COUR D'APPEL DE BASSE-TERRE
2ème CHAMBRE CIVILE
ARRET No 572 DU 28 NOVEMBRE 2022
No RG 21/00654
No Portalis DBV7-V-B7F-DKQP
Décision déférée à la cour : Jugement du tribunal judiciaire de Basse-Terre, décision attaquée en date du 20 mai 2021, enregistrée sous le no 16/00266.
APPELANTS :
Monsieur [F] [E]
[Adresse 12]
[Adresse 12]
[Localité 7]
Monsieur [R] [S] [L] [E]
[Adresse 12]
[Adresse 12]
[Localité 7]
Ayant tous pour avocat Me Michaël Sarda, avocat au barreau de Guadeloupe, Saint-Martin et Saint-Barthélémy.
INTIME :
Maître [K] [N] agissant en qualité de liquidateur de Monsieur [F] [E] exerçant sous l'enseigne FAPS,
[Adresse 5]
[Adresse 5]
[Localité 8]
Représenté par Me Louis-Raphaël Morton de la SCP Morton et Associés, avocat au barreau de Guadeloupe, Saint-Martin et Saint-Barthélémy.
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 26 septembre 2022, devant Madame Annabelle Clédat, chargée du rapport, les avocats ne s'y étant pas opposé, puis mise en délibéré devant la cour composée de :
Madame Annabelle Clédat, conseillère, présidente,
Madame Marie-José Bolnet, conseillère,
Madame Valérie Marie-Gabrielle, conseillère
Les parties ont été avisés à l'issue des débats de ce que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour le 28 novembre 2022.
GREFFIER : Lors des débats ainsi que lors du prononcé Mme Armélida Rayapin.
ARRET :
Contradictoire, prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été prélablement avisés conformément à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.
Signé par Mme Annabelle Clédat,présidente, et par Mme Armélida Rayapin, greffière à laquelle la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS ET PROCEDURE
Par jugement du 20 octobre 2005, le tribunal mixte de commerce de Pointe-à -Pitre a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de M. [F] [E], commerçant exerçant sous l'enseigne FAPS.
Par jugement du 05 juillet 2007, le tribunal a homologué le plan de redressement par voie de continuation de M. [E].
Par acte notarié du 19 octobre 2010, publié à la conservation des hypothèques de [Localité 10] le 12 novembre 2010, M. [E] a formalisé une déclaration d'insaisissabilité portant sur :
- un bâtiment surélevé sur un étage situé [Adresse 1], cadastré section AY no[Cadastre 4],
- une maison située [Adresse 2], cadastrée section AY no[Cadastre 6].
Par jugement du 16 décembre 2010, confirmé par arrêt de la cour d'appel de Basse-Terre du 14 mai 2012, le tribunal mixte de commerce de Pointe-à -Pitre a prononcé la résolution du plan et la liquidation judiciaire de M. [E] et désigné Maître [K] [N] en qualité de liquidateur.
Suivant acte authentique du 11 mars 2011, publié le 11 mai 2011, M. [F] [E] a fait donation à son fils [R] [S] [L] [E], représenté par sa mère Mme [O] [X] épouse [E], de la nue-propriété du bien cadastré section AY no[Cadastre 6] sur la commune de [Localité 11].
Le 18 février 2016, Maître [K] [N] ès qualités de liquidateur de M. [F] [E] a assigné ce dernier et son fils [R] [S] [L], représenté par sa représentante légale, devant le tribunal de grande instance de Basse-Terre afin de voir prononcer l'inopposabilité de cette donation de nue-propriété sur le fondement des articles 1167 du code civil et L.641-9 du code de commerce.
