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05/10/2020 | FRANCE | N°18/003771

France | France, Cour d'appel de Basse-Terre, 04, 05 octobre 2020, 18/003771


COUR D'APPEL DE BASSE-TERRE

CHAMBRE SOCIALE
ARRÊT No 182 DU CINQ OCTOBRE DEUX MILLE VINGT

AFFAIRE No : No RG 18/00377 - No Portalis DBV7-V-B7C-C6A7

Décision déférée à la Cour : Jugement du Conseil de Prud'hommes de Pointe-à-Pitre - section commerce - du 8 Février 2018.

APPELANT

Monsieur S... G...
[...]
[...]
[...]
Représenté par Maître Anis MALOUCHE (Toque 125), avocat au barreau de GUADELOUPE/ST MARTIN/ST BARTH

INTIMÉE

SARL KAHOUANNE RESTAURATION (QUAI 17) représentée par son gérant domicilié audit siège [...]>[...]
Représentée par Maître Jean-Marc DERAINE (SELARL DERAINE et ASSOCIES) Toque 23, avocat au barreau de GUADELOUPE/ST MA...

COUR D'APPEL DE BASSE-TERRE

CHAMBRE SOCIALE
ARRÊT No 182 DU CINQ OCTOBRE DEUX MILLE VINGT

AFFAIRE No : No RG 18/00377 - No Portalis DBV7-V-B7C-C6A7

Décision déférée à la Cour : Jugement du Conseil de Prud'hommes de Pointe-à-Pitre - section commerce - du 8 Février 2018.

APPELANT

Monsieur S... G...
[...]
[...]
[...]
Représenté par Maître Anis MALOUCHE (Toque 125), avocat au barreau de GUADELOUPE/ST MARTIN/ST BARTH

INTIMÉE

SARL KAHOUANNE RESTAURATION (QUAI 17) représentée par son gérant domicilié audit siège [...]
[...]
Représentée par Maître Jean-Marc DERAINE (SELARL DERAINE et ASSOCIES) Toque 23, avocat au barreau de GUADELOUPE/ST MARTIN/ST BARTH

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 785 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 22 Juin 2020, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Mme Rozenn Le GOFF, conseillère, chargée d'instruire l'affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme Rozenn Le GOFF, conseillère, présidente,
Mme Gaëlle BUSEINE, conseillère,
Mme Annabelle CLEDAT, conseillère.

Les parties ont été avisées à l'issue des débats de ce que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour le 5 octobre 2020

GREFFIER Lors des débats : Mme Valérie Souriant, greffier.

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées conformément à l'article 450 al 2 du CPC. Signé par Mme Rozenn Le GOFF, conseillère, présidente et par Mme Valérie Souriant, greffier, à laquelle la décision a été remise par le magistrat signataire.
*********

FAITS ET PROCÉDURE

Monsieur S... G... a été engagé par la SARL Kahouanne Restauration par contrat unique d'insertion à durée indéterminée à temps partiel (20 heures hebdomadaire) à compter du 6 février 2012, en qualité de serveur.

Le 15 décembre 2014, Monsieur S... G... a été victime d'un accident du travail et placé en arrêt de travail.

Par avenant à son contrat de travail en date du 1er janvier 2015, la durée hebdomadaire de travail de Monsieur S... G... a été portée à 24 heures.

Par courriers recommandés avec accusés de réception des 22 janvier et 9 février 2015, Monsieur S... G... a reproché à l'égard de son employeur divers griefs.

Le 13 février 2015, la Caisse Générale de Sécurité Sociale de la Guadeloupe (CGSS) a notifié à Monsieur S... G... le refus de prise en charge de son accident du travail au titre de la législation sur les risques professionnels.

Le 4 mars 2015, lors de la visite de reprise, Monsieur S... G... a été déclaré en un seul examen inapte à son poste de travail avec « danger immédiat ».

