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02/07/2018 | FRANCE | N°15/011781

France | France, Cour d'appel de Basse-Terre, 04, 02 juillet 2018, 15/011781


COUR D'APPEL DE BASSE-TERRE

CHAMBRE SOCIALE
ARRÊT No 251 DU DEUX JUILLET DEUX MILLE DIX HUIT

AFFAIRE No : 15/01178

Décision déférée à la Cour : Jugement du Conseil de Prud'hommes de POINTE A PITRE du 18 juin 2015- Section Commerce

APPELANTE

SOCIETE ORANGE CARAIBES
ZAC de Moudong Sud
BP 2336
97196 JARRY CEDEX

Représentée par Maître Sébastien I... , avocat au barreau de MARTINIQUE substitué par Maître Guylène X..., avocat au barreau de GUADELOUPE/ST MARTIN/ST BART

INTIMÉES

Madame Caroline Y...

[...]
Dispe

nsée de comparaître en application des dispositions des articles 446-1 et 946 du Code de Procédure Civile

Ayant pour conseil, Maî...

COUR D'APPEL DE BASSE-TERRE

CHAMBRE SOCIALE
ARRÊT No 251 DU DEUX JUILLET DEUX MILLE DIX HUIT

AFFAIRE No : 15/01178

Décision déférée à la Cour : Jugement du Conseil de Prud'hommes de POINTE A PITRE du 18 juin 2015- Section Commerce

APPELANTE

SOCIETE ORANGE CARAIBES
ZAC de Moudong Sud
BP 2336
97196 JARRY CEDEX

Représentée par Maître Sébastien I... , avocat au barreau de MARTINIQUE substitué par Maître Guylène X..., avocat au barreau de GUADELOUPE/ST MARTIN/ST BART

INTIMÉES

Madame Caroline Y...

[...]
Dispensée de comparaître en application des dispositions des articles 446-1 et 946 du Code de Procédure Civile

Ayant pour conseil, Maître Patrick Z... (Toque 94)

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 7 mai 2018, en audience publique, devant la cour composée de :

M. Bernard Rousseau, président de chambre, président,
Mme Marie-Josée Bolnet, conseiller,
Mme Gaëlle Buseine, conseiller,

qui en ont délibéré.

Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait rendu par sa mise à disposition au greffe de la cour le 2 juillet 2018

GREFFIER,

Lors des débats : Mme Lucile Pommier, greffier principal.

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées conformément à l'article 450 al 2 du CPC. Signé par M. Bernard Rousseau, président de chambre, président, et par Mme Valérie Souriant, greffier, à laquelle la décision a été remise par le magistrat signataire.
Faits et procédure

Il résulte des explications et pièces fournies par les parties, les éléments suivants.

Mme A... a été embauchée en qualité d'aide-comptable par la société France CARAIBES MOBILE, devenue société ORANGE CARAIBES, dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée prenant effet le 1er novembre 2000.

Par lettre du 26 août 2014, Mme A... était convoquée à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 5 septembre 2014.
Par courrier du 15 septembre 2014, la salariée se voyait notifier son licenciement pour faute grave.

Mme A... saisissait le conseil de prud'hommes de Pointe-à-Pitre le 18 septembre 2014, afin de contester son licenciement, et qu'il soit constaté qu'elle a été victime de faits de harcèlement moral, tant de la part de ses collègues que de celle de ses supérieurs hiérarchiques, qu'en conséquence son licenciement soit dit nul, sa réintégration ordonnée, et que la société ORANGE CARAIBES soit condamnée au paiement des sommes suivantes :
- 77 668,54€ au titre des salaires du 21 avril 2012 au 30 juin 2014,
- 19 398,20€ à titre de rappels de salaires du 1er septembre 2006 au 30 novembre 2011,
- 5 764,72€ au titre des primes semestrielles de février et de septembre, entre 2012 et 2014,
- 2 999,93€ au titre des primes d'intéressement et de participation pour les années 2013 et 2014,
- 3 588,96€ au titre des indemnités congés payés pour la période du 5 au 27 septembre 2013, et celle du 19 décembre 2013 au 3 janvier 2014,
- 2 925€ au titre du remboursement des frais d'avocat, de psychologue, de coupons AIR ANTILLES EXPRESS,
- 100 000€ au titre du licenciement abusif,
- 150 000€ à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral, perte du bébé, troubles de santé et abus de pouvoir, intimidation sur personne rendue anxio-dépressive,
- 2 000€ au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.

