VS-FG
COUR D'APPEL DE BASSE-TERRE
CHAMBRE SOCIALE ARRET No 313 DU QUATRE SEPTEMBRE DEUX MILLE DIX SEPT
AFFAIRE No : 16/ 00376
Décision déférée à la Cour : jugement du Conseil de Prud'hommes de POINTE A PITRE du 18 février 2016- Section Industrie
APPELANTE
Madame Marie-Hélène X...épouse Y......Dispensée de comparaître en application des dispositions des articles 446-1 et 946 du Code de Procédure Civile
Ayant pour conseil, Maître Florence DELOUMEAUX (Toque 101), avocat au barreau de GUADELOUPE/ ST MARTIN/ ST BART
INTIMÉS
Monsieur Gabriel Z......
SAS PATISSERIE BOULANGERIE GABRIEL TECHNOPOLIS II lot AGAT 18 97122 BAIE-MAHAULT
Représentés par Maître Michaël SARDA (Toque 1) substitué par Maître LANTHIEZ, avocat au barreau de GUADELOUPE/ ST MARTIN/ ST BART
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 26 juin 2017, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Mme Françoise Gaudin, conseiller chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
M. Bernard Rousseau, président de chambre, président, Mme Marie-Josée Bolnet, conseiller, Mme Françoise Gaudin, conseiller,
Les parties ont été avisées à l'issue des débats de ce que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour le 4 septembre 2017.
GREFFIER Lors des débats : Mme Valérie Souriant, greffier.
ARRET :
Contradictoire, prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées conformément à l'article 450 al 2 du CPC. Signé par M. Bernard Rousseau, président de chambre, président et par Mme Valérie Souriant, greffier, à laquelle la décision a été remise par le magistrat signataire.
Faits et procédure :
Mme Marie-Hélène Y...a été embauché le 9 juin 2012 en qualité de secrétaire-comptable par M. Gabriel Z..., pâtissier boulanger en nom propre, moyennant un salaire brut mensuel de 1. 950 €
Ce dernier a apporté le fonds de commerce de pâtisserie, boulangerie et de traiteur à la SAS Pâtisserie Boulangerie GABRIEL, dite P. B GABRIEL, immatriculée le 13 décembre 2012.
Par lettre du 8 mars 2013, la société P. B GABRIEL proposait à Mme Y...une modification de son contrat de travail pour motif économique, modification qu'elle refusera par courrier du 21 mars 2013.
Par lettre du 7 mai 2013, l'employeur informait la salariée des motifs économiques du licenciement et par lettre du 21 mai 2013, Mme Y...était licenciée pour motif économique.
Le 9 octobre 2014, Marie-Hélène Y...saisissait le Conseil de Prud'hommes de Pointe à Pitre aux fins de contester son licenciement et obtenir une indemnité d'un montant de 45. 000 €.
Par jugement du 13 février 2016, la juridiction prud'homale a dit le licenciement de Mme Y...reposant sur une cause réelle et sérieuse fondée sur un motif économique a condamné la SAS P. B GABRIEL à payer à Mme Y... Marie-Hélène la somme de 1. 912, 29 € à titre de dommages et intérêts pour absence de mention relative à la priorité de réembauchage dans la lettre de licenciement et débouté Mme Y...du surplus de ses demandes.
Par déclaration du 16 mars 2016, Mme Y...saisissait la cour d'appel de Basse-Terre.
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Par conclusions notifiées à la partie adverse le 10 janvier 2017, Mme Y...sollicite la réformation du jugement du conseil de prud'hommes de Pointe à Pitre du 18 février 2016, sauf en ce qu'il a rejeté l'exception de prescription et en ce qu'il a condamné la SAS P. B GABRIEL à lui payer la somme de 1. 912, 29 € à titre de dommages et intérêts pour absence de mention relative à la priorité de réembauchage dans la lettre de licenciement, demande la condamnation de la SAS P. B GABRIEL à lui payer la somme de 45. 000 € à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, outre celle de 10. 000 € à titre de dommages et intérêts pour débauchage et une somme de 2. 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
À l'appui de ses demandes Mme Y...conteste l'existence de difficultés économiques et le motif allégué de réorganisation de l'entreprise. Elle conclut à l'absence de cause réelle et sérieuse de licenciement.