Par courrier du 9 mars 2015, la société Kahouanne Restauration a mis en demeure Monsieur S... G... de justifier ses absences depuis le 6 mars 2015.

Estimant que la rupture de son contrat de travail doit s'analyser en une prise d'acte aux torts de son employeur, Monsieur S... G... a saisi par requête réceptionnée au greffe le 28 avril 2015, le conseil de prud'hommes de Pointe-à-Pitre aux fins de voir condamner la SARL Kahouanne Restauration à lui verser diverses indemnités liées à l'exécution et la rupture de son contrat de travail.

Le 28 novembre 2015, Monsieur S... G... a déposé plainte auprès des services de gendarmerie et a déclaré avoir subi le 15 décembre 2014 de la part de son employeur, Monsieur R... N..., des faits de violences.

Par jugement rendu contradictoirement le 8 février 2018, le conseil de prud'hommes de Pointe-à-Pitre a :

- constaté que la rupture du contrat de travail s'analyse en une démission,
- condamné la SARL Kahouanne Restauration en la personne de son représentant légal à remettre à Monsieur S... G... les documents suivants :

- le certificat de travail,
- l'attestation Pôle emploi,
Le tout sous astreinte de 50,00 euros par jour de retard à compter de la notification du jugement,
- débouté Monsieur S... G... du surplus de sa requête,
- débouté la partie défenderesse de toutes ses prétentions,
- condamné le demandeur aux éventuels dépens de l'instance.

Selon déclaration reçue au greffe de la cour le 19 mars 2018, Monsieur S... G... a formé appel partiel dudit jugement, qui lui a été notifié par courrier du 15 février 2018 retourné avec la mention « destinataire inconnu à l'adresse ».

Par ordonnance de la mise en état du 18 février 2019, la cour a rejeté les demandes de Monsieur S... G... formulées par conclusions d'incident, tendant notamment à la communication par la société Kahouanne de l'enregistrement vidéo du 15 décembre 2014 ainsi que de sa retranscription, par la CGSS du rapport ou tout témoignage de Monsieur D... se rapportant au visionnage de la vidéo, et par la gendarmerie du procès-verbal de visionnage de la vidéo.

Par ordonnance du 9 avril 2020, le magistrat chargé de la mise en état a prononcé la clôture de l'instruction, et renvoyé la cause à l'audience du 22 juin 2020 à 14h30.

MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Selon ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 9 janvier 2020, Monsieur S... G... demande à la cour de :

- infirmer le jugement dont appel en ce qu'il a considéré que la rupture du contrat de travail s'analysait en une démission,
Statuant à nouveau,
- dire que la lettre du 22 janvier 2015 s'analyse en une prise d'acte de la rupture du contrat aux torts de la société Kahouanne,
- constater que les faits allégués et démontrés justifiaient une prise d'acte de la rupture de son contrat de travail,
- dire et juger que la rupture de son contrat de travail s'analyse en une prise d'acte aux torts de l'employeur,
En conséquence,
- condamner la SARL Kahouanne à lui payer les sommes suivantes :
* 2 915,04 euros au titre de l'indemnité de préavis,
* 728 euros au titre de l'indemnité légale de licenciement,
* 14 575,20 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive,
* 8 745,12 euros à titre d'indemnité pour travail dissimulé,
* 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral et physique,
* 15 000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice de retraite,
* 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour retard dans la délivrance des attestations de salaire,
* 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.

Monsieur S... G... soutient que :

- la lettre du 22 janvier 2015 constitue non pas une démission mais une prise d'acte de la rupture de son contrat de travail aux torts exclusifs de son employeur,
- le courrier du 22 janvier 2015 fait référence aux griefs reprochés à la société,
- il a subi de la part de son employeur un harcèlement moral, ainsi que des violences physiques,
- la vidéo invoquée mais non produite par l'employeur ne peut être que favorable à sa version des faits,
- son employeur s'est rendu coupable de travail dissimulé en le faisant travailler pour la société sans contrat de travail du mois de février 2011 au mois de février 2012,
- l'infraction de travail dissimulé reprochée n'est pas prescrite, expliquant que ce n'est qu'à compter du 2 février 2015 qu'il a compris qu'il n'avait pas été déclaré dès 2011 par son employeur.