Elle sollicitait également qu'il soit ordonné à la société ORANGE CARAIBES de lui remettre le procès-verbal de la commission de médiation du 17 décembre 2012, ainsi que l'attestation de salaire de paiement des indemnités journalières de la sécurité sociale pour la période du 17 décembre 2013 au 18 septembre 2014.

Par jugement du 18 juin 2015, le conseil de prud'hommes de Pointe-à-Pitre a dit que Mme A... avait subi des faits de harcèlement moral, dit que son licenciement pour absences injustifiées était fondé, et condamné la société ORANGE CARAIBES au paiement des sommes suivantes :
- 33 553€ à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant du harcèlement moral,
- 1 000€ au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.
Mme A... était déboutée du surplus de ses demandes.

La société ORANGE CARAIBES interjetait régulièrement appel du jugement le 22 juillet 2015.

*************************

Par conclusions notifiées le 21 février 2018, auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé exhaustif des moyens de la société ORANGE CARAIBES, celle-ci sollicite :
- l'infirmation du jugement entrepris en ce qu'il a retenu l'existence d'une situation de harcèlement moral, et l'a condamnée au paiement de dommages et intérêts ainsi qu'à une somme au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- la confirmation, pour le surplus,
- et y ajoutant, que Mme A... soit condamnée au paiement de la somme de 3 500€ au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.

Par conclusions notifiées le 10 octobre 2016, auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé exhaustif des moyens de Mme A..., celle-ci sollicite :
- de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a constaté l'existence d'une situation de harcèlement moral,
- de l'infirmer pour le surplus, et statuant à nouveau :
o constater que le licenciement a été prononcé en violation des articles 1152-1 à 3 du code du travail, relatifs au harcèlement moral, et de le déclarer nul en conséquence,
o ordonner sa réintégration,
o condamner la société ORANGE CARAIBES au paiement des sommes suivantes :
§ 77 668,54€ au titre des salaires du 21 avril 2012 au 30 juin 2014,
§ 19 398,20€ à titre de rappels de salaires du 1er septembre 2006 au 30 novembre 2011,
§ 5 764,72€ au titre des primes semestrielles de février et de septembre, entre 2012 et 2014,
§ 2 999,93€ au titre des primes d'intéressement et de participation pour les années 2013 et 2014,
§ 3 588,96€ au titre des indemnités congés payés pour la période du 5 au 27 septembre 2013, et celle du 19 décembre 2013 au 3 janvier 2014,
§ 2 925€ au titre du remboursement des frais d'avocat, de psychologue, de coupons AIR ANTILLES EXPRESS,
§ 100 000€ au titre du licenciement abusif,
§ 150 000€ à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral et perte du bébé, troubles de santé et abus de pouvoir, intimidation sur personne rendue anxio-dépressive,
§ 2 000€ au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens,
o ordonner la remise du procès-verbal de la commission de médiation pour harcèlement moral du 17 décembre 2012, de l'attestation de salaire pour paiement des IJSS sur la période du 17 décembre 2013 au 18 septembre 2014.

*******************

Motifs de la décision

Sur le harcèlement moral

Aux termes de l'article L.1152-1 du Code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

En outre, il apparaît aux termes de l'article susvisé et de l'article L 1153-1 du Code du travail que lorsque le salarié établit la matérialité de faits précis et concordants constituant selon lui un harcèlement, il appartient au juge d'apprécier si ces éléments, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral et, dans l'affirmative, il incombe à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Il y a donc lieu d'étudier l'ensemble des faits que Mme A... estime constitutifs du harcèlement moral dont elle serait la victime.

De la différence de salaire

Mme A... expose avoir appris fortuitement en 2008 que son salaire était moins élevé que celui des autres salariés de la direction financière appartenant à la même catégorie qu'elle, à savoir la bande C.
Elle n'apporte pas la preuve de cette différence de salaire.

