La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

15/05/2023 | FRANCE | N°21/00664

France | France, Cour d'appel de Basse-Terre, Chambre sociale, 15 mai 2023, 21/00664


COUR D'APPEL DE BASSE-TERRE



CHAMBRE SOCIALE



ARRÊT N° 99 DU QUINZE MAI DEUX MILLE VINGT TROIS



AFFAIRE N° : N° RG 21/00664 - N° Portalis DBV7-V-B7F-DKRM



Décision déférée à la Cour : Jugement du Conseil de Prud'hommes de Pointe-à-Pitre - section encadrement - du 25 Mai 2021.





APPELANTE



Madame [I] [C] épouse [B]

[Adresse 1],

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représentée par Me Michaël SARDA, avocat au barreau de GUADELOUPE/ST MARTIN/ST BARTH



INTIMÉE>


S.A.S. RADIO CARAIBES INTERNATIONALE GUADELOUPE (RCI)

[Adresse 4]

Lieudit [Adresse 4]

[Localité 3]

Représentée par Me Isabelle WERTER-FILLOIS, avocat au barreau de GUADELOUP...

COUR D'APPEL DE BASSE-TERRE

CHAMBRE SOCIALE

ARRÊT N° 99 DU QUINZE MAI DEUX MILLE VINGT TROIS

AFFAIRE N° : N° RG 21/00664 - N° Portalis DBV7-V-B7F-DKRM

Décision déférée à la Cour : Jugement du Conseil de Prud'hommes de Pointe-à-Pitre - section encadrement - du 25 Mai 2021.

APPELANTE

Madame [I] [C] épouse [B]

[Adresse 1],

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représentée par Me Michaël SARDA, avocat au barreau de GUADELOUPE/ST MARTIN/ST BARTH

INTIMÉE

S.A.S. RADIO CARAIBES INTERNATIONALE GUADELOUPE (RCI)

[Adresse 4]

Lieudit [Adresse 4]

[Localité 3]

Représentée par Me Isabelle WERTER-FILLOIS, avocat au barreau de GUADELOUPE/ST MARTIN/ST BARTH

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 6 Mars 2023, en audience publique, devant la Cour composée de :

Mme Rozenn Le GOFF, conseillère, présidente,

Mme Marie-Josée BONET, conseillère,

Mme Annabelle CLEDAT, conseillère.

Les parties ont été avisées à l'issue des débats de ce que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour le 24 Avril 2023, date à laquelle le mise à disposition de l'arrêt a été prorogée au 15 Mai 2023

GREFFIER Lors des débats Mme Lucile POMMIER, greffier principal.

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées conformément à l'article 450 al 2 du CPC.

Signé par Mme Rozenn LE GOFF, conseillère, présidente et par Mme Lucile POMMIER, greffier principal, à laquelle la décision a été remise par le magistrat signataire.

************

Madame [I] [B] a été recrutée par la société Régie Caraïbes n°1, au terme d'un contrat en date du 6 juin 1996 à effet du même jour, en qualité de représentante, soumise aux dispositions du statut professionnel des représentants de commerce et des textes légaux subséquents, afin de recueillir dans le département de la Guadeloupe des ordres de publicité pour la vente du produit NRJ. La rémunération de Madame [I] [B] comportait une indemnité forfaitaire mensuelle de 2 000 francs outre des commissions.

Un premier avenant en date du 1er mars 1997 puis un second en date du 7 novembre 2006 ont modifié les conditions de la rémunération de Madame [I] [B].

En l'état du dernier avenant, la rémunération de Madame [I] [B] comportait :

« a) un salaire fixe mensuel de 610 euros.

b) une indemnité forfaitaire brute de 150 euros en remboursement [des] frais de déplacement, versée mensuellement, sauf au cours des périodes de congés,

c) une commission calculée au taux de 7,5 % sur le chiffre d'affaires net hors taxes facturé réalisé sur la vente d'« espace » et d'opérations « event ».

d) une commission calculée au taux de 5% sur le chiffre d'affaires net hors taxes facturé, réalisé sur la vente « technique ».

Le 17 janvier 2018, la société Régie Caraïbes n°1 a proposé à Madame [I] [B], comme à l'ensemble de ses commerciaux, une modification de son contrat de travail.

Madame [I] [B] a été placée en arrêt de travail le 7 mars 2018.

Elle n'a jamais repris ses fonctions.

