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19/12/2022 | FRANCE | N°20/003341

France | France, Cour d'appel de Basse-Terre, 04, 19 décembre 2022, 20/003341


VS/RLG

COUR D'APPEL DE BASSE-TERRE

CHAMBRE SOCIALE
ARRÊT No 197 DU DIX NEUF DECEMBRE DEUX MILLE VINGT DEUX

AFFAIRE No RG 20/00334 - No Portalis DBV7-V-B7E-DG34

Décision déférée à la Cour : Jugement du Conseil de Prud'hommes de BASSE-TERRE du 4 février 2020 -Section Industrie -

APPELANTE

S.A.R.L. OP'TIT PAINS
[Adresse 2]
[Localité 1]
Représentée par Maître Socrate-Pierre TACITA (Toque 92), avocat au barreau de GUADELOUPE/ST MARTIN/ST BART

INTIMÉ

Monsieur [E] [L]
Section Lacoque
[Localité 1]
Représenté pa

r Maître Frédérique LAHAUT de la SELARL FILAO AVOCATS (Toque 127), avocat au barreau de GUADELOUPE/ST MARTIN/ST BART

COMPOSITION D...

VS/RLG

COUR D'APPEL DE BASSE-TERRE

CHAMBRE SOCIALE
ARRÊT No 197 DU DIX NEUF DECEMBRE DEUX MILLE VINGT DEUX

AFFAIRE No RG 20/00334 - No Portalis DBV7-V-B7E-DG34

Décision déférée à la Cour : Jugement du Conseil de Prud'hommes de BASSE-TERRE du 4 février 2020 -Section Industrie -

APPELANTE

S.A.R.L. OP'TIT PAINS
[Adresse 2]
[Localité 1]
Représentée par Maître Socrate-Pierre TACITA (Toque 92), avocat au barreau de GUADELOUPE/ST MARTIN/ST BART

INTIMÉ

Monsieur [E] [L]
Section Lacoque
[Localité 1]
Représenté par Maître Frédérique LAHAUT de la SELARL FILAO AVOCATS (Toque 127), avocat au barreau de GUADELOUPE/ST MARTIN/ST BART

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 5 septembre 2022, en audience publique, devant la Cour composée de :

Mme Rozenn Le Goff, conseillère, présidente,
Mme Marie-Josée Bolnet, conseillère,
Mme Annabelle Clédat, conseillère,

Les parties ont été avisées à l'issue des débats de ce que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour le 7 novembre 2022, date à laquelle le prononcé de l'arrêt a été prorogé au 19 décembre 2022.

GREFFIER Lors des débats : Mme Lucile Pommier, greffier principal.

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées conformément à l'article 450 al 2 du code de procédure civile. Signé par Mme Rozenn Le Goff, conseillère, présidente, et par Mme Valérie Souriant, greffier, à laquelle la décision a été remise par le magistrat signataire.

******

FAITS ET PROCÉDURE

M. [E] [L] a été recruté par la SARL Op'tit pains en qualité de boulanger, suivant contrat de travail du 17 avril 2012 pour une durée déterminée de 3 mois, moyennant une rémunération brute mensuelle de 1.700,00 euros pour 35 heures par semaine.

La relation de travail s'est poursuivie par la signature d'un contrat à durée indéterminée en date du 1er mars 2013, en qualité de pâtissier, moyennant une rémunération brute mensuelle de 1.787,09 euros pour 35 heures par semaine.

M. [E] [L] a pris acte de la rupture de son contrat de travail par courrier en date du 18 octobre 2017.

Sollicitant la requalification de sa prise d'acte en licenciement sans cause réelle et sérieuse, M. [E] [L] a saisi le conseil de prud'hommes de Basse-Terre par requête du 17 octobre 2018 afin d'obtenir le paiement de diverses sommes en lien avec l'exécution et la rupture de son contrat de travail.

