COUR D'APPEL DE BASSE-TERRE
2ème CHAMBRE CIVILE
ARRET N° 205 DU 28 AVRIL 2023
N° RG 21/00640 -
N° Portalis DBV7-V-B7F-DKO5
Décision attaquée : jugement du tribunal de proximité de Saint Martin et Saint-Barthélémy en date du 1er Mars 2021, dans une instance enregistrée sous le n° 18/00391
APPELANTES :
Madame [S] [F]
[Adresse 3]
[Localité 2]
Représentée par Me Luc GODEFROY, avocat au barreau de GUADELOUPE/SAINT-MARTIN/SAINT-BARTHELEMY
S.A.R.L. Les Bruyère, en la personne de sa gérante
[Adresse 6]
[Adresse 6]
[Localité 4]
Représentée par Me Luc GODEFROY, avocat au barreau de GUADELOUPE/SAINT-MARTIN/SAINT-BARTHELEMY
INTIMES :
Monsieur [M] [L]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représenté par Me Jan-Marc FERLY, de la SELARL CQFD AVOCATS, avocat au barreau de GUADELOUPE/SAINT-MARTIN/SAINT-BARTHELEMY
S.A.R.L. Le Spinnaker
[Adresse 1]
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentée par Me Jan-Marc FERLY, de la SELARL CQFD AVOCATS, avocat au barreau de GUADELOUPE/SAINT-MARTIN/SAINT-BARTHELEMY
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 23 janvier 2023, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposé, devant Mme [I] [Z] chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
M. Franck ROBAIL, président de chambre,
Mme Annabelle CLEDAT, conseillère,
M. Thomas Habu GROUD, conseiller.
Les parties ont été avisées à l'issue des débats de ce que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour le 27 mars 2023. A cette date, puis ultérieurement, elles ont été informées de la prorogation de ce délibéré, d'abord au 21 avril 2023, puis à ce jour en raison de l'absence d'un greffier.
GREFFIER
Lors des débats : Mme Armélida RAYAPIN, greffière.
Lors du prononcé : Mme Sonia VICINO, greffière.
ARRET :
- Contradictoire, prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées conformément à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.
- Signé par M. Frank Robail, président de chambre et par Mme Sonia Vicino, greffière, à laquelle la décision a été remise par le magistrat signataire
FAITS ET PROCEDURE
Par acte sous seing privé en date du 1er décembre 2014, la SARL Les Bruyères, propriétaire de l'immeuble, a conclu un contrat de bail commercial avec la SARL Le Spinnaker portant sur un local nu à rénover à usage de bar restaurant, avec terrasse autour, situé à [Localité 7], moyennant un loyer mensuel de 4.213,96 euros.
Ce contrat de bail stipule notamment une clause d'assurance couvrant l'incendie, les évènements naturels et les risques cycloniques et une assurance garantie chiffres d'affaires couvrant le paiement de loyers dans le cas de non-exploitation en période cyclonique.
Par acte du même jour, M. [L] s'est porté caution solidaire à hauteur de 30.000 euros des sommes dont pourrait être débitrice le locataire envers le bailleur.
Par ailleurs, par acte sous seing privé en date du 1er février 2015, Mme [S] [F], a donné en location à usage commercial à la société Le Spinnaker le lot n° 360 de [Adresse 5] moyennant un loyer mensuel de 700 euros. Le bail stipule que le local est destiné à l'exploitation de vente de souvenirs, de tissus et de vêtements.
Par acte d'huissier du 21 juin 2016, la société Les Bruyères a fait délivrer à son locataire un commandement de payer une somme de 21.069,28 euros au titre de 5 loyers mensuels impayés.
Le 25 mai 2018, un deuxième commandement de payer a été signifié tant à la société Le Spinnaker qu'à M. [L], caution, pour les impayés antérieurs au cyclone Irma correspondant à 4 loyers, soit la somme de 16.852, ainsi que pour le droit au bail pour l'exercice 2016-2017 (1 643 euros), soit un total de 18.495 euros.
