COUR D'APPEL DE BASSE-TERRE
2ème CHAMBRE CIVILE
ARRÊT N° 73 DU 09 FEVRIER 2023
N° RG 21/01205
N° Portalis DBV7-V-B7F-DMEG
Décision déférée à la cour : jugement du tribunal d'instance de Pointe-à-Pitre en date du 31 août 2021, dans une instance enregistrée sous le n° 11-21-000643.
APPELANTE :
S.A. Société Immobilière de la Guadeloupe ( SIG)
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représentée par Me Betty Naejus, de la SCP Naejus-Hildebert, avocate au barreau de Guadeloupe, Saint-Martin et Saint-Barthélémy.
INTIMES :
Madame [H] [L]
[Adresse 4]
[Localité 3]
Non représentée
Monsieur [I] [L]
[Adresse 4]
[Localité 3]
Non représenté
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions de l'article 799 alinéa 3 du code de procédure civile, le conseiller de la mise en état, a autorisé les avocats à déposer leur dossier au greffe de la chambre civile jusqu'au 28 novembre 2022 à 10 heures.
Par avis du 28 novembre 2022, le président a informé les parties que l'affaire était mise en délibéré devant la chambre civile de la cour composé de :
Monsieur Frank Robail, présidente de chambre,
Madame Annabelle Clédat, conseillère,
Monsieur Thomas Habu Groud, conseiller,
qui en ont délibéré.
Par avis du greffe du même jour, les parties ont été avisés de ce que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe le 27 février 2023, en suite de quoi ce délibéré, par un avis distinct, a été avancé au 1er février 2023.
Le 1er février 2023, les parties ont été informées de la prorogation de ce délibéré au 9 février 2023.
GREFFIER lors du dépôt des dossiers et du prononcé : Mme Armélida Rayapin.
ARRET :
- Par défaut, prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été prélablement avisés conformément à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.
- Signé par M.Frank Robail, président de chambre et par Mme Armélida Rayapin, greffier, à laquelle la déision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS ET PROCEDURE
Se prévalant d'un bail d'habitation verbal, à effet au 1er août 2017, conclu avec Mme [H] [L] et M. [I] [L] moyennant un loyer de 528,01 euros, la société immobilière de la Guadeloupe (ci-après désignée « la SIG ») a fait délivrer à Mme et M. [L], par acte d'huissier en date du 4 décembre 2019, un commandement de payer des loyers d'un montant de 6 521,80 euros.
Par acte d'huissier du 23 mars 2021, la société immobilière de la Guadeloupe (ci-après dénommée 'la SIG') a assigné Mme [H] [L] et M. [I] [L] devant le tribunal judiciaire de Pointe à Pitre, afin de voir, avec exécution provisoire :
- prononcer la résiliation du bail conclu entre elle, bailleresse et Mme [H] [L] et M. [I] [L], locataires,
- ordonner l'expulsion des locataires et tous occupants de leur chef, au besoin avec le concours de la force publique et d'un serrurier,
- condamner Mme [H] [L] et M. [I] [L] au paiement solidaire des sommes suivantes :
- 12 786,63 euros au titre des loyers et charges impayés sous bénéfice de l'actualisation à l'audience,
- à compter de la date de résiliation du bail, une indemnité d'occupation mensuelle correspondant au montant du loyer tel qu'il aurait dû être perçu si le bail n'avait pas été résilié, augmenté des charges, jusqu'à la libération effective des lieux,
- la somme de 555,50 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- les entiers dépens, en ce compris le coût du commandement de payer.
Par jugement du 31 août 2021, le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Pointe-à-Pitre a :
rejeté la demande de résiliation judiciaire,
rejeté la demande d'expulsion,
rejeté la demande de condamnation au paiement des arriérés locatifs,
rejeté la demande en paiement d'une indemnité d'occupation,
rejeté la demande en paiement des frais irrépétibles,
condamné la SIG aux dépens,
écarté l'application de l'exécution provisoire.