Le 17 octobre 2018, Madame [I] [B] voyait le médecin du travail qui estimait que son état de santé faisait obstacle à tout reclassement dans un emploi.

Le 29 mars 2019, Madame [I] [B] était licenciée pour inaptitude.

Par requête en date du 5 avril 2019, Madame [I] [B] a saisi le conseil de prud'hommes de Pointe à Pitre aux fins de voir reconnaitre des faits de harcèlement et de manquement de son employeur à son obligation de sécurité de résultat, en requalification de son licenciement pour inaptitude en licenciement sans cause réelle et sérieuse et en paiement de divers dommages et intérêts.

Par jugement en date du 25 mai 2021, le conseil de prud'hommes de Pointe à Pitre a :

pris acte de ce que Madame [I] [B] ne formulait plus de demandes au titre des heures supplémentaires, de repos compensateur et congés payés afférents,

débouté Madame [I] [B] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

condamné Madame [I] [B] à payer à la société Régie Caraïbes n°1 la somme de 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

condamné Madame [I] [B] aux entiers dépens.

Par déclaration en date du 16 juin 2021, Madame [I] [B] a interjeté appel du jugement.

La société Régie Caraïbes n°1 a constitué avocat le 3 juillet 2021.

Par conclusions d'incident notifiées via le réseau privé virtuel des avocats le 18 février 2022, la société Régie Caraïbes n°1 a saisi le conseiller de la mise en état aux fins de radiation de l'affaire, Madame [I] [B] ne s'étant pas acquittée des frais irrépétibles mis à sa charge par le jugement du conseil de prud'hommes déféré.

Par une ordonnance en date du 5 septembre 2022, le conseiller de la mise en état a :

rejeté la demande tendant à voir ordonner la radiation de l'affaire,

rejeté la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive,

renvoyé le dossier à la conférence virtuelle de la mise en état du 20 octobre 2022 pour dernières conclusions et à défaut, clôture et fixation,

dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

condamné l'intimée aux dépens de l'incident.

Le magistrat en charge de la mise en état rendait une ordonnance de clôture le 9 février 2023, la cause étant renvoyée à l'audience de plaidoiries du 6 mars 2023.

MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES.

Vu les dernières conclusions notifiées le 2 février 2023 par voie électronique par lesquelles Madame [I] [B] demande à la cour :

d'infirmer le jugement entrepris sur les chefs suivants :

déboute Madame [I] [B] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions (dommages-intérêts au titre du harcèlement moral, dommages et intérêts au titre du non-respect de l'obligation de sécurité, indemnité de clientèle, dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, préavis, congés payés afférents, indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile, dépens)

condamne Madame [I] [B] à payer à la société Régie Caraïbes n°1 la somme de 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

condamne Madame [I] [B] aux entiers dépens.

Et statuant de nouveau,

de fixer son salaire brut moyen à la somme de 9 636,85 euros par mois,

de constater qu'elle a été victime de harcèlement de la part de la société Régie Caraïbes n°1 laquelle n'a pas respecté, par ailleurs, à ce titre l'obligation de sécurité de résultat pesant sur elle,

En conséquence, de condamner la société Régie Caraïbes n°1 à lui payer :

au titre du harcèlement : 20 000 euros

au titre du non respect de l'obligation de sécurité : 20 000 euros

Par ailleurs,

de juger que la société Régie Caraïbes n°1 est directement responsable de la dégradation de son état de santé et que, dès lors, le licenciement pour inaptitude prononcé à son encontre doit être requalifié en licenciement sans cause réelle ni sérieuse avec toutes conséquences de droit,

de constater que Madame [I] [B] gérait en propre une clientèle en tant que VRP et qu'elle a donc droit à l'indemnité afférente sur le fondement de l'article L 7318-13 du code du travail,

de condamner en conséquence la société Régie Caraïbes n°1 à lui payer :

au titre des dommages et intérêts pour licenciement nul à titre principal, sans cause réelle et sérieuse à titre subsidiaire : 216 000 euros,

au titre de l'indemnité de clientèle : 324 000 euros,

au titre du préavis : 28 910,55 euros,

au titre des congés payés afférents : 2 891,05 euros,

d'ordonner la remise par la société Régie Caraïbes n°1 des documents de fin de contrat conformes, au besoin sous astreinte,

de juger que les condamnations prononcées à l'égard de la Régie Caraïbes n°1 porteront intérêts au taux légal à compter de la saisine du conseil de prud'hommes de Pointe à Pitre,

de débouter la société Régie Caraïbes n°1 de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

de condamner la société Régie Caraïbes n°1 à lui payer la somme de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

de condamner la société Régie Caraïbes n°1 aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Vu les dernières conclusions notifiées le 19 janvier 2023 par voie électronique par lesquelles la société Régie Caraïbes n°1 demande à la cour :

de confirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris après avoir constaté que les faits de harcèlement allégués par Madame [I] [B] ne sont ni démontrés ni prouvés,

