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20/03/2023 | FRANCE | N°18/01305

France | France, Cour d'appel de Basse-Terre, Chambre sociale, 20 mars 2023, 18/01305


VS/RLG

















COUR D'APPEL DE BASSE-TERRE



CHAMBRE SOCIALE



ARRÊT N° 53 DU VINGT MARS DEUX MILLE VINGT TROIS



AFFAIRE N° : RG 18/01305 - N° Portalis DBV7-V-B7C-DAOY



Décision déférée à la Cour : Jugement du Conseil de Prud'hommes de Pointe-à-Pitre - section encadrement - du 25 Septembre 2018.





APPELANTE



Madame [Y] [J] [V]

[Adresse 9]

[Adresse 9]

[Localité 7]

Représentée par Maître Chantal BEAUBOI

S (Toque 3), avocat au barreau de GUADELOUPE/ST MARTIN/ST BARTH





INTIMÉS



Monsieur [CN] [AL] décédé à [Localité 8] le 13 Septembre 2020

La Lézarde

[Localité 7]

Représenté par Maître Estelle SZWARCBART-HUBERT ...

VS/RLG

COUR D'APPEL DE BASSE-TERRE

CHAMBRE SOCIALE

ARRÊT N° 53 DU VINGT MARS DEUX MILLE VINGT TROIS

AFFAIRE N° : RG 18/01305 - N° Portalis DBV7-V-B7C-DAOY

Décision déférée à la Cour : Jugement du Conseil de Prud'hommes de Pointe-à-Pitre - section encadrement - du 25 Septembre 2018.

APPELANTE

Madame [Y] [J] [V]

[Adresse 9]

[Adresse 9]

[Localité 7]

Représentée par Maître Chantal BEAUBOIS (Toque 3), avocat au barreau de GUADELOUPE/ST MARTIN/ST BARTH

INTIMÉS

Monsieur [CN] [AL] décédé à [Localité 8] le 13 Septembre 2020

La Lézarde

[Localité 7]

Représenté par Maître Estelle SZWARCBART-HUBERT (SCP MORTON & ASSOCIES), avocat au barreau de GUADELOUPE/ST MARTIN/ST BARTH (Toque 104)

Madame [R] [U] veuve [AL]

[Adresse 3]

[Localité 7]

Représentée par Maître Estelle SZWARCBART-HUBERT (SCP MORTON & ASSOCIES), avocat au barreau de GUADELOUPE/ST MARTIN/ST BART

Madame [S] [AL]

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par Maître Estelle SZWARCBART-HUBERT (SCP MORTON & ASSOCIES), avocat au barreau de GUADELOUPE/ST MARTIN/ST BARTH

Monsieur [O] [AL]

[Adresse 2]

[Localité 5]

Représenté par Maître Estelle SZWARCBART-HUBERT (SCP MORTON & ASSOCIES), avocat au barreau de GUADELOUPE/ST MARTIN/ST BARTH

Ayants droit de M. [CN] [AL] décédé à [Localité 8] le 13 Septembre 2020

CAISSE GENERALE DE SECURITE SOCIALE DE LA GUADELOUPE

[Adresse 10]

[Adresse 10]

[Localité 6]

Représentée par Maître Patrick ADELAIDE (Toque 1), avocat au barreau de GUADELOUPE/ST MARTIN/ST BARTH

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 5 Décembre 2022 , en audience publique, devant la Cour composée de :

Mme Rozenn Le GOFF, conseillère, présidente,

Mme Marie-Josée BOLNET, conseillère,

Madame Annabelle CLEDAT, conseillère.

Les parties ont été avisées à l'issue des débats de ce que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour le 6 mars 2023, date à laquelle le prononcé de l'arrêt a été prorogé au 20 mars 2023.

GREFFIER Lors des débats Valérie Souriant, greffier.

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées conformément à l'article 450 al 2 du code de procédure civile.

Signé par Mme Rozenn Le GOFF, conseillère, présidente et par Mme Valérie Souriant, greffier, à laquelle la décision a été remise par le magistrat signataire.

************

FAITS ET PROCÉDURE

Salariée de la Caisse Générale de Sécurité Sociale de la Guadeloupe depuis le 7 septembre 1981 et Responsable d'Unité depuis le 1er juillet 2006, Mme [Y] [V] a saisi le conseil de prud'hommes de Pointe-à-Pitre par requête du 27 octobre 2016, exposant que le 13 novembre 2014, à l'occasion d'un pot de départ d'un collègue organisé dans les locaux de la CGSS, elle s'est vue asséner par M. [CN] [AL] (également salarié de la CGSS) une violente tape aux fesses, celui-ci ajoutant « tu l'as eu maintenant, j'ai touché » ; qu'elle a dénoncé les faits à ses supérieurs hiérarchiques mais aucune sanction n'a été prise contre M. [CN] [AL], ce qu'elle vit très mal.