De l'utilisation du DIF

Mme A... indique que si le directeur financier l'autorisait à bénéficier de son droit individuel à la formation (DIF) en dehors de son temps de travail, son manager direct lui a imposé d'utiliser son DIF sur le temps de travail.
Mme A... se contente d'évoquer ces éléments sans en apporter la preuve.

Du comportement de deux de ses collègues

Mme A... soutient que le comportement du manager a trouvé un prolongement en la personne de deux de ses collègues, dont elle ne cite pas les noms. Elle expose que ces collègues ont tenu des propos désobligeants quant à son appartenance religieuse, sa manière de parler et de marcher, et que l'équipe étant composée d'elle-même, de ces deux collègues, d'un troisième collègue, et du manager, cette situation était intenable.
L'intimée soutient que l'un de ces deux collègues a refusé de travailler en binôme avec elle, insubordination qui n'a pas été sanctionnée par le manager.
Aucun élément autre que ceux rédigés par Mme A... elle-même ne vient confirmer ses propos.

De l'absence de réaction de la hiérarchie

Mme A... expose avoir interpelé sa supérieure hiérarchique en janvier 2011 quant au comportement de ses collègues, ce dont elle ne justifie pas, produisant uniquement un arrêt de travail établi par son médecin traitant pour la période du 4 au 11 février 2011, et sur lequel apparaît la seule mention « vertiges et migraines ».
La société ORANGE CARAIBES fait valoir que c'est seulement à l'occasion de la période d'arrêt de travail ayant débuté le 20 avril 2012 que Mme A... a commencé à faire état d'une dégradation de ses conditions de travail et d'une situation de souffrance au travail.

Il convient de constater que, parmi les pièces versées aux débats par Mme A..., c'est seulement à compter du 20 avril 2012 que son médecin traitant fait référence à une anxiété qui aurait un rapport avec son travail :
- sur l'arrêt de travail initial, pour une période allant du 20 avril au 4 mai 2012, avec la mention « état anxio-dépressif » ;
- dans une lettre adressée à un confrère « je vous remercie de bien vouloir recevoir Mme A... (
) pour une situation conflictuelle au sein de son travail, sur le plan relationnel ».

Elle produit également un courriel adressé à M. Didier B..., délégué du personnel, le 1er juin 2012, dans lequel elle évoque des difficultés professionnelles et conclue par les termes suivants, concernant son poste au sein de la direction financière : « personnellement, dans cette atmosphère, je n'en peux plus ! En revanche, je reste bien évidemment disponible pour ORANGE CARAIBES, dans un autre service que la direction financière (service trésorerie) où j'espère progresser comptablement et suivre un cursus professionnel très enrichissant, non seulement sur le côté « performance », mais encore sur le côté psychique, élément essentiel à mon rétablissement et à mon développement (
). Je persiste et signe qu'il me sera impossible d'occuper un autre poste à la direction financière, sinon c'est la mort qui aura raison de moi, ce sera la dernière solution dans ce cas. Mais Dieu merci, la vie est bien plus importante ! Alors je garde espoir et me dis que c'est possible d'avoir ce poste au service trésorerie à la direction financière ».

Ce courriel a été adressé uniquement à M. B..., et son objet porte la mention : « personnel et confidentiel ».

Il convient de rappeler que l'employeur est tenu, à l'égard des travailleurs, d'une obligation de sécurité et de protection de leur santé physique et mentale, laquelle découle principalement de l'article L. 4121-1 du code du travail et de l'exécution de bonne foi du contrat de travail.

En matière de harcèlement moral, il est admis que l'employeur ne manque pas à son obligation de sécurité de résultat dès lors qu'il justifie avoir pris toutes les mesures de prévention et, le cas échéant, s'il justifie avoir pris les mesures propres à faire cesser le harcèlement dès l'instant où il a eu connaissance des faits.

