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23/03/2020 | FRANCE | N°18/00843

France | France, Cour d'appel de Basse-Terre, 2ème chambre civile, 23 mars 2020, 18/00843


COUR D'APPEL DE BASSE-TERRE



2ème CHAMBRE CIVILE



ARRET N° 160 DU 23 MARS 2020









N° RG 18/00843 - AC/SV



N° Portalis DBV7-V-B7C-C7HH



Décision déférée à la cour : Jugement du tribunal de grande instance de Basse-Terre, décision attaquée en date du 24 mai 2018, enregistrée sous le n° 15/00562





APPELANTS :



Madame [C] [N] [F] épouse [A]

[Adresse 7]

[Localité 5]



Monsieur [Y] [K] [F]

[Adresse 7]

[Localité 5]
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Tous représentés par Me Charles-Henri Coppet, avocat au barreau de GUADELOUPE/ST MARTIN/ST BART





INTIMES :



Monsieur [X] [F]

[Adresse 12]

[Localité 6]



Madame [U] [F]

[Adresse 12]

[Localité 6]



...

COUR D'APPEL DE BASSE-TERRE

2ème CHAMBRE CIVILE

ARRET N° 160 DU 23 MARS 2020

N° RG 18/00843 - AC/SV

N° Portalis DBV7-V-B7C-C7HH

Décision déférée à la cour : Jugement du tribunal de grande instance de Basse-Terre, décision attaquée en date du 24 mai 2018, enregistrée sous le n° 15/00562

APPELANTS :

Madame [C] [N] [F] épouse [A]

[Adresse 7]

[Localité 5]

Monsieur [Y] [K] [F]

[Adresse 7]

[Localité 5]

Tous représentés par Me Charles-Henri Coppet, avocat au barreau de GUADELOUPE/ST MARTIN/ST BART

INTIMES :

Monsieur [X] [F]

[Adresse 12]

[Localité 6]

Madame [U] [F]

[Adresse 12]

[Localité 6]

Madame [J] [P]

ès qualités de gérante de la SCA Blondinière

[Adresse 12]

[Localité 6]

SCA Blondiniere

représentée par sa gérante Mme [J] [P]

[Adresse 8]

[Localité 11]

Tous représentés par Me Hugues Joachim de la SELARL J - F - M, avocat au barreau de GUADELOUPE/ST MARTIN/ST BART

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions de l'article 779-3 du code de procédure civile, le conseiller de la mise en état, à la demande des parties, a autorisé les avocats à déposer leur dossier au greffe de la chambre civile avant le 27 janvier 2020.

Par avis du 28 janvier 2020, le Président a informé les parties que l'affaire était mise en délibéré devant la chambre civile de la cour composée de :

M. Francis Bihin, Président de chambre, président,

Mme Annabelle Cledat, conseiller,

Mme Christine Defoy, conseiller.

Qui en ont délibéré.

Les parties ont été avisées à l'issue des débats de ce que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour le 23 mars 2020.

GREFFIER en charge des dossiers après dépôt et lors du prononcé :

Mme Sonia Vicino, greffier.

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties, en ayant été préalablement avisées conformément à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile. Signé par M. Francis Bihin, Président de chambre, président, et par Mme Sonia Vicino, greffier, à laquelle la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PROCEDURE

[E] [L] [B] [F], né le [Date naissance 2] 1923, est décédé le  [Date décès 1] 2012 à [Localité 11], laissant pour lui succéder ses trois enfants issus de son union avec Mme [J] [P], dissoute par divorce : M. [X] [F], Mme [C] [F] épouse [A] et Mme [U] [F].

Aux termes d'un testament olographe daté du 15 avril 2010, le défunt avait légué à son petit-fils, M. [Y] [A], 50 % des parts de la société civile agricole Blondinière, ci-après SCA Blondinière.

Par acte d'huissier du 28 mai 2015, M. [X] [F], Mme [U] [F], Mme [J] [P], ès qualités de gérante de la SCA Blondinière, ainsi que la SCA Blondinière, ont assigné Mme [C] [F] et M. [Y] [F] devant le tribunal de grande instance de Basse-Terre afin de voir ordonner la liquidation et le partage de la succession de [E] [F].