Par jugement du 20 mai 2021, le tribunal, devenu tribunal judiciaire, a :
- rejeté l'ensemble des demandes présentées par M.[F] [E] et M. [R] [S] [L] [E], mineur, pris en la personne de sa représentante légale, Mme [O] [X] épouse [E], à l'encontre de Maître [K] [N] agissant en qualité de liquidateur judiciaire de M. [F] [E], désignée à cette fonction par jugement du tribunal mixte de commerce de Pointe-à -Pitre du 06 décembre 2010,
- déclaré recevable l'action formée par Maître [N] ès qualités,
- en conséquence :
- dit que l'acte de donation de la nue-propriété effectuée par M. [F] [E], dressé par Maître [B], notaire, en date du 11 mars 2011 publié le 11 mai 2011 volume 2011 P no945, au profit de [R] [S] [L] [E], né le [Date naissance 3] 2003 aux [Localité 9], a été fait en fraude des droits des créanciers de M. [F] [E],
- dit inopposable à Maître [N], ès qualités de liquidateur judiciaire de M. [F] [E] exerçant sous l'enseigne FAPS, l'acte de donation de la nue-propriété du 11 mars 2003, reçu par Maître [B], notaire, publié le 11 mai 2003 volume 2011 P no945, au profit de [R] [S] [L] [E],
- ordonné la publication du jugement au fichier immobilier du service de la publicité foncière,
- prononcé l'exécution provisoire du jugement,
- condamné M. [F] [E] à payer à Maître [N] ès qualités la somme de 3.000 euros en vertu de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
M. [F] [E] et M. [R] [S] [L] [E], représenté par sa représentante légale Mme [O] [X] épouse [E], ont interjeté appel de cette décision par déclaration remise au greffe de la cour par voie électronique le 12 juin 2021, en indiquant que leur appel portait expressément sur chacun des chefs de jugement.
Dans le cadre de cette procédure, enrôlée sous le numéro RG 21/654, Maître [N] ès qualités de liquidateur de M. [F] [E] a régularisé sa constitution d'intimée le 13 juillet 2021.
Par jugement rectificatif d'erreur matérielle du 04 novembre 2021, le tribunal judiciaire de Basse-Terre, saisi par requêtes de Maître [N] des 03 juin et 11 octobre 2021, a :
- prononcé la jonction des deux procédures,
- ordonné la rectification du dispositif du jugement du 20 mai 2020 ainsi qu'il suit :
"- dit que l'acte de donation de la nue-propriété effectuée par M. [F] [E], dressé par Maître [B], notaire, en date du 11 mars 2011 publié le 11 mai 2011 volume 2011 P no945, au profit de [R] [S] [L] [E], né le [Date naissance 3] 2003 aux [Localité 9], a été fait en fraude des droits des créanciers de M. [F] [E],
- dit inopposable à Maître [N], ès qualités de liquidateur judiciaire de M. [F] [E] exerçant sous l'enseigne FAPS, l'acte de donation de la nue-propriété du 11 mars 2011, reçu par Maître [B], notaire, publié le 11 mai 2011 volume 2011 P no945, au profit de [R] [S] [L] [E],"
- ordonné la publication du jugement au fichier immobilier du service de la publicité foncière,
- laissé les dépens à la charge du Trésor Public.
M. [F] [E] et M. [R] [S] [L] [E], devenu majeur, ont interjeté appel de cette décision par déclaration remise au greffe de la cour par voie électronique le 15 décembre 2021, en indiquant que leur appel portait expressément sur chacun des chefs de jugement, à l'exception de celui relatif aux dépens.
Dans le cadre de cette procédure enrôlée sous le numéro RG 21/1261, Maître [N] ès qualités de liquidateur de M. [F] [E] a régularisé sa constitution d'intimée le 09 février 2022.
Les deux instances ont été jointes sous le numéro 21/654 par ordonnance du conseiller de la mise en état du 22 février 2022.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 16 mai 2022 et l'affaire a été fixée à l'audience du 26 septembre 2022, date à laquelle la décision a été mise en délibéré au 28 novembre 2022.
PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
1/ M. [F] [E] et M. [R] [S] [L] [E], appelants:
Vu les dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 04 mars 2022 par lesquelles les appelants demandent à la cour :
- d'infirmer les jugements du 20 mai 2021 et du 04 novembre 2021 dans toutes leurs dispositions contestées dans le cadre des déclarations d'appel,
- statuant à nouveau :
- de dire et juger que le tribunal judiciaire était dessaisi pour statuer sur une requête en rectification d'erreur matérielle du jugement du 20 mai 2021 depuis l'appel interjeté le 11 juin 2021,
- de dire et juger que le bien de M. [F] [E] était insaisissable du fait de la déclaration d'insaisissabilité antérieure au prononcé de la procédure de liquidation judiciaire,
- de dire et juger que faute pour le liquidateur judiciaire de pouvoir agir au nom et dans l'intérêt collectif des créanciers de la liquidation judiciaire, le liquidateur n'est pas recevable à exercer l'action paulienne au nom et dans l'intérêt d'une partie d'entre eux seulement, même significative,
- de dire et juger que le liquidateur judiciaire n'avait pas qualité à agir sur le fondement de l'action paulienne dans le cadre de la présente instance,
- de dire et juger qu'il n'y a pas dans ces conditions de fraude aux droits des créanciers de la procédure,
- en conséquence, de débouter Maître [N] ès qualités de liquidateur judiciaire de M. [F] [E] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
- de condamner Maître [N] ès qualités de liquidateur judiciaire de M. [F] [E] à leur payer la somme de 5.000 euros à chacun au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
2/ Maître [N] ès qualités de liquidateur de M. [F] [E], intimée :
Vu les dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 28 mars 2022 par lesquelles l'intimée demande à la cour :
- de confirmer en toutes ses dispositions le jugement du 20 mai 2021, rectifié par jugement du 04 novembre 2021,
- de déclarer irrecevables les moyens et prétentions de MM. [F] [E] et [R] [S] [L] [E] fondés sur la prétendue insaisissabilité des biens cadastrés à [Localité 11] section AY no[Cadastre 4] et no[Cadastre 6],
- de débouter les appelants de l'ensemble de leurs prétentions, fins et conclusions,
- de juger que la donation de la nue-propriété faite par M. [F] [E] par acte du 11 mars 2011, publié le 11 mai 2011, au profit de [R] [S] [L] [E] a été faite en fraude des droits des créanciers de [F] [E] par violation de l'article 1167 ancien du code civil et L.641-9 du code de commerce,
- en conséquence, de juger inopposable à Maître [N] ès qualités de liquidateur de M. [F] [E] cet acte de donation du 11 mars 2011 publié le 11 mai 2011,
- d'ordonner la publication au fichier immobilier de la décision à intervenir,
- de condamner MM. [F] [E] et [R] [S] [L] [E] à lui payer ès qualités la somme de 6.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
En application de l'article 455 du code de procédure civile, il convient de se reporter aux dernières conclusions des parties pour un exposé détaillé de leurs prétentions et moyens.
MOTIFS DE L'ARRET
Sur la rectification d'erreur matérielle :
Conformément aux dispositions de l'article 462 du code de procédure civile, les erreurs et omissions matérielles qui affectent un jugement, même passé en force de chose jugée, peuvent toujours être réparées par la juridiction qui l'a rendu ou par celle à laquelle il est déféré, selon ce que le dossier révèle ou, à défaut, ce que la raison commande.
En vertu de ce texte, il est parfaitement constant que le jugement argué d'erreur est réputé déféré à la cour à compter de l'inscription de l'appel au rôle de la cour et ne peut alors plus être rectifié que par cette juridiction.
En conséquence, quand bien même Maître [N] ès qualités de liquidateur de M. [F] [E] avait saisi le tribunal judiciaire de Basse-Terre d'une demande de rectification de l'erreur matérielle affectant le jugement du 20 mai 2021 par requête datée du 02 juin 2021, reçue le 03 juin 2021, puis le 11 octobre 2021, ce jugement ne pouvait plus être rectifié que par la cour à compter du 11 juin 2021, date à laquelle l'appel interjeté par les consorts [E] avait été inscrit au rôle.
Dès lors, le jugement rectificatif rendu le 04 novembre 2021 sera infirmé en toutes ses dispositions et la cour procédera, en tant que de besoin, aux rectifications nécessaires en vertu de l'effet dévolutif de l'appel.
Sur la recevabilité de l'action formée par le liquidateur :
Les consorts [E] reprochent aux premiers juges d'avoir déclaré le liquidateur recevable à exercer l'action tendant à voir déclarer inopposable la donation de nue-propriété alors :
- que le bien dont la nue-propriété a fait l'objet de la donation du 11 mars 2011 était insaisissable, puisque la déclaration d'insaisissabilité avait été publiée avant l'ouverture de la procédure de liquidation judiciaire,
- que M. [F] [E] pouvait en conséquence faire une donation sans fraude aux droits des tiers et de ses créanciers,
- que seuls les créanciers titulaires de créances nées antérieurement à la publication de la déclaration d'insaisissabilité auraient pu avoir intérêt à remettre en cause la donation du 11 mars 2011 dans le cadre de l'action paulienne,
- que le liquidateur, qui ne peut agir que dans l'intérêt collectif de tous les créanciers, n'est donc pas recevable à exercer une action paulienne qui ne pourrait bénéficier qu'à une partie des créanciers, ceux dont les créances sont nées antérieurement à la publication de la déclaration d'insaisissabilité.
