VF-FG
COUR D'APPEL DE BASSE-TERRE
CHAMBRE SOCIALE ARRÊT No 29 DU DEUX FEVRIER DEUX MILLE QUINZE
AFFAIRE No : 13/ 01154
Décision déférée à la Cour : Jugement du Conseil de Prud'hommes de BASSE-TERRE du 21 mai 2013- Section Activités Diverses.
APPELANTE
LE DOMAINE DE CHOISY (anciennement CENTRE MEDICAL RENEE LACROSSE) Route de Montauban 97190 LE GOSIER Représenté par Maître Laurent SEYTE, avocat au barreau de TOULOUSE substitué par Maître Ernest DANINTHE (Toque45), avocat postulant inscrit au barreau de la GUADELOUPE.
INTIMÉE
Madame Armande X...... 97130 CAPESTERRE BELLE EAU Comparante en personne Assistée de Maître Noémie STEPHANIE-VICTOIRE (Toque 82), avocat au barreau de la GUADELOUPE
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 15 décembre 2014, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Monsieur Bernard Rousseau, président de chambre, et Madame Françoise Gaudin, conseiller.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Monsieur Bernard Rousseau, président de chambre, président, Madame Marie-Josée Bolnet, conseiller, Madame Françoise Gaudin, conseiller,
Les parties ont été avisées à l'issue des débats de ce que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour le 26 janvier 2015, date à laquelle le prononcé de l'arrêt a été prorogé au 2 février 2015.
GREFFIER Lors des débats : Madame Valérie Francillette, greffier.
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées conformément à l'article 450 al 2 du CPC. Signé par Monsieur Bernard Rousseau, président de chambre, président, et par Madame Valérie Francillette, greffier, à laquelle la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES
Madame Armande X...a été embauchée par la SARL CENTRE MEDICAL RENEE LACROSSE, devenue LE DOMAINE DE CHOISY, selon 183 contrats de travail à durée déterminée à compter du 19 décembre 2006 jusqu'au 14 septembre 2011, conclus au motif de remplacement de salariés absents ou en congés payés.
A l'échéance du dernier contrat soit le 14 septembre 2011, SARL CENTRE MEDICAL RENEE LACROSSE, a mis fin à la relation de travail.
Le 3 mai 2012, Mme X...a saisi le conseil des prud'hommes de BASSE-TERRE d'une demande de requalification de ses contrats à durée déterminée en un contrat de travail à durée indéterminée et aux fins de faire analyser la rupture en un licenciement abusif et l'indemnisation de son préjudice.
Par jugement en date du 21 mai 2013, le conseil des prud'hommes de BASSE-TERRE a :
- ordonné la requalification des contrats à durée déterminée en contrat de travail à durée indéterminée,- constaté l'absence de cause réelle et sérieuse du licenciement,- dit et jugé que la rupture du contrat est abusive,- annule le licenciement prononcé à l'encontre de Mme X...,- proposé la réintégration de Mme Armande X...dans la société et en cas de désaccord,- condamné la SARL CENTRE MEDICAL RENEE LACROSE, actuellement LE DOMAINE DE CHOISY, à payer à Mme Armande X...la somme de 17. 200 ¿ au titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et les sommes suivantes :
. 5. 160 ¿ au titre de l'indemnité de requalification,. 17. 200 ¿ à titre de dommages et intérêt pour rupture abusive,. 2. 064 ¿ au titre de l'indemnité de licenciement,. 3. 440 ¿ au titre de l'indemnité de préavis,. 10. 320 ¿ à titre d'indemnité compensatrice de congés payés,. 1. 500 ¿ au titre de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens.- ordonné la remise des documents sociaux sous astreinte et l'exécution provisoire.
LE DOMAINE DE CHOISY a régulièrement formé appel de ladite décision le 29 juillet 2013.
Aux termes de ses conclusions en date du 24 novembre 2014, régulièrement communiquées à l'intimée, et développées oralement auxquelles il est expressément fait référence, LE DOMAINE DE CHOISY demande l'infirmation du jugement déféré en ce qu'il a ordonné la requalification des contrats à durée déterminée en contrat à durée indéterminée, de débouter en conséquence Mme X...de toutes ses demandes, et de condamner Mme X...au paiement de la somme de 5. 000 ¿ au titre de l'article 700 du code de procédure civile et au remboursement de la somme de 15. 378, 19 ¿ versée au titre de l'exécution provisoire attachée au jugement déféré A titre subsidiaire, elle conclut au débouté des demandes d'indemnisation pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Elle soutient que :
la conclusion des contrats à durée déterminée a toujours obéi aux prescriptions des dispositions du code du travail, lesquels autorisent la conclusion avec le même salarié de tels contrats en cas de remplacement de salariés absents ou dont le contrat est suspendu.
la responsabilité de la rupture du contrat de travail incombe à Mme X..., qui a commis sur la dernière période de relations professionnelles, divers manquements.
