 04 juin 2018 afin de voir reconnaître la faute inexcusable de son employeur.

Mme [P] [J] a été licenciée pour inaptitude le 11 Juin 2018.

Par jugement du 18 juin 2019, le Pôle Social du Tribunal de Grande Instance de Pointe-à-Pitre a :

- Déclaré recevable mais mal fondé le recours formé par Mme [P] [J],

- En conséquence l'a déboutée de l'intégralité de ses demandes,

- Condamné Mme [J] [P] aux entiers dépens,

- Rejeté le surplus des demandes des parties.

Par déclaration reçue le 25 juillet 2019 Mme [J] a interjeté appel de cette décision dont la date de notification n'est pas établie au dossier.

Par arrêt du 18 janvier 2021, la cour a :

- Infirmé le jugement rendu par le Pôle social du tribunal de grande instance de Pointe-à-Pitre le 18 juin 2019 en toutes ses dispositions ;

Statuant à nouveau,

- Dit que l'accident de travail dont Mme [P] [J] a été victime le 1er janvier 2014 est imputable à une faute inexcusable de son employeur, la société [5] ;

- Ordonné une mesure d'expertise médicale ;

- Condamné la société [5] à payer à Mme [P] [J] la somme de 1500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamné la société [5] aux dépens.

L'expert a déposé son rapport le 17 avril 2023.

Les parties ont conclu et l'affaire a été retenue à l'audience du 4 mars 2024.

En cours de délibéré, la cour a invité les parties à présenter leurs observations sur la question de savoir si Mme [P] [J] peut prétendre à la réparation des chefs de préjudices suivants, déjà couverts :

- les pertes de gains professionnels actuelles et futures (couvertes par les articles L. 431- 1, L. 434-1 et L. 452-2)

- l'assistance d'une tierce personne après consolidation (couverte par l'article L.434-2 alinéa 3).

MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Selon ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 17 novembre 2023, auxquelles il a été fait référence lors de l'audience des débats, Mme [P] [J] demande à la cour de :

- lui allouer les sommes suivantes :

- 30.000 euros au titre des souffrances endurées

- 91.800 euros au titre du déficit fonctionnel permanent

- 12.917,50 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire

- 30.000 euros au titre de son préjudice sexuel

- 158.742 euros au titre de l'assistance par tierce personne

- 21.340 euros au titre de la perte de gains professionnels actuels

- 48.503,44 euros au titre de la perte de gains professionnels futurs

- 6000 euros au titre du préjudice esthétique temporaire

- 3000 euros au titre du préjudice esthétique permanent

- 30.000 euros au titre du préjudice d'agrément

- Dire que les sommes ainsi allouées seront avancées directement par la Caisse Générale de Sécurité Sociale de la Guadeloupe,

- Rappeler que l'arrêt à intervenir est opposable à la Caisse Générale de Sécurité Sociale de la Guadeloupe

- Condamner la SAS [5] à lui verser la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Mme [P] [J] expose, en substance, que :

- l'expert a manifestement sous-coté ses souffrances vu qu'il n'a pas tenu compte des souffrances physiques et de leur répercussion sur sa vie quotidienne ; l'expert est en désaccord avec l'ensemble des médecins qui l'ont suivie, parfois durant de longues années, car si certains d'entre eux ont pu souligner que ces douleurs physiques étaient majorées par son état de stress, aucun de ces professionnels de santé n'a remis en cause la réalité de ses douleurs physiques et ce même si l'étiologie rhumatismale ou traumatologique n'a pas pu être identifiée ; il a été demandé à l'expert de solliciter l'avis d'un praticien spécialiste en psychiatrie, ce qu'il a refusé ; elle souffre d'une dépression majeure persistante directement en lien avec son accident de travail et les douleurs qu'elle ressent ; compte tenu des douleurs tant physiques que psychologiques médicalement constatées, ses souffrances doivent être quantifiées à 5/7 ce qui correspond à des souffrances « assez importantes » ;