Par jugement du 24 mai 2018, le tribunal de grande instance a :

- rejeté la demande de requalification de l'acquisition de la propriété dite "Moulin à Eau" en donation déguisée ou indirecte,

- dit n'y avoir lieu à rapport de ladite propriété et des revenus de son exploitation,

- dit n'y avoir lieu à rapporter la somme de 1.219.592 euros (8.000.000 Francs) transférée sur le compte de Mme [C] [A] par [E] [F] le 26 mars 1984,

- ordonné à Mme [J] [P] de restituer les objets figurant sur la "liste des objets enlevés par [J] [F] - octobre 1986", dressée le 21 mars 1996 par [E] [F],

- ordonné le rapport à la succession desdits objets en nature, ou à défaut en valeur,

- ordonné les opérations de compte, liquidation et partage de la succession de [E] [F],

- commis pour y procéder Maître [R] [W], notaire, [Adresse 4],

- dit qu'il appartiendra aux parties de produire devant le notaire les documents nécessaires à l'établissement des comptes liquidation et partage dans le délai imparti par celui-ci, à défaut de quoi elles pourront se voir déclarer irrecevables à émettre ultérieurement des contestations,

- dit que le notaire désigné devra calculer la quotité disponible et les indemnités de réduction éventuellement dues,

- dit que le notaire pourra, si nécessaire, interroger le centre des services informatiques, cellule Ficoba, afin d'obtenir les renseignements de nature bancaire utiles à l'état liquidatif chiffré,

- dit que le notaire pourra s'adjoindre les services d'un expert immobilier afin de donner son avis sur la valeur des biens immobiliers, ainsi que d'établir la prisée des biens meubles,

- dit que M. Jouanguy, vice-président au tribunal de grande instance de Basse-Terre, sera chargé de surveiller les opérations de liquidation et de partage,

- dit qu'en cas d'empêchement du notaire commis, il sera remplacé par simple ordonnance sur requête, rendue à la demande de la partie la plus diligente,

- dit que les dépens seront employés en frais privilégiés de compte, liquidation et partage.

Mme [C] [F] et M. [Y] [A] ont interjeté appel de ce jugement le 29 juin 2018, sans qu'il soit établi qu'il leur aurait été préalablement signifié. Ils ont sollicité à ce titre l'infirmation des dispositions par lesquelles le tribunal a :

- rejeté la demande de requalification de l'acquisition de la propriété dite "Moulin à Eau" en donation déguisée ou indirecte,

- dit n'y avoir lieu à rapport de ladite propriété et des revenus de son exploitation,

- débouté Mme [C] [F] de sa demande tendant à ce que la valeur de l'appartement de l'avenue Montaigne qui sera à prendre en compte pour le calcul de la quotité disponible soit celle au jour de l'ouverture de la succession en juin 2012.

Cet appel a été enregistré sous le numéro RG 18-843.

Dans ce cadre, M. [X] [F], Mme [U] [F], Mme [J] [P], ès qualités de gérante de la SCA Blondinière, ainsi que la SCA Blondinière ont régularisé leur constitution d'intimés le 27 juillet 2018.

Le 5 octobre 2018, M. [X] [F], Mme [U] [F], Mme [J] [P], ès qualités de gérante de la SCA Blondinière, ainsi que la SCA Blondinière ont interjeté appel du jugement rendu le 24 mai 2018 en n'intimant que M. [Y] [A], afin de solliciter l'infirmation du jugement en ce qu'il a :

- dit n'y avoir lieu à rapport de ladite propriété et des revenus de son exploitation,

- dit n'y avoir lieu à rapporter la somme de 1.219.592 euros (8.000.000 Francs) transférée sur le compte de Mme [C] [A] par [E] [F] le 26 mars 1984,

- ordonné à Mme [J] [P] de restituer les objets figurant sur la "liste des objets enlevés par [J] [F] - octobre 1986", dressée le 21 mars 1996 par [E] [F],

- ordonné le rapport à la succession desdits objets en nature, ou à défaut en valeur.

Cet appel a été enregistré sous le numéro RG 18-1286.

Dans ce cadre, M. [Y] [A] a régularisé sa constitution d'intimé le 20 novembre 2018.

Les deux instances ont été jointes sous le numéro 18-843 par ordonnance du conseiller de la mise en état du 15 avril 2019.

Une autre procédure d'appel, enregistrée sous le numéro RG 18-990 reste pendante suite à l'appel interjeté par M. [X] [F], Mme [U] [F], Mme [J] [P], ès qualités de gérante de la SCA Blondinière, ainsi que la SCA Blondinière à l'encontre de Mme [C] [F], qui a été déclarée dans ce cadre irrecevable à conclure.

Toutes les parties ayant conclu, la clôture de l'instruction a été prononcée le 16 décembre 2019 et l'affaire a été fixée à l'audience du 27 janvier 2020.

PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

1/ Mme [C] [F] et M. [Y] [A] :

Vu les dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 20 mars 2019 par lesquelles ils demandent à la cour, au visa des articles 843 et 919-1 du code civil :

- de déclarer leur appel recevable et bien fondé,

En conséquence :

- d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté Mme [C] [F] de sa demande de requalification de la propriété Moulin à Eau en donation déguisée,

- d'infirmer le jugement enrepris en ce qu'il a débouté Mme [C] [F] de sa demande tendant à ce que la propriété Moulin à Eau soit rapportée à la succession,

- d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté Mme [C] [F] de sa demande tendant à ce que la valeur de l'appartement de l'avenue Montaigne qui sera à prendre en compte pour le calcul de la quotité disponible soit celle au jour de l'ouverture de la succession en juin 2012,

- de confirmer le jugement entrepris pour le surplus,

Statuant à nouveau :

- de débouter M. [X] [F], Mme [U] [F], Mme [J] [P], ès qualités de gérante de la SCA Blondinière, ainsi que la SCA Blondinière de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions,

- de dire et juger que la propriété dite "Moulin à Eau" constitue une donation déguisée de [E] [F] à M. [X] [F] devant être rapportée en valeur à la date de l'ouverture de la succession, devant s'imputer sur la part de réserve de M. [X] [F],

- de débouter les intimés de leurs demandes tendant à ce que le nominalisme monétaire posé par l'article 1895 du code civil soit appliqué,

- de dire que la valeur de l'appartement de l'avenue Montaigne qui sera à prendre en compte pour le calcul de la quotité disponible sera celle au jour de l'ouverture de la succession en juin 2012,

- de dire et juger que les frais et dépens seront employés en frais privilégiés de partage.

En application de l'article 455 du code de procédure civile, il convient de se reporter aux dernières conclusions pour un exposé détaillé des moyens.

2/ M. [X] [F], Mme [U] [F], Mme [J] [P], ès qualités de gérante de la SCA Blondinière, ainsi que la SCA Blondinière :

Vu les dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 9 décembre 2019 par lesquelles ils demandent à la cour :

- de déclarer leur appel partiel recevable et bien fondé,

- de déclarer irrecevable l'appel incident de Mme [C] [F],

- de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :

- rejeté la demande de requalification de l'acquisition de la propriété dite "Moulin à Eau" en donation déguisée ou indirecte,

- dit n'y avoir lieu à rapport de ladite propriété et des revenus de son exploitation,

- d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :

- dit n'y avoir lieu à rapporter la somme de 1.219.592 euros (8.000.000 Francs) transférée sur le compte de Mme [C] [A] par [E] [F] le 26 mars 1984,

- ordonné à Mme [J] [P] de restituer les objets figurant sur la "liste des objets enlevés par [J] [F] - octobre 1986", dressée le 21 mars 1996 par [E] [F],

Statuant à nouveau :

- d'ordonner le rapport à la succession par Mme [C] [F] de la somme de 1.219.592 euros et de lui ordonner de verser ladite somme en l'étude de Maître [R] [W], notaire commis pour procéder aux opérations de compte, liquidation et partage de la succession de [E] [F],

- de débouter Mme [C] [F] de la demande de restitution formée à l'encontre de Mme [J] [P],

- de condamner Mme [C] [F] et M. [Y] [A] à leur payer la somme de 12.000 euros en vertu de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.

En application de l'article 455 du code de procédure civile, il convient de se reporter aux dernières conclusions pour un exposé détaillé des moyens.

MOTIFS DE L'ARRET

Sur l'irrecevabilité de l'appel incident de Mme [C] [F] :

Au soutien de leur demande tendant à voir déclarer irrecevable l'appel incident de Mme [C] [F], M. [X] [F], Mme [U] [F], Mme [J] [P], ès qualités de gérante de la SCA Blondinière, ainsi que la SCA Blondinière font valoir que, dans le cadre de leur appel enregistré sous le numéro 18-1286, ils n'ont intimé que M. [Y] [A] qui, n'étant pas héritier réservataire mais légataire de parts dans la SCA Blondinière, n'est pas recevable à contester les dispositions du jugement ayant rejeté la demande de requalification de l'acquisition de la propriété "Moulin à Eau" en donation déguisée.

Ils concluent donc que Mme [C] [F] n'était pas recevable, dans le cadre des premières conclusions déposées dans le cadre de cette procédure n°18-1286, à former appel incident.

Il est constant qu'en vertu des dispositions de l'article 909 du code de procédure civile, seul un intimé est recevable à former un appel incident dans le délai prévu pour la remise de ses conclusions au greffe.

