VS-BR
COUR D'APPEL DE BASSE-TERRE
CHAMBRE SOCIALE ARRÊT No 342 DU VINGT CINQ SEPTEMBRE DEUX MILLE DIX SEPT
AFFAIRE No : 14/ 01248
Décision déférée à la Cour : jugement du Conseil de Prud'hommes de BASSE-TERRE du 6 juin 2014- Section Encadrement
APPELANTS ET INTIMES
Madame Nathalie X......Représentée par Maître Thierry DEVIILE, avocat au barreau de TARN-ET-GARONNE
Monsieur Alain Y...... Représenté par Maître LUCIANI, avocat au barreau de GRASSE substitué par Maître Myriam WIN BOMPARD, avocat au barreau de GUADELOUPE/ ST MARTIN/ ST BART
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 3 Juillet 2017, en audience publique, devant la Cour composée de :
M. Bernard Rousseau, président de chambre, président, Mme Marie-Josée Bolnet, conseiller, Madame Gaëlle Buseine, conseiller, qui en ont délibéré.
Les parties ont été avisées à l'issue des débats de ce que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour le 25 septembre 2017.
GREFFIER Lors des débats : Mme Lucile Pommier, greffier principal,
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées conformément à l'article 450 al 2 du CPC. Signé par M. Bernard Rousseau, président de chambre, président, et par Mme Valérie Souriant, greffier, à laquelle la décision a été remise par le magistrat signataire.
Faits et procédure :
Mme Nathalie X...a été embauchée en juin 1997, par la SCP Z..., Notaires associés à Basse-Terre, en qualité de secrétaire notariale, occupant par la suite les fonctions de clerc de notaire, catégorie C2 avec le statut cadre, pour exercer au bureau annexe de Saint-Barthélémy.
Me Y..., qui travaillait au sein de l'étude notariale en tant que notaire assistant salarié, est devenu titulaire de cette étude le 27 avril 2007.
Outre son salaire, Mme X...recevait de Me Y...à compter de juin 2007, diverses sommes soit par virements, soit en espèces variant de 250 à 1000 euros selon les mois.
Enceinte à compter de novembre 2007, Mme X...dont le congé maternité devait commencer le 29 juin 2008, a subi un arrêt maladie pour dépression à compter de mai 2008.
Me Y...ayant cessé alors le versement des sommes qui étaient réglées à Mme X...en sus du salaire, celle-ci a mis en demeure son employeur, par courrier reçu le 4 juin 2008, de procéder à la régularisation de la situation et de lui verser la somme de 500 euros pour le mois de mai 2008.
Me Y...procédait alors à un virement de 500 euros sur le compte de Mme X...le 6 juin 2008.
Le 12 juin 2008, Mme X..., par courrier recommandé avec avis de réception, prenait acte de la rupture de son contrat de travail aux torts exclusifs de Me Y...au motif que depuis sa prise de fonction en tant que notaire titulaire, en avril 2007, elle n'avait cessé de lui demander verbalement la régularisation de ses bulletins de salaires au titre du versement de la somme supplémentaire de 500 euros mensuelle non déclarée à laquelle s'ajoutaient un certain nombre de primes substantielles.
Me Y...faisait parvenir le 16 juin 2008 à Mme X..., son bulletin de salaire du mois de mai 2008, sur lequel figurait une augmentation de 500 euros.
Le 16 juin 2008, Me Y...mettait en demeure Mme X...de reprendre son poste de travail.
Le 27 août 2008, Mme X...saisissait le conseil de prud'hommes de Basse-Terre aux fins d'obtenir diverses indemnisations, notamment pour travail dissimulé et pour licenciement abusif. Elle sollicitait la régularisation de sous les bulletins de salaires depuis le mois d'avril 2007 en y portant la totalité des sommes versées par Me Y....
Par jugement du 6 juin 2014, la juridiction prud'homale, statuant en formation de départage, disait que :- Me Y...n'était pas coupable de travail dissimulé, Mme X...étant déboutée de sa demande d'indemnité à ce titre,- Me Y...était coupable de n'avoir pas procédé à la régularisation de la situation de Mme X...en rectifiant les bulletins de salaire d'avril 2007 à octobre 2007 pour tenir compte des virements effectués à titre de primes, et le bulletin de salaire d'avril 2008 pour tenir compte de la prime de 10 000 euros payées par chèque du 24 avril 2008,- Mme X...n'était pas coupable de fautes professionnelles graves,- la prise d'acte par Mme X...de la rupture du contrat de travail équivalait à un licenciement sans cause réelle et sérieuse,- Me Y...n'était pas coupable de harcèlement moral à l'encontre de Mme X....
