COUR D'APPEL DE BASSE-TERRE
2ème CHAMBRE CIVILE
ARRET N° 209 DU 28 AVRIL 2023
MATIERE GRACIEUSE
N° RG 22/01122 -
N° Portalis DBV7-V-B7G-DQAR
Décision attaquée : ordonnance du juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Basse-Terre en date du 28 juin 2022, dans une instance enregistrée sous le n° 22/00051
DEMANDEUR AU RECOURS GRACIEUX
Monsieur [B] [D] [F] [H]
[Adresse 6]
[Adresse 6]
[Adresse 6]
Représenté par Me Annick RICHARD, avocate au barreau de GUADELOUPE/SAINT-MARTIN/SAINT-BARTHELEMY
PARTIE JOINTE
Le Ministère public, en la personne de M. le procureur général
Représenté par M. SCHUSTER, vice-procureur placé
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été appelée en chambre du conseil le 23 janvier 2023 devant Madame Annabelle Clédat puis mise en délibéré devant la cour composé de :
M. Franck ROBAIL, président de chambre,
Mme Annabelle CLEDAT, conseillère,
M. Thomas Habu GROUD, conseiller.
Les parties ont été avisées, à l'issue de l'audience de ce que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour le 27 mars 2023. A cette date, puis ultérieurement, elles ont été informées de la prorogation de ce délibéré, d'abord au 21 avril 2023, puis au 28 avril 2023 en raison de l'absence d'un greffier.
GREFFIER
Lors de l'audience : Mme Armélida RAYAPIN, greffière.
Lors du prononcé : Mme Sonia VICINO, greffière.
ARRET :
- Statuant en matière gracieuse, en application des articles 28 et 434 du code de procédure civile, prononcé en chambre du conseil, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées conformément à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.
- Signé par M. Frank Robail, président de chambre et par Mme Sonia Vicino, greffière, à laquelle la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE
Par un jugement d'orientation du 26 octobre 2021, le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de BASSE-TERRE a ordonné la vente forcée d'un ensemble immobilier appartenant à M. [J] [W] et saisi à la diligence de la S.A. SOCIETE GENERALE ;
Par jugement d'adjudication rendu le 25 janvier 2022 entre la sus-nommée saisissante et M. [W], le même juge :
- a désigné la S.A. SOCIETE GENERALE, représentée par Me BELAYE, avocat, créancier poursuivant,
- a dit que le montant des frais taxés s'élève à la somme de 3 294,41 euros,
- a constaté que le montant de la dernière enchère de 142 000 eurs a été porté par Me RINALDO, avocat,
- a déclaré l'E.U.R.L. EURO IMMOBILIER CARAIBES, représentée par son gérant [E] [O], adjudicataire, pour le prix de 142 000 euros, du bien immobilier sis [Adresse 6], lots 41, 42 et 44 du lotissement dénommé [Adresse 4] cadastré sous les [Cadastre 5], [Cadastre 1] et [Cadastre 2] de la section [Cadastre 3] à [Localité 7],
- a dit que ce jugement sera notifié par le créancier poursuivant en application de l'article R 322-60 du code des procédures civiles d'exécution,
- et a ordonné l'emploi des dépens en frais privilégiés de saisie immobilière ;
Par acte sous seing privé du 26 novembre 2009, M. [J] [W] a donné en location à usage d'habitation à M. [B] [H] un appartemant de 82,24 m2 dépendant de l'ensemble immobilier ainsi saisi et vendu sur adjudication ;
Par acte déposé au greffe du juge de l'exécution du tribunal judiciaire de BASSE-TERRE le 23 mai 2022, M. [H], représenté par un avocat, a déclaré exercer son droit de préemption et se substituer par suite à l'adjudicataire EURO IMMOBILIER CARAIBES pour le prix principal de 142 000 euros, outre les frais taxés de 3 294,41 euros ;
Par ordonnance sur requête du 28 juin 2022, ce juge, au fondement de l'article 10 de la loi du 31 décembre 1975, a rejeté 'la demande M. [B] [H] aux fins de substitution à l'adjudicataire' et l'a condamné aux dépens ;
Il a estimé pour ce faire que l'article 10 sus-visé n'était pas applicable à la vente forcée liigieuse, et ce dès lors qu'une première vente des lots saisis et vendus sur adjudication était intervenue dans le cadre de la division par lots de la résidence CALLIANDRA en 2007, M. [W] les ayant achetés le 18 juillet 2007 en l'état futur d'achèvement;