La SIG a interjeté appel de cette décision par déclaration remise au greffe de la cour par voie électronique le 27 novembre 2021, en limitant son appel aux chefs de jugement par lesquels le tribunal a rejeté ses demandes de résiliation judiciaire, d'expulsion, de condamnation au paiement des arriérés locatifs et aux frais irrépétibles, l'a condamnée aux dépens et a écarté l'exécution provisoire ;
Le 26 janvier 2022, la SIG a fait signifier sa déclaration d'appel à M. [I] [L] et à Mme [H] [L] en réponse à l'avis du 14 janvier 2022 donné par le greffe. Ces significations ont été faites par dépôt à l'étude d'huissier.
Les intimés n'ont pas constitué avocat. Le présent arrêt sera donc rendu par défaut.
Par acte d'huissier en date du 21 mars 2022, la SIG a fait signifier aux intimés ses conclusions d'appel. La signification a été faite à personne pour M. [I] [L] et par procès-verbal de recherches infructueuses à l'égard de Mme [H] [L].
L'ordonnance de clôture est intervenue le 3 octobre 2022 et l'affaire a été fixée à l'audience du 28 novembre 2022, date à laquelle la décision a été mise en délibéré au 27 février 2023, ce délibéré ayant ensuite été ramené au 1er février 2023. A cette date, l'appelante a été avisée par le greffe, par voie électronique, de la prorogation de ce délibéré à ce jour.
PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
La SIG, appelante :
Vu les dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 25 février 2022 par lesquelles l'appelante demande à la cour de :
- déclarer les demandes de la SIG recevables et fondées,
- infirmer le jugement du 31 août 2021, en ce qu'il a rejeté les demandes de la SIG visant :
- au prononcé de la résiliation du contrat de bail,
- au paiement des arriérés de loyers et charges,
- à l'expulsion de Mme [H] [L] et M. [I] [L],
- au versement d'une indemnité d'occupation,
- au paiement d'une somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
et en ce qu'il a condamné la SIG aux dépens et dit n'y avoir lieu à exécution provisoire.
Par conséquent,
- prononcer la résiliation du bail conclu entre la SIG et Mme [H] [L] et M. [I] [L],
- ordonner l'expulsion de Mme [H] [L] et M. [I] [L], des lieux qu'ils occupent à la [Adresse 4], ainsi que de tous occupants vivants dans les lieux de leur chef, en la forme ordinaire et avec l'assistance d'un serrurier et le concours de la force publique si besoin est,
- dire qu'il sera également fait application des dispositions réglementaires R. 153-1 quant à la force publique,
- condamner Mme [H] [L] et M. [I] [L] à payer à la SIG la somme de 21256,38 euros au titre des loyers et charges impayés arrêtés au 31 janvier 2022,
- condamner Mme [H] [L] et M. [I] [L] à payer à la SIG une indemnité d'occupation mensuelle correspondant au montant du loyer de la date de la résiliation du bail, jusqu'à la complète libération des lieux et remise des clés,
- condamner Mme [H] [L] et M. [I] [L] à verser à la SIG la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner Mme [H] [L] et M. [I] [L] aux entiers dépens qui comprendront notamment les frais du commandement de payer délivré le 27 novembre 2019.
En application de l'article 455 du code de procédure civile, il convient de se reporter aux dernières conclusions de l'appelante pour un exposé détaillé de ses prétentions et moyens.
MOTIFS DE L'ARRET
A titre liminaire, il convient de rappeler que conformément aux dispositions de l'article 472 du code de procédure civile, lorsque l'intimé ne comparaît pas et qu'il est néanmoins statué sur le fond, la cour ne peut faire droit à la demande que dans la mesure où elle l'estime régulière, recevable et bien fondée.
Par ailleurs, il importe de constater qu'il ne résulte d'aucun des éléments du dossier que l'appel formé à l'encontre du jugement déféré ne l'aurait pas été dans les délais de la loi. Il sera donc jugé à cet égard recevable.