En réponse, Maître [N] demande la confirmation du jugement déféré qui a jugé irrecevable le moyen tiré de la déclaration d'insaisissabilité en raison de l'autorité de la chose jugée attachée à deux décisions de la cour d'appel de Basse-Terre rendues le 26 juin 2017 et le 27 janvier 2020, qui ont retenu que l'insaisissabilité ne pouvait concerner que les créanciers dont la créance était née antérieurement au jugement du 20 octobre 2005, même si la liquidation n'avait été prononcée que le 16 décembre 2010.
Cependant, conformément à ce que rappellent les appelants, l'autorité de la chose jugée ne peut être invoquée que lorsque la décision a été rendue entre les mêmes parties.
Or, en l'espèce, l'arrêt du 26 juin 2017 a été rendu dans une instance opposant M. [F] [E] à Maître [N] ès qualités de liquidateur de ce dernier, et l'arrêt du 27 janvier 2020 a été rendu dans une instance opposant M. [F] [E] et Mme [O] [X] épouse [E], agissant en son nom personnel et non en qualité de représentante légale de son fils, à Maître [N] ès qualités de liquidateur de M. [F] [E].
En conséquence, aucune autorité de la chose jugée ne saurait être opposée à M. [R] [S] [L] [E], qui n'était pas partie aux deux précédentes instances.
Par ailleurs, à titre surabondant, il convient de rappeler que l'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui fait l'objet d'un jugement et a été tranché dans son dispositif, et non à l'égard des motifs.
Or, dans les deux précédentes décisions visées, la question des effets de la déclaration d'insaisissabilité du 19 octobre 2010, publiée le 12 novembre 2010, ne constituait qu'un moyen au soutien de la contestation des ordonnances du juge-commissaire ayant ordonné la vente des biens et droits immobiliers cadastrés section AY no[Cadastre 4].
En conséquence, les moyens développés par les appelants au soutien de l'irrecevabilité de l'action du liquidateur ne pouvaient être écartés sur le fondement de l'autorité de chose jugée attachée aux précédentes décisions rendues par la cour d'appel. Il convient donc de les examiner.
En ce qui concerne le moyen tiré de la déclaration d'insaisissabilité, l'article L.526-1 du code de commerce dans sa version issue de la loi du 04 août 2008, dispose qu'une personne physique immatriculée à un registre de publicité légale à caractère professionnel ou exerçant une activité professionnelle agricole ou indépendante peut déclarer insaisissables ses droits sur l'immeuble où est fixée sa résidence principale ainsi que sur tout bien foncier bâti ou non bâti qu'elle n'a pas affecté à son usage professionnel. Cette déclaration, publiée au bureau des hypothèques ou, dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle, au livre foncier, n'a d'effet qu'à l'égard des créanciers dont les droits naissent, postérieurement à la publication, à l'occasion de l'activité professionnelle du déclarant.
L'article L.626-27 du code de commerce dans sa version applicable, dispose quant à lui qu'après résolution du plan et ouverture de la nouvelle procédure, les créanciers soumis à ce plan sont dispensés de déclarer leurs créances et sûretés. Les créances inscrites à ce plan sont admises de plein droit, déduction faite des sommes déjà perçues.
Il ressort du premier de ces deux textes que l'opposabilité de la déclaration d'insaisissabilité aux créanciers dont la créance est née à l'occasion de l'activité professionnelle du déclarant dépend de la date à laquelle sont nés leurs droits, cette naissance devant intervenir postérieurement à la publication de la déclaration.
En vertu du second de ces textes, même si la liquidation judiciaire prononcée à la suite de la résolution du plan constitue bien une nouvelle procédure, les créances inscrites dans ce plan, qui sont admises de plein droit dans la liquidation judiciaire, sont bien nées antérieurement à la publication d'insaisissabilité lorsque cette dernière intervient durant l'exécution du plan.