Selon ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 15 janvier 2020, la SARL Kahouanne Restauration demande à la cour de :

A titre principal,
- dire et juger que Monsieur S... G... n'a pas à ce jour pris acte de la rupture de son contrat de travail,
- dire et juger que Monsieur S... G... est défaillant à démontrer un quelconque manquement contractuel à son préjudice,
En conséquence,
- confirmer le jugement de la section commerce du conseil de prud'hommes de Pointe-à-Pitre en date du 8 février 2018 en toutes ses dispositions,
- débouter Monsieur S... G... de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
A titre subsidiaire,
Dans l'hypothèse où il serait admis que Monsieur S... G... a unilatéralement pris acte de la rupture de son contrat de travail,
- constater que la Caisse Générale de Sécurité Sociale a refusé de qualifier les faits allégués par Monsieur S... G... d'accident du travail,
- constater que Monsieur S... G... ne justifie pas des faits matériels qu'il invoque au renfort de prétendues violences,
- constater que Monsieur S... G... est défaillant dans la démonstration d'agissements répétés ayant eu pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptibles de porter atteinte à ses droits et à sa dignité ou d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel,
- dire et juger le harcèlement moral allégué inexistant,
- plus généralement, dire et juger que Monsieur S... G... est défaillant à démontrer un quelconque manquement contractuel de son employeur à son préjudice,
- en outre, constater que Monsieur S... G... prétend avoir travaillé de février 2011 à janvier 2012 de façon dissimulée sans avoir été réceptionnaire de bulletins de paie ni avoir été payé,
- constater que Monsieur S... G... a introduit son action prud'homale le 28 avril 2015,
En conséquence,
- dire et juger l'action de Monsieur S... G... frappée par la prescription biennale de l'article L1471-1 du code du travail,
En tout état de cause,
- dire et juger que Monsieur S... G... est défaillant à démontrer l'existence d'un quelconque travail dissimulé,
En conséquence,
- constater que Monsieur S... G... est défaillant dans la démonstration de manquements contractuels de son employeur ayant pu interdire la poursuite de son contrat de travail,
En conséquence,
- confirmer le jugement de la section commerce du conseil de prud'hommes de Pointe-à-Pitre en date du 8 février 2018 en toutes ses dispositions et notamment en ce qu'il a dit et juger que la rupture de son contrat de travail qui serait intervenue le 22 janvier 2015 est constitutive d'une démission et débouté Monsieur S... G... de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
- eu égard à la légèreté des demandes de Monsieur S... G..., le condamner à payer à la société une somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

La société Kahouanne Restauration expose que :

- Monsieur S... G... n'a à aucun moment pris acte de la rupture de son contrat de travail,
- dans son courrier du 22 janvier 2015, le salarié n'expose pas sa volonté de mettre fin au contrat de travail et ne réclame pas ses documents de fin de contrat,
- Monsieur S... G... a en réalité formulé une demande initiale de résolution judiciaire de son contrat de travail,
- le contrat de travail de l'appelant s'est poursuivi après le 22 janvier 2015,
- les manquements reprochés ne sont pas démontrés,
- la CGSS a refusé de prendre en charge l'accident du travail de Monsieur S... G...,
- l'avis d'inaptitude de Monsieur S... G... lui est inopposable,
- la demande d'indemnité de Monsieur S... G... fondée sur l'existence d'un travail dissimulé est prescrite, et l'infraction n'est pas en elle-même caractérisée.

MOTIFS

Sur la demande de qualification de la lettre du 22 janvier 2015 en prise d'acte de la rupture du contrat de travail

Il se déduit des dispositions de l'article L1231-1 du code du travail que lorsqu'un salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur, cette rupture produit les effets soit d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient, soit, dans le cas contraire, d'une démission.

