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12/03/2018 | FRANCE | N°16/012081

France | France, Cour d'appel de Basse-Terre, 04, 12 mars 2018, 16/012081


BR/VS

COUR D'APPEL DE BASSE-TERRE

CHAMBRE SOCIALE
ARRÊT No 98 DU DOUZE MARS DEUX MILLE DIX HUIT

AFFAIRE No : 16/01208

Décision déférée à la Cour : Jugement du Conseil de Prud'hommes de Pointe-à-Pitre - section encadrement - du 28 Juin 2016.

APPELANT

Monsieur Gérard Marc X...
[...]
Représenté par Me Daïna Y... (Toque 71), avocat au barreau de GUADELOUPE/ST MARTIN/ST BARTH

INTIMÉE

SCA SOGUAFI

BP 2416, [...]
Représentée par Me Isabelle D... (Toque 8), avocat au barreau de GUADELOUPE/ST MARTIN/ST BARTH

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions de l'article 786 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 29 ...

BR/VS

COUR D'APPEL DE BASSE-TERRE

CHAMBRE SOCIALE
ARRÊT No 98 DU DOUZE MARS DEUX MILLE DIX HUIT

AFFAIRE No : 16/01208

Décision déférée à la Cour : Jugement du Conseil de Prud'hommes de Pointe-à-Pitre - section encadrement - du 28 Juin 2016.

APPELANT

Monsieur Gérard Marc X...
[...]
Représenté par Me Daïna Y... (Toque 71), avocat au barreau de GUADELOUPE/ST MARTIN/ST BARTH

INTIMÉE

SCA SOGUAFI

BP 2416, [...]
Représentée par Me Isabelle D... (Toque 8), avocat au barreau de GUADELOUPE/ST MARTIN/ST BARTH

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions de l'article 786 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 29 janvier 2018, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant M. Bernard Rousseau, président de chambre, chargé du rapport

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

M. Bernard Rousseau, président de chambre, président,
Mme Marie-Josée Bolnet, conseiller,
Madame Gaëlle Buseine, conseiller,

Les parties ont été avisées à l'issue des débats de ce que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour le 12 mars 2018

GREFFIER Lors des débats : Mme Valérie Souriant, greffier.

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées conformément à l'article 450 al 2 du CPC. Signé par M. Bernard Rousseau, président de chambre, président, et par Mme Valérie Souriant, greffier, à laquelle la décision a été remise par le magistrat signataire.

Faits et procédure :
Il résulte des explications et pièces fournies par les parties les éléments suivants.

Par contrat de travail à durée indéterminée à temps complet, M. X... a été embauché par la Société SOGUAFI à compter du 7 juillet 1987.

Le dernier poste occupé par M. X... au sein de cette société, était celui de directeur des opérations, un salaire de 7665 euros lui était versé mensuellement.

Le 23 juin 2013 M. X... a fait l'objet d'une mise à pied à titre conservatoire suivie d'une convocation à un entretien préalable à un licenciement pour faute lourde.

Par lettre du 26 juillet 2013, M. X... était licencié pour faute grave.

Le 16 septembre 2013, M. X... a saisi le conseil de prud'hommes de Pointe à Pitre aux fins de contester son licenciement et obtenir diverses indemnisations.

Par jugement du 28 juin 2016, la juridiction prud'homale a dit que le licenciement de M. X... reposait sur une cause réelle et sérieuse, et a condamné la Société SOGUAFI à lui payer les sommes suivantes :
-7 665,83 euros au titre du salaire du mois de juillet 2013,
-22 997,49 euros au titre de l'indemnité de préavis,
-152 259,12 euros au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement.

Par déclaration du 8 août 2016, M. X... a interjeté appel de cette décision qui lui avait été notifiée le 6 juillet 2016. L'appel interjeté plus d'un mois après la notification du jugement à l'appelant, est néanmoins recevable en raison de la prorogation de délai prévue par l'article 642 du code de procédure civile.

****

Par conclusions communiquées le 7 novembre 2016, auxquelles il a été fait référence lors de l'audience des débats, et auxquelles il convient de se référer pour l'exposé exhaustif des moyens de M. X..., celui-ci sollicite l'infirmation du jugement déféré en ce qu'il constate que le licenciement est fondé sur une simple cause réelle et sérieuse. Il entend voir juger que son licenciement est sans cause réelle et sérieuse.

M. X... demande paiement des sommes suivantes :
-367 989,84 euros au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, correspondant à 48 mois de salaire,
-183 979,92 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement,
-30 000 euros au titre du préjudice moral subi,
-2500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

****

Par conclusions communiquées le 6 janvier 2017, auxquelles il a été fait référence lors de l'audience des débats, et auxquelles il convient de se référer pour l'exposé exhaustif des moyens de la Société SOGUAFI, celle-ci entend voir constater que le licenciement est intervenu pour une faute grave. Elle sollicite l'infirmation des dispositions du jugement portant condamnation à son égard et demande que le jugement soit confirmé pour le surplus. Elle conclut au rejet de l'ensemble des demandes de M. X... et réclame paiement de la somme 3000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

****
Motifs de la décision :

Dans sa lettre de licenciement du 26 juillet 2013, l'employeur rappelait tout d'abord qu'en tant que directeur des opérations, il appartenait à M. X..., dans le cadre de ses missions, de superviser le lancement et l'exécution des procédures nécessaires au recouvrement des créances des débiteurs défaillants de l'entreprise.