En conséquence,

de débouter Madame [I] [B] de l'intégralité de ses demandes au titre du harcèlement moral et du non respect de l'obligation de sécurité de résultat,

de débouter Madame [I] [B] de sa demande de requalification du licenciement pour inaptitude en licenciement sans cause réelle et sérieuse,

En conséquence,

de débouter Madame [I] [B] de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, au titre du préavis et des congés payés afférents,

de dire et juger que Madame [B] ne peut prétendre à une indemnité de clientèle après avoir constaté qu'elle a été indemnisée au titre de l'indemnité spéciale de rupture VRP,

de prendre acte de ce que Madame [I] [B] ne formule plus de demandes au titre des heures supplémentaires, de repos compensateur et congés payés afférents,

de débouter Madame [I] [B] de sa demande de documents de fins de contrat,

de rejeter sa demande au titre des intérêts,

de débouter Madame [I] [B] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

de dire n'y avoir pas lieu à exécution provisoire,

Y ajoutant,

de condamner Madame [I] [B] à lui payer la somme de 3 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Pour le surplus des explications des parties, il est expressément renvoyé à leurs dernières écritures conformément aux dispositions de l'article 455 du Code de Procédure Civile.

SUR CE.

Sur les demandes d'annulation et subsidiairement de requalification du licenciement pour inaptitude prononcé à l'encontre de Madame [I] [B].

Madame [I] [B] demande à la cour de juger que le licenciement qui lui a été notifié est entaché de nullité dès lors que prononcé en suite d'un harcèlement.

Madame [I] [B] demande subsidiairement à la cour de dire que le licenciement qui lui a été notifié est dépourvu de cause réelle et sérieuse dès lors qu'il résulte du manquement de l'employeur à son obligation de sécurité.

Sur la lettre de licenciement

Dès lors que la lettre de licenciement circonscrit une partie du litige qui est soumis à la cour, elle sera ci-après reproduite :

« Madame,

Vous avez été déclarée inapte aux fonctions de VRP que vous exerciez précédemment par le Docteur [G] [H], médecin du travail, à l'issue d'un examen médical du 31 octobre 2018 (« visite de reprise ' article R 4624 du code du travail »)

Vous ne vous êtes pas présentée à l'entretien préalable pour lequel vous étiez convoquée le 25 courant.

Le médecin du travail a indiqué dans l'avis d'inaptitude physique que votre état de santé fait obstacle à tout reclassement dans un emploi et ce, après études de poste et des conditions de travail et après échanges avec moi-même en date du 24 octobre 2018.

Nous sommes donc contraints de procéder à votre licenciement en raison de votre inaptitude physique médicalement constatée.

Votre contrat de travail sera rompu à la date d'envoi de la présente lettre de notification de votre licenciement. Vous n'effectuez donc pas de préavis et aucune indemnité ne vous sera due à ce titre.

Le contrat que vous avez signé avec notre société comporte une clause de non-concurrence. Nous vous dispensons expressément de l'application de cette clause. Il vous est donc permis de travailler pour toute entreprise de votre choix ou d'exercer toute activité de votre choix. Bien entendu dans ces conditions, l'indemnité de non concurrence ne vous est pas due.

Nous tenons à votre disposition un certificat de travail, un reçu pour solde de tout compte et une attestation Pole emploi ainsi que les salaires et indemnités qui vous sont dues.

Vous pouvez faire une demande de précision des motifs énoncés dans la présente lettre dans les 15 jours suivant sa notification par lettre recommandée avec avis de réception ou remise contre récépissé.

Nous vous prions d'agréer, Madame, l'expression de nos salutations distinguées. »

Sur le grief de harcèlement articulé par Madame [I] [B] à l'encontre de son employeur.

Aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail :

« Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont

pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de

porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou

de compromettre son avenir professionnel. »

Aux termes de l'article L. 1154-1 du code du travail :

« Le salarié établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ».

