La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

16/05/2022 | FRANCE | N°20/00726

France | France, Cour d'appel de Basse-Terre, Chambre sociale, 16 mai 2022, 20/00726


COUR D'APPEL DE BASSE-TERRE



CHAMBRE SOCIALE



ARRÊT N° 83 DU SEIZE MAI DEUX MILLE VINGT DEUX



AFFAIRE N° : N° RG 20/00726 - N° Portalis DBV7-V-B7E-DH3F



Décision déférée à la Cour : Jugement du Conseil de Prud'hommes de Pointe-à-Pitre - section ancadrement - du 29 Septembre 2020.





APPELANTE



Madame [B] [V] [P]

5, Lotissement Max Safrano

Chemin de Grande Savane

97170 PETIT-BOURG

Représentée par Me Chantal BEAUBOIS, avocat au barreau de GUADELOUPE/ST MARTIN/ST BAR

TH





INTIMÉS



Monsieur [C] [Y] - Décédé le 13 septembre 2020 à Basse-Terre

ayant demeuré La Lézarde

97170 PETIT-BOURG



Madame [J] [E] [N] veuve [Y] [C] a...

COUR D'APPEL DE BASSE-TERRE

CHAMBRE SOCIALE

ARRÊT N° 83 DU SEIZE MAI DEUX MILLE VINGT DEUX

AFFAIRE N° : N° RG 20/00726 - N° Portalis DBV7-V-B7E-DH3F

Décision déférée à la Cour : Jugement du Conseil de Prud'hommes de Pointe-à-Pitre - section ancadrement - du 29 Septembre 2020.

APPELANTE

Madame [B] [V] [P]

5, Lotissement Max Safrano

Chemin de Grande Savane

97170 PETIT-BOURG

Représentée par Me Chantal BEAUBOIS, avocat au barreau de GUADELOUPE/ST MARTIN/ST BARTH

INTIMÉS

Monsieur [C] [Y] - Décédé le 13 septembre 2020 à Basse-Terre

ayant demeuré La Lézarde

97170 PETIT-BOURG

Madame [J] [E] [N] veuve [Y] [C] ayant-droit de Monsieur [Y] [C] [M], [A],

58, Chemin de Roche-Blanche

97170 PETIT-BOURG

Représentée par Me Estelle SZWARCBART-HUBERT (SCP MORTON & ASSOCIES), avocat au barreau de GUADELOUPE/ST MARTIN/ST BARTH

Madame [S] [I] [Y] ayant-droit de Monsieur [Y] [C] [M], [A],

2 Allée Paul Signac

92110 Clichy-La-Garenne

Représentée par Me Estelle SZWARCBART-HUBERT (SCP MORTON & ASSOCIES), avocat au barreau de GUADELOUPE/ST MARTIN/ST BARTH

Monsieur [D] [I] [Y] ayant-droit de Monsieur [Y] [C] [M], [A],

7 rue Camille Saint Saëns

92400 COURBEVOIE

Représenté par Me Estelle SZWARCBART-HUBERT (SCP MORTON & ASSOCIES), avocat au barreau de GUADELOUPE/ST MARTIN/ST BARTH

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 07 Mars 2022, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Mmes Rozenn Le GOFF et Gaëlle BUSEINE, conseillères, chargées d'instruire l'affaire.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme Rozenn Le GOFF, conseillère, présidente,

Mme Marie-Josée BOLNET, conseillère,

Mme Gaëlle BUSEINE, conseillère,

Les parties ont été avisées à l'issue des débats de ce que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour le 25 Avril 2022, date à laquelle la mise à disposition de l'arrêt a été prorogée au 16 mai 2022

GREFFIER Lors des débats Valérie SOURIANT, greffier.

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées conformément à l'article 450 al 2 du CPC.

Signé par Madame Rozenn Le GOFF, conseillère, présidente et par Mme Lucile POMMIER, greffier principal, à laquelle la décision a été remise par le magistrat signataire.