Elle demandait en conséquence au conseil de prud'hommes de Pointe-à-Pitre, dans le dernier état de ses écritures, de :

À titre principal,

Dire que les faits reprochés à M. [AL] sont constitutifs de harcèlement sexuel à son encontre

Condamner M. [AL] à 50 000 euros au titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral lié au harcèlement sexuel

Condamner M. [AL] à 2 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile

Condamner M. [AL] aux entiers dépens

Condamner la CGSS à 50 000 euros au titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral lié au harcèlement sexuel

Condamner la CGSS à 50 000 euros au titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice lié au manquement de l'employeur à son obligation de prévention du harcèlement sexuel

Condamner la CGSS à 2 500 euros en application de l'article 700 du Code de Procédure

Civile

Condamner la CGSS aux entiers dépens

À titre subsidiaire,

Dire que les faits reprochés à M. [AL] sont constitutifs d'une agression physique à caractère sexuel

Condamner Mr [AL] à 50 000 euros au titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral lié à l'agression physique à caractère sexuel

Condamner Mr [AL] à 2 500 euros en application de l'article 700 du Code de Procédure Civile

Condamner Mr [AL] aux entiers dépens

Condamner la CGSS à 50 000 euros au titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral lié à l'agression physique à caractère sexuel

Condamner la CGSS à 50 000 euros au titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice lié au manquement de l'employeur à son obligation de prévention des agressions physiques à caractère sexuel

Condamner la CGSS à 2 500 euros en application de l'article 700 du Code de Procédure Civile

Condamner la CGSS aux entiers dépens.

Par jugement du 25 septembre 2018 le conseil de prud'hommes de Pointe-à-Pitre a :

- DIT que seule l'attestation de Mme [K] est conforme au formalisme prescrit par l'article 200 du code de procédure civile

- DIT que les faits reprochés à Mr [CN] [AL] ne sont pas constitutifs de harcèlement sexuel et DÉBOUTÉ Mme [Y] [J] [V] de toutes ses demandes afférentes

- DIT que les faits reprochés à Mr [CN] [AL] n'ont pas pu être démontrés comme étant constitutifs d'agression physique à caractère sexuel et DÉBOUTÉ Mme [Y] [J] [V] de toutes ses demandes afférentes

- DÉBOUTÉ l'ensemble des parties de leurs demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile

- CONDAMNE l'ensemble des parties aux entiers dépens.

Mme [Y] [V] a interjeté appel de ce jugement par déclaration du 10 octobre 2018.

M. [CN] [AL] est décédé le 13 septembre 2020.

Mme [R] [U] veuve [AL], Mme [S] [AL] et M. [O] [AL] sont intervenus volontairement à la procédure ès-qualités d'ayants droit de M. [CN] [AL], selon conclusions notifiées par voie électronique le 25 septembre 2020, .

Les parties ont conclu et l'ordonnance de clôture est intervenue le 15 septembre 2022.

MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Selon ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 15 septembre 2021, Mme [Y] [V] demande à la cour d'INFIRMER la décision du Conseil de Prud'hommes du 25 septembre 2018 ;

Et statuant de nouveau, de :

CONDAMNER La CGSS à lui verser 70.000 euros à titre de dommages et intérêts au titre du manquement à son obligation de sécurité de résultat ;

CONDAMNER M. [CN] [AL] et ses ayants droit à lui verser 5.000 euros à titre de dommages et intérêts subi du fait de l'agression dont il a été l'auteur ;

CONDAMNER solidairement la CGSS et les ayants droit de M. [AL] à lui verser 4.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens ;

DEBOUTER les consorts [AL] et les défendeurs de l'intégralité de leurs demandes.

Selon ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 19 avril 2022, Mme [R] [U] veuve [AL], Mme [S] [AL] et M. [O] [AL], agissant ès-qualités d'ayants droit de M. [CN] [AL], demandent à la cour de :

- CONFIRMER en toutes ses dispositions le jugement rendu par le Conseil de Prud'hommes de Pointe-à-Pitre le 25 septembre 2018 ;

En conséquence,

- JUGER que les faits de harcèlement sexuel allégués ne sont pas établis,

- JUGER que le préjudice résultant des faits de harcèlement sexuel allégué n'est pas établi,

Ainsi,

- DEBOUTER intégralement Mme [V] de ses demandes,

- CONSTATER que Mme [V], par son attitude, leur cause un préjudice moral caractérisé

En conséquence,

- CONDAMNER Mme [V] à leur payer la somme de 30 000 euros à titre de dommages et intérêts.