Le harcèlement moral n'est en soi, ni la pression, ni le surmenage, ni le conflit personnel ou non entre salariés, ni les contraintes de gestion ou le rappel à l'ordre voire le recadrage par un supérieur hiérarchique d'un salarié défaillant dans la mise en 'uvre de ses fonctions.

*

Madame [I] [B] estime qu'à compter du mois d'avril 2017, la société Régie Caraïbes n°1 a exercé sur elle une pression considérable afin qu'elle accepte les nouvelles conditions de son contrat de travail.

Elle assure que le harcèlement se serait exercé tant durant la discussion qui se serait instaurée s'agissant des termes du nouveau contrat de travail que durant le temps de ses arrêts maladie.

Il convient de rappeler, ici, que l'employeur doit pouvoir exercer légitimement son pouvoir hiérarchique, son pouvoir d'organisation et de gestion et prendre toutes mesures répondant, en particulier, à un souci de bonne gouvernance.

La cour n'a pas, au cas de l'espèce, à se prononcer sur le bienfondé de la décision de l'employeur de renégocier les contrats de ses commerciaux dès lors que celle-ci relevait indiscutablement de son pouvoir de direction ; aussi les développements de Madame [I] [B] sur les avantages et les inconvénients de ce que proposait l'employeur ne sauraient être en débat et ce d'autant que la salariée, elle-même, n'évoque que les conditions dans lesquelles ces changements auraient été proposés lesquelles auraient relevé, selon elle, du harcèlement moral. Madame [I] [B] ne fait, en particulier, pas état de l'illégalité des préconisations de l'employeur.

Il est constant aux débats que le 14 décembre 2017, la société Régie Caraïbes n°1 a provoqué une réunion de ses commerciaux à l'effet que soit évoquée sa volonté de modifier, pour les uniformiser, les modalités de leurs contrats de travail.

Il est de même acquis aux débats que le 17 janvier 2018, un nouveau contrat de travail était proposé à Madame [I] [B] comme à l'ensemble des commerciaux ; un courrier en date du 31 janvier 2018 (pièce 5 de l'appelante) précisait toutefois qu'à défaut pour Madame [I] [B] d'accepter, elle conserverait le bénéfice de son contrat de travail existant.

Une nouvelle réunion s'est tenue le 7 février 2018 ce qui a engendré une négociation sur certains points du contrat.

Le 20 février 2018, Madame [I] [B] faisait savoir à son employeur que les propositions faites ne lui convenaient pas (pièce 6 de l'appelante).

Le 1er mars 2018, Madame [I] [B] écrivait pour dénoncer une pression sur sa personne pour qu'elle accepte de signer le nouveau contrat ; elle contestait, par la même occasion la baisse du taux des commissions de 2% au regard de la baisse de régie (pièce 7 de l'appelante).

La société Régie Caraïbes n°1 répondait le 5 mars 2018 pour réfuter toute accusation de pression et prendre acte de ce que Madame [I] [B] refusait le nouveau contrat et que dès lors l'ancien contrat - et tout l'ancien contrat - s'appliquerait (pièce 8 de l'appelante).

Le 7 mars 2018, Madame [I] [B] était placée en arrêt maladie.

En définitive donc, Madame [I] [B] produit aux débats quatre échanges écrits sur le sujet de la renégociation de son contrat de travail ; les deux émanant de son employeur sont parfaitement courtois et exempts de toute menace ou pression.

Madame [I] [B] ne verse rigoureusement aucune preuve de ce que l'employeur lui aurait dit « vous avez trop pris, maintenant ça suffit » ou « Je vais péter les gros salaires » ou « comment ça va avec ton mari ».

Il ressort des pièces produites aux débats que la volonté de la société Régie Caraïbes n°1 de renégocier les contrats de ses commerciaux a provoqué au sein de la communauté de ceux-ci des tensions et des inquiétudes liées à la perspective de voir leurs conditions de rémunération se détériorer.

Il est encore acquis aux débats que Madame [I] [B] a particulièrement mal vécu par la perspective de ces changements.

La société Régie Caraïbes n°1 a produit, sur ce thème, une attestation de Madame [W] [F], déléguée du personnel, qui rapporte que Madame [B] a été indignée par la volonté de l'employeur de modifier les contrats de travail ; Madame [F] rapporte avoir interpelé Madame [I] [B] s'agissant de l'évolution de sa situation ; elle précise qu'elle a tenté à plusieurs reprises de la joindre par téléphone, sans succès ; elle indique qu'elle n'a toutefois jamais été sollicitée pour des faits de harcèlement moral (pièce 15 de l'intimée).