*******************

FAITS ET PROCÉDURE

Monsieur [C] [Y] a été embauché par la Caisse Générale de Sécurité Sociale de la Guadeloupe (CGSS), par un contrat de travail à durée indéterminée à compter du 16 septembre 1985, en qualité d'agent titulaire.

Madame [B] [P] a été embauchée par la CGSS par un contrat de travail à durée indéterminée à compter du 7 septembre 1981, et occupe au dernier état des relations contractuelles un poste de responsable d'unité.

Le 13 novembre 2014, lors d'un pot de départ d'un salarié de la caisse, Madame [B] [P] a estimé avoir reçu une main aux fesses de Monsieur [C] [Y], tandis que ce dernier a reconnu avoir malencontreusement frôlé le bas du dos de la salariée.

Madame [B] [P] a saisi par requête réceptionnée au greffe le 15 septembre 2016, le conseil de prud'hommes de Pointe-à-Pitre aux fins d'obtenir notamment, le versement de dommages et intérêts en réparation des agissements de harcèlement sexuel qu'elle imputait à Monsieur [C] [Y].

Le 11 octobre 2016, Monsieur [C] [Y] a été placé en arrêt de travail jusqu'au 31 octobre 2016.

Au mois d'avril 2018, Monsieur [C] [Y] a été entendu par les services de gendarmerie de Petit-Bourg suite à la plainte déposée par Madame [B] [P] à son encontre pour des faits de harcèlement sexuel.

Le 29 mai 2018, la procédure pénale initiée par Madame [B] [P] a été classée sans suite.

Par jugement du 25 septembre 2018, le conseil de prud'hommes de Pointe-à-Pitre a dit que les faits reprochés à Monsieur [C] [Y] ne sont pas constitutifs de harcèlement sexuel et a débouté Madame [B] [P] de toutes ses demandes.

Le 10 octobre 2018, Madame [B] [P] a formé appel du jugement du 25 septembre 2018.

Par mail du 5 novembre 2018, Madame [B] [P] a dénoncé auprès de ses collègues de travail les agissements de Monsieur [C] [Y].

Le 7 novembre 2018, Monsieur [C] [Y] a été placé en arrêt de travail jusqu'au 23 novembre 2018.

Monsieur [C] [Y] a saisi par requête réceptionnée au greffe le 29 novembre 2018, le conseil de prud'hommes de Pointe-à-Pitre aux fins de versement de dommages et intérêts pour des faits de harcèlement moral qu'il imputait à Madame [B] [P].

Le 13 septembre 2020, Monsieur [C] [Y] est décédé.

Par jugement rendu contradictoirement le 29 septembre 2020, le conseil de prud'hommes de Pointe-à-Pitre a :

- reçu la demande de Monsieur [C] [Y] et l'a déclaré fondée,

- condamné Madame [B] [P] à payer à Monsieur [C] [Y] la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral et celle de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté Madame [B] [P] de sa demande relative à l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné Madame [B] [P] aux entiers dépens.

Selon déclaration reçue au greffe de la cour le 9 octobre 2020, Madame [B] [P] a formé appel dudit jugement.

Par ordonnance du 13 janvier 2022, le magistrat chargé de la mise en état a prononcé la clôture de l'instruction, et renvoyé la cause à l'audience du 7 mars 2022 à 14h30.

MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Selon ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 8 janvier 2021, Madame [B] [P] demande à la cour de :

- débouter les consorts [N] et [Y] ès qualités d'héritiers de Monsieur [C] [Y] de l'intégralité de leurs demandes,

- condamner les consorts [N] et [Y] ès qualités d'héritiers de Monsieur [C] [Y] à lui verser la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi que les entiers dépens.