Le 6 août 2018, la société Le Spinnaker a procédé au règlement des 4 loyers mensuels impayés.
Le 9 août 2018, la société Les Bruyères a fait signifier un troisième commandement de payer à la société Le Spinnaker et à M. [L] pour les sommes dues d'octobre 2017 à août 2018 soit 46.343 euros.
Par ailleurs, le 13 juillet 2018, Mme [F] a fait signifier à la société Le Spinnaker un commandement de payer la somme de 10.500 euros au titre de loyers impayés avec mise en jeu de la clause résolutoire.
Par acte en date du 7 septembre 2018, la société Le Spinnaker a assigné la société Les Bruyères et Mme [S] [F] devant le tribunal de grande instance de Basse-Terre, en sa chambre détachée de Saint-Martin, aux fins de voir :
- avant dire droit, désigner un expert avec mission pour celui-ci de se prononcer sur la qualité des travaux de consolidation déjà effectués par les propriétaires des locaux qu'elle loue, décrive et évalue les travaux à charge des propriétaires restant à effectuer ou devant être repris, ces démarches devant inclure la conformité électrique des locaux destinés à recevoir du public.
En tout état de cause,
- prononcer la nullité des commandements de quitter les locaux loués qui lui ont été délivrés abusivement les 25 mai, 13 juillet et 9 août 2018,
- réduire ses loyers à l'euro symbolique de septembre 2017 à décembre 2018 inclus,
- réduire ses loyers de 90 % du montant contractuel à compter du 1er janvier 2019 jusqu'à la date à laquelle elle pourra reprendre ses activités commerciales après travaux ,
- réduise ses loyers de 60 % à compter de la reprise de ses activités et pendant trois années.
- lui allouer la somme de 8.000 euros au titre des frais irrépétibles,
- condamner solidairement les parties défenderesses aux entiers dépens de l'instance.
Par acte d'huissier en date du 11 février 2019, la société Les Bruyères a assigné la société Le Spinnaker et M. [M] [L], en sa qualité de caution solidaire de la société Le Spinnaker, devant le même tribunal, aux fins de constat de l'acquisition de la clause résolutoire liant les parties à compter du 9 septembre 2018 et ordonner son expulsion sous astreinte de 100 euros par jour de retard dans le délai de quinze jours à compter de la signification du jugement à intervenir.
Elle y demandait par ailleurs la condamnation de la société Le Spinnaker au paiement des sommes de 73.957,45 euros au titre des loyers impayés du 1er octobre 2017 au 31 janvier 2019, 4213,96 euros au titre de l'indemnité d'occupation et 5.000 euros pour ses frais irrépétibles. Elle sollicitait enfin la condamnation de M. [L] à relever indemne la société Le Spinnaker de la somme de 30.000 euros en sa qualité de caution solidaire et la condamnation solidaire des défendeurs aux entiers dépens.
La jonction de ces deux instances a été ordonnée.
Par jugement du 1er mars 2021, le tribunal de proximité de Saint-Martin / Saint-Barthélémy a débouté les parties de l'ensemble de leurs demandes.
En effet, après avoir rappelé qu'il incombait à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention, le tribunal a considéré qu'en l'absence de dossiers de plaidoiries des parties, il n'avait pas été en mesure de prendre connaissance des pièces à l'appui de leurs prétentions.
Mme [S] [F] et la société Les Bruyères ont interjeté appel de cette décision par déclaration remise au greffe de la cour par voie électronique le 8 juin 2021, en visant expressément l'unique chef du jugement.
Cet appel a été orienté à la mise en état..
M. [M] [L] et la société Le Spinnaker ont remis au greffe leur constitution d'intimés par voie électronique le 28 juin 2021.