La société ORANGE CARAIBES expose que c'est seulement au cours du mois de septembre 2012 qu'elle a eu connaissance des faits évoqués par Mme A... comme constitutifs de harcèlement moral.
Mme A... verse aux débats des courriels relatifs à sa situation, adressés à ses supérieurs hiérarchiques par M. B... le 12 septembre 2012, sans produire aucune pièce faisant état d'une situation de harcèlement moral avant ces échanges.

Il convient de constater que la société ORANGE CARAIBES n'a eu connaissances des faits évoqués par Mme A... qu'à compter du mois de septembre 2012.

Des démarches entreprises par l'employeur

Les courriels du 12 septembre 2012, dans lesquels M. B... fait un compte-rendu des entretiens s'étant tenus avec la hiérarchie de Mme A... au sujet de sa volonté de changer de poste, attestent de ce que des échanges ont eu lieu à ce sujet dès que l'employeur en a eu connaissance.

La directrice des ressources humaines recevait le 8 octobre 2012 un courriel de Mme A..., rédigé dans les termes suivants :
« Je me permets de vous adresser aujourd'hui cet email parce que mes recours auprès de ma ligne managériale se sont avérés jusqu'à ce jour vains. Aujourd'hui, si je me retrouve dans cette situation, c'est parce que j'ai osé dénoncer au grand jour des agissements de harcèlement répétés de deux membres de mon équipe de travail et de mon manager N+1. Ainsi que la passivité de mon manager N+2 face à cette situation. Quelle ironie face à elle en larmes dans son bureau, elle m'a comprise en me disant qu'elle était bien au fait des agissements et du caractère de mon manager direct, mais le discours est complètement changeant face au directeur financier et à mon manager N+1.
Comprenez bien que la logique des hommes dénoncés est bien entendu de dresser un tableau le plus sombre possible de ma personne, car si jamais la vérité éclatait ce sont ces personnes qui seraient mises à mal. Donc le mot d'ordre est bien entendu de faire bloc pour abattre, mais surtout de faire taire !
Et puis, ne soyons pas dupes, compte tenu des problèmes multiples de harcèlement moral récurrents et bien connus de tous au département des comptabilités, il ne faudrait pas que j'obtienne justice, pour que mon cas ne serve pas d'exemple. Donc la solution trouvée, je me répète, est d'abattre pour faire taire !
C'est pour ces motifs que mes raisons ont été transformées insidieusement en torts. Je suis seule contre tous, comme le dit si bien l'adage : « le pot de fer contre le pot de terre ».
Si je résiste encore et encore contre les effets nocifs, voire irréversibles de la dépression, c'est parce que j'ai une foi inébranlable en Dieu, et que je sais qu'il n'abandonne jamais ses enfants, je sais également que l'on récolte toujours ce que l'on sème (à bon entendeur
).
De plus, depuis peu ma grossesse me donne un regain de force car il n'est pas question que ce bébé que je porte soit atteint en rien, même indirectement, par la méchanceté gratuite des hommes.
Chose vraiment étrange, personne à ce jour ne m'a demandé ma version des faits, depuis l'année dernière dans le cadre de l'évolution de mon poste, je travaille en direct avec un autre manager, je travaille également en transverse avec d'autres services d'autres directions, leur a-t-on demandé leur ressenti sur mon travail et mon comportement ? Si je comprends bien, le jugement s'est fait sur les dires d'une seule partie, quelle belle vision de l'équité dans cette entreprise dynamique de communication !
Aujourd'hui je suis à bout, je ne souhaite plus travailler dans aucun des services des comptabilité où le « subis et tais toi » est légion. Il y va de ma santé morale, psychique, psychologique et physique.
Aidez-moi à ne pas sombrer dans la dépression, permettez-moi d'être réorientée vers un autre poste à la hauteur de mes qualifications et de mon expérience. Malgré tout, mon BTS de comptabilité récemment obtenu me donne l'envie de travailler au sein de la direction financière ».

