VS-BR
COUR D'APPEL DE BASSE-TERRE
CHAMBRE SOCIALE
ARRÊT No 231 DU DIX HUIT JUIN DEUX MILLE DIX HUIT
AFFAIRE No : 15/01582
Décision déférée à la Cour : Jugement du Conseil de Prud'hommes de POINTE A PITRE du 18 septembre 2015-Section Commerce.
APPELANT
Madame X... Jeanne Y...
[...]
[...]
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2015/001384 du 17/10/2016 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de BASSE-TERRE)
Représentée par Maître Ernest B... (Toque 45), avocat au barreau de GUADELOUPE/ST MARTIN/ST BART
INTIMÉS
Maître Marie-Agnès C... Es qualité de mandataire judiciaire de l'EURL COMPAGNIE HÔTELIÈRE DE MARIE-GALANTE
[...]
Représentée par Maître Jérôme D... de la SCP MORTON etamp; ASSOCIES (Toque 104), avocat au barreau de GUADELOUPE/ST MARTIN/ST BART
AGS-CGEA DE FORT DE FRANCE
[...]
[...]
Représentée par Maître Frédéric F... de la SELARL EXCELEGIS, (Toque 67)avocat au barreau de GUADELOUPE/ST MARTIN/ST BART
Comité d'établissement LE COMITÉ DE GESTION DES OEUVRES SOCIALES HOSPITAL IÈRES DE LA GUADELOUPE (CGOSH)
[...]
Représenté par Maître Benjamin G... de la SELARL G... FREDERIC, avocat au barreau de PARIS
SA COMPAGNIE IMMOBILIERE CARAIBES
Chez Tropical Management - [...]
Représentée par Maître Nadine H... (Toque 9), avocat au barreau de GUADELOUPE/ST MARTIN/ST BART
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 30 avril 2018, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant M. Bernard Rousseau, président de chambre, chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
M. Bernard Rousseau, président de chambre, président,
Mme Marie-Josée Bolnet, conseiller,
Mme Gaëlle Buseine, conseiller,
Les parties ont été avisées à l'issue des débats de ce que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour le 18 juin 2018.
GREFFIER Lors des débats : Mme Valérie Souriant, greffier.
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées conformément à l'article 450 al 2 du CPC. Signé par M. Bernard Rousseau, président de chambre, président, et par Mme Valérie Souriant, greffier, à laquelle la décision a été remise par le magistrat signataire.
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Vu le jugement du 18 septembre 2015, par lequel le conseil de prud'hommes de Pointe à Pitre a débouté Mme Y... de l'ensemble de ses demandes, mis hors de cause l'AGS et rejeté les demandes en paiement d'indemnités fondées sur l'article 700 du code de procédure civile,
Vu l'appel interjeté 5 octobre 2015 par Mme Y...,
Vu les conclusions communiquées le 2 mai 2016 par le conseil de Mme Y...,
Vu les conclusions no2 de l'Association "Comité de Gestion des Oeuvres Sociales Hospitalières de la Guadeloupe", ci-après désignée CGOSH,
Vu les conclusions en date du 18 mai 2017 de Maître Marie-Agnès C..., ès qualités de mandataire liquidateur judiciaire de l'Eurl Compagnie Hôtelière de Marie-Galante, ci-après désignée CHMG,
Vu les conclusions du 15 juin 2017 de l'AGS,
Motifs de la décision :
Mme Y... explique qu'elle a travaillé depuis le 2 avril 2001 en qualité de plongeuse au sein du complexe hôtelier Kawann Beach Hôtel, anciennement dénommé Hôtel LA COHOBA, situé à Grand-Bourg de Marie-Galante, dans le cadre de contrats successifs d'extra.
Elle verse effectivement aux débats des bulletins de paie couvrant la période d'avril 2001 à avril 2013, lesquels ont d'abord été délivrés jusqu'en décembre 2007 par l'Eurl COHOBA, puis à compter de janvier 2009 par la CHMG, ces bulletins de salaire portant la mention d'extra.
Le complexe hôtelier appartenait conjointement au CGOSH et à la Compagnie Immobilière Caraïbes (ci-après désignée CIC), qui ont constitué le 1er décembre 2007, une société en participation dénommée Société en participation Kawann Beach Hôtel Résidence (SEP KBHR), avec pour gérant la Sarl Tropical Management, qui, à la fin des travaux entrepris sur le complexe hôtelier, a démissionné le 30 avril 2008.
Un contrat de gestion hôtelière à effet au 1er janvier 2008, a été confiée par la SEP KBHR à la CHMG pour assurer l'exploitation du complexe hôtelier.