Par conclusions d'incident remises au greffe le 15 décembre 2021, la société Les Bruyères et Mme [F] ont demandé au conseiller de la mise en état de déclarer irrecevable la demande d'expertise formulée par les intimés et de les condamner à leur payer la somme de 2000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Par conclusions en réponse sur incident remises au greffe le 13 mai 2022, la société Le Spinnaker et M. [L] ont demandé au conseiller de la mise en état de dire qu'au vu de leurs dernières écritures qui ne comprennent plus de demande d'expertise avant-dire-droit, l'incident est devenu sans objet et de rejeter les demandes formées à leur encontre au titre des frais irrépétibles.
Par ordonnance du 13 juin 2022, le conseiller de la mise en état a constaté que l'incident est devenu sans objet et dit que chaque partie conservera la charge de ses propres frais et dépens engagés dans le cadre de cet incident.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 7 novembre 2022 et l'affaire a été fixée à l'audience du 23 janvier 2023, date à laquelle la décision a été mise en délibéré au 27 mars 2023, en suite de quoi les parties ont été avisées de la prorogation de ce délibéré à ce jour, par mise à disposition au greffe.
PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
1/ Mme [S] [F] et la société Les Bruyères, appelantes :
Vu les dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 25 août 2022 par lesquelles les appelantes demandent à la cour de :
- juger bien fondés les commandements de payer régulièrement délivrés à la société Le Spinnaker visant la clause résolutoire stipulée au bail :
- par le société Les Bruyères le 9 août 2018,
- par la Mme [S] [F] le 13 juillet 2018.
En conséquence,
- constater l'acquisition de la clause résolutoire du bail liant les parties à la date :
- du 9 septembre 2018 pour la société Les Bruyères
- du 13 août 2018 pour Mme [S] [F]
- ordonner l'expulsion de la société Spinnaker, de toute personne pouvant se trouver dans les lieux loués et ce, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, commençant à courir 15 jours après la signification de l'arrêt à intervenir,
- condamner en solidarité M. [L], en sa qualité de caution, dans la limite de 30.000 euros et la SARL Le Spinnaker à payer à la SARL Les Bruyères la somme de 73 957,45 euros au titre des loyers et indemnités d'occupation pour la période du 1er octobre 2017 au 31 janvier 2019, ainsi qu'à une indemnité d'occupation de 4 13,96 euros par mois à compter de cette date jusqu'à libération effective constatée par huissier de justice,
- condamner la société Le Spinnaker à payer à Mme [S] [F] la somme de 11 200 euros au titre des loyers et indemnités d'occupation pour la période du 1er octobre 2017 au 31 janvier 2019, ainsi qu'à une indemnité d'occupation de 700 euros par mois à compter de cette date jusqu'à libération effective constatée par huissier de justice.
A titre subsidiaire,
- dire qu'il sera fait application au bénéfice de la société Le Spinnaker des dispositions de l'article 1722 du code civil l'immeuble donné à bail par la société Les Bruyères ayant été détruit en totalité par cas fortuit,
- dire qu'il ne peut être fait application au bénéfice de la société Le Spinnaker des dispositions de l'article 1722 du code civil, l'immeuble donné à bail par Mme [S] [F] n'ayant pas été endommagé par le cyclone Irma du 6 septembre 2017,
En tout état de cause,
Vu les dispositions de l'article 1227 du code civil et l'inexécution par la SARL Le Spinnaker de ses obligations d'exploitation et de garde de l'immeuble sinistré,
- prononcer la résolution des conventions aux torts exclusifs du preneur, sans indemnité, ni restitution des prestations échangées qui demeurent acquises à titre de dommages-intérêts,
- débouter la société Le Spinnaker de ses demandes, fins et conclusions,
- condamner la société Le Spinnaker au paiement des frais irrépétibles au titre de l'article 700 du code de procédure civile, soit 5 000 euros au bénéfice de la SARL Les Bruyères et 2 500 euros au profit de Mme [S] [F],
- condamner la société Le Spinnaker aux dépens, avec distraction au bénéfice de Me Luc Godefroy, avocat.
