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18/06/2018 | FRANCE | N°16/008211

France | France, Cour d'appel de Basse-Terre, 04, 18 juin 2018, 16/008211


BR-VS

COUR D'APPEL DE BASSE-TERRE

CHAMBRE SOCIALE
ARRÊT No 236 DU DIX HUIT JUIN DEUX MILLE DIX HUIT

AFFAIRE No : 16/00821

Décision déférée à la Cour : Jugement du Conseil de Prud'hommes de POINTE A PITRE du 24 mai 2016-Section Encadrement.

APPELANTE

SAS RADIO CARAIBES INTERNATIONAL (R.C.I)
[...]
Représentée par Maître Béatrice X... de la Y... (Toque 48), avocat au barreau de GUADELOUPE/ST MARTIN/ST BART

INTIMÉE

Madame Ingrid Z...
[...]
[...]
Comparant en personne
Assisté de Maître Charles A... de la SELAR

L JURINAT (Toque 42), avocat au barreau de GUADELOUPE/ST MARTIN/ST BART

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des disposition...

BR-VS

COUR D'APPEL DE BASSE-TERRE

CHAMBRE SOCIALE
ARRÊT No 236 DU DIX HUIT JUIN DEUX MILLE DIX HUIT

AFFAIRE No : 16/00821

Décision déférée à la Cour : Jugement du Conseil de Prud'hommes de POINTE A PITRE du 24 mai 2016-Section Encadrement.

APPELANTE

SAS RADIO CARAIBES INTERNATIONAL (R.C.I)
[...]
Représentée par Maître Béatrice X... de la Y... (Toque 48), avocat au barreau de GUADELOUPE/ST MARTIN/ST BART

INTIMÉE

Madame Ingrid Z...
[...]
[...]
Comparant en personne
Assisté de Maître Charles A... de la SELARL JURINAT (Toque 42), avocat au barreau de GUADELOUPE/ST MARTIN/ST BART

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 30 avril 2018, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant M. Bernard Rousseau, président de chambre, chargé d'instruire l'affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

M. Bernard Rousseau, président de chambre, président,
Mme Marie-Josée Bolnet, conseiller,
Mme Gaëlle Buseine, conseiller,

Les parties ont été avisées à l'issue des débats de ce que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour le 18 juin 2018.

GREFFIER Lors des débats : Mme Valérie Souriant, greffier.

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées conformément à l'article 450 al 2 du CPC. Signé par M. Bernard Rousseau, président de chambre, président, et par Mme Valérie Souriant, greffier, à laquelle la décision a été remise par le magistrat signataire.

Vu le jugement du 24 mai 2016, par lequel le conseil de prud'hommes de Pointe à Pitre a dit que la sanction qui avait été infligée à Mme Z... n'avait pas lieu d'être et que le harcèlement moral à l'égard de celle-ci était avéré, et a condamné la Société RADIO CARAÏBES INTERNATIONAL (RCI) à lui payer la somme de 40 000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral et celle de 2500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Vu la déclaration d'appel du 7 juin 2016 de la Société RCI,

Vu les conclusions du 4 avril 2018 de la Société RCI,

Vu les conclusions du 14 mars 2018 de Mme Z...,

Motifs de la décision :

Après avoir travaillé comme pigiste pour la Société RCI, Mme Z... a été embauchée par cette société en 2009, par contrat à durée indéterminée.

A l'appui de sa demande d'indemnisation Mme Z... invoque des faits de harcèlement sexuel et de harcèlement moral.

Aux termes de l'article L. 1153-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir des faits :
1o Soit de harcèlement sexuel, constitué par des propos ou comportements à connotation sexuelle répétés qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante ;
2o Soit assimilés au harcèlement sexuel, consistant en toute forme de pression grave même non répétée, exercée dans le but réel ou apparent d'obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l'auteur des faits ou au profit d'un tiers.

En l'espèce il est fait état par M. Eddy B..., journaliste à RCI, de conversations entre collègues de propos faisant allusion, à plusieurs reprises, à la beauté de Mme Z... qui constituaient une avance assidue à son égard, ces propos devenant habituels à tel point qu'elle était très mal à l'aise et déstabilisée, se montrant très choquée et perturbée dans son travail.