Il est constant que la prise d'acte résulte d'une manifestation explicite de volonté du salarié, exprimée à l'égard de l'employeur, de rompre le contrat de travail.

L'article 12 code de procédure civile impose au juge de donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux sans s'arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée.

Par courrier recommandé avec accusé de réception et lettre simple du 22 janvier 2015, Monsieur S... G... a formulé à l'égard de son employeur divers reproches dans les termes suivants :

"(...) coups et blessures dont vous êtes l'auteur
Un ITT de 17 jours m'a été imposé par le médecin et cet arrêt de travail vient d'être prolongé de 30 jours. Cela justifie la gravité des faits et le chirurgien-dentiste que j'ai consulté, a constaté un déchaussement de plusieurs dents comme le confirme le certificat en copie jointe. Si l'on se réfère qu'à ces faits cités, les répercussions à votre égard risquent d'être graves. En effet, et malheureusement en ce qui vous concerne, d'autres préjudices doivent être signifiés :
- mon embauche dans votre établissements depuis le début de mon activité, je vous rappelle que j'ai travaillé une année en 2011 sans aucune déclaration d'embauche, sans que cela puisse vous inquiéter.
- mon contrat de travail
après cette année 2011 sans contrat, vous avez effectué le 6 février 2012 un contrat de travail à temps partiel, soit 20h par semaine sachant que je travaillais à plein temps depuis le début de mon activité. De très nombreux témoignages peuvent le justifier.
Pourtant, il y a quelques mois, vous m'avez annoncé et promis que j'aurais un contrat de travail établi en bonne et due forme et surtout légal. Celui-ci n'a pas été fait sous prétexte que votre comptable s'y opposait

Or, étonnamment et de plus pendant mon arrêt de travail vous m'établissez un nouveau contrat de travail, toujours à mi-temps
stipulant des horaires de 8h à 12h, mais sans mentionner de fonction, ce qui, évidemment le rend caduque.
Par la suite et au vu de vos attitudes et de vos comportements, il n'est plus envisageable d'exercer toute activité à vos côtés et par rapport aux éléments cités ci-dessus il serait inconscient de ma part d'accepter un licenciement avec des indemnités ridicules basées sur des déclarations qui ont eu comme seul intérêt financier
que le vôtre. (
)
Il serait peut-être souhaitable d'avoir une analyse synthétique de la situation afin de trouver la bonne solution malgré mon état psychique altéré suite à un harcèlement récurrent.
Je réitère qu'il faut absolument trouver au plus vite la solution pour que mon licenciement soit basé sur des éléments justes et non frauduleux. Mon conseil souhaite que cette affaire soit réglée au mieux afin d'éviter une procédure lourde. (...)"

Monsieur S... G... évoque la rupture de son contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur. Il manifeste clairement une volonté de cesser son activité pour le compte de la société Kahouanne Restauration, mais précise néanmoins à son employeur qu'une « bonne solution » doit être trouvée pour la rupture du contrat de travail. Il souligne notamment pour l'avenir la nécessité d'avoir « une analyse synthétique de la situation », et de « trouver au plus vite la solution ».

Si les termes employés par Monsieur S... G... dans la lettre du 22 janvier 2015, font expressément référence à une volonté de rompre les liens contractuels avec la société Kahouanne Restauration, la rupture envisagée ne semble pas posséder un caractère immédiat, mais paraît être envisagée pour l'avenir après concertation. Le contenu du courrier du 22 janvier 2015 ne permet pas de déduire que Monsieur S... G... a souhaité prendre l'initiative de la rupture.