Par jugement du 15 novembre 2012, le tribunal mixte de commerce de Pointe à Pitre a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la CHMG, ladite procédure ayant été convertie en liquidation judiciaire par jugement du 2 mai 2013, Me C... ayant été désignée aux fonctions de mandataire liquidateur.
Par courriers du 2 mai 2012, Me C... informait d'une part le CGOSH et d'autre part la CIC que la poursuite de l'activité de la CHMG n'ayant pas été autorisée, elle n'entendait pas poursuivre le contrat de gestion hôtelière et qu'il leur appartenait de prendre toutes dispositions pour la reprise du fonds de commerce et du personnel dont une liste était jointe aux dits courriers. Un listing des réservations était également transmis aux deux propriétaires du complexe hôtelier.
Le complexe hôtelier restait ouvert à la clientèle pour le festival "Terre de Blues" de Marie-Galante, puis pour le Tour cycliste de Marie-Galante, mais le 10 juin 2013, les salariés se voyaient interdire l'accès à l'hôtel sans qu'une mesure de licenciement leur ait été notifiée.
Le 27 juin 2013, 25 salariés, dont Mme X... Y..., saisissaient le conseil de prud'hommes en référé et obtenait la condamnation solidaire, par ordonnances du 26 novembre 2013, de la CIC et du CGOSH, à leur payer par provision, les salaires de mai à octobre 2013. Ces ordonnances de référé étaient confirmées par un arrêt du 23 juin 2014 de la Cour de céans.
Le CGOSH expose qu'il a reçu du liquidateur de la CHMG une liste du personnel employé qui comprenait au total 21 salariés, et à laquelle ont été ajoutés par la suite deux autres salariés, sans qu'il y ait été mentionné le nom de Mme Y... ni celui de 4 autres salariées qui travaillaient en qualité d'extra au sein du complexe hôtelier.
Le CGOSH explique, que l'hôtel étant resté fermé, il s'est résolu à entreprendre une mesure de licenciement à l'égard des salariés qui se prévalaient d'un contrat de travail à durée indéterminée.
Les cinq salariées qui avaient été employées sous le qualificatif d'extra, dont Mme Y..., ont fait appel des cinq jugements en date du 18 septembre 2015, qui les avaient déboutées de leurs demandes de rappel de rémunération et d'indemnités de rupture du contrat de travail.
Dans un premier temps ces cinq instances d'appel ont été jointes sous le numéro RG 15/01582 pour faciliter l'instruction de ces appels. Toutefois par décision de ce jour, pour une bonne administration de la justice, ces 5 instances sont disjointes afin de permettre de traiter séparément les demandes de chacune des salariées.
Sur la requalification du contrat d'extra en contrat de travail à durée indéterminée :
Le CGOSH entend se prévaloir des dispositions des articles L. 1242-2 et D. 1242-1 du code du travail, et de celles de l'article 14 de la convention collective nationale des hôtels, cafés restaurants du 30 avril 1997.
Selon les deux premiers textes cités, un contrat à durée déterminée peut être conclu dans les secteurs d'activités dans lesquels il est d'usage de ne pas recourir au contrat de travail à durée indéterminée, et notamment dans le secteur de l'hôtellerie et de la restauration.
Par ailleurs l'article 14 de la convention collective nationale sus-citée stipule que l'emploi d'extra qui, par nature, est temporaire est régi par les dispositions légales en vigueur, c'est-à-dire par les dispositions du code du travail qui lui sont applicables.
Il est précisé dans ledit article 14, qu'un extra est engagé pour la durée nécessaire à la réalisation de la mission et qu'il peut être appelé à être occupé dans un établissement quelques heures, une journée entière ou plusieurs journées consécutives dans les limites des durées définies par l'article 21-2c.
Il est également indiqué qu'un extra qui se verrait confier par le même établissement des missions pendant plus de 60 jours dans un trimestre civil pourra demander la requalification de son contrat en contrat à durée indéterminée.
La convention collective départementale des hôtels de Guadeloupe prévoit dans son article 11 Bis-II, que la direction des établissements hôteliers pourra recourir à l'embauche du personnel d'extra pour remplacer du personnel absent pour des durées inférieures à 7 jours, lors d'événements exceptionnels, pour renforcer l'effectif durant les périodes de haute occupation.