Par déclaration parvenue au greffe du juge de l'exécution du tribunal judiciaire de BASSE-TERRE le 18 juillet 2022 et transmis au greffe de la cour d'appel de ce siège le 31 août 2022, M. [H], par son conseil, a relevé appel de cette ordonnance sur requête, y demandant son infirmation à l'effet de voir valider sa demande de substitution, exposant à cette fin, pour l'essentiel, que la vente par adjudication résultant du jugement du 25 janvier 2022 est bel et bien la première vente des lots en cause intervenue depuis la division initiale à l'issue de laquelle M. [W], saisi, les avait acquis en 2007 en l'état futur d'achèvement;
Cet appel a été fixé à l'audience du magistrat rapporteur du 23 janvier 2023 et le conseil de l'appelant y a été régulièrement convoqué ;
*
Au soutien de son appel et de sa demande tendant à se voir substituer à l'adjudicataire, M. [H] prétend en substance :
- que cet appel est recevable pour avoir respecté les conditions posées en matière gracieuse par l'article 950 du code de procédure civile,
- qu'il résulte des dispositions de l'article 10 I- et II- de la loi du 31 décembre 1975 que lorsqu'un immeuble est divisé en plusieurs lots, le locataire ou occupant de bonne foi dispose d'un droit de préemption en cas de vente amiable ou de substitution en cas d'adjudication de son logement,
- que l'exigence posée par le seul article 10 I-, qui n'a trait qu'au droit de préemption en cas de vente amiable, d'une vente consécutive à la division initiale ou à la subdivision de tout ou partie de l'immeuble par lots, n'est pas reprise par l'article 10 II- qui a trait aux ventes sur adjudication volontaires ou forcées et au droit de substitution et n'est donc pas applicable en cas de vente sur adjudication,
- qu'il est incontestable que l'appartement qu'il loue et occupe a fait l'objet d'une vente par adjudication forcée, si bien qu'aucune autre condition que sa bonne foi n'est exigée pour qu'il puisse faire valoir son droit de préemption,
- et qu'en toute hypothèse, dès lors que M. [W] a acquis l'appartement loué et les lots qui le constituent en l'état futur d'achèvement le 18 juillet 2007, la vente par adjudication litigieuse est bel et bien la première vente intervenue depuis la division initiale de l'immeuble ainsi vendu en lots ;
*
Suivant avis écrit parvenu au greffe le 20 janvier 2023, le ministère public, partie jointe, estime que c'est à bon droit que le premier juge a estimé que le locataire ne pouvait exercer le droit de substitution de l'article 10 II- de la loi du 31 décembre 1975, dès lors que, selon lui :
- la condition de l'article 10 I- relative à une vente consécutive à la division initiale ou la subdivision de l'immeuble, s'applique à la vente sur adjudication de l'article 10 II-,
- l'adjudication litigieuse n'a pas été consécutive à la division initiale de l'immeuble, le propriétaire saisi ne l'ayant pas acquis en son entièreté mais pour seulement 3 lots dans le cadre d'une vente en l'état futur d'achèvement ;
MOTIFS DE LA DECISION
I- Sur la recevabilité de l'appel au regard des formes et délais réglementaires
Attendu qu'il résulte des éléments produits aux débats que l'appel de M. [H] à l'encontre de l'ordonnance sur requête déférée, a été diligenté dans les conditions de forme des articles 950 et suivants du code de procédure civile, ainsi que dans les délais de la loi ; qu'il y sera donc déclaré recevable ;
II- Sur le fond
Attendu qu'aux termes des dispositions combinées de l'article 10 I- et II- de la loi n° 75-1351 du 31 décembre 1975 relative à la protection des occupants de locaux à usage d'habitation dans sa version issue de l'ordonnance modificative n° 2019-770 du 17 juillet 2019, lorsque la vente d'un local à usage d'habitation ou à usage mixte d'habitation et professionnel a lieu par adjudication volontaire ou forcée consécutivement 'à la division initiale ou à la subdivision de tout ou partie d'un immeuble par lots', le locataire ou l'occupant de bonne foi doit y être convoqué par lettre recommandée avec demande d'avis de réception un mois au moins avant la date de l'adjudication, à défaut de quoi ce même locataire ou occupant de bonne foi peut, pendant un délai d'un mois à compter de la date à laquelle il a eu connaissance de l'adjudication, déclarer se substituer à l'adjudicataire, hors le cas où l'adjudication a été prononcée en faveur d'un indivisaire ;
Attendu qu'il résulte incontestablement de ce texte :