- le taux de 10 % retenu par l'expert pour le déficit fonctionnel permanent est manifestement sous-évalué en ce qu'il ne tient pas compte de ses souffrances physiques et de leurs répercussions sur sa vie quotidienne ; il n'a manifestement pas tenu compte de sa perte d'activités de loisir, de sa perte de vie sociale et des soins auxquels elle doit s'astreindre ; la Caisse générale de sécurité sociale lui a reconnu à un taux d'incapacité permanente de 36% ; le médecin-conseil de la Caisse a conclu à des « séquelles à type de syndrome polyalogique diffus, post traumatique sans lésion osseuse sous-jacente. Séquelles à type de douleurs post-traumatiques invalidantes notamment de l'hémicorps droit (...) » ; il convient donc de fixer son déficit fonctionnel permanent à 36% ;

- depuis 2015, elle se trouve dans l'incapacité d'avoir des rapports sexuels compte tenu de ses douleurs et d'une baisse de libido importante ;

- le 10 décembre 2015, son médecin traitant a indiqué que son état nécessitait le recours à une aide à domicile, 3 heures par jour, 5 jours par semaine, et ce pour une durée indéterminée ; elle est aidée concrètement par sa soeur et son fils ;

- n'ayant pas repris le travail après l'accident du 1er janvier 2014, elle est en droit de demander l'indemnisation de sa perte de gains professionnels actuels et de sa perte de gains professionnels futurs ;

- son préjudice esthétique temporaire a été sous-évalué par l'expert et doit être réévalué à 3/7 ;

- sa démarche inesthétique et le port de la canne sont définitifs ;

- elle a dû renoncer à danser la salsa.

Par note en délibéré reçue par voie électronique le 22 mai 2024, Mme [P] [J] soutient qu'en l'absence de majoration de sa rente, elle est fondée à solliciter une indemnisation complémentaire au titre de ses pertes de gains professionnels actuelles et futures. S'agissant de l'assistance d'une tierce personne après consolidation, elle s'en rapporte à l'appréciation de la Cour.

Selon ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 21 février 2024, auxquelles il a été fait référence lors de l'audience des débats, la société [5] demande à la cour de :

A titre principal,

Vu les conclusions du rapport d'expertise,

Vu l'absence de toutes lésions souffertes par l'appelante à la suite de l'accident du 1er janvier 2014,

- Débouter Mme [P] [J] de l'intégralité de ses fins, demandes et conclusions.

A titre subsidiaire,

Juger que les indemnités que la Cour de céans pourrait allouer à Mme [P] [J] ne pourront excéder les sommes suivantes :

2.000 euros au titre des souffrances endurées

15.600 euros au titre du déficit fonctionnel permanent

3.112,50 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire

2.000 euros au titre du préjudice sexuel

6.240 euros au titre de l'assistance d'un tiers avant consolidation

39.666,12 euros au titre de l'assistance d'un tiers après consolidation,

21.340 euros au titre de la perte de gains actuels

20.452,41 euros au titre de la perte de gains professionnels futurs

1.000 euros au titre du préjudice esthétique temporaire

1.000 euros au titre du préjudice esthétique permanent

2.000 euros au titre du préjudice d'agrément.

En tout état de cause,

Débouter Mme [P] [J] de sa demande au paiement de la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et à tout le moins, la réduire à plus juste mesure.

La SAS [5] expose, en substance, que :

- les douleurs dont Mme [J] se plaint ne peuvent provenir d'une simple chute de quelques marches sur les fesses ;

- l'expert rappelle qu'une scintigraphie effectuée en 2017 ne montre aucune fixation pathologique et rappelle la conclusion de l'examen « absence de franc élément scintigraphique permettant d'expliquer les douleurs de la patiente. En particulier, absence d'argument pour une étiologie rhumatismale ou traumatologique » ;

- l'expert fait pertinemment observer que les différents professionnels de santé qui sont intervenus ont posé des diagnostics infondés, parfois même fantaisistes ; que les praticiens ne pouvaient mieux s'y prendre pour « enfoncer » Mme [J], qui présentait une vulnérabilité psychologique antérieure, dans son sentiment d'être malade ;

- cette situation n'expose en rien la responsabilité de l'employeur ;

- la mesure de la douleur physique alléguée procède des seules affirmations de Mme [J], puisqu'aucune lésion anatomique ne les explique ;

- contrairement à ce que soutient Mme [P] [J], le taux d'incapacité permanente retenu par la Caisse Générale de Sécurité Sociale de la Guadeloupe pour déterminer le montant de la rente versée à la victime ne s'applique pas au déficit fonctionnel permanent ;