Le seul contrat de travail produit au débat est un contrat de travail à durée déterminée "en extra pour accroissement temporaire d'activité" portant sur la période du 1er novembre 2012 au 30 novembre 2012 pour un horaire de travail de 90 heures. Cependant il ressort de l'examen des feuilles de paie délivrées à Mme Y... par l'Eurl COHOBA puis par la CHMG, que la salariée a travaillé pour des horaires mensuels variables :
-pendant l'année 2001, à compter du 2 avril 2001, date de sa première embauche, au cours de chacun des 9 mois suivants, puis en 2002, au cours chacun des onze derniers mois, en 2003 au cours de chacun des douze mois de l'année, pour l'année 2004 au cours de chacun des mois de l'année hormis le mois de novembre,
-puis les années suivantes, et en particulier :
-pendant l'année 2010, elle a régulièrement travaillé au cours de chacun des mois de l'année hormis le mois de septembre, à raison d'horaires mensuels de travail variant de 63 heures à 149 heures,
-pendant l'année 2011, elle a régulièrement travaillé au cours de chacun des onze premiers mois, à raison d'horaires mensuels de travail variant de 34 heures à 154 heures,
-pendant l'année 2012, elle a régulièrement travaillé au cours de chacun des douze mois de l'année, à raison d'horaires mensuels de travail variant de 42 heures à 162 heures,
-pendant les quatre premiers mois de l'année 2013, elle a régulièrement travaillé au cours de chacun de ces mois, à raison d'horaires mensuels de travail variant de 80 heures à 134 heures, étant rappelé que la liquidation judiciaire de la CHMG est intervenue le 2 mai 2013.
Il apparaît ainsi que Mme Y... était employée de façon quasi permanente pendant au moins onze mois de l'année au cours d'années successives. Il s'en déduit que l'embauche de Mme Y... permettait à l'employeur de pourvoir durablement à un emploi permanent à temps partiel dans le cadre de l'activité normale de l'entreprise, ce qui exclut le caractère temporaire inhérent à un contrat d'usage tel que prévu par l'article L. 1242-2 du code du travail, et en particulier le caractère temporaire d'un contrat d'extra.
En conséquence le contrat de travail de Mme Y... sera requalifié en contrat à durée indéterminée. A ce titre il sera alloué à Mme Y... la somme de 963,64 euros d'indemnité de requalification en application des dispositions de l'article L. 1245-2 du code du travail.
Sur le transfert du contrat de travail :
Le liquidateur de la CHMG ayant mis fin, le 2 mai 2013, au contrat liant cette compagnie à la SEP KBHR, le fonds de commerce appartenant à celle-ci, constitué par les locaux à usage de résidence hôtelière, équipés d'un matériel complet d'exploitation, avec l'utilisation d'une enseigne commerciale, à savoir " KAWAN BEACH HOTEL", est revenu à ses propriétaires, lesquels, en application des dispositions de l'article L. 1224-1 du code du travail, étaient tenus de poursuivre les contrats de travail en cours.
Il importe peu que l'exécution du contrat de travail de Mme Y... ait pu être suspendu à compter du 2 mai 2013, encore que la résidence hôtelière ait continué à être exploitée fin mai et début juin à l'occasion du festival "Terre de Blues" de Marie-Galante et pendant le Tour cycliste de Marie-Galante, puisque ledit contrat n'a été à aucun moment rompu et qu'il a été transféré de plein droit à la SEP KBHR.
Sur les demandes de rappels de rémunération de Mme Y... :
Sur la base d'un salaire mensuel moyen de 963,64 euros, dont le montant n'est pas discuté par les intimés, Mme Y... est fondée à réclamer paiement de la somme de 13 490,96 euros à titre de rappel de salaire pour la période de novembre 2013 à décembre 2014, outre la somme de 963,64 euros au titre du salaire de janvier 2015, soit au total la somme de 14 454,60 euros.
Le CGOSH et la CIC devant être considérés comme co-employeurs puisqu'ils sont associés dans le cadre d'une société en participation, laquelle s'est vue transférer le contrat de travail de Mme Y..., par la reprise du fonds de commerce et par application des dispositions de l'article 1224-1 du code du travail, et le CGOSH étant seul visé par les demandes en paiement formées par la salariée, le CGOSH sera condamné au paiement des sommes allouées à Mme Y....
L'examen des bulletins de paie de Mme Y... montre qu'une indemnité de congés payés équivalente à 10 % de son salaire brut mensuel, lui a été versée chaque mois. En conséquence elle a été remplie de ses droits à ce titre, et doit être déboutée de sa demande d'indemnité de congés payés.
La demande en paiement d'un treizième mois présentée par Mme Y..., n'ayant aucun fondement contractuel ou conventionnel, il ne peut y être fait droit.
Sur les demandes indemnitaires de Mme Y... :
Le CGOSH soutient que la rupture du contrat de travail est "intervenue avant le transfert des contrats aux propriétaires des murs", que son caractère fautif et ses conséquences ne lui sont pas imputables et qu'il ne peut en être tenu pour responsable.