2/ La société Le Spinnaker et M. [M] [L], intimés
Vu les dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 13 mai 2022 par lesquelles les intimés demandent à la cour de :
- les déclarer recevables et fondés dans leurs demandes, fins et prétentions, et accueillant leurs demandes de réformation intégrale de la décision entreprise,
En conséquence,
- dire et juger non fondées les demandes d'appel de la SARL Les Bruyères et de Mme [F] et les en débouter intégralement,
Faisant droit à l'appel formé par l'EURL Le Spinnaker et M. [L] :
- dire et juger non écrite la clause « entretien et réparation » figurant en page 4 du bail souscrit par Spinnaker en date du 1er décembre 2014, et condamner la SARL Les Bruyères à assumer seule, sans pouvoir les imputer au locataire au Spinnaker, les dépenses relatives aux grosses réparations touchant au bâti, tels que murs de soutènement et de clôture, voûtes, digues, charpentes et toiture, et les dépenses relatives aux travaux liés à la vétusté ou de mise aux normes lorsqu'il s'agit de grosses réparations,
En tout état de cause,
- Dire et juger abusifs, notifiés de mauvaise foi et empreints d'une manifeste volonté de nuire, les commandements délivrés par la SARL Les Bruyères et par Mme [F] en date des 25 mai 2018, 13 juillet 2018 et 9 août 2018,
- prononcer dès lors la nullité desdits commandements, et les dire dépourvus de tous effets,
Faisant doit aux demandes de la SARL Le Spinnaker au visa de l'article 1722 du code civil,
- ordonner la réduction des loyers dus à la SARL Les Bruyères et à Mme [F] à l'euro symbolique à compter des loyers de septembre 2017, jusqu'à décembre 2021 inclus,
- ordonner la réduction des loyers dus à la SARL Les Bruyères et à Mme [F] de 90 % des montants contractuels, soit loyers dus de 10 % des montants contractuels, du premier janvier 2022, à la date à laquelle les travaux nécessaires à la remise en état des lieux loués pour permettre à la SARL Le Spinnaker de reprendre ses activités commerciales auront été effectués,
- ordonner la réduction des loyers dus à la SARL Les Bruyères et à Mme [F] de 60 % des montants contractuels, soit loyers dus de 40 % des montants contractuels, du premier mois après la réouverture du restaurant Le Spinnaker, et pendant une période triennale.
- Dire et juger que par leur attitude la SARL Les Bruyères et Mme [F] ont fait perdre à l'EURL Le Spinnaker toutes chances de céder son fonds de commerce, et condamner solidairement la SARL Les Bruyères et Mme [F] à verser à l'EURL Le Spinnaker la somme de 125.000 euros en réparation du préjudice financier,
Sur les demandes dirigées contre M. [L],
- dire et juger disproportionné l'engagement de caution signé par M. [L] au profit de la SARL Les Bruyères au titre des sommes pouvant être dues par la SARL Le Spinnaker, et ce faisant, déclarant cet engagement de caution inopposable à M. [L], débouter la SARL Les Bruyères de toutes demandes à son égard,
- condamner solidairement la SARL Les Bruyères et Mme [F] à verser à la SARL Le Spinnaker, la somme de 15.000 euros en exécution de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la SARL Les Bruyères à verser à M. [L] la somme de 7 000 euros en exécution de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner solidairement la SARL Les Bruyères et Mme [F] aux entiers dépens, lesquels devront comprendre le remboursement intégral à la SARL Le Spinnaker des coûts exposés dans les divers actes d'huissier (constats et protestations à commandement qu'elle a pu délivrer pour sa défense).
En application de l'article 455 du code de procédure civile, il convient de se reporter aux dernières conclusions des parties pour un exposé détaillé de leurs prétentions et moyens respectifs.
MOTIFS DE L'ARRET
Sur la recevabilité de l'appel
Il ne résulte d'aucun des éléments du dossier que l'appel de Mme [F] et de la société Les Bruyères n'aurait pas été diligenté dans les délais de la loi. Il sera donc déclaré recevable.