Me Y...était condamné à payer à Mme X...les sommes suivantes :-5623, 37 euros à titre d'indemnité légale,-27 922, 98 euros à titre d'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse (représentant 6 mois de salaires).
Par le même jugement, il était jugé que Mme X...avait refusé à tort d'exécuter le préavis de licenciement et elle était condamnée à payer à Me Y...la somme de 13 961, 49 euros à titre d'indemnité de préavis de licenciement.
Il était mentionné que Mme X...était déboutée de sa demande en paiement de l'indemnité de licenciement.
Il était ordonné à Me Y...de régulariser les bulletins de paie de Mme X...d'avril 2007 à avril 2008, en y portant mention des primes versées, et de transmettre à celle-ci l'attestation de salaire pour la période du 1er mars 2008 au 31 mai 2008, si ce n'était déjà fait.
Enfin Me Y...était condamné à payer à Mme X...la somme de 2000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Par déclaration adressée au greffe de la Cour le 10 juillet 2014, Mme X...interjetait appel de cette décision qui lui avait été notifiée le 2 juillet 2014.
Par déclaration du 27 août 2014, Me Y...interjetait appel de la même décision.
Les deux instances d'appel étaient jointes.
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Par conclusions récapitulatives et responsives, non datées mais reçues au greffe de la Cour le 3 mai 2016, auxquelles il a été fait référence lors de l'audience des débats, et auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé exhaustif des moyens de Mme X..., celle-ci sollicite le paiement des sommes suivantes :-13 961, 49 euros à titre d'indemnité de préavis,-1396, 15 euros à titre d'indemnité de congés payés sur préavis,-5623, 37 euros à titre d'indemnité légale de licenciement,-55 846 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif,-27 923 euros à titre de dommages et intérêts pour travail dissimulé.
Mme X...demande la régularisation de ses bulletins de paie depuis le mois d'avril 2007 en y portant la totalité des sommes versées par Me Y...à titre de salaire ou prime non déclarées. Elle sollicite en outre qu'il soit ordonné la remise sous astreinte d'une attestation de salaire pour la période du 1er mars 2008 au 31 mai 2008.
Mme X...réclame paiement de la somme de 6000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
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Par conclusions communiquées à la partie adverse le 23 juin 2017, auxquelles il a été fait référence lors de l'audience des débats, et auxquelles il convient de se référer pour l'exposé exhaustif des moyens de Me Y..., celui-ci sollicite le rejet de l'ensemble des demandes de Mme X...et entend voir requalifier la prise d'acte de rupture du contrat de travail en démission abusive et sans délai de préavis, de Mme X....
Me Y...demande que Mme X...soit condamnée à lui payer les sommes suivantes :-13 961, 49 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre 1396, 15 euros au titre des congés payés afférents,-27 922, 98 euros, correspondant à 6 mois de salaire, à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive de son contrat de travail,-50 000 euros de dommages et intérêts pour abus d'ester en justice avec intention de nuire,-20 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
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Motifs de la décision :
Sur le travail dissimulé :
L'examen des relevés de compte bancaire de Mme X..., montre que celle-ci a bénéficié de virements de la part de Me Y..., à savoir : 500 € le 20 juin 2007, 600 € le 29 juin 2007, 250 € le 10 août 2007, 250 € le 30 août 2007, 500 € le 1er octobre 2007.
Elle a reçu par ailleurs des versements d'espèces déposées sur son compte bancaire, à savoir : 1000 € le 26 septembre 2007, 1000 euros le 28 novembre 2007, 900 euros le 28 janvier 2007.
Me Y...lui a remis un chèque de 10 000 € le 22 avril 2008. Selon celui-ci, il s'agirait d'un prêt, mais aucun document ne vient corroborer cette assertion. Mme X...explique pour sa part qu'il s'agit d'une prime versée pour un très gros dossier pour lequel elle a dû annuler, à la demande de son employeur, ses congés payés, avec les conséquences en découlant (annulation de billets).
Me Y...ne démontre pas que les versements effectués au bénéfice de Mme X...aient une autre cause que la relation de travail. Par ailleurs le caractère répété à intervalles réguliers de ces versements empêche de considérer qu'il s'agit de cadeaux rentrant dans la sphère privée.