En conséquence, les appelants ne sont pas fondés à soutenir que le bien objet de la donation du 11 mars 2011 était insaisissable du seul fait que la déclaration d'insaisissabilité était antérieure à l'ouverture de la procédure de liquidation judiciaire, dès lors que cette procédure faisait suite à la résolution d'un plan dans le cadre duquel les créanciers avaient déclaré leurs créances nées antérieurement à la publication de cette déclaration d'insaisissabilité.
En ce qui concerne le moyen tiré du défaut de qualité pour agir du liquidateur, il est constant que le liquidateur, en tant que représentant de l'intérêt collectif des créanciers, ne peut légalement agir que dans l'intérêt de tous les créanciers et non dans l'intérêt personnel d'un créancier ou d'une catégorie de créanciers.
Les appelants en déduisent que le liquidateur n'aurait en l'espèce d'intérêt à engager l'action paulienne que pour le compte des créanciers dont les droits seraient nés antérieurement à la publication de la déclaration d'insaisissabilité, les autres pouvant se voir opposer cette insaisissabilité et n'ayant donc pas d'intérêt à remettre en cause la donation d'un bien qui serait en tout état de cause insaisissable. Ils en déduisent que le liquidateur ne serait pas recevable à agir puisqu'il ne représenterait pas l'intérêt collectif de tous les créanciers.
Cependant, dans un arrêt du 17 novembre 2021 rendu suite au pourvoi formé par M. et Mme [E] à l'encontre de l'arrêt de la cour d'appel de Basse-Terre précité du 27 janvier 2020 (Com., 17 novembre 2021, pourvoi no 20-15.395), la cour de cassation a admis que dès lors qu'il n'existait aucun créancier dont les droits seraient nés à l'occasion de l'activité professionnelle du débiteur après la publication de la déclaration d'insaisissabilité, et que le liquidateur agissait donc bien dans l'intérêt de la collectivité des créanciers ayant tous déclaré leurs créances nées antérieurement à la publication de cette déclaration, il pouvait être autorisé à vendre le bien.
En transposant cette solution au cas d'espèce, le liquidateur est recevable à agir afin de se voir déclarer inopposable la donation portant sur un bien ayant fait l'objet d'une déclaration d'insaisissabilité à la seule condition qu'il n'existe aucun créancier dont les droits seraient nés à l'occasion de l'activité professionnelle du débiteur après la publication de cette déclaration.
Il appartient dès lors aux défendeurs à l'action en inopposabilité, qui contestent la qualité pour agir du liquidateur, de rapporter la preuve de l'existence de créanciers dont les droits seraient nés à l'occasion de l'activité professionnelle du débiteur après la publication de cette déclaration.
Or, en l'espèce, les appelants échouent à rapporter cette preuve puisqu'ils se contentent de soutenir, de manière seulement théorique, que le liquidateur agirait également pour les créanciers dont les droits seraient nés à l'occasion de l'activité professionnelle de M. [E] après le 12 novembre 2010.
Pourtant, tant la cour d'appel de Basse-Terre dans son arrêt du 27 janvier 2020 que la cour de cassation dans son arrêt du 17 novembre 2021 ont retenu, dans le cadre de la procédure tendant à être autorisée à vendre le deuxième bien ayant fait l'objet de la déclaration d'insaisissabilité publiée le 12 novembre 2010, qu'il n'existait aucun créancier dont les droits seraient nés à l'occasion de l'activité professionnelle du débiteur après la publication de la déclaration d'insaisissabilité.
Il convient en outre de relever que la déclaration d'insaisissabilité a été faite le 19 octobre 2010, soit le lendemain de l'assignation en liquidation judiciaire délivrée à M. [F] [E] par la caisse générale de sécurité sociale de la Guadeloupe, et que par requête du 12 novembre 2010, le commissaire à l'exécution du plan a sollicité la résolution du plan, qui a été prononcée dès le 16 décembre 2010, la date de cessation des paiements ayant été fixée au 18 octobre 2010. Dès lors, à défaut de preuve contraire, le délai très bref ayant existé entre la publication de l'insaisissabilité et l'ouverture de la procédure de liquidation judiciaire accrédite encore l'absence de toute créance née postérieurement au 12 novembre 2010 et le fait que le liquidateur n'agissait que dans l'intérêt de la collectivité des créanciers dont les droits étaient nés à l'occasion de l'activité professionnelle qui avaient tous déclaré leurs créances nées antérieurement à la publication de cette déclaration.