L'employeur exposait que dans le cadre d'un audit ayant débuté le 24 juin 2013, certaines des actions et décisions de M. X... constituant des fautes graves, ont été découvertes.

L'employeur reprochait à M. X... d'avoir validé le 27 décembre 2012 le passage en pertes françaises de contrats pour lesquels le caractère irrécouvrable de la créance SOGUAFI n'était pas démontré, ces contrats bénéficiaient, au moment de sa décision, de titres exécutoires ou faisaient l'objet de procédures contentieuses en cours auprès des tribunaux pour des montants de créances significatifs, alors que le passage en perte "française" ne peut être admis que pour les dossiers pour lesquels le recouvrement des créances est définitivement compromis.

L'employeur relevait en outre qu'à la date à laquelle M. X... a transmis la liste des contrats concernés, soit le 27 décembre 2012 en fin de journée, rendait matériellement impossible le contrôle de ses décisions par le responsable financier dès lors que l'opération administrative en découlant devait être effectuée le 31 décembre 2012 au plus tard.

L'employeur soulignait que ce comportement entraînait un préjudice important pour la SOGUAFI dans la mesure où, comme M. X... le savait pertinemment en tant que directeur des opérations, ces contrats ne faisaient plus l'objet d'une gestion active par ses services une fois le passage en perte française constaté et n'étaient plus cessibles à des tiers, leur caractère irrécouvrable étant acquis.

Il était également reproché à M. X... d'être intervenu personnellement dans plusieurs dossiers pour empêcher la société de recouvrer ses créances. Deux cas étaient cités :

-le 25 octobre 2012, dans le cadre du dossier "KOLA", M. X... avait, sans explication, ordonné de restituer le véhicule à l'épouse du débiteur défaillant sans contrepartie, alors qu'il venait d'être saisi au prix d'une longue et coûteuse procédure.

-le 1er mars 2013, dans le dossier "PIERRE", M. X... avait interdit au service recouvrement contentieux l'envoi d'une demande de mise à exécution en vertu d'un titre exécutoire sans qu'aucune garantie de recouvrement n'ait été apportée par la cliente.

Insistant sur les préjudices subis, l'employeur faisait également savoir que dans le cadre de l'audit, il avait été constaté que le lancement des procédures contentieuses accumulait de nombreux retards, ce manquement retardait l'obtention de titres exécutoires et exposait la société au risque de forclusion.

Il était également indiqué que l'audit avait révélé des manquements aux règles de gestion des situations de conflit d'intérêts, en citant l'intervention de M. X... dans un dossier concernant un de ses proches, dans lequel il a approuvé et signé le 10 juin 2010 un aménagement de plan de remboursement au bénéfice de Mme Evelyne X..., l'ex-femme de son frère, sans même en informer la direction.

L'employeur concluait qu'au regard de la gravité du comportement de M. X... et de sa position au sein de la société, il était contraint de procéder à son licenciement sans indemnité ni préavis.

A l'appui des griefs qu'il invoque, l'employeur produit le rapport d'audit en date du 23 juillet 2013, lequel décrit précisément les manquements constatés dans bon nombre de dossiers, faisant ressortir des décisions incohérentes de M. X... et préjudiciables à la Société SOGUAFI, s'agissant notamment du dossier Z... pour lequel il est indiqué qu'après saisie du véhicule de Mme Z... le 25 octobre 2012, celui-ci lui a été restitué après que les époux Z... aient été reçus par M. X..., qui en échange aurait reçu un acompte dont le montant n'est pas précisé, une nouvelle procédure ayant dû être engagée le 2 avril 2013.

Mais comme le laisse entendre l'employeur dans la lettre de licenciement, M. X... est intervenu dans d'autres dossiers, soit pour restituer au débiteur, le véhicule saisi (dossier no [...]), soit est intervenu pour arrêter l'exécution d'un titre exécutoire (dossiers 112009006000), sans que soit obtenu à bref délai un règlement soldant le dossier.

Dans un compte rendu de réunion en date du 22 octobre 2012, rédigé par Mme A..., et ayant fait l'objet d'un courriel adressé notamment à M. X..., il était rappelé que le passage en perte d'abandon concerne 2 types de dossiers :
-suite à un jugement défavorable, ou une liquidation judiciaire sans espoir de recouvrement,
-passage automatique selon les normes BDF des dossiers sans règlement 2 ans après la date de fin de contrat.
Il était précisé que les décisions de passage en perte devaient être validés par les Responsables des Opérations, dont M. X..., début novembre.

Or M. X... n'a transmis la liste de ces dossiers que le 27 décembre 2012 pour un contrôle qui devait être effectué au plus tard le 31 décembre 2012.