La situation ainsi subie par Mme Z... est confirmée par les déclarations de M. David C..., également journaliste à RCI, qui a été témoin de conversations entre collègues au cours desquelles étaient tenus des propos insistants sur le physique et la beauté de Mme Z....

Ces deux journalistes relatent que Mme Z... leur a dit qu'elle avait signalé ces faits à la direction.

Plus précisément la Cour relève qu'en septembre 2010, M. Warren D..., qui par la suite a été promu au poste de chef adjoint de la rédaction en septembre 2013, puis à celui de chef de la rédaction au départ de M. E... en août 2014, s'est adressé à Mme Z... dans un message électronique s'exprimant de la façon suivante :
"moi en toi tu ne connais pas....TU as tord"

Ces propos à connotation sexuelle, sont non seulement offensants à l'égard de sa destinataire, mais démontrent la recherche insistante de son auteur tendant à obtenir un acte de nature sexuelle.

Le texte même de ce message montre que Mme Z... s'était déjà montrée hostile à ce type de sollicitation à des fins sexuelles.

Les faits de harcèlement sexuel manifestement établis n'ont pas été sans conséquence sur la situation de Mme Z... à laquelle il est reproché par la direction un comportement rebelle vis-à-vis de sa hiérarchie, et même agressif, parfois, à l'égard de certains autres collègues.

Il convient de rappeler ici que selon l'article L 1152-1 du code du travail, le harcèlement moral se caractérise par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte aux droits et à la dignité du salarié, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Il y a lieu de relever que peu après les faits rapportés ci-avant, Mme Z... a fait l'objet d'une hostilité manifeste de la part d'un dirigeant de RCI.

Ainsi il ressort de l'attestation établie par M. Nicolas F..., que celui-ci a été témoin le 3 novembre 2011, d'une agression verbale envers Mme Z..., de la part de M. Thierry E..., rédacteur en chef, celui-ci l'ayant "insultée et menacée à plusieurs reprises en lui disant : An ké fan tchou aw" ; ce qui peut se traduire par "je vais te briser" ou "je vais te pourrir la vie" au regard du ton menaçant adopté par l'auteur de ces propos et rapporté par le témoin.

La veille, le 2 novembre 2011, Mme Z..., par courriel, s'était plainte auprès de M. E... de propos diffusés sur l'antenne de RCI, en rappelant que le vendredi précédent, alors qu'elle couvrait le festival de la Dominique et qu'elle ne répondait pas au téléphone, l'un de ses collègues s'était permis de dire, avec ironie, lors de l'émission "les matinales", "Jeff G..., Ingrid Z.... On peut imaginer comment leur soirée s'est passée".

Elle indiquait que ces insinuations avaient choqué sa propre mère, et poursuivait son message de la façon suivante :
"Qu'est-ce que cela veut dire ?
C'est une atteinte à mon intégrité !
Les choses sont en train de déraper!
Une chose est sûre, certains ont opté pour une politique de dénigrement à mon égard.
Et tout cela, a débuté depuis plusieurs mois et a atteint son paroxysme dans le cadre des représentants du personnel d'octobre dernier".

Dans la main courante qu'elle a déposée auprès des services de police, Mme Z... explique que les menaces proférées par M. Thierry E... font suite à la réception d'un courrier par lequel le syndicat UGTG, auquel appartenait Mme Z..., dénonçait auprès du directeur régional de RCI, des mesures discriminatoires et des agissements répétés de harcèlement moral à l'égard de certains de ses syndiqués, de la part de leur supérieur hiérarchique, les personnes visées étant victimes de dénigrement et d'humiliation quasi-permanente et ce, malgré les entretiens en la présence du directeur régional visant à faire cesser ces agissements. Il était rappelé dans la lettre du syndicat UGTG les termes des articles L. 1152-1 à L. 1152-5 du code du travail relatifs à la prohibition du harcèlement moral et aux sanctions disciplinaires encourus par l'auteur de harcèlement moral.