- que le droit de préemption du locataire, dans ce cadre strict, est conditionné à la justification :
1°/ d'une division ou subdivision préalable d'un immeuble (première vente après division),
2°/ d'une vente volontaire ou forcée portant sur un logement à usage d'habitation ou à usage mixte d'habitation et professionnel,
3°/ d'un locataire ou occupant personne physique et de bonne foi ;
- que ce droit n'est ainsi reconnu au locataire que lors de la première vente suivant la division ou la subdivision de l'immeuble loué,
- et que, de la sorte, la loi de 1975 dont cet article 10 I- et II- est issu, n'a entendu donner au locataire un droit de préemption que sur la première vente consécutive à une modification de la situation juridique de l'immeuble que constitue sa division initiale ou sa subdivision, soit au sens matériel soit au sens juridique ;
Attendu qu'à l'encontre de l'opinion de M. [H], il n'est pas permis de distinguer, en ce qui est de la condition d'une vente 'consécutive à la division initiale ou à la subdivision de tout ou partie d'un immeuble par lots', d'entre la vente amiable prétendument visée par l'article 10 I- et la vente par adjudication volontaire ou forcée de l'article 10 II-, puisque :
- le premier de ces articles n'est pas cantonné aux ventes amiables et vise 'toute vente d'un ou plusieurs loaux à usage d'habitation ou à usage mixte d'habitation et professionnel, consécutive à la division initiale ou à la subdivision de tout ou partie d'un immeuble pas lots',
- et que le juge ne peut distinguer là où la loi ne le fait pas, de quoi il ressort que la condition de l'article 10 I- relative à une vente consécutive à la division initiale ou la subdivision de l'immeuble, est tout entière applicable aux ventes sur adjudication volontaires ou forcées de l'article 10 II-, ce dernier étant clairement libellé comme une simple déclinaison et adaptation (par le mécanisme de la 'substitu(tion) à l'adjudicataire') à la vente sur adjudication du droit de préemption alloué par principe au locataire par l'article 10 I- ;
Attendu que le simple décret du 30 juin 1977 (n° 77-742) qu'invoque l'appelant pour contrer la stricte application de la loi de 1975 en son article 10 I- et II-, n'est pas susceptible, dans l'ordonnancement juridique français qui fait de la loi la norme supérieure après les traités internationaux et la Constitution de la République française, d'annihiler la portée de cet article ;
Or, attendu que s'il est constant que le droit de préemption de M. [H] a été exercé, d'une part, dans les formes et délais des susdites dispositions, de deuxième part, par le locataire du bien vendu sur saisie qui n'avait pas été convoqué à l'audience d'adjudication, et, de troisième et dernière part, dans le cadre d'une vente portant sur un logement à usage d'habitation, le sus-nommé locataire ne remet pas ici en cause le fait, tout aussi constant, que son bailleur, en la personne de M. [W], avait acquis les lots loués puis saisis et vendus sur adjudication, dans le cadre d'une vente en l'état futur d'achèvement et, partant, après division, par le promoteur-vendeur, de l'entier immeuble en divers lots, dont des appartements ; qu'il s'en déduit que l'adjudication litigieuse n'a pas été consécutive à la division initiale de l'immeuble et ne peut être tenue pour la première vente suivant cette division ;
Attendu que, dès lors, c'est à bon droit que le premier juge a rejeté la requête de M. [H] aux fins de substitution à l'adjudicataire, ce pourquoi l'ordonnance déférée sera sur ce point confirmée purement et simplement ;
III- Sur les dépens de première instance et d'appel
Attendu que, succombant en la cause, tant en première instance qu'en appel, M. [H] devra en supporter tous les dépens, si bien que, d'une part, sa condamnation aux dépens de première instance sera ici confirmée, et d'autre part, il sera également condamné aux dépens de l'instance d'appel ;
PAR CES MOTIFS
La cour,
- Dit recevable M. [B] [H] en son appel à l'encontre de l'ordonnance sur requête du juge de l'exécution du tribunal judiciaire de BASSE-TERRE en date du 28 juin 2022,
- L'y dit mal fondé et confirme cette ordonnance en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
- Condamne M. [B] [H] aux entiers dépens de l'instance d'appel.
Et ont signé,
La greffière, Le président