Par jugement du 4 février 2020, le conseil de prud'hommes de Basse-Terre a :
DIT que la rupture du contrat de travail de M. [E] [L], repose sur un abandon de poste ;
DIT que la prise d'acte de la rupture du contrat de travail pour manquement de l'employeur n'est pas justifiée ;
DIT que les demandes formulées par M. [E] [L], sont régulières et les reçoit ;
CONDAMNÉ la SARL Op'tit pains, en la personne de son représentant légal, à payer à
M. [E] [L] les sommes suivantes :
- 13.883,46 euros au titre de dommages-intérêts pour travail dissimulé ;
- 1.000,00 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile
DÉBOUTÉ M. [E] [L] du surplus de ses demandes ;
CONDAMNÉ la SARL Op'tit pains, en la personne de son représentant légal, aux entiers dépens ;
DIT que les rémunérations et indemnités mentionnées à l'article R 1454-14 du Code du Travail, dans la limite de neuf mois de salaire calculés sur la moyenne des trois derniers mois de salaire sont de droits exécutoires en application de l'article R 1454-28 du Code du Travail, la moyenne des trois derniers mois s'élevant à 2.313,91 Euros.

Par déclaration du 7 avril 2020, la SARL Op'tit pains a interjeté appel de ce jugement qui lui a été notifié le 11 mars 2020.

Les parties ont conclu et l'ordonnance de clôture est intervenue le 30 juin 2022.

MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Selon ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 19 novembre 2021, la SARL Op'tit pains demande à la cour de :
- Déclarer son appel recevable et bien fondé
- Réformer le jugement en ce qu'il a accordé à M. [L] la somme de 13 883,46 euros pour travail dissimulé
CONCERNANT L'APPEL INCIDENT
- Déclarer injustifiées toutes les prétentions de M. [L]
- Débouter M. [L] de toutes ses demandes, fins et conclusions
- Condamner M. [L] à lui verser la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens d'instance et d'appel.

La SARL Op'tit pains expose, en substance, que :
- par courrier du 23 Mai 2017 M [L] lui a fait connaître son souhait de mettre fin au contrat de travail par rupture conventionnelle ; elle lui a répondu par courrier du 12 Juin qu'elle ne pouvait donner tout de suite une réponse favorable à cette demande mais que la question pourra faire l'objet d'un entretien plus tard pour arrêter une décision de commun accord ; dans la foulée, M. [L] a cessé de venir à son poste de travail et n'a donné aucun signe de vie, sauf par courrier du 17 Juin 2017 pour dire qu'il avait quitté définitivement et donc rompu le contrat de travail ; quatre mois se sont écoulés après cette lettre sans aucune nouvelle de M. [L] car c'est seulement le 18 Octobre 2017 que M. [L] lui a adressé un courrier recommandé pour annoncer « qu'il prend acte de la rupture de son contrat de travail » et qu'il va demander des indemnités en raison d'une prétendue dégradation de ses conditions de travail ; il est donc parfaitement établi qu'il y a eu un abandon de poste depuis le 17 Juin 2017 : c'est une rupture unilatérale résultant de la seule volonté de M. [L], il s'agit d'une faute grave ;
- M. [L] ne rapporte aucunement la preuve d'une prétendue dégradation de ses conditions de travail ;
- l'appel incident est injustifié : il n'y a aucune preuve de harcèlement, d'atteinte à la santé ni de manquement à une quelconque obligation de résultat.

Selon ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 3 mai 2021, M. [E] [L] demande à la cour de :
A TITRE LIMINAIRE
DIRE qu'elle n'est saisie d'aucune demande ;
SUR LE FOND
FIXER la moyenne des salaires des 3 derniers mois ou 12 derniers mois de M. [L] au montant de 2 313,91 euros ;
DIRE irrecevables les conclusions no 2 notifiées par l'appelante, sur le principe de la concentration des moyens ;
CONFIRMER le jugement querellé en ce qu'il a dit que les demandes formulées par devant le Conseil de prud'hommes sont régulières ;
INFIRMER le jugement querellé en ce qu'il a dit que la rupture du contrat de travail repose sur un abandon de poste ;
INFIRMER le jugement querellé en ce qu'il a dit que la prise d'acte de la rupture du contrat de travail pour manquement de l'employeur n'est pas justifiée ;
CONFIRMER le jugement querellé en ce qu'il a condamné la SARL Op'tit pains, en la personne de son représentant légal, à lui payer :
o 13 883.46 euros au titre de dommages-intérêts pour travail dissimulé ;
Et celle de :
o 1 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Et statuant à nouveau :
DIRE que la prise d'acte de la rupture du contrat de travail pour manquement de l'employeur est justifiée et qu'elle produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
CONDAMNER la SARL Op'tit pains, en la personne de son représentant légal à lui payer les sommes suivantes :
o 22 946,27 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
o 3 278,04 euros au titre de l'indemnité légale de licenciement ;
o 4 627,82 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, outre le montant de 462,78 euros correspondant aux congés payés afférents au préavis ;
o 2 351,80 euros au titre de l'indemnité de congés payés ;
o 6 941,73 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral ;
o 2 313,91 euros à titre de dommages et intérêts pour non-respect de l'obligation de sécurité de résultat ;
o 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens, en cause d'appel.