Il apparaît ainsi que les insultes et menaces virulentes proférées par le chef de la rédaction de RCI, M. E..., font suite à la dénonciation auprès de la direction régionale, de faits de harcèlement moral, et de la dénonciation par Mme Z... de l'allusion faite à l'antenne sur d'éventuelles relations avec un certain Jeff G....

Pour tenter de se dédouaner, M. E... fait état, dans son attestation, des élections professionnelles qui se sont déroulés quelques jours auparavant et à l'issue desquelles le syndicat FO, qu'il représentait, a remporté le siège de représentant du personnel du collège cadres et journalistes au comité d'entreprise, ce qui aurait suscité une réaction hostile de la part du syndicat UGTG auquel appartenait Mme Z....

En réalité il ne ressort du dossier aucun élément justifiant l'agressivité manifestée par M. E... à l'égard de Mme Z..., celle-ci n'ayant fait que dénoncer légitimement une atteinte à sa dignité, et si le syndicat UGTG a cru devoir dénoncer à la direction régionale des agissements de harcèlement moral, ceci ne saurait justifier non plus les menaces proférer à l'encontre de Mme Z....

Alors que les insultes et menaces proférées par M. E..., rapportées par témoin et consignées dans une main courante n'ont eu aucune suite au sein de RCI, il a par contre été reproché à Mme Z..., dans un avertissement adressée le 29 novembre 2013, d'avoir, le 29 octobre précédent, proféré devant témoins des injures à caractère raciste et religieux à l'encontre de M. Warren D..., chef des informations, en disant en créole :

"Vou zindien la kontinié fè maliémin aw"

ce qui se traduit par "toi l'indien, va faire ton maliémin", s'agissant d'une cérémonie religieuse consacrée à la divinité Maliénin, particulièrement vénérée par la communauté indienne de Guadeloupe. Les attestations produites sur cet événement sont variables sur le contenu des propos prêtés à Mme Z..., le seul élément constant est l'expression en créole rapportée ci-dessus.

L'expression utilisée par Mme Z..., traduit plus une réaction de rejet à l'égard de M. Warren D..., dont elle avait eu à subir l'attitude offensante à connotation sexuelle, plutôt qu'une injure raciste et religieuse.

Il convient de reconnaître que le comportement de M. D... à l'égard de Mme Z... a eu pour conséquence de le déconsidérer et de le décrédibiliser durablement dans ses fonctions de supérieur hiérarchique. Au demeurant M. D... a tenté d'atténuer le caractère agressif des propos à connotation sexuelle qui lui sont imputés, en faisant état de messages amicaux, voir cordiaux, que lui aurait adressés Mme Z... bien plus tard, courant 2012, via facebook, tels que "Yès ! Merci Chou ! Je te bo. Bon week-end." Toutefois aucune trace de ces soit-disant messages ne figure au dossier.

L'attitude de la direction de RCI, faisant un traitement différent des propos de M. E... et de ceux de Mme Z..., démontre son souci, d'une part de protéger les membres de l'encadrement, et d'autre part de faire abstraction des faits de harcèlement sexuel déjà subis par la journaliste.

L'attitude discriminante des supérieurs hiérarchiques de Mme Z..., n'a pas été sans conséquence sur la santé de celle-ci, puisque peu après, un courrier du médecin du travail, en date du 8 janvier 2014, adressé à son médecin traitant mentionne que Mme Z... présente depuis plusieurs jours un syndrome anxieux avec des troubles du sommeil réactionnel à une situation professionnelle difficile. Mme Z... produit également un courrier en réponse de son médecin traitant indiquant qu'il prescrit un arrêt de travail de 15 jours pour syndromes anxio-dépressifs réactionnels.

L'avertissement infligé à Mme Z... pour les propos qu'elle a tenus à l'égard de M. D..., lesquels ne constituent pas véritablement une injure, sera annulé dans la mesure où ces propos s'inscrivent dans une attitude de harcèlement subi par la salariée.