- la valeur du point du déficit fonctionnel permanent issu du référentiel Mornet, considérant l'âge de la victime, 56 ans, à la date de sa consolidation, s'élève, au regard du taux retenu par l'expert, à 1.560 euros ;

- il n'existe pas de lien de cause a effet entre la perte de libido de l'appelante, aujourd'hui à la retraite, et la chute survenue il y a 10 ans et n'ayant conduit à aucune lésion ;

- l'expert indique que, dans l'absolu, aucune assistance par une tierce personne n'est nécessaire

- le besoin d'assistance tierce personne pour la période postérieure à la consolidation est indemnisé dans les conditions prévues à l'article L 434-2 du code de la sécurité sociale qui stipule que le taux d'incapacité permanente partielle, qui sert de base au calcul de la rente, est déterminé notamment d'après l'infirmité de la victime ;

- la décision d'attribution d'une rente (pièce n 4 de la CGSS) indique que Mme [J] se voit attribuer une rente d'incapacité permanente à partir du 16 avril 2018 pour un montant trimestriel de 1.587,76 euros ;

- dans le cadre de son licenciement pour inaptitude, Mme [P] [J] a perçu pour solde de tout compte la somme totale nette de 77.403,28 euros ;

- elle ne peut être responsable d'un préjudice esthétique, qu'il soit temporaire ou définitif, au titre d'une démarche inesthétique, avec port d'une canne, si la cause en est le névrome de Morton, maladie chronique sans aucun lien avec la chute survenue il y a dix ans ;

- l'expert mentionne que l'appelante portait sa canne indifféremment à la main droite ou à la main gauche, ce qui peut faire douter de son utilité ;

- rien ne permet d'exclure que la difficulté de l'appelante à pratiquer la Salsa ne trouve son unique cause dans le syndrome de Morton dont elle est affectée.

Par notes en délibéré reçues par voie électronique les 22 et 23 mai 2024, la SAS [5] soutient que Mme [J] qui perçoit une rente allouée par la CGSS de Guadeloupe doit être déboutée de ses demandes en réparation de ses pertes de ses gains actuelles et futures, chefs de préjudice déjà couverts ; que la réduction d'autonomie pour la période postérieure à la consolidation est également prise en compte dans le calcul du taux d'incapacité permanente.

Selon ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 29 février 2024, auxquelles il a été fait référence lors de l'audience des débats, la Caisse Générale de Sécurité Sociale de la Guadeloupe s'associe aux conclusions de la SAS [5] quant aux demandes indemnitaires de Mme [J] et sollicite la condamnation de la SAS [5] au remboursement des sommes qu'elle sera amenée à verser à Mme [J] conformément à l'article L.452-3 du code de la sécurité sociale qui pose les bases du versement de l'indemnisation en précisant que ' la réparation de ces préjudices est versée directement au bénéficiaire par la caisse qui en récupère le montant auprès de l'entreprise'.

Par note en délibéré reçue par voie électronique le 23 mai 2024, la Caisse Générale de Sécurité Sociale de la Guadeloupe fait également valoir que les demandes au titre des pertes de gains professionnels actuelles et futures et au titre de l'assistance d'une tierce après consolidation ne peuvent prospérer.

En application de l'article 455 du code de procédure civile, il convient de se reporter aux conclusions des parties pour plus ample exposé de leurs moyens et prétentions.

MOTIFS DE LA DÉCISION

L'article L.452-1 du Code de la Sécurité Sociale dispose que lorsque l'accident est dû à la faute inexcusable de l'employeur ou de ceux qu'il s'est substitué dans la direction, la victime ou ses ayants droits ont droit à une indemnisation complémentaire.

Selon l'article L.452-3 du Code de sécurité sociale, « Indépendamment de la majoration de rente qu'elle reçoit en vertu de l'article précédent, la victime a le droit de demander à l'employeur devant la juridiction de sécurité sociale la réparation du préjudice causé par les souffrances physiques et morales par elle endurées, de ses préjudices esthétiques et d'agrément ainsi que celle du préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle. Si la victime est atteinte d'un taux d'incapacité permanente de 100 %, il lui est alloué, en outre, une indemnité forfaitaire égale au montant du salaire minimum légal en vigueur à la date de consolidation.

De même, en cas d'accident suivi de mort, les ayants droit de la victime mentionnés aux articles L. 434-7 et suivants ainsi que les ascendants et descendants qui n'ont pas droit à une rente en vertu desdits articles, peuvent demander à l'employeur réparation du préjudice moral devant la juridiction précitée.