Une autre déléguée syndicale, Madame [E] [D], dont le témoignage est également versé aux débats confirme que la renégociation des contrats n'a pas été simple, que des échanges nourris ont eu lieu et que des solutions ont été trouvées. Madame [D] ajoute que c'est Madame [I] [B] qui a eu le plus de difficultés à trouver une issue favorable ; elle précise que les institutions représentatives du personnel étaient régulièrement informées de l'avancée normale des négociations et indique que l'annonce d'une accusation de harcèlement moral lui semple inexplicable.

La cour relève encore que lorsque l'employeur a su que Madame [I] [B] estimait avoir été l'objet d'un harcèlement moral ' soit au mois de janvier 2019 - il a saisi le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail, lequel a mis en place une commission mixte paritaire.

Il n'est pas discuté que Madame [I] [B] a refusé de se rendre à la convocation de la commission mixte paritaire.

Pour autant, la société Régie Caraïbes n°1 produit aux débats le compte rendu du témoignage de Madame [K] [M] qui a été entendue par ladite commission (pièce 12 de l'intimée)

Madame [M] indique que le changement de contrat en début d'année 2018 a entrainé une période de tourmente au sein de la Régie.

Madame [M] affirmera toutefois qu'elle et ses collègues ont pu s'exprimer librement avec leurs supérieurs, ajoutant que ni elle ni ses collègues n'avaient fait l'objet de paroles agressives ou irrespectueuses, qu'aucun de ses collègues ne s'était plaint d'avoir rencontré des difficultés relationnelles ou de harcèlement moral avec d'autres personnes de l'entreprise ;

Madame [M] dira ce qui suit en conclusion :

« A l'annonce des changements de contrat, j'ai constaté que Madame [I] [B] était désemparée et elle disait que c'était injuste et illégal de toucher à nos contrats pour les revoir à la baisse. Dans la période de négociation, j'ai ressenti à mon égard un manque de communication, je l'ai mal perçu, contrairement à d'autres collègue qui à mon avis ont eu plus d'écoute.

La seule personne qui m'a rassurée dans les négociations de contrat c'est Monsieur [U]. Il m'a demandé de lui faire confiance sur les nouveaux contrats et il m'a dit que j'allais gagner plus d'argent. Maintenant au bout de 12 mois, je travaille plus et je gagne plus d'argent qu'à l'époque. »

L'employeur a également et de même produit le compte rendu d'audition de Madame [Y] [T] (pièce 13 de l'intimée)

Madame [T], comme Madame [M], évoquera des difficultés liées à la renégociation des contrats de travail mais réfutera toute idée de harcèlement moral.

S'agissant de Madame [I] [B], Madame [M] dira ceci « [I] [[B]] avait vécu ce changement comme une atteinte à sa dignité. Elle a dit être dégoutée. C'est elle qui avait été le plus affectée par cette annonce de changement de contrat. »

Madame [T] dira ne pas avoir été harcelée par Monsieur [U].

Elle conclura comme suit :

« J'ai rencontré en entretien individuel [S] [U] et j'ai demandé des modifications dans le contrat qui ont été acceptées par Monsieur [S] [U] ; j'ai adhéré ensuite au contrat parce qu'il était avantageux pour moi.

J'ai eu des doutes au début sur le nouveau contrat, mais aujourd'hui la nouvelle proposition m'a apporté un plus gros portefeuille, une meilleure rémunération et une évolution professionnelle »

La cour ne peut considérer à l'instar de Madame [I] [B] que Mesdames [M] et [T] seraient « dociles et téléguidées par l'employeur ».

Il s'évince de ce qui précède que la volonté de l'employeur de procéder à la renégociation des contrats de travail de ses commerciaux a été extrêmement mal accueillie par Madame [I] [B] ; pour autant, il ne résulte pas des pièces produites par elle, qu'elle aurait été confrontée à une situation de harcèlement et ce d'autant que Madame [I] [B] pouvait choisir de conserver le bénéfice de son contrat de travail et donc de ne pas être impactée par les changements si elle ne les souhaitait pas.

Alors certes, Madame [I] [B] produit aux débats des certificats médicaux.

Le certificat du docteur [J] [O] médecin traitant en date du 7 mars 2018 faisant état d'un syndrome anxio dépressif réactionnel à une situation de type burn out pro.