M. [E] [L] expose, en substance, que :
- les conclusions no 1 de l'appelante communiquées le 3 juillet 2020 ne respectent pas les dispositions de l'article 954 du code de procédure civile; la SARL Op'tit pains a, dans ses conclusions d'appelant no 2 notifiées le 28 janvier 2021, tenté de régulariser ses écritures quant au respect de l'article 954 du code de procédure civile mais ces conclusions sont irrecevables au regard des dispositions de l'article 910-4 du code de procédure civile ; la cour n'est donc saisie d'aucune demande ;
- la SARL Op'tit pains le sollicitait abusivement, lui demandant de se rendre au travail durant ses jours de repos en sus des heures supplémentaires qu'il effectuait déjà les autres jours ;
- la SARL Op'tit pains a méconnu son obligation de sécurité de résultat en s'abstenant de prévenir la survenance de tels événements et pire encore, en contribuant délibérément, par ses agissements, à dégrader ses conditions de travail ;
- il accomplissait de nombreuses heures supplémentaires en l'absence de toute contrepartie financière ;
- l'employeur, qui n'a jamais fait apparaître aucune de ces heures sur les bulletins de salaire et par conséquent ni sur les déclarations relatives aux salaires et cotisations sociales lui incombant, s'est rendu coupable de travail dissimulé.
- en raison de tous les manquements dont l'employeur s'est rendu auteur, la prise d'acte doit être requalifiée en licenciement sans cause réelle et sérieuse.

En application de l'article 455 du code de procédure civile, il convient de se référer aux conclusions des parties pour plus ample exposé de leurs moyens et prétentions.

MOTIFS DE LA DECISION

I / Sur la demande tendant à voir juger que la cour n'est saisie d'aucune demande

L'article 954 du code de procédure civile dispose que : « Les conclusions d'appel contiennent, en en-tête, les indications prévues à l'article 961. Elles doivent formuler expressément les prétentions des parties et les moyens de fait et de droit sur lesquels chacune de ces prétentions est fondée avec indication pour chaque prétention des pièces invoquées et de leur numérotation. Un bordereau récapitulatif des pièces est annexé. Les conclusions comprennent distinctement un exposé des faits et de la procédure, l'énoncé des chefs de jugement critiqués, une discussion des prétentions et des moyens ainsi qu'un dispositif récapitulant les prétentions. Si, dans la discussion, des moyens nouveaux par rapport aux précédentes écritures sont invoqués au soutien des prétentions, ils sont présentés de manière formellement distincte. La cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n'examine les moyens au soutien de ces prétentions que s'ils sont invoqués dans la discussion. Les parties doivent reprendre, dans leurs dernières écritures, les prétentions et moyens précédemment présentés ou invoqués dans leurs conclusions antérieures. A défaut, elles sont réputées les avoir abandonnés et la cour ne statue que sur les dernières conclusions déposées. La partie qui conclut à l'infirmation du jugement doit expressément énoncer les moyens qu'elle invoque sans pouvoir procéder par voie de référence à ses conclusions de première instance. La partie qui ne conclut pas ou qui, sans énoncer de nouveaux moyens, demande la confirmation du jugement est réputée s'en approprier les motifs.»