Les versements ainsi constatés constituent des gratifications s'ajoutant au salaire figurant sur les bulletins de salaires. Mme X...prétend que ces versements caractériseraient des faits de travail dissimulé imputable à Me Y....
Toutefois selon les dispositions de l'article L. 8221-5 du code du travail dans sa version applicable au moment de l'exécution du contrat de travail, est réputé travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié le fait pour tout employeur : 1o soit de se soustraire intentionnellement à l'accomplissement de la formalité prévue à l'article L. 1221-10 relatif à la déclaration préalable à l'embauche ; 2o soit de se soustraire intentionnellement à l'accomplissement de la formalité prévue à l'article L. 3243-2, relatif à la délivrance d'un bulletin de paie, ou de mentionner sur ce dernier un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne résulte pas d'une convention ou d'un accord collectif d'aménagement du temps de travail conclu en application du titre II du livre Ier de la troisième partie.
Le dernier alinéa de l'article L. 8221-5 du code du travail résulte de la loi 2011-672 du 16 juin 2011. Il assimile au travail dissimulé, le fait de se soustraire intentionnellement aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ceux-ci, auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales ou de l'administration fiscale en vertu des dispositions légales. Ce texte, postérieur à la relation contractuelle, n'est donc pas applicable en l'espèce.
Mme X...ne réclamant pas le paiement d'heures supplémentaires qui n'auraient pas figuré sur ses bulletins de salaires, mais faisant seulement état de primes versées mensuellement, les premiers juges, à juste titre ont relevé qu'il ne s'agissait pas de dissimulation d'heures de travail, mais uniquement d'une minoration des revenus réellement versés à la salariée, et ont pu en déduire que le travail dissimulé n'était pas constitué.
Le jugement déféré sera donc confirmé en ce qu'il a débouté Mme X...de sa demande de dommages et intérêts pour travail dissimulé.
Sur la prise d'acte de rupture du contrat de travail, par Mme X...:
Par courrier du 3 juin 2008, Mme X...reprochait à M. Y...d'une part de lui avoir versé son salaire du mois de mai 2008, sans y inclure le complément de 500 € qui lui était versé depuis plusieurs mois, et d'autre part de ne pas avoir régularisé cette situation comme il s'y était engagé, ayant demandé au personnel de patienter jusqu'au mois de mai 2008 et de percevoir en attendant cette augmentation sous forme d'espèces versées tous les mois.
Mme X...relevait que la non-déclaration de complément de salaire soumis à cotisations sociales lui portait préjudice.
Elle mettait en demeure Me Y...de lui verser sous huitaine ce complément de salaire et de lui faire parvenir un bulletin de salaire mentionnant cette régularisation.
Me Y...répondait à Mme X...en lui notifiant le justificatif de versement de l'augmentation de salaire qu'il avait décidé d'octroyer début juin à l'ensemble du personnel du bureau de Saint-Barthélémy, après appréciation des résultats de l'office notarial arrêtés au 31 mai 2008. Selon ce justificatif il était versé par virement à Mme X...la somme de 500 € le 5 juin 2008, un bulletin de paie accompagnant ce virement.
Par courrier du 12 juin 2008, Mme X...prenait acte de la rupture du contrat de travail imputable à l'employeur au motif qu'elle n'avait cessé de demander à celui-ci verbalement, la régularisation de ses bulletins de salaires concernant le versement de la somme supplémentaire de 500 € mensuelle non déclarée.
Il a été constaté des versements par virements ou en espèces au bénéfice de Mme X..., quasiment mensuels, de juin 2007 à janvier 2008, et même en avril 2008, s'ajoutant à son salaire, mais ne figurant pas sur les bulletins de paie délivrés.
Le fait de procéder au versement d'un complément de salaire, non soumis à déclaration auprès des organismes sociaux, est préjudiciable à la salariée, comme pouvant réduire ses droits à prestations sociales.
Ces faits réitérés pendant plusieurs mois et auxquels l'employeur n'a pas entendu remédier, sauf pour le mois de mai puis le mois juin 2008, constituent des manquements graves de la part de celui-ci, et justifie la rupture du contrat de travail dont la salariée a pris acte.
Cette rupture imputable à l'employeur produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Les soit-disant fautes lourdes invoquées par l'employeur dans ses conclusions, sont sans incidence sur le bien fondé de la prise d'acte de rupture aux torts de l'employeur, celui-ci ne les ayant jamais reprochées auparavant par écrit à Mme X..., ni pris de sanction pour ce motif.