Le certificat médical d'un psychiatre en date du 28 mars 2018 qui mentionne un état réactionnel, selon les dires de Madame [I] [B], à une atmosphère délétère au travail et des pressions de sa Direction (Pièce 11 de l'appelante)

Un autre certificat du psychiatre en date du 5 septembre 2018 évoquant de nouveau les dires de Madame [I] [B] (Pièce 12 de l'appelante)

Un certificat médical du docteur [O] du 9 octobre 2018 souhaitant que sa cliente soit déclarée inapte avec cette mention : « je suis conscient que l'inaptitude à son poste de travail ne correspond pas à son cas mais il me semble qu'une inaptitude à travailler définitivement au sein de cette société et ce peu importe le poste me paraîtrait plus judicieux. (pièce 14 de l'appelante) .

Ces éléments médicaux confirment que Madame [I] [B] a, à l'évidence, mal ressenti les bouleversements proposés par son employeur et en a indéniablement souffert. Mais Madame [I] [B] ne produit aucun élément de nature à relier la souffrance qui a été la sienne à une situation de harcèlement moral qu'elle reproche à son employeur.

Il est, à cet égard, indifférent aux débats que le conseil de prud'hommes dans une décision de référé du 18 février 2019, qui n'est donc pas revêtue de l'autorité de la chose jugée, ait pu estimer qu'un nouvel avis médical n'était pas nécessaire dans le cas de Madame [I] [B] puisque plusieurs médecins avaient donné leur avis.

Tout au contraire, les pièces produites par l'employeur réduisent à néant les éléments qui auraient pu laisser présumer un harcèlement.

A cet égard, Madame [I] [B] soutient également dans le cadre de ses écritures que la situation de harcèlement se serait poursuivie durant son temps d'arrêt maladie dès lors que la société Régie Caraïbes n°1 l'aurait de manière volontaire privée des salaires qui lui étaient dus, attitude qui procéderait d'une volonté affichée de poursuivre le harcèlement durant le temps où elle était absente de l'entreprise.

Il est constant aux débats que Madame [I] [B] a saisi la juridiction des référés au titre d'un rappel de salaire pour la période du 7 mars 2018 au 31 octobre 2018 à hauteur de 21 432 euros et aux fins d'obtenir paiement de la somme de 12 272 euros au regard de la poursuite de son contrat de travail postérieurement à l'avis d'inaptitude.

Le conseil de prud'hommes ne fera pas droit à la première demande car il ne sera pas en mesure de juger de son bienfondé et ne fera pas droit à la seconde dès lors qu'elle était devenue sans objet.

Alors certes, cette décision du conseil de prud'hommes n'est pas davantage revêtue de l'autorité de la chose jugée que la précédente ; toutefois la cour observe que Madame [I] [B] n'a pas repris devant la juridiction du fond la demande qu'elle avait faite s'agissant du rappel de salaire pour la période du 7 mars 2018 au 31 octobre 2018 en sorte qu'il peut en être déduit que cette somme n'était pas due et que dès lors l'employeur n'a pu manquer à ses obligations.

La cour ne saurait par ailleurs tirer du paiement retardé des salaires des mois de décembre 2018 et janvier 2019 un élément laissant présumer un harcèlement moral. Ce retard peut être constitutif d'une faute mais cette faute ne saurait se confondre avec un acte de harcèlement moral.

Madame [I] [B] excipe, enfin, à l'appui de ses demandes des décisions de justice intervenues s'agissant de la procédure judiciaire initiée par Madame [R] [P] à l'encontre de la société RCI Guadeloupe.

Elle détaille le jugement du conseil de prud'hommes intervenu et produit aux débats l'arrêt rendu par la présente cour.

Les faits de harcèlement concernant Madame [P] sont étrangers aux débats et ne concernent ni directement ni indirectement Madame [I] [B].

Il ne saurait donc être déduit de cette procédure ayant opposé la société RCI Guadeloupe à une autre salariée qui n'exerçait d'ailleurs pas les mêmes fonctions que Madame [I] [B] une quelconque présomption selon laquelle la régie Caraïbes n°1 serait coutumière des faits de harcèlement moral et que dès lors ladite présomption s'attacherait aux faits présentés par Madame [I] [B] pour caractériser le harcèlement dont elle dit avoir été victime.