M. [E] [L] expose, en substance, que :
- les conclusions no 1 de l'appelante communiquées le 3 juillet 2020 ne respectent en aucun cas les dispositions de cet article ;
- l'appelante ne fait pas état de la parfaite identité des parties,
- l'appelante ne reprend pas dans ses écritures l'énoncé des chefs de jugement critiqués,
- elle se contente, dans son dispositif, de solliciter la réformation du jugement sans même y préciser les chefs du jugement qu'elle entend voir infirmer ;
- l'appelante fait mention de rappels de moyens dans le dispositif de ses conclusions mais en aucun cas de prétentions ;
- la SARL Op'Tit pains a, dans ses conclusions d'appelant no 2 notifiées le 28 janvier 2021, tenté de régulariser ses écritures quant au respect de l'article 954 du Code de Procédure Civile.
Cependant même si elle a tenté de régulariser ses écritures en y mentionnant l'énoncé des chefs de jugement critiqués, et de développer un peu plus ses demandes dans son dispositif, ce deuxième jeu de conclusions ne pourra qu'être écarté des débats sur le principe de la concentration de moyens.

Il résulte effectivement des articles 542 et 954 du code de procédure civile que lorsque l'appelant ne demande dans le dispositif de ses conclusions, ni l'infirmation des chefs du dispositif du jugement dont il recherche l'anéantissement ni l'annulation du jugement, la cour d'appel ne peut que confirmer le jugement.

Il convient cependant de rappeler ici que par un arrêt du 17 septembre 2020 (Civ.2e no18-23.626), la Cour de cassation a jugé que l'application immédiate de la règle de procédure exposée plus haut, « qui résulte de l'interprétation nouvelle d'une disposition au regard de la réforme de la procédure d'appel avec représentation obligatoire issue du décret no 2017-891 du 6 mai 2017 et qui n'a jamais été affirmée par la Cour de cassation dans un arrêt publié, dans les instances introduites par une déclaration d'appel antérieur à la date du présent arrêt, aboutirait à priver les appelants du droit à un procès équitable.» ; qu'il n'y a lieu d'appliquer cette règle que dans les instances introduites par une déclaration d'appel postérieure au 17 septembre 2020.

En l'espèce, la déclaration d'appel étant antérieure au 17 septembre 2020, la règle énoncée par l'intimé ne s'applique pas.

Il est donc sans incidence que les 1ères conclusions de la SARL Op'tit pains aient été régularisées ultérieurement.

Dès lors que des prétentions figurent dans le dispositif, le concluant ne peut se voir reprocher d'y avoir ajouté des demandes qui ne constituent que la reprise de ses moyens (donner acte, constater).

Par suite, les moyens tirés du non respect des articles 954 et 910-4 du code de procédure civile doivent être écartés.

II / Sur le harcèlement moral et le non-respect de l'obligation de sécurité

Aux termes des articles L.1152-1 et L.1152-2 du code du travail aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

L'article L.1154-1 du même code prévoit lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L.1152-1 à L.1152-3 et L.1153-1 à L.1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié établit des faits qui permettent de présumer ou, suivant la version modifiée par la loi no2016-1088 du 8 août 2016, laissent supposer l'existence d'un harcèlement et il incombe alors à l'employeur, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer ou, suivant la version modifiée par la loi no2016-1088 du 8 août 2016, laissent supposer l'existence d'un harcèlement moral.

Il convient donc d'examiner tour à tour chacun des manquements que M. [E] [L] impute à son employeur et de vérifier dans un premier temps, si le salarié établit la matérialité des faits qu'il invoque, puis dans un second temps, d'analyser les faits établis dans leur ensemble afin de déterminer, compte tenu de leur temporalité, s'ils permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral.

En l'espèce, M. [E] [L] expose qu'il était le seul professionnel affecté à la pâtisserie, ce qui le contraignait à effectuer des heures supplémentaires et à travailler durant ses jours de repos ; que contraint par un travail quotidien acharné combiné à une ambiance de travail pernicieuse et confronté aux reproches incessants de son employeur, il était victime de crises d'angoisses, d'insomnies et autres troubles psychiques.

La cour relève cependant que M. [E] [L] ne produit aucun élément de preuve au soutient de ses dires, ni planning ni attestations ni décompte d'heures supplémentaires qu'il aurait effectuées ni documents médicaux ; que le fait qu'il était le seul pâtissier de la boutique ne suffit pas, à lui seul, à prouver qu'il effectuait des heures supplémentaires.