Par ailleurs l'AGS fait valoir que si Mme Y... prétend avoir été licenciée par son employeur, elle n'apporte aucun élément de nature à justifier qu'elle a fait l'objet d'une mesure de licenciement.
Aucun acte valant licenciement à l'égard de la salariée ne peut être relevé à l'encontre du CGOSH, seul visé par les demandes indemnitaires de Mme Y.... En conséquence celle-ci sera déboutée de l'ensemble de ses demandes portant sur l'octroi d'indemnités de rupture du contrat de travail.
Pour la même raison il ne peut être fait droit à sa demande de délivrance d'une attestation Pôle Emploi, d'un certificat de travail et d'un reçu pour solde de tout compte.
Par contre il sera ordonné la remise, à la charge du CGOSH, des bulletins de salaire pour la période de mai 2013 à janvier 2015, sans qu'il soit besoin d'assortir d'une astreinte, l'exécution de cette obligation.
Le rappel de rémunération portant sur une période postérieure au jugement de liquidation judiciaire, lequel ne prévoit pas d'autorisation de poursuite d'activité, et en l'absence d'indemnité de rupture due à la salariée, l'AGS sera mise hors de cause.
La demande du CGOSH tendant à voir condamner la CHMG à le garantir de toute condamnation prononcée à son encontre n'est pas de la compétence du conseil de prud'hommes mais de la compétence du tribunal de mixte de commerce de Pointe à Pitre. Toutefois la Cour étant compétente pour statuer en appel des décisions du tribunal mixte de commerce, il convient, en application de l'article 89 du code de procédure civile, d'évoquer cette demande.
A l'appui de cette demande en garantie, le CGOSH invoque l'usage abusif de contrats d'extra, et le fait qu'au moment de la résiliation du contrat de gestion hôtelière par le liquidateur de la CHMG, il lui a été transmis une liste de salariés ne comprenant pas le nom de Mme Y....
Pour apprécier la responsabilité éventuelle de la CHMG comme cause du préjudice invoqué par le CGOSH, et plus précisément la charge des salaires à verser à Mme Y..., il convient de déterminer la date à laquelle le CGOSH a été informé de l'existence du contrat de travail de Mme Y..., étant relevé qu'il résulte des pièces versées au débat que l'administrateur judiciaire de la CHMG, Me I..., avait préparé un certificat de travail et un reçu pour solde de tout compte en date du 15 juillet 2013, ainsi qu'une attestation Pôle Emploi datée du 15 juillet 2013, sans qu'il soit établi que ces documents aient été adressés à leurs destinataires.
Il convient dès lors d'inviter le CGOSH et le liquidateur de la CHMG à s'expliquer, le cas échéant pièces à l'appui, sur la date à laquelle le CGOSH a été informé de l'existence du contrat de travail de Mme Y....
Mme Y... bénéficiant de l'aide juridictionnelle dans le cadre de la présente procédure, il n'y a pas lieu de faire droit à sa demande de paiement d'une indemnité fondée sur l'article 700 du code de procédure civile à son profit.
Par ces motifs,
La Cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,
Ordonne la disjonction des procédures d'appel engagées par Mmes Y..., J..., K..., L... et M..., lesquelles seront désormais inscrites au rôle de la Cour sous les numéros, respectivement 15/01582, 15/01609, 15/1610, 15/1611 et 15/1612.
Ordonne la mise hors de cause de l'AGS,
Condamne le CGOSH à payer à Mme Y... la somme de 14 454,60 euros à titre de rappel de salaire pour la période de novembre 2013 à janvier 2015, outre la somme de 963,4 euros à titre d'indemnité de requalification du contrat de travail,
Ordonne au CGOSH de remettre à Mme Y... les bulletins de salaire correspondant à la période de mai 2013 à janvier 2015,
Déboute Mme Y... du surplus de ses demandes,
Sursoit à statuer sur la demande de garantie présentée par le CGOSH, dirigée contre la CHMG,
Invite le CGOSH et le liquidateur de la CHMG à s'expliquer par voie de conclusions, le cas échéant avec pièces à l'appui, sur la date à laquelle le CGOSH a été informé de l'existence du contrat de travail de Mme Y...,
Dit que le CGOSH dispose d'un délai de trois mois pour conclure sur ce point, et la CHMG d'un délai supplémentaire de trois mois pour répliquer,
Fixe l'affaire à l'audience des débats du :
Lundi 11 mars 2019 à 14h30
Dit que les dépens sont provisoirement mis à la charge du CGOSH.
Le Greffier, Le Président,