La réparation de ces préjudices est versée directement aux bénéficiaires par la caisse qui en récupère le montant auprès de l'employeur. ».

Plus généralement, depuis la décision du Conseil constitutionnel n°2010-8 QPC du 18 juin 2010, la victime peut demander la réparation de l'ensemble des dommages non couverts par le livre IV du code de la sécurité sociale, étant entendu : « Qu'en présence d'une faute inexcusable de l'employeur, les dispositions de ce texte (L.452-3 du code de la sécurité sociale) ne sauraient toutefois, sans porter une atteinte disproportionné au droit des victimes d'actes fautifs, faire obstacle à ce que ces mêmes personnes, devant les mêmes juridictions, puissent demander à l'employeur réparation de l'ensemble des dommages non couverts par le livre IV du code de la sécurité sociale ».

Il en résulte que la victime ne peut pas prétendre à la réparation des chefs de préjudices suivants déjà couverts :

- les pertes de gains professionnels actuelles et futures (couvertes par les articles L. 431- 1, L. 434-1 et L. 452-2)

- l'incidence professionnelle indemnisée de façon forfaitaire par l'application d'un capital ou d'une rente d'accident du travail (L.431-1 et L.434-1) et par sa majoration (L.452-2),

- l'assistance d'une tierce personne après consolidation (couverte par l'article L.434-2 alinéa 3),

- les frais médicaux et assimilés, normalement pris en charge au titre des prestations légales.

L'assemblée plénière de la cour de cassation a décidé le 20 janvier 2023 que la victime peut, par contre, réclamer l'indemnisation de son déficit fonctionnel permanent qui n'est pas réparé par rente d'accident du travail.

I / Sur la réparation du préjudice subi par Mme [P] [J]

L'expert indique en son rapport du 17 avril 2023 : ' Au total, suite à une chute dans les escaliers dont la présentation initiale semblait rassurante :

- Reste la nuit avec ses collègues,

- Bilan CHBT négatif à son retour à domicile le même jour,

- Prescription d'un arrêt professionnel de 4 jours,

- Prescription d'antalgiques simples et de vessie de glace,

Mme [J] a développé un syndrome douloureux diffus avec des plaintes du pied, de l'épaule droite, du rachis cervical, dorsal et lombaire, qui a conduit à de nombreux traitements rhumatologiques, cures thermales, infiltrations et rééducation sans grand bénéfice.'

L'expert précise : « Il apparaît assez vite dans ce dossier que suite à un traumatisme mineur dont tous les bilans (clinique, radio, scanner, scintigraphie et I.R.M.) ont montré l'absence totale de lésion anatomique, Mme [J] a développé un syndrome polyalgique majeur. »

L'expert conclut que « les plaintes alléguées sont d'origine psychologique essentiellement ce que confirment indirectement les psychiatres consultés en parlant de syndrome anxiodépressif post-traumatique ou de stress post-traumatique » (...) « ainsi les troubles psychologiques/psychiatriques observés depuis 2014 sont en rapport avec son accident du travail même si le lien est indirect. La gêne alléguée même si elle est surtout psychologique, est réelle et il est indéniable que la qualité de vie de Mme [J] s'est dégradée depuis l'accident de 2014. ».

Au vu de l'ensemble des éléments produits aux débats, le préjudice subi par Mme [P] [J], âgée de 56 ans au jour de sa consolidation, le 15 mars 2018, aide-soignante au moment des faits, sera réparé ainsi que suit :

1) Déficit fonctionnel temporaire

Ce préjudice inclut, pour la période antérieure à la consolidation, la perte de qualité de vie et des joies usuelles de la vie courante durant la maladie traumatique, le préjudice temporaire d'agrément, éventuellement le préjudice sexuel temporaire.

L'expert a retenu un déficit fonctionnel temporaire total durant 29 jours, un déficit fonctionnel partiel à 50% durant 79 jours et un déficit fonctionnel partiel à 10% durant1245 jours.

Il convient d'allouer à Mme [P] [J] la somme de 4825 euros calculée comme suit :

29 x 25 euros = 725 euros

79 x 25 euros x 50% = 987,50 euros

1245 x 25 euros x10% = 3112,50 euros

2) Souffrances endurées

Il s'agit d'indemniser ici les souffrances tant physiques que morales endurées du fait des atteintes à l'intégrité, la dignité et l'intimité et des traitements, interventions, hospitalisations subies depuis l'accident jusqu'à la consolidation.