Dans ces conditions, il convient de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a dit que l'action formée par Maître [N] ès qualités était recevable.
Sur le bien fondé de l'action tendant à voir déclarer la donation du 11 mars 2011 inopposable au liquidateur :
Dès son assignation, Maître [N] a fondé son action tant sur l'article L.641-9 du code de commerce, qui prévoit le dessaisissement du débiteur, que sur l'article 1167 du code civil dans sa rédaction antérieure au 1er octobre 2016, relatif à l'action paulienne.
Sur le dessaisissement du débiteur :
Conformément aux dispositions de l'article L.641-9 du code de commerce dans sa version applicable, le jugement qui ouvre ou prononce la liquidation judiciaire emporte de plein droit, à partir de sa date, dessaisissement pour le débiteur de l'administration et de la disposition de ses biens même de ceux qu'il a acquis à quelque titre que ce soit tant que la liquidation judiciaire n'est pas clôturée. Les droits et actions du débiteur concernant son patrimoine sont exercés pendant toute la durée de la liquidation judiciaire par le liquidateur.
En vertu de ce texte, il est jugé de manière constante que les actes accomplis par le débiteur au mépris du dessaisissement sont inopposables à la procédure collective et que seul le liquidateur a qualité à se prévaloir de ce dessaisissement.
En l'espèce, la liquidation judiciaire a été ouverte à l'égard de M. [F] [E] par jugement du 16 décembre 2010.
Par acte du 11 mars 2011, publié le 11 mai 2011, ce dernier a fait donation à son fils de la nue-propriété du bien immobilier cadastré section AY no[Cadastre 6] sur la commune de [Localité 11], qui avait précédemment fait l'objet de la déclaration d'insaisissabilité du 19 octobre 2010 publiée le 12 novembre 2010.
Contrairement à ce que soutiennent les appelants, cet immeuble constituait bien le gage des créanciers de M. [E] dont les droits étaient nés à l'occasion de l'activité professionnelle et qui avaient déclaré leurs créances nées antérieurement à la publication de cette déclaration. Dès lors, l'ouverture de la liquidation judiciaire suite à la révocation du plan, qui est intervenue postérieurement à cette publication, n'a pas suffi à rendre ce bien insaisissable, ni à rendre l'acte de donation inopposable au liquidateur, ainsi que cela a été précédemment indiqué.
Dans ces conditions, il convient de confirmer le jugement déféré qui a retenu l'inopposabilité au liquidateur de l'acte de donation du 11 mars 2011, publié le 11 mai 2011, fait par le débiteur en violation du principe du dessaisissement.
Sur l'action paulienne :
Conformément aux dispositions de l'article 1167 du code civil dans sa version antérieure au 1er octobre 2016, les tiers peuvent, en leur nom personnel, attaquer les actes faits par leur débiteur en fraude de leurs droits.
En vertu de ce texte, il est admis de manière constante que la fraude résulte de la seule connaissance qu'a le débiteur du préjudice qu'il cause au créancier en se rendant insolvable ou en augmentant son insolvabilité.
Par ailleurs, lorsque l'acte consenti par le débiteur est un acte à titre gratuit, le créancier n'a pas à établir la preuve de la complicité du tiers dans la fraude commise par son débiteur.
En l'espèce, pour s'opposer à l'action paulienne diligentée à leur encontre, les consorts [E] se contentent de conclure à l'irrecevabilité de l'action de Maître [N], moyen qui a été précédemment examiné et écarté.
Sur le fond, ils ne développent aucune argumentation tendant à remettre en cause les motifs pertinents des premiers juges qui ont retenu en substance :
- que l'acte litigieux était constitué par une donation de la nue-propriété d'un immeuble au profit du fils de M. [E], alors âgé de 8 ans,
- que dans la mesure où cet enfant n'avait aucun intérêt personnel à obtenir la nue-propriété de ce bien compte tenu de son âge, cette donation ne pouvait être motivée que par la volonté de M. [F] [E] de faire échapper ce bien au gage de ses créanciers, alors que sa situation d'insolvabilité résultait de l'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire à son encontre.