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Par conclusions notifiées à la partie adverse le 23 mars 2017, à laquelle il a été fait référence lors de l'audience des débats, la société PB GABRIEL a soulevé in limine litis la prescription du délai pour contester la validité du licenciement pour motif économique et le rejet de toutes les demandes de Mme Y..., au fond, de dire et juger le licenciement économique fondé et de débouter Mme Y...de l'ensemble de ses demandes outre sa condamnation au paiement d'une somme de 3. 500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
La Société PB GABRIEL explique qu'elle a dû se restructurer pour éviter des difficultés économiques prévisibles et que Mme Y...a été informée de la priorité de réembauchage.
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Motifs de la décision :
Sur la prescription
La SAS P. B GABRIEL invoque la prescription de l'action de Mme Y...fondée sur l'article L. 1235-7 du code du travail, lequel énonce : « Toute contestation portant sur la régularité ou la validité du licenciement se prescrit pas douze mois à compter de la dernière réunion du comité d'entreprise ou, dans le cadre de l'exercice par le salarié de son droit individuel à contester la régularité ou la validité du licenciement, à compter de la notification de celui-ci. Ce délai n'est opposable au salarié que s'il en a été fait mention dans la lettre de licenciement. »
Si Mme Y...n'a saisi la juridiction prud'homale pour contester la validité de son licenciement que le 9 octobre 2014, soit au-delà du délai de douze mois susvisé, en revanche, ledit délai ne lui est pas opposable dans la mesure où la lettre de licenciement en date du 21 mai 2013 n'en faisait pas mention ; Qu'il convient, à l'instar du jugement entrepris, de rejeter cette exception de prescription ;
Sur le motif économique du licenciement :
Selon les dispositions de l'article 1233-3 du code du travail, constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par l'employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment à des difficultés économiques ou à des mutations technologiques.
Dans sa lettre du 21 mai 2013, la Société PB GABRIEL exprime les motifs économiques du licenciement de la façon suivante :
«...... Madame, Nous sommes contraints de procéder à votre licenciement pour motif économique.
Celui-ci est justifié par les éléments suivants :
Réorganisation de l'entreprise pour prévenir des difficultés économiques à venir et leurs conséquences sur l'emploi.
Il advient en effet que,
Le chiffre d'affaires et le résultat de l'entreprise baissait considérablement en 2012.
Le chiffre d'affaires se détériore également en 2013 et ce durablement.
Et malgré l'ensemble de nos efforts en termes de qualité, de service, de produits, de diversification, cette détérioration met à mal notre entreprise.
Force est en effet de constater que l'ensemble des mesures prises pour endiguer cette situation ont été à ce jour sans effets.
L'ensemble de la profession semble affecté par une crise économique durable qui pénalise les entreprises du secteur fragilisé par des mois et des mois de baisse en termes de chiffre d'affaires et de bien piètres résultats.
La marge de manœuvre est restreinte dans un contexte économique aussi morose et manifestement durablement installé.
Nous devons absolument prendre des mesures pour prévenir des difficultés. En conséquence, nous devons impérativement nous réorganiser pour prévenir des difficultés économiques à venir et leurs conséquences sur l'emploi. Ce motif nous a conduit à modifier votre contrat de travail dans les conditions qui vous ont été proposées le 8 mars 2013 et que vous avez refusées »
La rupture du contrat de travail, résultant du refus par le salarié d'une modification de son contrat de travail imposée par l'employeur pour un motif non inhérent à sa personne, constitue un licenciement pour motif économique ; Pour que le licenciement soit justifié, il ne suffit pas que la modification initiale soit justifiée par la bonne gestion de l'entreprise, il faut encore qu'elle soit consécutive à des difficultés économiques, à des mutations technologiques ou à une réorganisation de l'entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité.
La réorganisation de l'entreprise constitue un motif économique de licenciement au sens de l'article L 1233-3 du code du travail, si elle est effectuée pour en sauvegarder la compétitivité ou celle du secteur d'activité du groupe auquel elle appartient ; Répond à ce critère la réorganisation mise ne œuvre pour prévenir des difficultés économiques à venir et leurs conséquences sur l'emploi.
La société GABRIEL justifie la suppression du poste de secrétaire comptable par la mise en société de l'entreprise, en société par actions simplifiées, entraînant la présence nécessaire d'un commissaire aux comptes de même que par la baisse de son chiffre d'affaire en 2012 et 2013 ;
Cependant, une simple diminution du chiffre d'affaires (en l'espèce 149. 000 € sur un chiffre d'affaires annuel de plus de 1. 100. 000 €) est insuffisante à établir une menace sur la compétitivité de l'entreprise, laquelle, bien qu'arguant d'une concurrence accrue dans le secteur de la boulangerie-pâtisserie en Guadeloupe, a ouvert une deuxième structure quelques mois après le licenciement de Mme Y....