Par courrier recommandé avec accusé de réception du 2 février 2015, Monsieur R... N... répondait à Monsieur S... G... et lui indiquait s'agissant de la rupture de son contrat de travail : « je vous rappelle que vous êtes actuellement dans une situation qui ne permet aucune rupture de votre contrat de travail en l'état. Je reste donc dans l'attente de votre reprise de travail à l'issue de cet arrêt de pure circonstance. »

Par courrier du 9 février 2015, Monsieur S... G... précisait notamment à son employeur : « Je suis navré d'en être arrivé à une telle situation car vous savez très bien que je ne suis pas procédurier. j'ai simplement souhaité un peu de compréhension de votre part, de la clarté dans les différents propos et que chacun puisse agir avec conscience professionnelle. »

Il apparaît à la lecture des bulletins de paie, que Monsieur S... G... était placé en arrêt de travail à compter de son accident du 15 décembre 2014, jusqu'au 31 mars 2015. Il ressort des éléments du dossier que Monsieur S... G... a adressé à la société Kahouanne Restauration la prolongation de son arrêt de travail pour une période postérieure au 22 janvier 2015, allant du 25 février au 5 mars 2015.

Par courrier du 9 mars 2015, la société Kahouanne Restauration a mis en demeure Monsieur S... G... de justifier ses absences depuis le 6 mars 2015.

Les relations contractuelles n'ont dès lors pas cessé immédiatement après l'envoi du courrier du 22 janvier 2015. Les agissements de l'employeur démontrent d'ailleurs que ce dernier considérait Monsieur S... G... toujours comme un salarié de l'entreprise en mars 2015.

Au regard de ces éléments, il y a lieu d'observer, que Monsieur S... G... n'a pas manifesté une volonté irrévocable de rompre son contrat de travail à la date du 22 janvier 2015, de sorte que le courrier invoqué ne saurait constituer une prise d'acte de la rupture du contrat de travail.

Force est de constater qu'à ce jour, la société Kahouanne Restaurant n'a pas mis en œuvre de procédure de licenciement à l'égard de Monsieur S... G....

En conséquence, la demande de Monsieur S... G... de requalification de la prise d'acte de la rupture de son contrat de travail en licenciement sans cause réelle et sérieuse sera rejetée.

Le jugement est confirmé sur ce point.

Sur le harcèlement moral

Aux termes des articles L.1152-1 et L.1152-2 du code du travail aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

L'article L.1154-1 du même code prévoit lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié établit des faits qui permettent de présumer ou, suivant la version modifiée par la loi no2016-1088 du 8 août 2016, laissent supposer l'existence d'un harcèlement et il incombe alors à l'employeur, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer ou, suivant la version modifiée par la loi no2016-1088 du 8 août 2016, laissent supposer l'existence d'un harcèlement moral.

Monsieur S... G... reproche à son employeur son comportement déloyal ainsi que des agressions psychiques et physiques. Il sollicite une indemnité d'un montant de 10 000 euros au titre du harcèlement moral et de l'agression physique qu'il estime avoir subi.

Il convient de vérifier dans un premier temps, si Monsieur S... G... établit la matérialité des faits qu'il invoque puis dans un second temps d'analyser les faits établis dans leur ensemble afin de déterminer s'ils permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral.

1) Sur le comportement déloyal de l'employeur

Pour étayer ses dires, le salarié verse aux débats la lettre de mise en demeure de justifier ses absences qui lui a été adressée le 9 mars 2015 par son employeur, ainsi que plusieurs mails de l'assurance maladie l'informant qu'elle demeurait dans l'attente de certaines attestations de salaire, lesquels s'inscrivent dans un contexte d'absence de Monsieur S... G... en raison d'un arrêt de travail.

Ainsi, ces courriers pris dans le cadre de l'accident du travail survenu le 15 décembre 2014 ayant engendré un arrêt de travail, ne sauraient constituer un comportement déloyal de l'employeur à l'égard de Monsieur S... G....

La matérialité de ce premier fait n'est pas établie.

2) Sur l'agression du 15 décembre 2014

Pour étayer ses dires, le salarié verse notamment aux débats les éléments suivants :

- un certificat médical du 16 décembre 2014,
- un dépôt de plainte du 28 novembre 2015,
- plusieurs attestations.