Sur les demandes pécuniaires de Mme X...:
Il y a lieu de rappeler que la prise d'acte de la rupture du contrat de travail aux torts de l'employeur, lorsqu'elle est justifiée par des manquements graves de celui-ci, produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, et que dans ce cas, contrairement à ce qu'en ont décidé les premiers juges, ce n'est pas l'employeur qui a droit à une indemnité compensatrice de préavis, mais bien la salariée.
Compte tenu d'une ancienneté de plus 11 ans et de son statut de cadre, Mme X...a droit, en application de la convention collective du notariat, à une indemnité compensatrice équivalente à trois mois de salaire, soit la somme de 13 961, 49 euros. Il s'y ajoute une indemnité compensatrice de congés payés d'un montant de 1 396, 15 euros.
Par ailleurs il sera fait droit à la demande de paiement d'indemnité de licenciement à hauteur de 5 623, 37 euros, au profit de Mme X...qui se prévaut des dispositions de la convention collective du notariat, et d'une ancienneté de plus de 11 ans au sein de l'étude notariale dont le titulaire était initialement Me Z..., auquel a succédé Me Y..., le montant ainsi alloué par le conseil de prud'hommes n'étant pas discuté par l'intimé.
Aucune des pièces versées au débat ne laisse supposer que Me Y...se soit livré à des agissements constitutifs de harcèlement moral.
Le fait de ne pas avoir intégré les gratifications supplémentaires dans le salaire déclaré aux organismes sociaux, ne saurait être assimilé à de tels agissements, étant relevé au demeurant qu'avant son courrier du 3 juin 2008, Mme X...qui n'avait jamais mis en demeure par écrit son employeur de régulariser cette situation, paraissait jusque là s'en accommoder.
Mme X...ne fournissant aucun élément sur sa situation à la suite de la rupture, tant sur le plan professionnel, que matériel et financier, l'indemnisation du préjudice résultant de la rupture du contrat de travail produisant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, sera fixée, en application de l'article L. 1235-3 du code du travail, à la somme de 27 922, 98 euros correspondant à 6 mois de salaire.
Il résulte des pièces versées au débat que la Caisse Générale de Sécurité Sociale de la Guadeloupe a sollicité de Mme X...la remise d'une attestation de salaire pour la période du 1er mars 2008 au 31 mai 2008 aux fins de paiement d'indemnités journalières. Mme X...transmettait cette demande à Me Y...par courrier recommandé reçu le 14 août 2009 par ce dernier. Il ne ressort d'aucune des pièces versées au débat que celui-ci ait satisfait à cette demande.
En conséquence la remise de cette attestation de salaire par Me Y...à Mme X...sera confirmée, sans qu'il y ait besoin en l'état de prononcer une astreinte.
Par ailleurs Me Y...devra remettre à Mme X...un bulletin de salaire rectificatif mentionnant toutes les gratifications versées à celle-ci, telles que rappelées ci-avant.
Comme il paraît inéquitable de laisser à la charge de Mme X...les frais irrépétibles qu'elle a exposés tant en première instance qu'en cause d'appel, il lui sera alloué la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, en sus de la somme déjà allouée sur le même fondement par les premiers juges.
Par ces motifs,
La Cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,
Confirme le jugement déféré sauf en ce qu'il a dit que Mme X...a refusé à tort d'exécuter le préavis de licenciement et l'a condamnée à payer à Me Y...la somme de 13961, 49 euros à titre d'indemnité de préavis de licenciement,
Le réformant de ce chef, et statuant à nouveau,
Condamne Me Y...à payer à Mme X...la somme de 13 961, 49 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre celle de 1 396, 15 euros d'indemnité compensatrice de congés payés y afférents,
Y ajoutant,
Ordonne à Me Y...de délivrer à Mme X..., dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt, un bulletin de paie complémentaire récapitulant les sommes versées à Mme X...en sus de son salaire, et rappelées ci-avant, chaque jour de retard passé ce délai est assorti d'une astreinte de 20 euros,
Condamne Me Y...à payer à Mme X...la somme de 2000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ce montant s'ajoutant à la somme allouée par les premiers juges sur le même fondement,
Dit que les entiers dépens sont à la charge de Me Y...,
Déboute les parties de toutes conclusions plus amples ou contraires.
Le Greffier, Le Président,