Dès lors, Mme [C] [F] n'ayant pas été intimée dans le cadre de l'appel enregistré sous le numéro 18-1286, son appel incident doit être déclaré irrecevable.

Néanmoins, ce constat est dépourvu de la moindre conséquence pratique dans la mesure où la jonction des procédures n°18-843 et 18-1286 a été ordonnée.

En effet, dans le cadre de la procédure n°18-843, Mme [C] [F] a régulièrement interjeté appel principal à l'encontre des dispositions par lesquelles le jugement déféré a rejeté la demande de requalification de l'acquisition de la propriété dite "Moulin à Eau" en donation déguisée ou indirecte et a dit n'y avoir lieu à rapport de ladite propriété et des revenus de son exploitation. La cour est donc saisie de ces chefs de décision en vertu de l'effet dévolutif de l'appel.

Par ailleurs, M. [X] [F], Mme [U] [F], Mme [J] [P], ès qualités de gérante de la SCA Blondinière, ainsi que la SCA Blondinière ont interjeté appel principal dans le cadre de la procédure enregistrée sous le numéro 18-1286 des dispositions par lesquelles le tribunal a dit n'y avoir lieu à rapporter la somme de 1.219.592 euros (8.000.000 Francs) transférée sur le compte de Mme [C] [A] par [E] [F] le 26 mars 1984 et a ordonné à Mme [J] [P] de restituer les objets figurant sur la "liste des objets enlevés par [J] [F] - octobre 1986", dressée le 21 mars 1996 par [E] [F]. Ils ont également formé appel incident aux mêmes fins dans le cadre de l'affaire enrôlée sous le numéro 18-843.

Dans ces conditions, la cour est tenue de statuer sur l'ensemble de ces points.

Sur la requalification de l'acquisition de la propriété "Moulin à Eau" en donation déguisée et sur le rapport à la succession :

L'article 893 du code civil dispose que la libéralité est l'acte par lequel une personne dispose à titre gratuit de tout ou partie de ses biens ou de ses droits au profit d'une autre personne.

L'article 894 précise que la donation entre vifs est un acte par lequel le donateur se dépouille actuellement et irrévocablement de la chose donnée, en faveur du donataire qui l'accepte.

Par ailleurs, l'article 843 du code civil stipule que tout héritier, même ayant accepté à concurrence de l'actif, venant à une succession, doit rapporter à ses cohéritiers tout ce qu'il a reçu du défunt, par donations entre vifs, directement ou indirectement : il ne peut retenir les dons à lui faits par le défunt, à moins qu'ils ne lui aient été faits expressément hors part successorale.

Enfin, l'article 919-1 précise que la donation faite en avancement de part successorale à un héritier réservataire qui accepte la succession s'impute sur sa part de réserve et, subsidiairement, sur la quotité disponible, s'il n'en a pas été autrement convenu dans l'acte de donation. L'excédent est sujet à réduction.

A ce titre, il est constant que les héritiers réservataires sont admis à faire la preuve d'une donation déguisée de nature à porter atteinte à leur réserve par tous moyens et même à l'aide de présomptions.

L'existence d'une donation déguisée ou indirecte suppose que soit rapportée, par celui qui l'invoque, la preuve de l'intention libérale du donateur.

Par ailleurs, la preuve de l'existence d'un prêt appartient à celui qui s'en prévaut.

En l'espèce, Mme [C] [F] sollicite le rapport à la succession de la propriété dénommée "Moulin à Eau", qu'elle qualifie de donation déguisée faite par [E] [F] au profit de M. [X] [F].

Elle soutient en effet que cette propriété a été achetée au nom de M. [X] [F] par son père à l'aide des deniers de ce dernier, sans que cet apport financier puisse être qualifié de prêt, et qu'aucun remboursement n'est jamais intervenu nonobstant les termes d'un document attestant faussement d'un tel remboursement.

Elle affirme que, contrairement à ce qu'a retenu le tribunal, l'intention libérale de [E] [F] est parfaitement établie et permet de retenir l'existence d'une donation déguisée soumise au rapport.

De leur côté, M. [X] [F], Mme [U] [F], Mme [J] [P], ès qualités de gérante de la SCA Blondinière, ainsi que la SCA Blondinière réfutent toute idée de donation déguisée. Ils affirment que la propriété "Moulin à Eau" a été achetée par M. [X] [F] afin de l'exploiter, grâce à des fonds avancés par ses parents en contrepartie de son engagement de fournir à la société [E] [F] & Cie l'exclusivité de la commercialisation du tonnage de bananes provenant de cette propriété. Ce prêt a été intégralement remboursé à [E] [F], qui a été autorisé à exploiter la propriété jusqu'au 1er avril 1975 et à conserver l'ensemble des revenus.