Madame [B] [P] soutient que :

- l'exercice des voies de recours judiciaires ne peut s'analyser en des faits constitutifs d'un harcèlement moral,

- face à l'inertie de son employeur, elle n'a eu d'autre choix que de diligenter une procédure prud'homale pour harcèlement sexuel ainsi que de déposer une plainte pour harcèlement sexuel à l'encontre de Monsieur [C] [Y],

- en adressant un mail à ses collègues via l'intranet de la CGSS, elle n'a fait qu'user de son droit à la liberté d'expression,

- dès lors, il n'existe pas de faits répétés constitutifs de harcèlement moral,

- elle n'a pas commis de harcèlement moral à l'encontre de Monsieur [C] [Y].

Selon ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 5 octobre 2021, Madame [J] [N], Madame [S] [Y], et Monsieur [D] [Y], pris en leurs qualités d'ayants-droit de Monsieur [C] [Y], demandent à la cour de :

- les recevoir en leurs prétentions et les dire fondés,

- confirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Pointe-à-Pitre en ce qu'il a reconnu l'existence de faits de harcèlement moral de la part de Madame [B] [P],

Statuant à nouveau,

- condamner Madame [B] [P] à leur verser la somme de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral,

- débouter Madame [B] [P] de l'ensemble de ses prétentions, fins et conclusions,

- condamner Madame [B] [P] au paiement de la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Madame [J] [N], Madame [S] [Y], et Monsieur [D] [Y], pris en leurs qualités d'ayants-droit de Monsieur [C] [Y] exposent que :

- Monsieur [C] [Y] a été victime de harcèlement moral de la part de Madame [B] [P],

- Madame [B] [P] a commis des agissements répétés constitutifs de harcèlement moral qui sont : l'information de sa hiérarchie, le signalement à la direction générale de la CGSS, la saisine du CHSCT, la saisine du conseil de prud'hommes de Pointe-à-Pitre au mois d'octobre 2016, le dépôt de plainte pour harcèlement sexuel, la saisine de la cour d'appel de Basse-Terre, l'envoi le 5 novembre 2018 via l'intranet de la caisse d'un texte diffamant,

- Madame [B] [P] a abusé de sa liberté d'expression en tenant des propos injurieux, diffamatoires et excessifs,

- les agissements de Madame [B] [P] ont eu des répercussions sur l'état de santé de Monsieur [C] [Y], lequel est décédé le 13 septembre 2020,

- Madame [B] [P] doit être condamnée au versement de dommages et intérêts pour harcèlement moral.

En application de l'article 455 du code de procédure civile, il convient de se reporter aux conclusions des parties pour plus ample exposé de leurs moyens et prétentions.

MOTIFS

Sur le harcèlement moral

Aux termes des articles L.1152-1 et L.1152-2 du code du travail aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

L'article L.1154-1 du même code prévoit lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié établit des faits qui permettent de présumer ou, suivant la version modifiée par la loi n°2016-1088 du 8 août 2016, laissent supposer l'existence d'un harcèlement et il incombe alors à l'employeur, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer ou, suivant la version modifiée par la loi n°2016-1088 du 8 août 2016, laissent supposer l'existence d'un harcèlement moral.

En ce qui concerne les faits présentés par les ayants-droit de Monsieur [C] [Y]

Il convient d'examiner tour à tour chacun des manquements que les ayants-droit de Monsieur [C] [Y] imputent à Madame [B] [P] et de vérifier dans un premier temps, s'ils établissent la matérialité des faits qu'ils invoquent, puis dans un second temps, d'analyser les faits établis dans leur ensemble afin de déterminer, compte tenu de leur temporalité, s'ils permettent de présumer ou s'ils laissent supposer l'existence d'un harcèlement moral.

Les ayants-droit de Monsieur [C] [Y] font valoir que Madame [B] [P] souhaitant de manière intentionnelle lui nuire, a exercé des actes répétés constitutifs de harcèlement moral, à savoir :

- les signalements auprès de sa hiérarchie directe, de la direction générale de la CGSS, et du CHSCT,

- la saisine d'une part, en 2016, du conseil de prud'hommes de Pointe-à-Pitre, et d'autre part en 2018, de la cour d'appel de Basse-Terre,

- le dépôt de plainte pour harcèlement sexuel,

- l'envoi le 5 novembre 2018 via l'intranet de la caisse d'un texte diffamant.