Sur les demandes de résiliation du bail
Sur le bail liant les sociétés Les Bruyères et Le Spinnaker
La société Les Bruyères sollicite, à titre principal, l'acquisition de la clause résolutoire du bail la liant à la société Spinnaker à compter du 9 septembre 2018 et la condamnation de cette dernière en solidarité avec M. [L], caution, dans la limite de 30 000 euros, à lui payer la somme de 73.957,45 euros au titre des loyers et indemnités d'occupation pour la période du 1er octobre 2017 au 31 janvier 2019, ainsi qu'à une indemnité d'occupation de 4213,96 euros par mois à compter de cette date jusqu'à la libération effective constatée par huissier de justice.
Subsidiairement, elle invoque l'application des dispositions de l'article 1722 du code civil en raison de la disparition du bien loué le 6 septembre 2017 à la suite du passage du cyclone Irma.
Cependant, comme le souligne à juste titre l'intimée, la société Les Bruyères ne peut logiquement demander la résiliation du bail à la suite du commandement de payer visant la clause résolutoire en date du 25 mai 2018 et ensuite solliciter la résiliation du même bail à la suite de la destruction du bien loué antérieurement au commandement de payer.
Dès lors, il convient d'abord de statuer sur la demande de résiliation fondée sur l'article 1722 du code civil, avant d'examiner éventuellement celle qui est fondée sur le commandement de payer précité.
L'article 1722 du code civil dispose que si, pendant la durée du bail, la chose louée est détruite en totalité par cas fortuit, le bail est résilié de plein droit ; si elle n'est détruite qu'en partie, le preneur peut, suivant les circonstances, demander ou une diminution du prix, ou la résiliation même du bail. Dans l'un et l'autre cas, il n'y a lieu à aucun dédommagement.
Il est constant qu'il convient d'assimiler à la destruction totale des locaux expressément visée par cette disposition, l'impossibilité absolue et définitive d'user de la chose louée conformément à sa destination ou la nécessité d'effectuer des travaux dont le coût excède la valeur de cette chose.
En outre, la destruction partielle des bâtiments qui rend, néanmoins, l'immeuble impropre à sa destination, est assimilée à une perte totale.
La perte totale entraîne nécessairement l'anéantissement du contrat et le juge n'a pas le pouvoir de maintenir le bail, sur demande du locataire.
Au cas présent, les sociétés Les Bruyères et Le Spinnaker invoquent toutes deux l'application de l'article 1722 précité et par conséquent, considèrent que le cyclone Irma constitue un cas de force majeure.
Cependant, elles n'apprécient pas de la même manière les conséquences de cet évènement sur le bien loué. Tandis que le bailleur soutient que le bien loué a été détruit par le cyclone Irma et, en tout état de cause, n'est plus en état d'être usé conformément à sa destination, le preneur affirme que la destruction n'est que partielle.
Or, le constat d'huissier en date du 18 janvier 2018 enseigne que le restaurant à l'enseigne Spinnaker dans son intégralité est « cycloné » et que le clos et le couvert ne sont plus assurés. Il ajoute que le local commercial n'est plus hors d'eau et hors d'air. Il ressort notamment de ce constat que la toiture est totalement soufflée et qu'il ne reste qu'une partie de la charpente métallique.
La société Le Spinnaker ne remet pas en cause ces constatations. Elle reproche seulement à ce constat d'huissier de ne pas avoir été réalisé contradictoirement sans en tirer une quelconque conséquence juridique.
Mais, le preneur indique, dans ses écritures, que début février 2018 le local loué n'était pas en capacité d'accueillir une activité.
Il précise aussi qu'actuellement « il s'agit d'une destruction partielle, dont la configuration des lieux loués empêche toutefois la SARL Le Spinnaker de reprendre ou même poursuivre son activité de restauration, laquelle est bien entendu soumise à des conditions strictes concernant l'hygiène, le clos et le couvert » (conclusions de la société Le Spinnaker, p. 23, §.7).