Il convient d'ajouter qu'en procédant à cette donation, M. [F] [E] avait nécessairement connaissance du fait qu'il allait augmenter son insolvabilité en disposant d'un actif qui aurait pu permettre le désintéressement des créanciers dont les créances étaient nées antérieurement à la publication de la déclaration d'insaisissabilité.
Cette connaissance est attestée par le fait que la valeur des droits immobiliers donnés à M. [R] [S] [L] [E] a été délibérément minorée puisque la valeur du bien cadastré section AY no[Cadastre 6] a été évaluée dans l'acte à 179.470 euros, alors qu'un rapport d'expertise judiciaire déposé le 26 octobre 2012 par M. [M] a permis d'établir que ce bien avait une valeur vénale de 258.623 euros.
Dès lors, la donation en cause a bien été faite en fraude des droits des créanciers de M. [F] [E] et le jugement déféré sera confirmé sur ce point.
Le jugement déféré sera également confirmé en ce qu'il a déclaré inopposable cet acte de donation à Maître [N] ès qualités de liquidateur judiciaire de M. [F] [E].
En revanche, le dispositif du jugement du 20 mai 2021 comportant des erreurs matérielles, puisqu'il indiquait : "dit inopposable à Maître [N], ès qualités de liquidateur judiciaire de M. [F] [E] exerçant sous l'enseigne FAPS, l'acte de donation de la nue-propriété du 11 mars 2003, reçu par Maître [B], notaire, publié le 11 mai 2003 volume 2011 P no945, au profit de [R] [S] [L] [E]", il convient de rectifier ces erreurs et de dire inopposable à Maître [N], ès qualités de liquidateur judiciaire de M. [F] [E] exerçant sous l'enseigne FAPS, l'acte de donation de la nue-propriété du 11 mars 2011, reçu par Maître [B], notaire, publié le 11 mai 2011 volume 2011 P no945, au profit de [R] [S] [L] [E].
Le présent arrêt sera publié au fichier immobilier du service de la publicité foncière.
Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile :
M. [F] [E] et M. [R] [S] [L] [E], qui succombent à l'instance, seront condamnés aux entiers dépens de l'instance d'appel.
Ils seront également condamnés à payer à Maître [N] ès qualités de liquidateur judiciaire de M. [F] [E] la somme de 4.000 au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et déboutés de leur propre demande à ce titre.
Par ailleurs, les dispositions du jugement déféré seront confirmées.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant publiquement, contradictoirement, par arrêt rendu par mise à disposition au greffe,
Infirme en toutes ses dispositions le jugement rectificatif d'erreur matérielle rendu par le tribunal judiciaire de Basse-Terre le 04 novembre 2021,
Confirme le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Basse-Terre le 20 mai 2021 en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a dit inopposable à Maître [N], ès qualités de liquidateur judiciaire de M. [F] [E] exerçant sous l'enseigne FAPS, l'acte de donation de la nue-propriété du 11 mars 2003, reçu par Maître [B], notaire, publié le 11 mai 2003 volume 2011 P no945, au profit de [R] [S] [L] [E],
Rectifiant l'erreur matérielle affectant ce seul chef de jugement,
Déclare inopposable à Maître [N], ès qualités de liquidateur judiciaire de M. [F] [E] exerçant sous l'enseigne FAPS, l'acte de donation de la nue-propriété du 11 mars 2011, reçu par Maître [B], notaire, publié le 11 mai 2011 volume 2011 P no945, au profit de [R] [S] [L] [E],
Y ajoutant,
Ordonne la publication du présent arrêt au fichier immobilier du service de la publicité foncière,
Condamne M. [F] [E] et M. [R] [S] [L] [E] à payer à Maître [N] ès qualités de liquidateur judiciaire de M. [F] [E] la somme de 4.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Déboute M. [F] [E] et M. [R] [S] [L] [E] de leur propre demande à ce titre,
Condamne M. [F] [E] et M. [R] [S] [L] [E] aux entiers dépens de l'instance d'appel.
Et ont signé,
La greffière La présidente