1) Les signalements auprès de sa hiérarchie directe, de la direction générale de la CGSS et du CHSCT

Pour étayer leurs dires, les ayants-droit versent aux débats un mail du 5 novembre 2018 intitulé « reprise de travail après 11 mois d'arrêt pour longue maladie », par lequel Madame [B] [P] dénonçait auprès des agents de la caisse les agissements de Monsieur [C] [Y].

La salariée expliquait notamment avoir informé sa hiérarchie : « J'ai informé ma hiérarchie directe, Madame [G] [L], de ce fait grave qui porte atteinte à ma dignité, oralement dès le lendemain et par mail le 17 novembre 2014. Entre temps, je suis partie en Martinique où je suivais une formation en alternance et, à chaque retour, je demandais à Madame [L] où en était mon dossier mais je n'avais que des réponses évasives. »

Madame [B] [P] continuait en expliquant avoir fait un signalement auprès de la direction générale de la caisse et du CHSCT : « Le 24 décembre 2014, n'ayant toujours aucune nouvelle du suivi de mon affaire, j'ai sollicité un entretien auprès du directeur général, Monsieur [Z] [BK] à qui j'ai exposé les faits. Le directeur général m'a affirmé qu'une suite, quelle qu'elle soit, sera donnée à ma plainte.

16 mois après, devant le silence de mon employeur, au mois de mars 2016, j'ai contacté le CHSCT afin de savoir où en était mon dossier. (...)

Dans le signalement fait par Madame [G] [L], Monsieur [C] [Y] avoue un geste déplacé.

Comme vous pouvez le constater, Madame [G] [L] a mis près de deux mois pour signaler ce cas aussi grave à la direction des ressources humaines. »

Madame [B] [P] poursuivait ses explications tout en précisant avoir sollicité de la direction de la caisse qu'elle notifie un avertissement à Monsieur [C] [Y] : « Dans mon signalement à la direction générale, j'ai demandé à ce que Monsieur [Y] ait un avertissement or, c'est une faute grave passible de licenciement. Même un simple avertissement, un blâme, la direction n'a été capable d'infliger à cet homme. »

La salariée relatait dans le message adressé au personnel de la caisse, le déroulement de l'entretien préalable de Monsieur [C] [Y] : « Par la suite, ce monsieur a été convoqué le 22 janvier 2015 à un entretien préalable en application de l'article 48 de la convention collective nationale du personnel des organismes sociaux (mesures disciplinaires).

Cet entretien où étaient présentes trois femmes : Madame [F] [O], directrice des ressources humaines de l'époque, un agent du service relation sociale et une représentante syndicale, fut une mascarade qui a duré littéralement 10 minutes. Les faits rapportés par Monsieur [Y] n'ont rien à voir avec ce qui s'est réellement passé. Il a en effet lui-même avoué à Madame [L] avoir eu un geste déplacé avant de changer de version au moment de cet entretien : sa main se serait glissée par hasard sur le bas de mon dos en voulant me taper sur le bras. »

Il résulte de l'ensemble de ces éléments que Madame [B] [P] a effectué plusieurs signalements auprès de sa hiérarchie directe, de la direction générale de la CGSS et du CHSCT.

En conséquence, les faits sont établis.

2) La saisine en 2016, du conseil de prud'hommes de Pointe-à-Pitre, et en 2018, de la cour d'appel de Basse-terre

Il résulte des pièces versées par les ayants-droit de Monsieur [C] [Y] que Madame [B] [P] a saisi par requête réceptionnée au greffe le 15 septembre 2016, le conseil de prud'hommes de Pointe-à-Pitre aux fins d'obtenir le versement de dommages et intérêts en réparation des agissements de harcèlement sexuel qu'elle imputait à Monsieur [C] [Y].