Certes, comme le fait valoir la société Le Spinnaker, M. [O], architecte, en son attestation en date du 12 juin 2019 et le bureau d'études Cabinet Guez Caraïbes, dans son constat du 17 juillet 2018, concluent tous deux qu'avec des travaux de réparation, le restaurant pourrait être remis en état de fonctionnement. Néanmoins, ces études ne remettent pas en cause le constat admis par le preneur lui-même, que les locaux subsistants ne permettent pas en l'état l'exploitation des lieux loués suivant la destination prévue au bail.
Par conséquent, il convient de constater qu'en raison du passage du cyclone Irma le 6 septembre 2017, le local à usage de bar restaurant, objet du contrat de bail liant les sociétés Les Bruyères et Le Spinnaker, ne peut plus être exploité conformément à sa destination. Cette perte totale entraîne la résiliation de plein droit de ce contrat.
Cette résiliation étant de plein droit, la demande en réduction de loyers formée par la société Le Spinnaker sera rejetée.
Il en sera de même, par voie de conséquence, pour les demandes de la société Les Bruyères aux fins de voir :
- constater l'acquisition de la clause résolutoire du bail à la date du 9 août 2019,
- condamner en solidarité M. [L], en sa qualité de caution, dans la limite de 30.000 euros et la société Le Spinnaker à lui payer les loyers pour la période du 1er octobre 2017 au 31 janvier 2019,
- prononcer la résolution de la convention aux torts exclusifs du preneur sans indemnité, ni restitution des prestations échangées qui demeurent acquises à titre de dommages et intérêts.
En outre, la société Les Bruyères sollicite la condamnation de l'intimée au paiement d'une indemnité d'occupation mensuelle de 4213,96 euros.
Cependant, elle indique dans ses conclusions qu'il est constant que la société Le Spinnaker a totalement vidé les locaux loués de tous meubles, matériels et objets utiles à l'exploitation d'un restaurant. Elle ajoute que ces lieux ne sont plus sous le contrôle ou la surveillance du preneur et que le bien loué est l'objet d'une occupation illégitime par des squatteurs.
Dès lors que, selon les écritures mêmes de l'appelante, l'intimée n'occupe pas le bien précédemment loué, elle ne peut être débitrice d'une indemnité d'occupation à son égard.
Par conséquent, la demande de condamnation à une indemnité d'occupation sera rejetée, de même que celle visant à obtenir l'expulsion sous astreinte de l'intimée, laquelle est sans objet.
Sur le bail liant Mme [F] et la société Le Spinnaker
Aux termes de l'article L. 145-41 du code de commerce, toute clause insérée dans le bail prévoyant la résiliation de plein droit ne produit effet qu'un mois après un commandement demeuré infructueux. Le commandement doit, à peine de nullité, mentionner ce délai.
La mise en 'uvre de la clause résolutoire est subordonnée à la notification par exploit de commissaire de justice (ancien huissier de justice) d'une mise en demeure établissant l'imputabilité des faits au regard des clauses et conditions du bail et dans la limite de la clause résolutoire en faisant courir un délai d'un mois à l'issue duquel la persistance du manquement doit être établie par le bailleur, sous réserve que celui-ci en invoque le bénéfice de bonne foi.
Aux termes de l'article 1353 du code civil, celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver. Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation.
En l'espèce, il est constant que par acte d'huissier en date du 13 juillet 2018, Mme [S] [F] a fait délivrer à la société Le Spinnaker un commandement de payer la somme de 10.500 euros au titre de loyers impayés.
Le commandement qui vise la clause résolutoire rappelle également la clause 11 du contrat de bail relative aux assurances de l'immeuble donné en location et faisant obligation au preneur de contracter une assurance « garantie chiffre d'affaires » pour couvrir le paiement des loyers dans le cas de non exploitation en période cyclonique.