Les consorts [F] soutiennent que le testament olographe de [E] [F] ne permet pas de caractériser son souhait de voir rapporter à la succession la propriété "Moulin à Eau" acquise par son fils.

L'examen des pièces produites permet de retenir que, suivant acte authentique du 8 juin 1970, M. [X] [F], alors âgé de 19 ans, a acquis une portion de terre détachée d'une habitation dénommée "Moulin à Eau". L'acte a été signé en son nom par son père, [E] [F], auquel il avait donné mandat suite à son émancipation.

Il n'est pas contesté que les fonds nécessaires à cette acquisition n'ont pas été apportés par M. [X] [F] mais par ses parents.

Aux termes d'un acte sous seing privé conclu le 31 décembre 1973, MM. [E] et [X] [F] ont décidé :

- que M. [X] [F] abandonnait à [E] [F] tous les revenus tirés de cette propriété au jour de la signature de cet acte et qu'il lui donnait quitus de sa gestion,

- que [E] [F] reconnaissait avoir été remboursé intégralement des sommes par lui avancées à son fils afférentes à l'acquisition de cette propriété et à la mise en culture des terres, ainsi que l'établissait un relevé joint à la convention et signé par les parties,

- que [E] [F] continuerait jusqu'au 1er avril 1975 à exploiter la propriété et en conserverait l'intégralité des revenus, en contrepartie de quoi il prendrait en charge les impôts fonciers et autres y afférents,

- que [E] [F] s'engageait à remettre la dite exploitation en parfait état à la date du 1er avril 1975 et à laisser à [X] [F] une somme de 100.000 Frs à titre de fonds de roulement.

Le relevé joint à ce protocole d'accord, signé par les deux parties, fait état des avances consenties par [E] [F] et par son épouse pour l'acquisition du foncier, ainsi que des remboursements effectués, pour le même montant, par M. [X] [F]. A ce titre sont mentionnés les dates, les numéros de chèques ou de virements, les montants remboursés et l'ordre des bénéficiaires des chèques.

M. [X] [F] produit en pièce 28 de son dossier les bordereaux de remise de chèques ou ordres de virement correspondant aux opérations mentionnées dans ce relevé.

Suivant attestation du 12 juillet 2019 (pièce 66 du dossier de M. [X] [F]), le cabinet Antilles Audit a par ailleurs affirmé avoir procédé à la remise en forme des comptes annuels de la propriété 'Moulin à Eau' pour les exercices 1970 à 1973, après avoir eu accès à l'ensemble des pièces comptables et relevés de compte, et être en mesure de certifier que l'avance de 1.075.160,10 Francs consentie par [E] [F] et son épouse a bien été remboursée par M. [X] [F]. L'examen des comptes annuels de 1970 à 1973 inclus produits en pièces 60 à 63 accrédite cette conclusion et permet de constater sur ces quatre années un résultat net d'exploitation positif de 1.390.523,60 euros.

Malgré ces éléments, Mme [C] [F] affirme que [E] [F] n'a jamais entendu consentir le moindre prêt et qu'en tout état de cause les remboursements mentionnés dans le document signé le  31 décembre 1973 sont fictifs et sont destinés à masquer une donation déguisée.

Pour fonder ses allégations, elle affirme que la propriété n'a été achetée au nom de [X] que pour permettre à son père de contourner la réglementation foncière qui l'empêchait d'acquérir de nouvelles terres.

Cette affirmation ne repose cependant que sur des présomptions tenant au fait que [E] [F] s'était renseigné à l'époque afin d'acquérir de nouvelles parcelles en son nom, ce que la réglementation ne permettait pas. En tout état de cause, la volonté d'acquérir par le biais d'un prête-nom s'oppose à toute intention libérale de la part du financeur de l'opération mais n'exclut pas, par la suite, que l'auteur du paiement accepte d'être remboursé de sa dépense et de renoncer à toute revendication.

La preuve de l'intention libérale de [E] [F] en l'espèce ne peut donc pas résulter des conditions d'acquisition de la propriété 'Moulin à Eau' mais uniquement de l'absence de remboursement du montant de l'acquisition par M. [X] [F].

Sur ce point, Mme [C] [F] se prévaut des termes d'un courrier dactylographié daté du 12 mars 2010, signé par [E] [F] et joint à son testament olographe du 15 avril 2010, dans lequel il indiquait que "par montage et jeux d'écritures comptables, il sera considéré que mon fils aura payé la propriété (par les propres revenus de l'exploitation)".