Le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu'il a rejeté les demandes de dommages-intérêts pour harcèlement moral et manquement à l'obligation de sécurité.

III/ Sur la demande de paiement d'une indemnité pour travail dissimulé

Selon l'article L 8221-5 du code du travail est réputé travail dissimulé (par dissimulation d'emploi salarié) le fait pour tout employeur :
1o Soit de se soustraire intentionnellement à l'accomplissement de la formalité prévue à l'article L. 1221-10, relatif à la déclaration préalable à l'embauche ;
2o Soit de se soustraire intentionnellement à la délivrance d'un bulletin de paie ou d'un document équivalent défini par voie réglementaire, ou de mentionner sur le bulletin de paie ou le document équivalent un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne résulte pas d'une convention ou d'un accord collectif d'aménagement du temps de travail conclu en application du titre II du livre P de la troisième partie ;
3o Soit de se soustraire intentionnellement aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ceux-ci auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales ou de l'administration fiscale en vertu des dispositions légales.

En l'espèce, dès lors que M. [E] [L] ne démontre pas avoir effectué des d'heures supplémentaires non payées, il ne peut être valablement reproché à l'employeur d'avoir intentionnellement mentionné sur les bulletins de salaires un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement effectué, contrairement à ce que soutient le salarié.

Le jugement entrepris sera donc infirmé en ce qu'il a fait droit à la demande de paiement de l'indemnité forfaitaire prévue à l'article L8223-1 du code du travail.

IV / Sur la rupture du contrat de travail

A / S'agissant de la qualification de la prise d'acte

Il résulte de la combinaison des articles L.1231-1, L.1237-2 et L.1235-1 du code du travail que la prise d'acte permet au salarié de rompre le contrat de travail en cas de manquement suffisamment grave de l'employeur pour empêcher la poursuite du contrat de travail.

Il appartient au salarié de rapporter la preuve des faits qu'il allègue à l'encontre de l'employeur.

En cas de prise d'acte de la rupture du contrat de travail par le salarié, cette rupture produit soit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifient, soit dans le cas contraire, les effets d'une démission.

Pour évaluer si les griefs du salarié sont fondés et justifient que la prise d'acte produise les effets d'un licenciement, les juges doivent prendre en compte la totalité des reproches formulés par le salarié et apprécier si, pris dans leur ensemble, ils sont suffisamment grave de l'employeur pour empêcher la poursuite du contrat de travail.

L'écrit par lequel le salarié prend acte de la rupture ne fixe pas les limites du litige ; le juge est tenu d'examiner les manquements de l'employeur invoqués devant lui par le salarié, même si celui-ci ne les a pas mentionnés dans la lettre de prise d'acte de rupture.

En l'espèce, M. [E] [L] a pris acte de la rupture de son contrat de travail par lettre du 18 octobre 2017 rédigée comme suit :
"Par la présente, je vous indique que je prends acte de la rupture de mon contrat de travail,. En effet, j'ai occupé le poste de pâtissier dans votre entreprise depuis le 18 avril 2012, en contrat de travail à durée Indéterminée.
Aux vues de la dégradation de mes conditions de travail et de nos rapports en raison de vos reproches incessants et infondés et de l'incidence jour après jour sur mon état de santé qui n'a cessé de se dégrader, l'idée de me rendre au travail m'était devenue insupportable, me causant des insomnies suivies de fortes angoisses.
Je travaillais sur mes jours de repos, mes heures supplémentaires n'étaient pas payées, les employés étaient montés les uns contre les autres. Le stress chronique subi au travail a eu un impact sur mon moral, j'avais un sentiment d'impuissance, d'abattement et d'apathie.
C'est d'ailleurs en ce sens que je vous ai fais parvenir une demande de rupture conventionnelle à laquelle vous n'avez malheureusement pu donner une issue favorable.
Mon contrat de travail étant rompu de part cette prise d'acte ; je vous prie de bien vouloir m'indiquer les dates et l'heure auxquelles récupérer mes documents sociaux de fin de contrat (...)."

Force est cependant de constater que M. [E] [L] ne produit pas le moindre commencement de preuve susceptible d'établir le bien fondé des griefs ainsi exposés et repris dans ses écritures.