Pour s'opposer à l'acquisition de la clause résolutoire, la société Le Spinnaker soutient qu'elle a réglé l'intégralité des loyers dus avant le passage du cyclone Irma. En ce qui concerne les loyers de septembre 2017 à juillet 2018, le preneur estime qu'ils ne sont pas dus car les locaux loués sont destinés au stockage des marchandises (boissons et alcools) du bar Le Spinnaker et au rangement nocturne des mobiliers de la terrasse de l'établissement. Il ajoute que tant que l'établissement n'est pas en état d'exploitation normale, les locaux loués qui auraient été impactés par le cyclone, ne sont pas exploitables. Il affirme enfin que le commandement de payer de Mme [F] aurait été signifié de mauvaise foi.
Cependant, le preneur ne fournit aucun élément de preuve établissant les paiements allégués en 2015, 2016 et 2017 de sorte qu'il est défaillant dans la charge de la preuve qui lui incombe.
De plus, le bail en date du 1er février 2015 liant Mme [F] et la société Le Spinnaker stipule que les lieux loués sont destinés exclusivement à l'exploitation de vente de souvenirs, objets décoratifs et touristiques, de tissus et de vêtements. Le stockage de marchandises du bar et du mobilier de cet établissement ne figure pas dans la liste des activités autorisées par le bail. Il s'ensuit que le preneur ne peut opposer au bailleur l'impossibilité de faire un usage non conforme au bail pour échapper à son obligation de payer le loyer.
De surcroît, les baux commerciaux conclus par la société Le Spinnaker, d'une part avec Mme [F] et d'autre part, avec la société Les Bruyères, sont juridiquement indépendants. L'appartenance alléguée des deux bailleurs à la même famille et l'usage des locaux par le preneur n'entraîne pas l'existence d'un lien juridique entre les deux baux, étant précisé qu'ils n'ont pas été conclus en même temps et qu'ils ne réfèrent pas l'un à l'autre.
En outre, la société Le Spinnaker affirme que les locaux loués auraient été « impactés par le cyclone » et sollicite une réduction des loyers à compter de septembre 2017 jusqu'à décembre 2021 inclus.
Cependant, comme le souligne Mme [F], il ne ressort d'aucune pièce versée aux débats que ces locaux aient subi des dégâts provoqués par le cyclone. Le preneur est donc mal fondé à demander une réduction de loyer sur le fondement de l'article 1722 du code civil précité.
Enfin, c'est tout aussi vainement que la société Spinnaker allègue la mauvaise foi du bailleur dans la mise en 'uvre du commandement de payer afin obtenir son annulation dès lors qu'elle n'allègue ni, a fortiori, ne démontre des faits permettant de prouver cette mauvaise foi.
La société Le Spinnaker n'ayant pas payé les sommes visées par le commandement de payer en date du 13 juillet 2018 dans le délai d'un mois imparti, il conviendra de constater l'acquisition de la clause résolutoire du bail à la date du 13 août 2018.
En conséquence de la résiliation du bail, il sera fait droit à la demande d'expulsion de la société Spinnaker, ainsi que de tous occupants de son chef passé un délai de 15 jours à compter de la signification du présent arrêt, et passé ce même délai, sous astreinte de 100 euros par jour de retard.
Le locataire n'ayant ni allégué, ni, a fortiori, prouvé avoir libéré les locaux loués, il sera tenu de régler une indemnité d'occupation d'un montant mensuel de 700 euros entre la résiliation de plein droit du 13 aoîut 2018 et la libération effective des lieux constatée par huissier de justice.
La société Le Spinnaker sera donc condamnée à payer à Mme [S] [F] la somme de 11.200 euros au titre des loyers et indemnités d'occupation pour la période du 1er octobre 2017 au 31 janvier 2019.
Sur la demande de dommages et intérêts de la société Le Spinnaker.
Aux termes de l'article 1240 du code civil, tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à la réparer.