Elle soutient qu'en effet M. [X] [F] n'a pu procéder à aucun remboursement puisqu'il ne bénéficiait pas des revenus de l'exploitation jusqu'au 1er avril 1975, ces derniers étant perçus par son père, et que les sommes perçues par [E] [F] en échange de sa gestion ne peuvent être considérées comme participant au remboursement d'un prêt puisqu'elles n'étaient que la rémunération de son travail.

Cependant, la société civile agricole de Bord Bois / Moulin à l'Eau n'ayant été créée que par acte authentique du 9 juillet 1973, il n'est pas prouvé que les revenus générés jusqu'à cette date par l'exploitation n'étaient pas versés sur un compte ouvert au nom de M. [X] [F], en sa qualité de propriétaire de l'exploitation, avant d'être reversés à [E] [F].

Par ailleurs, rien ne permet d'exclure que [E] [F] se soit estimé suffisamment remboursé de son investissement, mais aussi de la mise en culture des terres, eu égard à l'importance des revenus tirés de l'exploitation, tels que précisés auparavant. Dans ces conditions, même en l'absence de prêt, l'opération réalisée avec son fils ne relèverait d'aucune intention libérale de sa part compte tenu des sommes perçues au terme de cette opération.

A ce titre, l'analyse comptable établie par le cabinet Exco produite par Mme [C] [F] en pièce 50 de son dossier ne permet pas de démontrer le caractère fictif des remboursements mentionnés dans l'accord du 31 décembre 1973 dès lors que l'expert n'a pu prendre connaissance ni de la comptabilité de l'exploitation "Moulin à Eau" pour la période concernée, ni des relevés de compte des parties.

Mme [C] [F] se fonde également sur les termes du testament olographe de [E] [F] pour considérer que ce dernier a entendu, au terme de ce testament, attribuer à son fils la propriété Moulin à Eau dans le cadre d'un partage.

Le testament en cause est ainsi rédigé : "Compte tenu des circonstances et modalités réelles de l'acquisition par mon fils [X] de la propriété dite "Moulin à Eau" financée à l'origine intégralement par moi-même, ma volonté est qu'il en soit tenu compte dans ce partage de ma succession. Je lui lègue ma part dans la "SCI de Jarry" soit 25% des parts sociales de cette société. [...] . Je souhaite que le surplus des biens formant ma succession soit réparti" entre ses filles [U] et [C], et son petit-fils [Y].

Cependant, loin de caractériser son souhait d'attribuer cette propriété à son fils, les termes de [E] [F] peuvent être interprétés comme une volonté de privilégier désormais ses filles afin de tenir compte du fait qu'il avait aidé initialement son fils à se constituer un patrimoine important, sans remettre en cause le fait que ce dernier soit d'ores et déjà pleinement propriétaire de la propriété "Moulin à Eau".

Dans ces conditions, les éléments avancés par Mme [C] [F] sont insuffisants pour démontrer l'absence de remboursement des sommes initialement réglées par [E] [F] pour l'acquisition de la propriété "Moulin à Eau" et l'existence d'une intention libérale de sa part.

Le jugement déféré sera en conséquence confirmé en ce qu'il l'a déboutée de sa demande tendant à voir rapporter à la succession la propriété "Moulin à Eau".

Sur le rapport à la succession de la somme de 8.000.000 Francs, soit 1.219.592 euros transférée sur le compte de Mme [C] [F] par [E] [F] le 25 mars 1984 :

M. [X] [F], Mme [U] [F], Mme [J] [P], ès qualités de gérante de la SCA Blondinière, ainsi que la SCA Blondinière sollicitent le rapport à la succession d'une somme de 8.000.000 Francs, soit 1.219.592 euros, versée sur le compte bancaire de Mme [C] [F] par [E] [F] en 1984.

Mme [C] [F] s'oppose à cette demande en indiquant que si cette somme, qui s'élevait seulement à 7.700.000 Francs, a été transférée par son père sur un compte ouvert à son nom afin de la faire échapper aux revendications de Mme [P], elle n'en a jamais eu la libre disposition. Par ailleurs, elle soutient que cette somme n'a jamais été restituée par la banque, victime des agissements de son directeur de l'époque.