La société ORANGE CARAIBES expose que, conformément à la procédure prévue par le règlement intérieur et la charte relative au harcèlement, une commission de médiation a été convoquée, tel qu'en atteste le courriel adressé à ce sujet dès le 9 octobre 2012 par la directrice des ressources humaines à la directrice juridique :
« Nous convoquons une commission de médiation le jeudi 18 octobre 2012 à 14h30 en présence de :
- l'intéressée
- la médecine du travail
- Suzy L... N+1
- Béatrice C... N+2
- Patrick D..., collègue
- Sylviane J... , collègue,
- Carole E..., collègue
- toi bien entendu.
Nous entendrons chacune des personnes séparément pour nous faire une opinion. Puis nous déroulerons le reste de la procédure en fonction des faits avérés ou pas. Je demande en parallèle que me soit fait un bilan de carrière de Mme A... ».

Mme A... a été invitée à choisir le membre du CHSCT devant siéger au sein de la commission de médiation, tel que cela apparaît dans le courrier qui lui a été adressé par la directrice des ressources humaines le 12 décembre 2012.

Le rapport de la commission de médiation est produit par la société ORANGE CARAIBES. Les membres de cette commission sont les suivants :
- M. Daniel F..., médecin du travail,
- M. Jean-Pierre G..., membre du CHSCT, désigné par Mme A...,
- M. Olivier H..., responsable des ressources humaines,
- Mme Véronique K..., directrice juridique.

Le rapport rappelle que : « le rôle de la commission de médiation est d'analyser, évaluer les faits. Elle procède pour ce faire et d'un commun accord, à une enquête auprès de toutes les personnes impliquées et dont le témoignage est jugé utile. La commission de médiation cherchera à dégager les termes de résolution de la situation ».

Le compte rendu des auditions est rédigé comme suit :
« Jusqu'à la saisine de la DRH par Mme A..., l'ensemble des personnes impliquées a reconnu qu'il y avait globalement une ambiance de travail cordiale au sein de l'équipe de la comptabilité clients. Il y a pu avoir des moments de mésententes entre les personnes, mais qui ont toujours été surmontés.
Toutefois les auditions et éléments fournis et/ou avancés par les différentes personnes ont mis à jour des incompréhensions qui ont pu conduire à des interprétations ou changements de comportement des différentes personnes de l'équipe, et ce à partir du milieu/fin d'année 2010, qui trouvent leur origine dans des causes extérieures au service de la comptabilité et étrangères au travail.
En effet, un même élément a été décrit par les collaborateurs auditionnés et Caroline A..., qui marque le changement au sein de l'équipe. Caroline A... a confié qu'en 2010 un collaborateur de la direction financière, dont elle est proche, l'a informée du glissement du terrain sur lequel se trouvait sa maison du fait d'intempéries pluvio-orageuses et lui a demandé de ne pas parler de son sinistre. Les collègues de Caroline A... disent que lorsqu'ils ont eu connaissance de cette situation, ils sont allés voir Caroline A... pour lui en parler et lui demander si elle était au courant de cette situation, ce à quoi ils indiquent qu'elle leur a répondu « je ne suis pas France Antilles ». Dès lors, les collègues indiquent avoir pris leurs distances vis-à-vis de Caroline, s'en tenant à de stricts échanges de travail.
Une seconde rupture tiendrait à l'année 2011, accentuée par le fait que la collaboratrice Caroline A..., suite à sa promotion, indique ne pas être en mesure d'effectuer l'ensemble des tâches qui lui étaient confiées dans le cadre de son parcours de promotion. Elle indique que son parcours de promotion du niveau CCNT C (employé) vers le niveau D (agent de maitrise) a engendré une surcharge de travail.
Caroline A... indique qu'elle est venue travailler plusieurs samedis (+/- 4) en 2011 : « je suis venue de mon propre chef ». En effet, elle précise que son manager n'a jamais donné son accord, mais était au courant car elle lui adressait un mail pour lui indiquer son heure d'arrivée et son heure de départ.
A cet égard, le manager de Caroline A... a indiqué à la commission qu'en effet, Caroline A... avait cette pratique et qu'elle lui a indiqué qu'elle ne validait pas cette démarche, le samedi n'étant pas l'horaire de travail habituel du service et du siège.
Caroline A... a également indiqué revenir travailler après sa formation durant sa montée en compétence sur son nouveau poste, pour traiter les opérations de caisse car son binôme ne l'assurait pas en son absence.
Enfin, Caroline A... a indiqué à la commission que depuis 2011 elle s'est inscrite à une formation diplômante par correspondance, afin d'obtenir un BTS comptabilité, et a obtenu ses examens après les avoir passés en mai 2012, durant son arrêt maladie confie-t-elle. Caroline A... indique qu'à aucun moment elle n'a informé sa ligne managériale ou ses collègues sur le sujet.