Le docteur O... constatait le 16 décembre 2014, soit le lendemain des faits, les lésions suivantes : « (
) jeu au niveau de l'appareil dentaire qui n'existait pas : dentiste à voir. + Discret oedeme du palais en regard de la partie ant de l'appareil et deux ecchymoses punctiformes joue dte sans autre lésion. » Il prononçait une interruption temporaire de travail de 17 jours.

Monsieur S... G... a déposé plainte le 28 novembre 2015 auprès des services de gendarmerie, soit près d'un an après les faits, pour violence suivie d'incapacité supérieure à 8 jours. A la question « le jour des faits, il vous colle contre le mur, vous donne t-il des coups ? », Monsieur S... G... répondait : « Non lorsqu'il m'a collé contre le mur j'ai un appareil dentaire cela m'a décollé trois dents. Je vous remets aussi la copie d'un certificat rédigé par un psychiatre de [...] pour attester de ma dépression. »

Il ressort de l'attestation de Madame H... Q... en date du 19 février 2016, qu'elle n'a pas été un témoin direct de l'altercation du 15 décembre 2014. En effet, l'attestante ne fait que reprendre les dires de Monsieur S... G.... Enfin si les autres attestations communiquées par l'appelant permettent de mettre en évidence le professionnalisme de celui-ci, elles ne sont pas de nature à démontrer la réalité de l'agression physique que Monsieur S... G... aurait subie de la part de son employeur.

Force est de constater que Monsieur S... G... et son employeur partageaient une histoire commune possédant un caractère non professionnel puisque Monsieur R... N... est devenu le compagnon de l'ex-femme de Monsieur S... G.... Cette situation a pu engendrer des tensions entre les deux protagonistes sur un plan personnel.

La matérialité de ce second fait n'est pas établie.

En définitive, la cour relève qu'au regard de ces éléments et des pièces versées aux débats, Monsieur S... G... n'établit pas la matérialité de faits précis et concordants qui, pris dans leur ensemble permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral.

En outre, Monsieur S... G... verse aux débats divers documents médicaux (ordonnances et attestations médicales). Cependant, des certificats médicaux ne peuvent à eux seuls laisser présumer une situation de harcèlement moral, en l'absence d'agissements de cette nature. Le harcèlement moral ne saurait se déduire de la seule altération de la santé du salarié. Le harcèlement moral ayant été écarté, le salarié ne rapporte la preuve d'aucun lien entre les pièces médicales et un harcèlement dans le cadre professionnel.

En conséquence, Monsieur S... G... doit être débouté de sa demande indemnitaire pour harcèlement moral.

Le jugement est confirmé sur ce point.

Sur le travail dissimulé

En application de l'article L8221-5 du code du travail, est réputé travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié le fait pour tout employeur :

1o Soit de se soustraire intentionnellement à l'accomplissement de la formalité prévue à l'article L. 1221-10, relatif à la déclaration préalable à l'embauche ;

2o Soit de se soustraire intentionnellement à l'accomplissement de la formalité prévue à l'article L. 3243-2, relatif à la délivrance d'un bulletin de paie, ou de mentionner sur ce dernier un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne résulte pas d'une convention ou d'un accord collectif d'aménagement du temps de travail conclu en application du titre II du livre Ier de la troisième partie ;

3o Soit de se soustraire intentionnellement aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ceux-ci auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales ou de l'administration fiscale en vertu des dispositions légales.

Il appartient au salarié d'apporter la preuve d'une omission intentionnelle de l'employeur.

L'article L1471-1 du code du travail dans sa version applicable, prévoit que toute action portant sur l'exécution ou la rupture du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit.