En outre, en vertu de l'article 24-II de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989, les bailleurs personnes morales autres qu'une société civile constituée exclusivement entre parents et alliés jusqu'au quatrième degré inclus ne peuvent faire délivrer, sous peine d'irrecevabilité de la demande, une assignation aux fins de constat de résiliation du bail avant l'expiration d'un délai de deux mois suivant la saisine de la commission de coordination des actions de prévention des expulsions locatives prévue à l'article 7-2 de la loi no 90-449 du 31 mai 1990 précitée. Cette saisine est réputée constituée lorsque persiste une situation d'impayés, préalablement signalée dans les conditions réglementaires aux organismes payeurs des aides au logement en vue d'assurer le maintien du versement des aides mentionnées
L'article 24-III de la même loi dispose qu'à peine d'irrecevabilité de sa demande, l'assignation en résiliation délivrée par le bailleur doit aussi être notifiée au préalable à la diligence de l'huissier au préfet afin qu'il puisse alerter les services sociaux compétents pour mettre au point les aides susceptibles d'être apportées au preneur.
En l'espèce, la SIG justifie avoir notifié à la CAF, par courrier en date du 14 août 2020, la situation d'impayés de M. et Mme [L], bénéficiaires de l'allocation logement. De même, l'appelante justifie avoir notifié au préfet sa demande de résiliation.
Par conséquent, l'action de l'appelante est recevable.
Sur le bail
En vertu de l'article 1715 du code civil, si le bail fait sans écrit n'a encore reçu aucune exécution, et que l'une des parties le nie, la preuve ne peut être reçue par témoins, quelque modique qu'en soit le prix, et quoiqu'on allègue qu'il y a eu des arrhes données.
Par une lecture a contrario de cette disposition, la jurisprudence décide qu'en cas de commencement d'exécution, le bail peut être prouvé par présomptions ou témoins.
Le commencement d'exécution suppose, de la part de celui qui s'en prévaut, non seulement l'exercice des droits mais aussi l'accomplissement des obligations découlant du bail prétendu. Sa preuve peut être administrée par tous moyen.
Lorsque le commencement d'exécution a été établi, la preuve du bail ne peut résulter de la simple occupation des lieux, dès lors qu'elle suppose, de la part de celui qui s'en prévaut, aussi bien l'accomplissement des obligations que l'exercice des droits découlant du prétendu bail. Mais, l'existence d'un contrat de bail moyennant un loyer peut être établie par l'attribution d'une allocation logement et par des attestations.
En l'espèce, la SIG verse un état des lieux en date du 12 juillet 2017 ayant pour objet un appartement situé au à [Localité 3] portant la signature de Mme [H] [L]. De plus, par un document intitulé « visite commerciale », Mme [L] a accepté la proposition d'attribution de ce logement.
En outre, comme l'a justement relevé le premier juge, il ressort du décompte produit par la SIG que M. et Mme [L] ont commencé à exécuter le contrat de bail allégué en versant régulièrement des sommes au bailleur à compter de leur entrée dans les lieux le 1er août 2017. De même, ce document mentionne que des allocations de logement ont été régulièrement versées au bailleur.
A ces motifs pertinents de la décision déférée que la cour adopte, il faut ajouter que l'occupation du bien par M. et Mme [L] est également démontrée par la délivrance à personne du commandement de payer à M. [L] ainsi que par les indications données par le voisinage lors de la remise à domicile de l'assignation en date du 23 mars 2021.
Cet ensemble d'éléments établit l'existence du bail liant la SIG à M. et Mme [L] depuis le 1er août 2017.
La décision entreprise sera donc confirmée de ce chef.
Sur le loyer
S'agissant de la preuve du loyer d'un bail oral, l'article 1716 du code civil précise que les seuls modes de preuves admissibles sont les quittances, le serment du bailleur ou, si le locataire le préfère, l'estimation par experts.