En tout état de cause :

- CONDAMNER Mme [V] à leur payer la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Selon ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 16 avril 2019, la caisse générale de sécurité sociale demande à la cour de :

Confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions.

Condamner Mme [Y] [V] à lui payer la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

En application de l'article 455 du code de procédure civile, il convient de se reporter aux conclusions des parties pour plus ample exposé de leurs moyens et prétentions.

MOTIFS DE LA DÉCISION

L'article 954 alinéa 3 du code de procédure civile dispose que « La cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n'examine les moyens au soutien de ces prétentions que s'ils sont invoqués dans la discussion. ».

En l'espèce, il apparaît à la lecture du dispositif de ses conclusions que Mme [Y] [V] ne présente plus aucune demande relative à un harcèlement moral, mais reprend à titre principal la demande qu'elle avait formulée à titre subsidiaire en première instance, tendant à voir reconnaître qu'elle a été victime d'une agression sexuelle le 17 novembre 2014, que son employeur, la caisse générale de sécurité sociale de la Guadeloupe, a manqué à son obligation de sécurité de résultat et que tant les ayants droit de M. [CN] [AL] que son employeur doivent réparer son préjudice.

I / Sur l'agression sexuelle

A/ S'agissant de la preuve des faits

L'article 222-22 du code pénal définit l'agression sexuelle comme toute atteinte sexuelle commise avec violence, contrainte, menace ou surprise.

En l'espèce, Mme [Y] [V] reproche à l'un de ses collègues, M. [CN] [AL], de lui avoir donné une violente tape aux fesses lors d'une réunion festive sur leur lieu de travail le 13 novembre 2014

Mme [Y] [V] relate précisément les faits dans une lettre adressée le 17 novembre à Mme [H] [W] [G], Directrice de la DRPPS CGSS GUADELOUPE rédigée comme suit :

«Par la présente, je viens vous relater un fait que je qualifie de très grave et qui s'est produit le jeudi 13 novembre aux environs de 13 h, lors du pot de départ à la retraite de Mme [Z] [X].

Après avoir pris l'apéritif; les agents de la DRP ont voulu faire une photo de groupe avec Mme [X] en souvenir de toutes ces années passées à travailler ensemble.

Nous nous sommes donc rendus dans le hall du 3ème étage de l'immeuble CGRR afin d'effectuer les prises de vue.

A la fin de celles-ci, je me suis dirigée vers la salle de réunion de la DRP où avait lieu la petite fête et, assis à l'entrée de cette salle, se tenait M. [CN] [AL] qui n'avait pas participé aux prises de vue.

M. [AL] ayant touché le bras droit de deux collègues femmes me précédant, me toucha également le bras droit. A ce moment, je lui ai dit « kaw immé touché moun kon sa ».

En réponse, il m'asséna une grosse claque sur la fesse droite et en riant me dit « tu l'as eu maintenant, j'ai touché »

J'ai poussé un cri au milieu de la salle en lui montrant ma main menaçante mais Je suis restée sans réaction car je me sentais humiliée, mortifiée, en même temps je ne voulais pas gâcher la fête de Mme [X] donc, je suis partie me réfugier dans un coin de la pièce en relatant les faits à un collègue contrôleur.

Au moment du repas, comme il me vit m'approcher du buffet, il me présenta des excuses mais je n'ai rien voulu entendre, j'ai refusé ses excuses et l'ai menacé de porter plainte pour harcèlement sexuel. Comme je commençais à m'emporter, une collègue me conseilla de respirer à fond afin de m'apaiser, ce que j'ai fait et l'incident fut clos.

L'attitude de M. [AL] est inqualifiable et dégradante pour moi, Il y a eu violence physique à connotation sexuelle, ce M. s'est octroyé le droit de faire de moi son objet sexuel en m'agressant de la sorte.

Après mûres réflexions, j'ai décidé de ne pas porter plainte auprès des autorités publiques mais je demande, Mme la Directrice, que la Direction Générale soit informée de ce comportement afin que ce M. reçoive un avertissement et ce, dans le but que ce genre d'acte ne se reproduise plus.».

M. [CN] [AL] a été convoqué par lettre du 19 janvier 2015 à un entretien préalable à une éventuelle sanction disciplinaire, au 22 janvier 2015.

Le compte rendu de cet entretien mentionne :

« Rappel des faits par Mme [T] [XO],

Le jeudi 13 novembre 2014 lors d'un pot de départ à la retraite, vous avez eu un geste déplacé envers une de vos collègues. Cette dernière avant été choquée par votre comportement en a informer votre hiérarchie. Aujourd'hui, nous souhaitons connaître votre version des faits.