Aux termes de son audition par les services de police le 13 juin 1984 dans le cadre de l'enquête diligentée à l'encontre de M. [O], directeur de la banque Manufecturers Hanover Banque Nordique ayant commis des malversations financières, [E] [F] avait indiqué que le 26 mars 1984, pour des raisons familiales, il avait décidé de solder son compte dans cette banque et de virer le solde sur le compte ouvert dans la même banque au nom de sa fille [C] [A], étant précisé que ce transfert avait été opéré par son gendre, M. [A] (pièce 31 du dossier des consorts [F]).

A cette occasion, il avait également indiqué qu'il avait procédé à des versements très importants sur ce compte à partir de fin 1982 et qu'il avait confié la gestion de ces opérations à son gendre.

Aux termes de la note dactylographiée datée du 12 mars 2010 annexée à son testament olographe, [E] [F] a indiqué : "En 1984, les sommes d'un montant total de 8 millions de francs que j'avais placées à la manufacture Hanover Banque nordique à [Localité 10] ne me seront pas restituées par la banque. Elles provenaient de la vente de différents biens immobiliers dont le Quai d'Orsay, Cardonner et de différentes actions".

Le montant de 8 millions de francs évoqué dans ce document n'est corroboré par aucun autre élément du dossier.

Au contraire, Mme [C] [F] produit une note de la direction générale des impôts datée du 11 février 1987 indiquant que l'administration fiscale prenait note de son affirmation selon laquelle les sommes de 7.000.000 francs et 700.000 francs figurant sur un compte ouvert de la Manufacturers Hanover Banque à son nom demeuraient la pleine propriété de M. [E] [F] qui avait procédé à cette opération de transfert sous sa propre responsabilité et qu'il en serait tenu compte dans le cadre de la vérification fiscale diligentée.

Il n'est donc pas démontré, contrairement à ce que soutiennent les consort [F], que Mme [C] [F] aurait eu la libre disposition de la somme de 7.700.000 francs, et non de 8.000.000 francs, déposée par le défunt sur un compte ouvert à son nom. Ainsi que l'a justement relevé le tribunal, ce point n'est pas contredit par les termes de la note du 12 mars 2010.

Par ailleurs, les attestations de M. [Z], expert comptable qui avait effectué le suivi du contrôle fiscal des époux [E] [F] consécutif à l'arrestation du banquier de la banque Manufacturers Hanover Banque Nordique (pièce 43 du dossier de Mme [F]), et de M. [H] (pièce 44), permettent de confirmer que les placements réalisés auprès de cet établissement par [E] [F] ont été perdus suite au scandale financier ayant touché cette banque.

Dans ces conditions, le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a débouté les consorts [F] de leur demande de rapport à la succession.

Sur la demande de restitution par Mme [P] des objets enlevés du domicile de [E] [F] :

Pour s'opposer à la demande de Mme [C] [F] tendant à ce que sa mère, Mme [P], soit condamnée à restituer aux héritiers divers biens mobiliers enlevés par elle du domicile conjugal et répertoriés par [E] [F] sur une liste établie en 1996, les consorts [F] concluent à l'irrecevabilité d'une telle demande qui se heurterait, selon eux, à l'autorité de la chose jugée.

Il ressort de la pièce n°38 produite par Mme [C] [F] que, le 21 mars 1996, [E] [F] a dressé une liste d'objets qui auraient été enlevés par Mme [J] [F] née [P] en octobre 1986 (pièce 38 du dossier de Mme [F]).

Mme [F] verse également aux débats un courrier manuscrit établi en avril 1989 par Mme [P] aux termes duquel elle s'engageait à remettre au foyer conjugal les effets qu'elle avait emportés (pièce 39).

Aucun élément ne permet cependant de savoir si les objets évoqués par Mme [P] étaient bien ceux mentionnés par [E] [F] sur la liste dressée seulement en 1996, ni si ces objets ont été restitués ou non.

En tout état de cause, par jugement du tribunal de grande instance de Basse-Terre du 13 septembre 2007, confirmé par arrêt de la cour d'appel de Basse-Terre du 4 octobre 2010, il a été jugé :

- que la liquidation du régime matrimonial des époux [E] [F] et [J] [P] avait déjà été ordonnée par arrêt de la cour d'appel de Basse-Terre du 29 mars 1993,

- que [E] [F] devait restituer sous astreinte à Mme [P] des meubles et objets mobiliers figurant à l'inventaire dressé le 16 mars 1996 par Maître [D], Huissier de justice.