En l'espèce, l'expert a coté les souffrances endurées par Mme [P] [J] à 2/7, précisant que les douleurs et la gêne dont elle se plaint ne sont pas expliquées par l'examen clinique et les bilans d'imagerie réalisés ; que pour autant, Mme [P] [J] ne simule pas ; que ses douleurs s'expliquent par des troubles psychiatriques, sans état antérieur, en lien avec une fragilité qui a pu décompenser à la suite de l'accident litigieux ; que la dépression permanente relevée par les psychiatres n'entre pas dans ce poste de préjudice mais relève du déficit fonctionnel permanent.

La réparation des souffrances endurées par Mme [P] [J] avant consolidation sera fixée à 3000 euros.

3) Préjudice esthétique temporaire

Ce préjudice est lié à la nécessité de se présenter dans un état physique altéré au regard des tiers.

L'expert cote ce préjudice à « 1/7 en rapport avec sa démarche inesthétique et le port d'une canne, inchangés depuis le début et pérenne ».

Il est constant que Mme [P] [J] a aussi dû porter temporairement un collier cervical, et que, dans les suites de l'accident, son corps était marqué d'importantes ecchymoses ainsi que le prouvent les cliché photographiques versés au dossier.

La réparation de ce poste de préjudice sera fixée à 1000 euros.

4) Assistance par une tierce personne avant consolidation

Il convient d'indemniser les dépenses destinées à compenser les activités non professionnelles particulières qui ne peuvent être assumées par la victime directe durant sa maladie traumatique, comme l'assistance temporaire d'une tierce personne pour les besoins de la vie courante, étant rappelé que l'indemnisation s'entend en fonction des besoins et non en fonction de la dépense justifiée. Le montant de l'indemnité allouée au titre de l'assistance d'une tierce personne ne saurait être subordonné à la production de justificatifs des dépenses effectives.

Mme [P] [J] fait valoir que sa s'ur atteste lui apporter son aide depuis 2014 pour les taches ménagères, les repas, les taches admiratives ainsi que pour certains déplacements ; que lorsqu'elle n'est pas véhiculée par sa s'ur, elle est véhiculée par son fils.

L'expert retient que « dans l'absolu, aucune aide par une tierce personne n'est nécessaire. Dans les faits on peut considérer qu'existe une aide familiale de l'ordre de deux heures/semaine et qu'elle sera pérenne. ».

Au vu des éléments du dossier, la cour estime que Mme [P] [J] a eu besoin d'une aide à raison de deux heures par semaine du 1er janvier 2014 jusqu'à la date de sa consolidation.

La réparation de ce poste de préjudice sera fixée à 6240 euros ( 15 euros x 2 x 52 x4), comme proposé à titre subsidiaire par la société [5].

5) Déficit fonctionnel permanent

Ce poste de préjudice tend à indemniser la réduction définitive du potentiel physique, psychosensoriel, ou intellectuel résultant de l'atteinte à l'intégrité anatomo-physiologique, à laquelle s'ajoute les phénomènes douloureux et les répercussions psychologiques, notamment le préjudice moral et les troubles dans les conditions d'existence (personnelles, familiales et sociales) dont la victime continue à souffrir postérieurement à la consolidation du fait des séquelles tant physiques que mentales qu'elle conserve.

Contrairement à ce que soutient Mme [P] [J], le taux d'incapacité permanente retenu par la Caisse Générale de Sécurité Sociale de la Guadeloupe pour déterminer le montant de la rente d'accident du travail versée à la victime ne s'applique pas au déficit fonctionnel permanent.

En effet, la rente d'accident du travail a pour objet exclusif de réparer, sur une base forfaitaire, les préjudices subis par la victime dans sa vie professionnelle en conséquence de l'accident.

Ainsi qu'il a été rappelé plus haut, la Cour de cassation a d'ailleurs jugé que cette rente ne couvrait pas la réparation du déficit fonctionnel permanent.

Compte tenu de l'âge de Mme [P] [J] au jour de sa consolidation (56 ans) et du taux retenu par l'expert (10%), la valeur du point de déficit fonctionnel permanent sera fixée à 1560 euros comme proposé subsidiairement par la société [5], soit une réparation de 15 600 euros.