Par jugement du 25 septembre 2018, le conseil de prud'hommes de Pointe-à-Pitre déboutait Madame [B] [P] de toutes ses demandes.

Le 10 octobre 2018, Madame [B] [P] interjetait appel du jugement.

Ces éléments permettent de démontrer que Madame [B] [P] saisissait à l'encontre de Monsieur [C] [Y], le conseil de prud'hommes de Pointe-à-Pitre en 2016, puis la cour d'appel de Basse-Terre en 2018.

En conséquence, les faits sont établis.

3) Le dépôt de plainte pour harcèlement sexuel

Les ayants-droit de Monsieur [C] [Y] versent au dossier une convocation de Monsieur [C] [Y] au mois d'avril 2018, par les services de la gendarmerie de Petit-Bourg.

Dans ses écritures, Madame [B] [P] reconnaît avoir porté plainte à l'encontre de Monsieur [C] [Y] pour agression sexuelle.

En conséquence, les faits sont établis.

4) L'envoi le 5 novembre 2018 via l'intranet au personnel de la CGSS d'un texte diffamant

Pour faire la preuve de ce grief, les ayants-droit de Monsieur [C] [Y] s'appuient sur le mail du 5 novembre 2018 adressé par Madame [B] [P] au personnel de la CGSS, dans les termes suivants :

« Le jeudi 13 novembre 2014, lors d'un pot de départ à la retraite, j'ai subi une agression physique à connotation sexuelle de la part de Monsieur [C] [Y], contrôleur de sécurité assermenté et agréé en risques professionnels. (')

Monsieur [Y] a touché le bras droit d'une première collègue, celle-ci s'est dégagée et a continué à avancer. Il a tenu le bras d'une deuxième collègue, celle-ci se dégagea également et quand je suis arrivée à son niveau, il me prit le bras aussi et je lui dis « kaw enmé touché moun kon sa ».

En réponse, il m'asséna une violente claque sur les fesses et en riant me dit « tu l'as eu maintenant, j'ai touché ». (')

L'attitude de Monsieur [Y] est inqualifiable et dégradante pour moi. Il y a eu violence physique à caractère sexuel. Ce monsieur s'est octroyé le droit de faire de moi son objet sexuel en m'agressant de la sorte. Il n'a pas accepté que moi, femme, je lui tienne tête et lui fasse une réflexion. (')

Monsieur [Y] m'a violemment frappé sur les fesses, il y avait des témoins directs et indirects, personne n'a été entendu, rien n'a été fait. (')

J'aime mon entreprise et je n'accepte pas que tout le travail que nous faisons quotidiennement auprès des autres entreprises puisse être sali, bafoué par un individu sans vergogne, irrespectueux des femmes, sexiste.(')

Monsieur [C] [Y] est un pervers qui n'a pu résister à ses pulsions car, par la suite, en discutant avec les collègues, j'ai appris que celui-ci s'était excité tout seul depuis le début de la fête. Il n'arrêtait pas de tenir des propos indécents sur le postérieur et les seins d'une collègue. (')

Chers collègues, il y a de belles personnes dans notre organisme, hommes et femmes, mais hélas, il y a aussi des prédateurs, des pervers, des obsédés. Je ne dirais pas des porcs car ce serait une insulte à la race porcine. (...)

La CGSS ne doit pas être un lieu de non droit pour les pervers en tout genre, disons STOP ! (')

Cette histoire ne fera que me fortifier et, s'il faut me battre jusqu'à mon départ à la retraite pour faire reconnaître l'injustice dont j'ai été victime de la part de mon employeur, je le ferai car il y a un coupable mais aussi des responsables. »

Ainsi, le grief tenant à l'envoi le 5 novembre 2018 via l'intranet de la caisse, d'un texte diffamant au personnel est établi.