Dans son arrêt du 4 octobre 2010, produits aux débats, la cour a retenu :

- que conformément au contrat de mariage des époux, les meubles meublants et tous objets mobiliers autres que l'argent comptant, les titres de créances et valeurs incorporelles étaient réputés la propriété de la future épouse, à l'exception de ceux sur lesquels le futur époux établirait sa propriété par factures à son nom et par tout autre moyen de preuve légale,

- que par arrêt du 25 février 1991, la cour avait confirmé la décision du juge aux affaires matrimoniales qui avait ordonné un état des lieux et l'inventaire des biens de la communauté et retenu que M. [E] [F] ne rapportait pas la preuve de sa propriété sur une partie des meubles meublants et effets mobiliers, pas plus que du fait que son épouse aurait emporté une partie de ces meubles,

- qu'un huissier avait procédé le 20 mars 1996 à l'inventaire et à la prisée des biens se trouvant dans la maison de [Localité 9] à [Localité 11],

- qu'en conséquence M. [F] n'était plus fondé à demander un inventaire du mobilier meublant ce domicile, pas plus que Mme [P] n'était fondée à revendiquer des biens qui ne figuraient pas dans l'inventaire de 1996.

S'il n'y a pas lieu de conclure à l'irrecevabilité de la demande formée par Mme [C] [F] dans la mesure où le dispositif de l'arrêt du 4 octobre 2010, qui est seul revêtu de l'autorité de la chose jugée, à l'exception des motifs, ne statue pas expressément sur la restitution par Mme [P] de biens immobiliers à [E] [F], il convient en revanche de la débouter de sa demande dans la mesure où la liste dressée unilatéralement par [E] [F] le 21 mars 1996 ne permet pas de prouver que ces biens auraient effectivement été enlevés par Mme [P] en 1986, ni qu'il en était le propriétaire.

En conséquence, le jugement déféré sera infirmé de ce chef et, statuant à nouveau, la cour déboutera Mme [C] [F] de sa demande de restitution formée à l'encontre de Mme [P].

Sur l'estimation de l'appartement de la rue Montaigne :

Mme [C] [F] demande à la cour de dire que l'immeuble situé [Adresse 3], dont elle a reçu la nue-propriété suivant donation consentie par [E] [F] le 13 novembre 2007, hors part successorale, sera évalué, afin de déterminer le montant de la quotité disponible, d'après sa valeur à la date d'ouverture de la succession.

Les consorts [F] ne concluent pas en réponse à cette demande, sur laquelle le tribunal, pourtant saisi, a omis de statuer.

L'article 922 du code civil, dans sa version issue de la loi du 23 juin 2006, applicable en l'espèce, dispose que la réduction se détermine en formant une masse de tous les biens existant au décès du donateur ou testateur. Les biens dont il a été disposé par donation entre vifs sont fictivement réunis à cette masse, d'après leur état à l'époque de la donation et leur valeur à l'ouverture de la succession, après qu'en ont été déduites les dettes ou les charge les grevant.

En conséquence, il convient de faire droit à la demande de Mme [C] [F].

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile :

Chacune des parties succombant partiellement dans ses prétentions, il convient de dire qu'elles conserveront la charge de leurs propres frais et dépens engagés en cause d'appel, sans qu'il y ait lieu de prévoir que ces frais seront employés en frais privilégiés de partage.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant publiquement, contradictoirement, par arrêt rendu par mise à disposition au greffe,

Déclare irrecevable l'appel incident formé par Mme [C] [F] dans le cadre de la procédure enrôlée sous le numéro RG 18-1286,

Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions contestées, sauf en ce qu'il a ordonné à Mme [J] [P] de restituer les objets figurant sur la "liste des objets enlevés par [J] [F] - octobre 1986", dressée le 21 mars 1996 par [E] [F],

L'infirme de ce seul chef,

Statuant à nouveau,

Déboute Mme [C] [F] de sa demande tendant à voir condamner Mme [J] [P] à restituer les objets figurant sur la "liste des objets enlevés par [J] [F] - octobre 1986", dressée le 21 mars 1996 par [E] [F],

Y ajoutant,

Dit que l'immeuble situé [Adresse 3] dont Mme [C] [F] a reçu la nue-propriété suivant donation consentie par [E] [F] le 13 novembre 2007, hors part successorale, sera évalué d'après son état à l'époque de la donation et sa valeur à l'ouverture de la succession,

Dit que chaque partie conservera la charge de ses propres frais et dépens engagés en cause d'appel,

Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.

Et ont signé,

Le greffier Le Président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Basse-Terre
Formation : 2ème chambre civile
Numéro d'arrêt : 18/00843
Date de la décision : 23/03/2020

Références :

Cour d'appel de Basse-Terre, arrêt n°18/00843


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2020-03-23;18.00843 ?
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