Les auditions et éléments avancés par les personnes ont permis de noter que la ligne managériale de la collaboratrice à l'origine de la procédure aurait fait preuve à son encontre d'une « bienveillance normale ». Cette dernière, après avoir notamment accompagné la collaboratrice dans sa montée en compétence (formation, implication de managers tiers, allègement temporaire de la charge de travail habituelle) durant la période probatoire relative à sa promotion (6 mois, renouvelée une fois), a validé sa promotion et l'augmentation salariale qui en découlait en décembre 2011.
Le manager indique qu'afin que Caroline A... puisse assurer une bonne montée en compétences sur ses nouvelles tâches, elle a pris en charge certaines de ses activités et répartie certaines autres sur d'autres collaborateurs, par exemple le lettrage des comptes. Mais surtout, le manager précise que des personnes recrutées en intérim afin de palier les absences de Caroline A..., en arrêt maladie, tiennent la totalité du nouveau poste de cette dernière dans les horaires normaux de travail de l'entreprise et pour une période de travail de 35 heures.

Dès lors la commission relève que :
- les éléments rapportés ne permettent pas d'établir, ni de la part de la ligne managériale ni des collègues de Caroline A..., l'existence de faits de harcèlement moral tels que reconnus par la législation ;
- les remarques formulées par sa hiérarchie sur son activité professionnelle relèvent d'actes managériaux élémentaires ».

La commission de médiation relevait en conclusions qu'eut égard à sa saisine, le maintien de Mme A... au sein de l'équipe dégraderait le climat de travail tant avec son manager direct qu'avec ses collègues, et préconisait au chef d'entreprise de prendre toute solution adaptée, notamment une affectation de Mme A... à un autre service. La commission préconisait également que Mme A... présente ses excuses aux personnes mises en cause.

Il convient de relever que cette commission est composée notamment du médecin du travail, et d'un membre du CHSCT désigné par Mme A... elle-même, deux personnes qui ne représentent pas l'employeur et qui, au vu de leurs compétences et fonctions, sont à même de déceler une situation de harcèlement moral. Si la salariée expose ne pas avoir reçu copie du rapport lorsqu'elle l'a demandé en tant que salariée, elle en a bien reçu copie dans le cadre de la présente procédure et n'apporte pas d'éléments permettant de douter de la réalité des éléments décrits.

De la proposition de réaffectation

Conformément aux préconisations de la commission de médiation, M. H... adressait par courriel du 6 mars 2013 une fiche de poste correspondant à la proposition de réaffectation sur un poste de comptable, non plus au sein de la comptabilité clients, mais au sein de la comptabilité générale, et ce sous la responsabilité d'un autre supérieur hiérarchique.

Il convient de relever que cette proposition correspond non seulement aux préconisations de la commission de médiation, mais aussi aux aspirations de Mme A..., qui indiquait dans le courriel adressé à la directrice des ressources humaines le 8 octobre 2012 : « malgré tout, mon BTS de comptabilité récemment obtenu me donne l'envie de travailler au sein de la direction financière ».

Mme A... n'a pas accepté cette proposition, et a candidaté sur d'autres postes ne présentant pas de rapport avec ses qualifications, tel que cela ressort d'un document rédigé par elle-même et intitulé « historique de postulations en interne », avec notamment des candidatures sur un poste d'assistante de direction, de gestionnaire relation support client, ou encore de gestionnaire de clientèle.

Conclusions

Il ressort des éléments versés aux débats que non seulement Mme A... n'établit pas la matérialité de faits précis et concordants constituant selon elle un harcèlement moral, mais encore que l'employeur a prouvé qu'il avait tout mis en œoeuvre afin de vérifier la réalité des faits invoqués par Mme A..., et qu'il en a conclu, par le biais d'une commission de médiation composée notamment du médecin du travail et d'un membre du CHSCT, qu'il n'existait pas de situation de harcèlement, mais qu'il a tout de même proposé un changement d'affectation à Mme A..., correspondant tant à ses qualifications, qu'à ses aspirations, ainsi qu'aux préconisations de la commission, proposition refusée par la salariée.