En ce qui concerne la prescription de l'action fondée sur des faits survenus au cours de l'année 2011

En l'espèce, Monsieur S... G... fait valoir qu'il a travaillé pour le compte de la société Kahouanne Restauration à compter du mois de février 2011 sans que cette dernière n'ait procédé aux formalités légales relatives à son emploi. A compter du 6 février 2012 Monsieur S... G... a été embauché par la société Kahouanne Restauration par contrat unique d'insertion à durée indéterminée. Il avait donc nécessairement connaissance à cette date, à partir de laquelle sa situation était selon ses dires régularisée, des faits de travail dissimulé qu'il invoque.

Or, Monsieur S... G... a sollicité pour la première fois une indemnité au titre du travail dissimulé lors de la saisine du conseil de prud'hommes le 28 avril 2015, soit plus de trois ans après la date à laquelle il a eu connaissance des faits lui permettant d'exercer son droit.

En conséquence, l'action de Monsieur S... G... tendant à l'obtention d'une indemnité pour travail dissimulé fondée sur des faits survenus au cours de l'année 2011 est prescrite.

Le jugement est confirmé sur ce point.

En ce qui concerne le bien fondé de la demande d'indemnité pour travail dissimulé relativement à des faits survenus durant l'exécution du contrat à durée indéterminée

En l'espèce, Monsieur S... G... soutient que l'employeur l'a déclaré à temps partiel à partir de février 2012 alors qu'il travaillait en réalité à temps complet.

En dehors de cette affirmation, Monsieur S... G... ne se prévaut d'aucun élément susceptible de permettre à la cour de retenir l'élément intentionnel imputable à la société Kahouanne Restauration et nécessaire pour caractériser le travail dissimulé, la production de son contrat de travail, et de ses bulletins de paie étant insuffisante.

Il y a donc lieu de dire que Monsieur S... G... ne rapporte pas la preuve de l'intention de la société Kahouanne Restauration dans la dissimulation d'emploi salarié.

En conséquence, Monsieur S... G... est débouté de sa demande d'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé, ainsi que de sa demande de dommages et intérêts afférente pour préjudice de retraite.

Le jugement est confirmé sur ce point.

Sur le retard dans la délivrance des attestations de salaire

Il est constant que le manquement de l'employeur à l'une de ses obligations légales n'ouvre pas de droit systématique à réparation pour le salarié qui devra pour cela démontrer qu'il a effectivement subi un préjudice du fait de ce manquement. L'existence d'un préjudice et son évaluation relèvent du pouvoir d'appréciation des juges du fond.

Monsieur S... G... sollicite la somme de 5 000 euros à titre d'indemnité pour retard dans la délivrance des attestations de salaire. L'appelant n'apporte aucune explication dans ses écritures au soutien de cette demande. Il se contente de verser aux débats trois mails des 26 octobre 2015, 25 mai 2016 et 2 août 2016, l'informant que la caisse demeurait dans l'attente de certaines attestations de salaire de la part de son employeur. Monsieur S... G... ne justifie d'aucun préjudice qui aurait été causé par ce retard dans la délivrance des attestations de salaire.

En conséquence, Monsieur S... G... sera débouté de sa demande de dommages et intérêts pour retard dans la délivrance des attestations de salaire.

Le jugement est confirmé sur ce point.

Sur les autres demandes

Au regard de la solution apportée au règlement du litige, il convient de débouter Monsieur S... G... de sa demande formée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Il serait inéquitable que la société Kahouanne Restauration supporte l'intégralité de ses frais irrépétibles. En conséquence, Monsieur S... G... sera condamné à lui verser la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Les dépens sont mis à la charge de Monsieur S... G....

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe et en dernier ressort,

Confirme le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Pointe-à-Pitre le 8 février 2018 en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Condamne Monsieur S... G... à verser à la SARL Kahouanne Restauration la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Dit que les dépens de l'instance d'appel sont à la charge de Monsieur S... G....

Le greffier, La présidente,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Basse-Terre
Formation : 04
Numéro d'arrêt : 18/003771
Date de la décision : 05/10/2020
Sens de l'arrêt : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.basse-terre;arret;2020-10-05;18.003771 ?
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