Il n'est en outre pas établi de lien de causalité entre la restructuration jugée nécessaire à savoir transformation de l'entreprise en société par actions simplifiées et la suppression du poste occupé par Mme Y.... En effet, les fonctions de secrétaire comptable et d'expert-comptable sont différentes, la première est en charge de la comptabilité générale et du secrétariat de la société sous le contrôle du deuxième, expert – comptable, commissaire aux comptes. En l'absence de « doublon », la suppression du poste de Mme Y...ne se justifiait pas d'autant que l'employeur lui a proposé un poste de vendeuse-caissière à un salaire équivalent. L'employeur n'explique donc pas en quoi la suppression dudit poste était de nature à prévenir d'éventuelles difficultés économiques.
En conséquence au double motif évoqué ci-avant, le licenciement de Mme Y...doit être considéré comme dépourvu de cause réelle et sérieuse.
Mme Y...comptait 1 an d'ancienneté et était âgée de 47 ans lorsqu'elle a été licenciée. Qu'elle ne peut prétendre qu'à l'indemnisation de son préjudice subi, sur le fondement de l'article L. 1235-5 du code du travail. Mme Y...ne produisant aucun document ayant trait à la situation professionnelle, sociale, financière et matérielle qu'elle a connue depuis son licenciement, son indemnisation sera limitée à la somme de 6. 000 € ;
Sur le préjudice lié au débauchage
Mme Y...invoque un préjudice distinct du fait qu'elle a été débauchée par M. Z...pour venir travailler dans son entreprise et en démissionnant de son ancien poste, elle a perdu le bénéfice de son ancienneté et les avantages y acquis ; Cependant, aucune pièce ne vient étayer ses dires alors que M. Z...lui a permis de bénéficier d'une formation comptable en alternance, ce qui lui donne un atout supplémentaire dans la recherche d'un emploi ; Que dès lors, ce chef de demande sera rejeté, à l'instar du jugement déféré ;
Sur la priorité de réembauchage
Attendu qu'en vertu de l'article L. 1233-45 du code du travail, tout salarié licencié pour motif économique bénéficie d'une priorité de réembauche pendant un an à compter de la date de la rupture de son contrat s'il manifeste le désir d'user de cette priorité au cours de cette année à compter de la fin du préavis ;
Que ces dispositions s'appliquent même si comme en l'espèce, le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse, ce défaut ne privant pas le licenciement de sa nature juridique de licenciement pour cause économique ; En outre, l'article L. 1233-42 dudit code énonce que la lettre de licenciement mentionne la priorité de réembauchage prévue à l'article L. 1233-45 ci-dessus et ses conditions de mise en œuvre ;
En l'espèce, la lettre de licenciement ci-dessus libellée ne mentionne pas ladite priorité de réembauchage ; Que le seul défaut de mention dans la lettre de rupture de la priorité de réembauchage constitue une irrégularité de procédure dont la réparation est fonction du préjudice subi sans pouvoir être supérieure à un mois de salaire. La méconnaissance par la société PB GABRIEL de ladite obligation a causé nécessairement un préjudice à Mme Y..., d'autant que dans l'année suivante, l'employeur a créé une deuxième structure à Pointe à Pitre et a dû embaucher ;
Il y a lieu dès lors de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société PB GABRIEL à payer à Mme Y...la somme de 1. 912, 29 € à titre de dommages et intérêts pour absence de mention relative à la priorité de réembauchage dans la lettre de licenciement
Comme il paraît inéquitable de laisser à la charge de la salariée les frais irrépétibles qu'elle a exposés, il lui sera alloué la somme de 1. 500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par ces motifs,
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
Confirme le jugement déféré en ce qu'il a condamné la société PB GABRIEL à payer à Mme Y...la somme de 1. 912, 29 € à titre de dommages et intérêts pour absence de mention relative à la priorité de réembauchage dans la lettre de licenciement,
Réformant pour le surplus et statuant à nouveau,
Dit que le licenciement de Mme Marie-Hélène Y...est dépourvu de cause réelle et sérieuse,
Condamne la Société SAS PB GABRIEL à payer à Mme Y...les sommes suivantes :
-6. 000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
-1. 500 € d'indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Dit que les entiers dépens tant de première instance que d'appel sont à la charge de la Société SAS PB GABRIEL.
Déboute les parties de toute conclusion plus ample ou contraire.
Le Greffier, Le Président,