Aux termes de ses conclusions, M. [E] [L] se plaint également de harcèlement moral et de travail dissimulé.

Là non plus, il ne produit pas le moindre commencement de preuve à l'appui de ses allégations.

En outre, il ne ressort pas des pièces au dossier que M. [E] [L] se soit jamais plaint de ses conditions de travail avant sa lettre de prise d'acte de la rupture du contrat de travail en date du 18 octobre 2017, tandis qu'il écrivait à son employeur le 17 juin 2017 :
"j'ai occupé le poste de pâtissier dans votre entreprise du 18 avril 2012 au 12 juin 2017.
j'ai abandonné mon poste depuis le 13 juin 2017 et depuis je n'ai pas reçu de courrier de votre part.
Vous ne m'avez toujours pas délivré les documents suivants : certificat de travail, attestation d'assédic et solde tout compte.
Je vous demande donc par la présente lettre de bien vouloir me faire parvenir mes papiers d'ici 10 jours, à défaut de quoi je ferai valoir mes droits devant les prud'hommes."

Le jugement entrepris sera ainsi confirmé en ce qu'il a rejeté la demande de requalification de la prise d'acte de la rupture du contrat de travail par le salarié en licenciement sans cause réelle et sérieuse.

B/ Sur les conséquences financières de la rupture du contrat de travail

La prise d'acte de la rupture du contrat de travail par le salarié s'analysant en une démission, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a débouté M. [E] [L] de ses demandes d'indemnité légale de licenciement, d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, d'indemnité de préavis et de congés payés y afférents.

V / Concernant l'indemnité compensatrice de congés payés

L'article L.3141-28 du code du travail prévoit que ": Lorsque le contrat de travail est rompu avant que le salarié ait pu bénéficier de la totalité du congé auquel il avait droit, il reçoit, pour la fraction de congé dont il n'a pas bénéficié, une indemnité compensatrice de congé déterminée d'après les articles L. 3141-24 à L. 3141-27. L'indemnité est due que cette rupture résulte du fait du salarié ou du fait de l'employeur ".

En l'espèce, il est fait état sur le solde de tout compte d'une indemnité de congés payés dont le montant s'élève à 2 351,80 euros.

La SARL Op'tit pains ne justifiant pas du paiement de cette somme, le jugement entrepris sera infirmé en ce qu'il a rejeté la demande.

VI / Sur l'application de l'article 700 du code de procédure civile

Le jugement entrepris sera infirmé en ce qu'il a condamné la SARL Op'tit pains à payer à M. [E] [L] la somme de 1000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Il n'apparaît pas inéquitable, en l'état des éléments du dossier, de laisser à la charge de chacune des parties les frais qu'elles ont engagés et qui ne seront pas compris dans les dépens.

Les dépens seront partagés par moitié entre les parties.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement par mise à disposition au greffe, contradictoirement et en dernier ressort,

Rejette les moyens tirés du non respect des articles 954 et 910-4 du code de procédure civile ;

Confirme le jugement du conseil de prud'hommes de Basse-Terre en date du 4 février 2020 sauf en ce qu'il a condamné la SARL Op'tit pains à payer à M. [E] [L] les sommes de 13.883,46 euros au titre de dommages-intérêts pour travail dissimulé et de 1.000,00 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, et en ce qu'il a débouté M. [E] [L] de sa demande d'indemnité compensatrice de congés payés ;

Statuant à nouveau,

Rejette la demande de paiement d'une indemnité pour travail dissimulé ;

Condamne, autant que de besoin, la SARL Op'tit pains à payer à M. [E] [L] la somme de 2 351,80 euros, en deniers ou quittances, à titre d'indemnité compensatrice de congés payés ;

Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Dit que les dépens de 1ère instance et d'appel seront partagés par moitié entre les parties.

Le greffier, La présidente,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Basse-Terre
Formation : 04
Numéro d'arrêt : 20/003341
Date de la décision : 19/12/2022
Sens de l'arrêt : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée

Références :

Décision attaquée : Conseil de prud'hommes de Basse-Terre, 04 février 2020


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.basse-terre;arret;2022-12-19;20.003341 ?
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