Au cas présent, la société Spinnaker fait valoir que les bailleurs l'ont volontairement entraînée dans un marathon judiciaire insupportable et que par leur acharnement, ils ont réduit à néant de pouvoir un jour céder son fonds de commerce. Elle ajoute que la perte de ce fonds de commerce est la conséquence directe de l'entêtement des bailleurs qui se seraient évertués à demander une chose et son contraire. Elle affirme qu'elle aurait pu le céder pour un prix d'au moins 250.000 euros et sollicite la condamnation de la société Les Bruyères et Mme [F] à la somme de 125.000 euros.
Cette argumentation ne peut cependant pas prospérer.
En effet, d'une part, l'intimée n'articule aucun fait imputable à Mme [F] et qui l'aurait empêchée de céder le fonds de commerce de vente de souvenirs, objets décoratifs et touristiques, de tissus et de vêtements.
D'autre part, nonobstant le comportement dilatoire de la société Les Bruyères, la perte du fonds de commerce de bar-restaurant est le résultat du cyclone Irma et conformément à l'article 1722 du code civil précité, la résiliation de plein droit du bail n'entraîne aucun dédommagement.
Par conséquent, la demande de dommages et intérêts de la société Le Spinnaker sera rejetée.
Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile
Compte tenu des circonstances, la société Le Spinnaker, M. [L] et la société Les Bruyères conserveront la charge de leurs propres dépens de première instance et d'appel et leurs demandes réciproques au titre de l'article 700 seront subséquemment rejetées.
En revanche, la société Le Spinnaker supportera les dépens de première instance et d'appel au titre de l'action dirigée contre Mme [F], avec distraction au bénéfice de Me Luc Godefroy, avocat, et sera condamnée, en équité, à lui payer la somme de 1.500 euros au titre des frais irrépétibles d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Déclare recevable l'appel de la SARL Les Bruyères et de Mme [S] [F],
Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau,
Dit que le contrat de bail en date du 1er décembre 2014 liant la SARL Les Bruyères et la SARL Spinnaker a été résilié de plein droit à la suite du passage du cyclone Irma le 6 septembre 2017,
Dit que la clause résolutoire du bail en date 1er février 2015 liant Mme [S] [F] et la SARL Spinnaker a été acquise à la date du 13 août 2018,
Ordonne en conséquence à la société Spinnaker de libérer les lieux objets de ce bail, de sa personne, de ses biens et des personnes et biens de tous occupants de son chef, dans les 15 suivant suivant signification du présent arrêt, sous astreinte 100 euros par jour de retard passé ce délai,
Dit qu'à défaut de ce faire dans ce même délai, ils pourront en être expulsés et leurs biens retirés et entreposés en un endroit au choix du bailleur, mais aux frais de la société Spinnaker, avec, si besoin, le concours de la force publique,
Fixe à 700 euros par mois l'indemnité d'occupation due par la société Le Spinnaker à Mme [S] [F] à compter du 13 août 2018 et juqu'à libération effective des lieux loués,
Condamne la SARL Le Spinnaker à payer à Mme [S] [F] la somme de 11.200 euros au titre des loyers et indemnités d'occupation échus entre le 1er octobre 2017 et le 31 janvier 2019,
Condamne la SARL Le Spinnaker à payer à Mme [S] [F] la somme de 700 euros par mois à titre d'indemnité d'occupation à compter du 1er février 2019 jusqu'à la libération effective des locaux constatée par huissier,
Déboute les parties du surplus de leurs demandes,
Dit que la SARL Le Spinnaker, M. [M] [L] et la société Les Bruyères supporteront la charge de leurs propres frais et dépens engagés tant en première instance qu'en cause d'appel,
Condamne la SARL Le Spinnaker aux dépens de première instance et d'appel au titre de l'action dirigée contre Mme [S] [F], avec distraction au bénéfice de Maître Luc Godefroy, avocat,
Condamne la SARL Le Spinnaker à payer à Mme [S] [F] une somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Et ont signé,
La greffière, Le président