M. X... estime pour sa part que ce délai de 4 jours est suffisant. Il doit être observé que dans ce délai de 4 jours figurent un samedi et un dimanche et que pour l'année 2012, M. X... a passé en perte 1272 dossiers représentant un total de 8 millions d'euros (à titre de comparaison il avait passé en perte 687 dossiers en 2010 et 597 en 2011). Dans ces conditions il était difficile d'exercer un contrôle sur les transmissions faites pour le moins tardivement par M. X....

Par ailleurs dans un courriel du 27 juin 2013 émanant de M. B..., il est également fait état de manquements flagrants pour lesquels il est demandé à M. X... de s'expliquer, s'agissant de l'absence de transmission de 4 dossiers ayant fait l'objet de jugements favorables à la SOGUAFI, mais n'ayant jamais été transmis à un huissier pour exécution, et passés en perte. Pour un cinquième dossier il est rappelé qu'un jugement favorable obtenu en 2012 à l'encontre du débiteur pour 8000 euros a été signifié, et fin novembre 2012 il a été demandé à l'huissier d'obtenir un certificat de non-appel, mais le dossier est passé en perte fin 2012 sans justification.

La règle dite BDF, invoquée par M. X..., permettant de passer en perte les créances résultant des contrats déchus du terme, 2 ans après le terme initial, et sans règlement intervenu depuis 12 mois, ne peut justifier l'absence de mise à exécution de jugements favorables à la Société SOGUAFI.

En effet ce délai de deux ans correspond au délai de forclusion prévu en matière de crédit à la consommation, mais dès lors qu'une procédure judiciaire est engagée dans ledit délai, et qui plus est, terminée par un jugement de condamnation du débiteur, il y a lieu de poursuivre la procédure judiciaire et de recouvrement.

Pour contester l'un des exemples relevés dans le cadre de l'audit, qui a permi de révéler qu'en octobre 2013 un jugement avait prononcé la condamnation de M. C... à payer à la SOGUAFI, la somme de 52 238,83 euros, M. X... fait valoir que son employeur ne prouve pas que cette créance ait été recouvrée. Il importe peu que finalement la créance ait été ou non recouvrée, mais un directeur des opérations normalement diligent se doit de faire exécuter les décisions de justice exécutoires au profit de la société qui l'emploie, sauf à estimer que toute procédure judiciaire contentieuse est de toute façon engagée inutilement.

Ainsi M. X... montre une conception très laxiste de ses fonctions.

Si M. X... relève que le rapport d'audit, qui est rédigé en anglais et dont une traduction en français est proposée par la Société SOGUAFI, n'a pas fait l'objet d'une traduction certifiée, il y a lieu de constater que les termes de cette traduction ne sont pas critiqués par l'appelant. En l'absence de contestation sur la fidélité de cette traduction, la désignation d'un expert traducteur inscrit sur la liste des experts établie par la cour d'appel ne s'impose pas.

Pour contester le grief tenant au retard dans le lancement des procédures contentieuses entraînant un retard dans la capacité d'obtenir des titres exécutoires, et des risques de forclusion, M. X... fait valoir qu'il est directeur d'un département composé de quatre services, chacun dirigé par un chef de service, et qu'il ne pourrait lui être imputé de tels retards et les pertes qui en résulteraient.

Cependant il lui appartient en tant que directeur d'exercer, dans l'intérêt de la société qui l'emploie et compte tenu de l'étendue de ses responsabilités, les contrôles et de donner les instructions nécessaires au suivi des procédures contentieuses, étant rappelé que l'audit révèle l'existence de dossiers non suivis.

Compte tenu des carences ainsi constatées, qui révèlent non seulement un manque patent d'organisation du suivi des dossiers contentieux, mais aussi des initiatives hasardeuses du directeur des opérations dans la mise en oeuvre des procédures judiciaires, portant notamment sur la non exécution de décisions exécutoires et la restitution de véhicules saisis, le maintien de M. X... au sein de l'entreprise ne pouvait pas être poursuivi, son licenciement pour faute grave étant justifié. Au demeurant M. X... ne sollicite même pas la confirmation de l'indemnité de préavis que les premiers juges lui avaient octroyée à hauteur de 22 997,49 euros.

M. X... sera donc débouté de sa demande d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et de sa demande d'indemnité conventionnelle de licenciement d'un montant équivalent à deux ans de salaire.

Il ne peut être fait droit à sa demande d'indemnisation d'un préjudice moral, les répercussions psychologiques invoquées par M. X... n'étant que la conséquence des carences dont il a fait preuve.

L'équité n'implique pas qu'il soit fait application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Par ces motifs,

La Cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,

Réforme le jugement déféré,

Et statuant à nouveau,

Dit que le licenciement de M. X... est justifié par une faute grave,

Déboute M. X... de l'ensemble de ses demandes,

Dit que les dépens sont à la charge de M. X...,

Déboute les parties de toutes conclusions plus amples ou contraires.

le Greffier, Le Président.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Basse-Terre
Formation : 04
Numéro d'arrêt : 16/012081
Date de la décision : 12/03/2018
Sens de l'arrêt : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.basse-terre;arret;2018-03-12;16.012081 ?
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