Il résulte donc de l'ensemble des éléments précédents, qu'il n'existe pas en l'espèce d'agissements répétés de l'employeur révélateurs d'un exercice anormal et abusif par celui-ci de ses pouvoirs d'autorité, de direction et de contrôle à l'origine d'une dégradation des conditions de travail de Madame [I] [B].

Au final,

La cour a analysé l'intégralité des faits invoqué par Madame [I] [B] et les a appréciés pris dans leur ensemble pour en conclure qu'ils ne permettaient pas de présumer l'existence d'un harcèlement moral.

Rien n'a, ici, caractérisé une situation de harcèlement ; mieux, les décisions prises par la société Régie Caraïbes n°1 ont été justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Le jugement du conseil de prud'hommes de Pointe à Pitre sera confirmé en ce qu'il a jugé que Madame [I] [B] n'avait pas été victime de harcèlement moral.

2. Sur le manquement de l'employeur à son obligation de sécurité.

L'article L 4121-1 du code du travail dispose que :

« L'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.

Ces mesures comprennent :

des actions de préventions des risques professionnels y compris ceux mentionnés à l'article L 4161-1.

des actions d'information et de formation.

la mise en place d'une organisation et de moyens adaptés.

L'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes. »

Madame [I] [B] fait valoir que la société Régie Caraïbes n°1 aurait manqué à son obligation de sécurité ce qui serait attesté par le fait que son état de santé se serait aggravé en raison du harcèlement moral qu'elle dit avoir subi.

La cour n'ayant pas retenu que Madame [I] [B] avait été victime d'une situation de harcèlement moral, ne saurait juger que l'employeur a manqué à son obligation de sécurité en raison d'une situation de harcèlement moral.

Pour le reste, Madame [I] [B] n'établit aucun lien entre l'affection psychologique dont elle a souffert et un quelconque manquement de son employeur à son obligation de sécurité.

La cour ne peut que rappeler, à cet égard que lorsqu'au début de l'année 2019, la question du harcèlement moral de Madame [I] [B] a été évoquée à l'occasion d'une procédure judiciaire, l'employeur a, sans délai, saisi le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail qui a mis en place une commission mixte paritaire chargée de faire la lumière sur ce que prétendait Madame [I] [B] ; elle ne peut que rappeler également que Madame [I] [B] n'a pas cru devoir répondre à l'invitation qui lui était faite d'être entendue sur les faits de harcèlement dont elle se disait victime.

Le jugement du conseil de prud'hommes déféré sera également confirmé en ce qu'il a dit que la société Régie Caraïbes n°1 n'avait pas manqué à son obligation de sécurité.

*

La cour écartant tant la demande de Madame [I] [B] visant à voir reconnaitre une situation de harcèlement moral que celle ayant trait au manquement de l'employeur à son obligation de sécurité, déboutera subséquemment Madame [I] [B] de ses demandes de condamnation de la société Régie Caraïbes n°1 au paiement de la somme de 20 000 euros au titre du harcèlement, de condamnation de la société Régie Caraïbes n°1 au paiement de la somme de 20 000 euros au titre du non-respect de l'obligation de sécurité, d'annulation du licenciement pour inaptitude dont elle a fait l'objet, de requalification de son licenciement pour inaptitude en licenciement sans cause et sérieuse, de sa demande de condamnation de la société Régie Caraïbes n°1 au paiement de la somme de 216 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul ou subsidiairement sans cause réelle et sérieuse, de sa demande de paiement de la somme de 28 910,55 euros au titre du préavis et de sa demande de paiement de la somme de 2 891,05 euros au titre des congés payés sur préavis.

Madame [I] [B] sera, pareillement, déboutée de sa demande de condamnation de la société Régie Caraïbes n°1 à la remise de documents de fin de contrat modfiés.

II. Sur la demande de Madame [I] [B] au titre de l'indemnité de clientèle.

L'article L 7313-13 du code du travail dispose que :

« En cas de rupture du contrat de travail à durée indéterminée par l'employeur, en l'absence de faute grave, le voyageur, représentant ou placier a droit à une indemnité pour la part qui lui revient personnellement dans l'importance en nombre et en valeur de la clientèle apportée, créée ou développée par lui.

Le montant de cette indemnité de clientèle tient compte des rémunérations spéciales accordées en cours de contrat pour le même objet ainsi que des diminutions constatées dans la clientèle préexistante et imputables au salarié.