6 ) Préjudice d'agrément

Ce poste de préjudice répare l'impossibilité pour la victime de pratiquer régulièrement une activité spécifique sportive ou de loisirs.

En l'espèce, Mme [P] [J] établit qu'avant l'accident, elle pratiquait la Salsa dans le cadre d'une association dans laquelle elle s'était bien investie, allant jusqu'à [Localité 7] pour des démonstrations (pièce 275 - attestation de membre de Salsamania 2013, pièce 277 - Billets d'avion AR [Localité 10] ' [Localité 7]).

Elle affirme, sans être contredite sur ce point, avoir cessé cette pratique depuis l'accident.

La réparation de ce poste de préjudice sera fixée à 2000 euros.

7 ) Préjudice esthétique permanent

Ce poste indemnise les éléments de nature à altérer l'apparence ou l'expression de la victime.

La démarche inesthétique de Mme [P] [J] est définitive.

Sur la base de la cotation à 1/7 établie par l'expert, il convient de fixer la réparation de ce préjudice à la somme de 1500 euros au titre du préjudice esthétique permanent.

8) Préjudice sexuel

Ce préjudice recouvre trois aspects pouvant être altérés séparément ou cumulativement, partiellement ou totalement : l'aspect morphologique lié à l'atteinte aux organes sexuels, le préjudice lié à l'acte sexuel (libido, perte de capacité physique, frigidité), et la fertilité (fonction de reproduction).

L'expert a retenu l'existence d'un préjudice sexuel lié à une perte de libido et au fait que le compagnon de Mme [P] [J] l'a quittée en 2020 après 7 ans de relations.

La réparation de ce poste de préjudice sera fixée à la somme de 2000 euros.

9) Concernant les pertes de gains professionnels actuelles et futures ainsi que l'assistance d'une tierce personne après consolidation

Ces demandes ne peuvent qu'être rejetées dès lors que la réparation des préjudices en cause est couverte par les articles L. 431- 1, L. 434-1, L.434-2 alinéa 3 et L. 452-2 du code de la sécurité sociale).

En effet, contrairement à ce que laisse entendre l'appelante, la rente d'accident du travail allouée par la Caisse Générale de Sécurité Sociale est nécessairement majorée dès lors que la faute inexcusable de l'employeur est reconnue.

II / Sur la prise en charge de la réparation

En vertu de l'article L452-3 du code de la sécurité sociale, la réparation des préjudices sera versée directement à Mme [P] [J] par la Caisse Générale de Sécurité Sociale de la Guadeloupe qui en récupérera le montant auprès de l'employeur.

III / Sur l'application de l'article 700 du code de procédure civile

Par arrêt du 18 janvier 2021, la cour de céans a condamné la société [5] à payer à Mme [P] [J] la somme de 1500 euros pour ses premiers fais irrépétibles en cause d'appel.

Il convient d'y ajouter la somme de 2000 euros pour ses frais irrépétibles post-expertise.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement par mise à disposition au greffe, contradictoirement et en dernier ressort,

Vu l'arrêt rendu en la cause le 18 janvier 2021,

Fixe la réparation due à Mme [P] [J] comme suit :

* 4825 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire,

* 3000 euros la réparation due au titre des souffrances endurées,

* 1000 euros la réparation due au titre du préjudice esthétique temporaire,

* 6240 euros la réparation due au titre de la tierce personne temporaire,

* 15 600 euros la réparation due au titre du déficit fonctionnel permanent,

* 2000 euros la réparation due au titre du préjudice d'agrément

* 1500 euros au titre du préjudice esthétique permanent,

* 2000 euros la réparation due au titre du préjudice sexuel ;

Condamne la société [5] à rembourser à la Caisse générale de sécurité sociale de la Guadeloupe les sommes que celle-ci versera à Mme [P] [J] par application des dispositions des articles L 452-3 et L 452-2 du code la sécurité sociale ;

Condamne la société [5] à payer à Mme [P] [J] la somme supplémentaire de 2000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la société [5] aux dépens comprenant les frais d'expertise ;

Rejette le surplus des demandes, plus amples ou contraires.

Le greffier, La présidente,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Basse-Terre
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 19/01134
Date de la décision : 03/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 09/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-03;19.01134 ?
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