M.[AL],

je confirme que le 13 novembre 2014, lors du pot de départ à la retraite de Mmc [X], j'ai eu effectivement un geste déplacé vis-à-vis d'une de mes collègues. Nous étions dans une petite salle de réunion aménagée pour 19 personnes et transformée en petite salle de réception, ce jour nous étions environ 22 personnes. Comme tous les autres collègues, j'étais assis et en voulant la taper sur le bras ma main à glisser sur le bas de son dos. En voyant qu'elle était très gênée je lui ai présenté mes excuses et elle m'a répondu que j'avais intérêt sinon elle aurait porté plainte contre moi pour harcèlement sexuel, par la suite afin de ne pas gâcher la fête je me suis éclipsé.

(')

M.[AL],

Je rappelle la configuration de la salle et vous demande de relever l'exiguïté de l'espace dans lequel nous étions. En effet, on pouvait se heurter facilement. De plus, je recevais tous les collègues à l'entrée de la porte, si cela était un geste intentionnel je ne l'aurais pas fait en présence de ma hiérarchie.

Cela fait 30 ans que je suis à la CGSS je pense que vous n'avez relevé aucune plainte dans mon dossier, surtout qu'en ma qualité de contrôleur de sécurité qui travaille avec les entreprises extérieures sur les Risques psychosociaux, je me vois mal pratiquer ce type de comportement.»

M. [CN] [AL] a donc reconnu la matérialité des faits mais les a minimisés en niant leur caractère intentionnel.

La version des faits donnée par Mme [Y] [V] est cependant corroborée par une attestation conforme aux dispositions des articles 200 à 203 du code de procédure civile, émanant de Mme [MM] [F] présente sur les lieux le jour des faits, qui déclare : « J'étais présente dans la salle au moment où Mme [V] [Y] est rentrée dans la salle. M. [AL] y était et je l'ai vu touché le bras de Mme [K] [N]. Lorsque Mme [V] est passé devant lui il lui a fortement tapé les fesses en rajoutant ' Tu l'as eu maintenant, j'ai touché' Mme [V] a crié et la surprise je suppose plus la gêne l'ont laissé sans réaction à part une main menaçante montrée à ce dernier ».

Cette attestation établit le caractère intentionnel du geste dirigé vers les fesse de Mme [V] et donc son caractère sexualisé.

Mme [Y] [V] produit en outre un certain nombre d'attestations émanant de collègues qui, sans avoir assisté aux faits, relatent en avoir été informés, notamment :

- M. [P] : « Je n'ai pas assisté directement au fait, j'étais au fond de la salle m'occupant de la musique. A un certain moment, une collègue me dit, ' tu as vu ce qui s'est passé ' ' [CN] a tapé [Y] sur les fesses ... J'ai su que Mme [V] était très perturbée »

- Mme [K] : « j'ai entendu Mme [V] pousser un cri »

Au vu de ces éléments, la cour considère que l'agression sexuelle est établie.

Le jugement entrepris sera infirmé en ce qu'il a statué en sens contraire.

B / S'agissant de la réparation du préjudice

Mme [Y] [V] expose que les agissements de M. [AL] ont eu pour effet de la placer dans une situation offensante et humiliante, qui a fortement affecté sa santé tant physique que morale ; qu'elle a été placée en arrêt de travail pour maladie à de nombreuses reprises et a fait les frais d'une pathologie anxio-dépressive constatée par son médecin.

Mme [Y] [V] produit à cet égard 5 arrêts de travail :

- 29 novembre 2017 au 18 décembre 2017 en arrêt initial (Pièce 24)

- 18 décembre 2017 au 13 janvier 2018 (Pièce 25)

- 14 janvier 2018 au 13 février 2018 (Pièce 26)

- 15 février 2018 au 14 avril 2018 (Pièce 27)

- 15 avril 2018 au 14 octobre 2018 (Pièce 28)

Mme [Y] [V] ne démontre pas que ces arrêts de travail seraient en relation de causalité directe et certaine avec l'incident survenu le 13 novembre 2014.

Pour autant, il ressort des attestations versées aux débats, émanant de ses collègues (Mme [A] [E], Mme [L] [M], Mme [I] [D], M.[B] [P] et Mme [JF] [C]) que Mme [Y] [V] a été profondément choquée par cet incident qui l'a déstabilisée.