En l'absence de situation de harcèlement moral, il convient d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société ORANGE CARAIBES au paiement de dommages et intérêts.

Sur le licenciement

Par courrier du 9 juillet 2014, et suite à la visite médicale de reprise, il était demandé à Mme A... de se présenter le 15 juillet 2014 pour sa prise de fonctions au nouveau poste de comptable auquel elle était affectée, sous la responsabilité d'un nouveau supérieur hiérarchique et au sein d'une nouvelle équipe.
Mme A... ne s'est pas présentée pour sa prise de fonctions, ni postérieurement, alors même qu'elle n'était plus en arrêt de travail, et que son salaire continuait de lui être versé, ce qu'elle ne conteste pas. C'est dans ce cadre que le licenciement de Mme A... a été prononcé.

Il convient cependant de rappeler que la contestation de son licenciement par Mme A... réside uniquement en ce qu'il aurait été prononcé dans le cadre d'une situation de harcèlement moral, laquelle a été écartée.
Le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu'il a débouté l'intimée de ses demandes relatives à la nullité du licenciement, aux diverses sommes sollicitées, ainsi qu'à une réintégration.

Sur la demande de remise de documents

Mme A... sollicite la remise du procès-verbal de la commission de médiation pour harcèlement moral du 17 décembre 2012, alors même que le document est produit aux débats.

Elle sollicite également la remise de l'attestation de salaire pour paiement des IJSS sur la période du 17 décembre 2013 au 18 septembre 2014, sans apporter de précisions ni justifier avoir été en arrêt maladie sur la période, de telle sorte qu'elle sera déboutée de cette demande.

Sur les demandes financières autres que celles liées au licenciement et au harcèlement moral

Mme A... sollicite le paiement des sommes suivantes :
- 77 668,54€ au titre des salaires du 21 avril 2012 au 30 juin 2014,
- 19 398,20€ à titre de rappels de salaires du 1er septembre 2006 au 30 novembre 2011,
- 5 764,72€ au titre des primes semestrielles de février et de septembre, entre 2012 et 2014,
- 2 999,93€ au titre des primes d'intéressement et de participation pour les années 2013 et 2014,
- 3 588,96€ au titre des indemnités congés payés pour la période du 5 au 27 septembre 2013, et celle du 19 décembre 2013 au 3 janvier 2014,
- 2 925€ au titre du remboursement des frais d'avocat, de psychologue, de coupons AIR ANTILLES EXPRESS

Elle ne fournit aucune indication ni aucune pièce relative à ces demandes, de telle sorte qu'elle en sera déboutée.

Sur les autres demandes

Mme A... succombant en ses prétentions, sera condamnée aux entiers dépens.

L'équité ne commande pas qu'il soit fait application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Par ces motifs

La Cour, statuant publiquement par arrêt contradictoire, et en dernier ressort,

Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions, sauf à l'infirmer en ce qu'il a constaté l'existence d'une situation de harcèlement moral et condamné la société ORANGE CARAIBES au paiement à Mme Caroline A... des sommes suivantes :
- 33 553,30€ à titre de réparation du préjudice résultat du harcèlement moral,
- 1 000€ au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- aux entiers dépens,

Et statuant à nouveau sur ces points,

Dit qu'il n'y a pas lieu de relever l'existence d'une situation de harcèlement moral à l'encontre de Mme Caroline A...,

Déboute Mme Caroline A... de sa demande de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant d'une situation de harcèlement moral,

Condamne Mme Caroline A... aux entiers dépens,

Déboute les parties de toutes prétentions plus amples ou contraires.

Le Greffier, Le Président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Basse-Terre
Formation : 04
Numéro d'arrêt : 15/011781
Date de la décision : 02/07/2018
Sens de l'arrêt : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée

Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.basse-terre;arret;2018-07-02;15.011781 ?
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