Ces règles dérogatoires au droit commun de la preuve ont pour conséquence qu'aucun autre mode de preuve n'est recevable pour établir le loyer d'un bail.
En outre, l'article 21 de la loi du 6 juillet 1989 dispose que la quittance porte le détail des sommes versées par le locataire en distinguant le loyer et les charges.
En l'espèce, l'appelante verse aux débats un décompte au 19 septembre 2022 dont elle déduit que les parties se sont entendues, après l'état des lieux, pour fixer le loyer au début de la location à la somme de 528,01 euros.
Ce raisonnement pêche en ce qu'il s'appuie sur un document qui ne constitue pas une quittance de loyer.
En effet, le décompte qui ne brille pas par son intelligibilité, comporte trois colonnes de chiffres. Il indique des versements en espèces et par carte bleue de différents montants. Il comporte aussi la liste de ce qui paraît être des loyers dus ainsi que quelques régularisations de charges. En tout état de cause, quelles que soient les informations révélées par cette pièce, elle ne répond pas à la définition précitée de la quittance de loyer. Dès lors, ce décompte n'est pas admissible pour établir le prix du bail verbal litigieux.
La SIG verse également aux débats un relevé de compte arrêté au 30 septembre 2018 qui mentionne que le montant du loyer est de 529,26 euros. Il est précisé sur cette pièce : « ce relevé vaut quittance pour les mois payés, vos paiements s'imputent en priorité sur les quittancements les plus récents ». Il y est aussi indiqué deux versements respectivement de 2 000 euros et de 180 euros, ainsi que deux mensualités de 529,26 euros pour les mois d'août et de septembre 2018. Aucune distinction n'est néanmoins opérée entre les loyers et les charges.
Ce relevé indique aussi que le montant total à payer avant le 30 du mois en cours est de 867,49 euros. Cette dernière mention traduit le fait que, malgré sa dénomination, ce relevé n'est pas une quittance. Il s'agit d'un avis d'échéances qui, sous réserve du règlement intégral, tient lieu de quittance.
Dès lors, ce document n'est pas plus recevable que le décompte précédemment analysé pour prouver le montant du loyer.
Malgré l'ancienneté de la relation contractuelle avec les époux [L] qui a débuté en août 2017, la SIG, bailleur professionnel, n'est pas en mesure de produire une quittance de loyer.
Surabondamment, il sera relevé que l'appelante affirme que les parties au contrat de bail litigieux se sont entendues pour faire évoluer annuellement le loyer initial.
Or, sauf au bailleur à démontrer l'existence d'un accord avec le locataire, le caractère verbal du bail exclut toute clause de révision.
En l'espèce, un tel accord ne peut résulter de ce que les locataires aient payé le montant du loyer initial majoré d'une certaine augmentation annuelle, faute pour la SIG d'établir que M. et Mme [L] aient payé en connaissance de cause.
La SIG étant dans l'incapacité de prouver le loyer du bail verbal, il s'ensuit que les locataires ne peuvent se voir reprocher un manquement à leurs obligations de le payer.
Conséquemment, les demandes de résiliation du bail, d'expulsion et d'indemnité d'occupation seront rejetées.
La décision entreprise sera donc confirmée en toutes ses dispositions.
Par ailleurs, la SIG, succombant en son appel, sera condamnée aux entiers dépens de l'instance d'appel et sa demande au titre des frais irrépétibles sera rejetée.
La décision déférée sera également confirmée quant aux dépens mis à la charge de la SIG.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Déclare recevable l'appel de la société immobilière de la Guadeloupe,
Confirme la décision déférée en toutes ses dispositions critiquées,
Y ajoutant,
Condamne la société immobilière de la Guadeloupe aux entiers dépens d'appel,
Rejette la demande de la société immobilière de la Guadeloupe au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Et ont signé,
La greffière Le président