Par ailleurs dès sa promotion à la tête de la rédaction de RCI, à la suite du départ de M. E... en août 2014, M. D... n'a pas manqué d'exercer des pressions sur Mme Z..., en lui reprochant dès le 5 septembre 2014, de ne pas avoir "fait le papier" qui lui avait été demandé au sujet de la Route du Rhum, en qualifiant ce comportement de faute, Mme Z... répondant le 8 septembre qu'elle lui avait fait remarquer que ce type de papier relevait de la compétence du service des sports, et que finalement la rédaction dudit papier n'avait pas été confiée à un membre de la rédaction d'informations générales mais à un membre de la rédaction sportive.

Le directeur régional, M. H..., appuyait, par courriel, le reproche adressé par M. D..., en demandant des explications à Mme Z..., tout en rappelant qu'il avait été demandé un papier au sujet de Route du Rhum, qui devait avoir lieu deux mois plus tard, et qu'il s'agissait de traiter le sujet, notamment sous l'angle du "nombre et de la qualité des participants", ce qui manifestement impliquait des connaissances particulière sur les compétiteurs, et donc relevait de la compétence du service des sports.

Dès le mois de février 2014 Mme Z... a fait intervenir son avocat, Me A..., pour voir cesser les faits de harcèlements moral et sexuel dont elle faisait l'objet. A la suite de cette intervention, M. H..., le directeur régional de RCI, qui avait fait savoir qu'il mènerait une enquête, s'est borné à recueillir les déclarations écrites de MM. E... et D..., sans procéder apparemment à une audition de Mme Z..., et en tout cas sans procéder à une confrontation ni audition de collègues de la salariée, étant relevé que les attestations de moralité recueillies par l'employeur auprès de certains membres du personnel féminin de l'entreprise sont postérieures à l'introduction de l'instance prud'homale par Mme Z....

Ainsi après avoir recueilli les explications écrites de MM. E... et D..., M. H... se bornait à proposer à Mme Z..., au travers d'un projet de protocole d'accord, de renoncer aux accusations de harcèlement moral et sexuel formulées à l'encontre de MM E... et D..., en contrepartie de quoi il acceptait de commuer l'avertissement du 29 novembre 2013 en un ferme rappel aux règles s'agissant du respect par Mme Z... de sa hiérarchie et des règles de courtoisie.

Il est à noter qu'aucun rappel au respect des règles de courtoisie n'est adressé par le directeur régional à MM. E... et D..., alors que, comme il a été constaté ci-avant, ils les avaient manifestement enfreintes.

C'est dans ces conditions que Mme Z... a saisi le conseil de prud'hommes, dont le jugement doit être entièrement confirmé, au regard des constatations qui précèdent, le harcèlement sexuel et le harcèlement moral dénoncés par la salariée étant établis, et le montant de l'indemnisation allouée à la salariée étant à la mesure de la persistance de la direction dans son souci de dénier la réalité des agissements subis par Mme Z... et de soutenir des membres de l'encadrement à l'encontre de cette dernière, alors qu'ils sont auteurs ou ont participé aux dits agissements.

Indépendamment des causes qui justifient l'indemnisation allouée, il y a lieu d'observer que dans le cadre de la présente instance, la Société RCI s'est efforcée d'apporter et de conforter diverses critiques sur le travail de Mme Z... et son comportement à l'égard de collègues, sans que ces critiques n'effacent la réalité des agissements subis par la salariée, ni même ne les atténuent.

Comme il paraît inéquitable de laisser à la charge de Mme Z... les frais irrépétibles qu'elle a exposés, tant en première instance qu'en cause d'appel, il lui sera alloué la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, en sus de celle déjà allouée sur le même fondement par les premiers juges.

Par ces motifs,

La Cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,

Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Condamne la Société RCI à payer à Mme Z... la somme de 2000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la Société RCI aux dépens,

Déboute les parties de toutes conclusions plus amples ou contraires.

le Greffier, Le Président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Basse-Terre
Formation : 04
Numéro d'arrêt : 16/008211
Date de la décision : 18/06/2018
Sens de l'arrêt : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.basse-terre;arret;2018-06-18;16.008211 ?
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