Ces dispositions s'appliquent également en cas de rupture du contrat de travail par suite d'accident ou de maladie entrainant une incapacité totale du travail du salarié. »

Madame [I] [B] sollicite le paiement de la somme de 324 000 euros au titre de l'indemnité de clientèle correspondant à trois ans de salaire.

Il incombe au salarié qui forme une demande relative à l'indemnité de clientèle de prouver qu'il a apporté, créé ou développé une clientèle en nombre et en valeur.

Le développement de la clientèle s'apprécie en combinant l'accroissement en nombre et en valeur.

Au cas de l'espèce, Madame [I] [B] ne produit strictement aucun élément permettant à la cour d'évaluer l'ampleur du développement de la clientèle qu'elle prétend avoir accompli.

Madame [I] [B] ne justifie, en particulier, pas d'un développement en nombre de la clientèle. Elle n'apporte aucun élément s'agissant de la clientèle qu'elle aurait créée grâce à ses efforts personnels. Elle ne donne rigoureusement aucune précision s'agissant du portefeuille propre qu'elle prétend avoir détenu.

Il ressort des termes même du contrat de travail de Madame [I] [B] qu'était annexé à celui-ci un état indiquant dans le secteur concédé à Madame [I] [B] les clients qui appartenaient à la société Régie Caraïbes n°1 et que Madame [I] [B] était chargée de visiter régulièrement ;

Madame [I] [B] soutient qu'elle aurait largement développé la clientèle qui lui avait été confiée au départ du fait d'une très active prospection mais n'en rapporte aucun début de preuve. Elle ne peut pour pallier ce manque de preuve se contenter d'utiliser une note de service du 7 avril 2017 de son employeur invitant les commerciaux à rechercher de nouveaux clients.

La cour, en l'état des pièces produites aux débats notamment par l'appelante à qui incombait la charge de la preuve, ne dispose d'aucun élément tangible s'agissant du travail de prospection de Madame [I] [B] tandis que l'employeur au travers des attestations de Madame [A] [X] et de Madame [Y] [L] (pièces 18 et 19 de l'intimée) souligne qu'une partie de la clientèle le contactait spontanément en raison de l'importante part d'audience de la station RCI.

Et si Madame [I] [B] conteste la liste des clients qui lui a été donnée par son employeur et constituée par la pièce 20 de ce dernier, elle ne produit strictement aucun élément complémentaire ou contraire.

En soutenant que l'employeur ne démontrerait pas qu'elle n'avait pas de portefeuille client en propre, Madame [I] [B] a inversé la charge de la preuve.

Madame [I] [B] ne chiffre d'aucune façon la part de clientèle apportée, créée ou développée par elle ce qui subséquemment empêche la prise en compte de sa part personnelle dans l'importance de la clientèle ; elle sera donc déboutée de sa demande visant au paiement d'une indemnité de clientèle en l'absence d'élément probant justifiant pareille prétention.

La cour observe, au demeurant, que la société Régie Caraïbes n°1 estimant que Madame [I] [B] ne pouvait prétendre à une indemnité de clientèle, a versé à sa salariée la somme de 76 237,78 euros au titre de l'indemnité spéciale de rupture.

Le jugement du conseil de prud'hommes de Pointe à Pitre en date du 25 mai 2021 sera donc confirmé également de ce chef.

III. Sur les frais irrépétibles et les dépens.

Chacune des parties forme une demande au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

En application de l'article 696 du code de procédure civile, Madame [I] [B] qui succombe, sera condamnée aux dépens d'appel, le jugement du conseil de prud'hommes de Pointe à Pitre étant confirmé s'agissant de ceux de première instance.

Madame [I] [B] sera également condamnée à payer à la société Régie Caraïbes n°1 la somme de 1 000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, le jugement du conseil de prud'hommes de Pointe à Pitre étant confirmé s'agissant de ceux de première instance.

PAR CES MOTIFS

La Cour, après en avoir délibéré, statuant par arrêt contradictoire prononcé par mise à disposition au greffe, en matière prud'homale,

Confirme le jugemet du conseil de prud'hommes de Pointe à Pitre du 25 mai 2021 en toutes ses dispositions

Y ajoutant,

Condamne Madame [I] [B] à payer à la société Régie Caraïbes n°1 la somme de 1 000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Condamne Madame [I] [B] aux dépens d'appel.

Le greffier, La présidente,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Basse-Terre
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 21/00664
Date de la décision : 15/05/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-05-15;21.00664 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award