Il convient de condamner Mme [R] [U] veuve [AL], Mme [S] [AL] et M. [O] [AL], agissant ès-qualités d'ayants droit de M. [CN] [AL], à payer à Mme [Y] [V] la somme de 1000 euros à titre de dommages-intérêts pour le préjudice moral lié à l'humiliation qu'elle a subie.

La demande reconventionnelle de Mme [R] [U] veuve [AL], Mme [S] [AL] et M. [O] [AL], agissant ès-qualités d'ayants droit de M. [CN] [AL], sera rejetée.

II / Sur la responsabilité de la Caisse Générale de Sécurité Sociale de la Guadeloupe

L'article L 4121-1 du code du travail oblige l'employeur à prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.

Il est de jurisprudence constante que l'obligation patronale de protection de la santé et de la sécurité est méconnue lorsque l'employeur, averti de la situation de danger, s'est abstenu de mettre fin de garantir la santé physique et morale d'un salarié agressé.

En l'espèce, il est établi par les pièces du dossier que :

- Mme [Y] [V] a alerté verbalement sa hiérarchie dès le 14 novembre 2014 puis par écrit le 17 novembre 2014 et avisé le directeur la caisse générale de sociale par lettre du 24 décembre 2014 ;

- l'employeur a attendu deux mois avant d'engager une procédure disciplinaire ;

- l'employeur n'a pas tenu sa salariée informée des suites réservées à son signalement, de sorte que l'intéressée a dû saisir le CHSCT par lettre du 9 mars 2016 pour connaître le sort de sa plainte ;

- la procédure disciplinaire n'a abouti à aucune sanction de M. [AL] de sorte que celui-ci s'est permis de la traiter Mme [Y] [V] de harceleuse et de l'assigner en cette qualité devant le conseil de prud'hommes de Pointe-à-Pitre qui l'a condamnée au paiement de dommages-intérêts pour harcèlement moral (décision infirmée par un arrêt de la cour de céans en date du 16 mai 2022).

La cour d'appel considère, au vu de l'ensemble de ces éléments, que l'employeur a manqué à son obligation de réactivité face à l'agression dénoncée par Mme [Y] [V], et que son manquement a aggravé le préjudice subi par la salariée.

Il y a lieu de condamner la caisse générale de sécurité sociale à payer Mme [Y] [V] la somme de 1000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice moral.

Le jugement entrepris sera infirmé en ce qu'il a rejeté la demande.

III / Sur l'application de l'article 700 du code de procédure civile

Il convient de condamner in solidum les consorts [AL] et la Caisse Générale de Sécurité Sociale de la Guadeloupe, parties perdantes du procès, à payer à Mme [Y] [V], sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, une somme qu'il apparaît équitable de fixer à 2 000 euros ainsi qu'aux entiers dépens de 1ère instance et d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement par mise à disposition au greffe, contradictoirement et en dernier ressort,

Infirme le jugement du conseil de prud'hommes de Pointe-à-Pitre en date du 25 septembre 2018 en ce qu'il a :

DIT que les faits reprochés à Mr [CN] [AL] n'ont pas pu être démontrés comme étant constitutifs d'agression physique à caractère sexuel et DÉBOUTÉ Mme [Y] [J] [V] de toutes ses demandes afférentes

DÉBOUTÉ l'ensemble des parties de leurs demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile

CONDAMNÉ l'ensemble des parties aux entiers dépens ;

Statuant à nouveau,

Dit que Mme [Y] [V] a été victime de faits constitutifs d'agression physique à caractère sexuel commis par M. [CN] [AL] le 13 novembre 2014 ;

Condamne Mme [R] [U] veuve [AL], Mme [S] [AL] et M. [O] [AL], agissant ès-qualités d'ayants droit de M. [CN] [AL], à payer à Mme [Y] [V] la somme de 1000 euros à titre de dommages-intérêts ;

Condamne la caisse générale de sécurité sociale de la Guadeloupe impayé à Mme [Y] [V] la somme de 1000 euros à titre de dommages-intérêts ;

Condamne in solidum la Caisse Générale de Sécurité Sociale de la Guadeloupe et Mme [R] [U] veuve [AL], Mme [S] [AL], M. [O] [AL], ès-qualités d'ayants droit de M. [CN] [AL], à payer à Mme [Y] [V] la somme de 2000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne in solidum la Caisse Générale de Sécurité Sociale de la Guadeloupe et Mme [R] [U] veuve [AL], Mme [S] [AL], M. [O] [AL], ès-qualités d'ayants droit de M. [CN] [AL], aux dépens de première instance et d'appel ;

Rejette le surplus des demandes plus amples ou contraires.

Le greffier, La présidente,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Basse-Terre
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 18/01305
Date de la décision : 20/03/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-03-20;18.01305 ?
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