Enfin, les ayants-droit de Monsieur [C] [Y] versent aux débats divers documents médicaux (arrêts de travail, certificats médicaux) qui mettent en évidence chez le salarié dès le mois d'octobre 2016, une poussée de tension artérielle et un état anxiodépressif réactionnel, et au cours de l'année 2018, un cancer de la prostate.

En définitive, ces éléments, pris ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral au sein de l'entreprise à l'égard de Monsieur [C] [Y].

En ce qui concerne les éléments apportés par Madame [B] [P]

Il incombe alors à Madame [B] [P], au vu de ces éléments, de prouver que ses agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Madame [B] [P] considère que ses agissements ne sont que la mise en oeuvre légitime de voies de recours. Dès lors, elle estime que la saisine à la fois de sa hiérarchie et des juridictions prud'homales et pénales face aux agissements de Monsieur [C] [Y] qu'elle considère comme étant constitutifs de harcèlement sexuel, n'est que l'exercice normal de son droit d'agir.

La salariée ajoute que le mail qu'elle a adressé à ses collègues le 5 novembre 2018, ne constitue que l'exercice de sa liberté d'expression.

Afin de démontrer selon elle, l'évolution de la justice, Madame [B] [P] verse aux débats des articles de presse de 2017 à 2019, relatant des affaires judiciaires dans lesquelles des individus avait été condamnés pour avoir mis des mains aux fesses.

Madame [B] [P] produit également plusieurs messages émanant de salariés de la CGSS en réponse à son mail du 5 novembre 2018.

Ainsi, le 5 novembre 2018, Madame [K] [U] soutenait l'action de Madame [B] [P], expliquant avoir elle-même subi un harcèlement moral de son ancienne supérieure hiérarchique.

Le 5 novembre 2018, Madame [H] [XJ] manifestait sa surprise face aux affirmations de Madame [B] [P] et exprimait son soutien.

De la même façon, le 5 novembre 2018, Monsieur [W] [R] affirmait ne pas avoir eu connaissance de ces faits et exprimait son soutien envers la salariée.

Enfin, le 7 décembre 2018, Madame [X] [T] manifestait auprès de la salariée son soutien et ses encouragements.

Il découle de ce qui précède qu'en exerçant diverses voies de recours (signalements auprès de sa hiérarchie, saisine du conseil de prud'hommes, saisine de la cour d'appel, dépôt de plainte), Madame [B] [P] n'a fait qu'user de son droit d'agir en Justice qui relève d'une liberté fondamentale.

Dès lors, ces agissements sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

En outre, le mail en date du 5 novembre 2018 envoyé par Madame [B] [P] via l'intranet au personnel de la CGSS, n'est pas à lui seul constitutif de harcèlement moral.

En conséquence, les ayants-droit de Monsieur [C] [Y] seront déboutés de leur demande de dommages et intérêts pour harcèlement moral.

Le jugement est infirmé sur ce point.

Sur les autres demandes

Au regard de la solution apportée au règlement du litige, le jugement sera infirmé en ce qu'il a condamné Madame [B] [P] à payer à Monsieur [C] [Y] la somme de 1000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Il n'apparaît pas inéquitable de laisser à la charge de chacune des parties les frais qu'elles ont engagés en cause d'appel et qui ne seront pas compris dans les dépens.

Les entiers dépens sont mis à la charge des ayants-droit de Monsieur [C] [Y].

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe et en dernier ressort,

Infirme le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Pointe-à-Pitre le 29 septembre 2020 en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Laisse à la charge de chacune des parties les frais qu'elles ont engagés en cause d'appel et qui ne sont pas compris dans les dépens,

Dit que les entiers dépens sont à la charge de ayants-droit de Monsieur [C] [Y],

Déboute les parties du surplus de leurs demandes.

Le greffier,La présidente,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Basse-Terre
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 20/00726
Date de la décision : 16/05/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-05-16;20.00726 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award