Aux termes de conclusions en date du 17 octobre 2014, régulièrement notifiées à la société appelante, et développées oralement auxquelles il est expressément fait référence, Mme X...demande à la cour de :
. confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions,
. condamner le CENTRE MEDICAL RENEE LACROSSE à payer à Mme X...les sommes suivantes :
. 17. 200 ¿ au titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,. 5. 160 ¿ au titre de l'indemnité de requalification,. 17. 200 ¿ à titre de dommages et intérêt pour rupture abusive,. 5. 190 ¿ au titre de l'indemnité de licenciement,. 3. 440 ¿ au titre de l'indemnité de préavis,. 10. 320 ¿ à titre d'indemnité compensatrice de congés payés,. 1. 500 ¿ au titre de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens.
. assortir la décision du paiement d'une astreinte de 50 ¿ par jour de retard à compter de l'arrêt à intervenir et ordonner l'exécution provisoire.
Elle soutient en substance que :
son poste était lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise.
les règles relatives au renouvellement des contrats à durée déterminée ou à leur durée maximale ont été violées en l'espèce,
le délai de carence n'a pas été respecté et plusieurs salariés absents étaient remplacés dans un même contrat,
la rupture de son contrat, intervenue sans lettre motivée de rupture, est abusive et lui ouvre droit au paiement d'indemnités de rupture et à des dommages et intérêts,
la brutalité de la rupture lui a causé un préjudice moral distinct.
MOTIFS DE LA DECISION :
Sur la qualification du contrat de travail
Attendu que Mme X...a été employée par SARL CENTRE MEDICAL RENEE LACROSSE, selon 183 contrats successifs à durée déterminée à compter du 19 décembre 2006 jusqu'au 14 septembre 2011, conclus au motif de remplacement de salariés absents ou en congés payés, dont elle demande la requalification pour non-respect des dispositions des articles L 1242-1 et suivants du code du travail.
Attendu qu'il résulte de ces dispositions que le contrat de travail à durée déterminée ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise.
Qu'en l'espèce, il est établi que Mme X...a assuré pendant cinq années au sein du centre médical RENEE LACROSSE, établissement de soins et d'hébergement pour personnes âgées dépendantes, le remplacement de salariés absents de l'entreprise dans le cadre de 183 contrats à durée déterminée.
Que sa qualification était généralement la même, à savoir celle d'une auxiliaire de vie, dans la filière soignante, niveau employé et son coefficient était de 180 ou 200.
Que l'employeur soutient que les contrats de travail successifs, produits au dossier de la salariée, ont été conclus dans le respect de l'article L. 1242-2 du code du travail, en l'espèce l'employeur a eu recours à des contrats de remplacement en cas d'absence temporaire de salariés.
Que ledit article en son alinéa 1er prévoit effectivement comme cas de recours au contrat de travail à durée déterminée, le remplacement d'un salarié en cas d'absence, de passage provisoire à temps partiel, de suspension de son contrat de travail ou de départ définitif et dans l'attente de l'entrée en service effective d'un salarié recruté par contrat de travail à durée indéterminée appelé à le remplacer.
Que la salariée conteste la régularité de certains contrats de remplacement, dont notamment le premier contrat, conclu du 19 décembre 2006 au 31 janvier 2007, pour remplacer 2 salariés en congés payés, dont les noms étaient mentionnés ainsi : Monsieur A..., absent pour congés payés puis en formation du 19/ 12/ 2006 au 3/ 01/ 07, Mme B..., absente pour formation puis congés payés du 4/ 01/ 2007 au 31/ 01/ 2007
Que cependant, il résulte de l'article L. 1242-2 du code du Travail et de la jurisprudence de la cour de cassation, que « le contrat de travail à durée déterminée ne peut être conclu que pour le remplacement d'un seul salarié absent » ;
Qu'il importe peu que lesdits salariés aient été remplacés successivement en raison de leurs congés payés ;
Que chacune de ces absences constituait un cas de recours au contrat à durée déterminée et l'employeur ne pouvait recourir à un seul et unique contrat comme il l'a fait, pour le remplacement de plusieurs salariés absents.
Qu'en outre, ledit contrat ne mentionnait nullement la qualification professionnelle du salarié remplacé comme lui en fait obligation l'article L. 1242-12, alinéa 1er, sous peine de requalification en contrat à durée indéterminée.
Que ces irrégularités et inobservation des prévisions légales se sont reproduites pour l'ensemble des contrats conclus avec la salariée, ceux-ci ne mentionnant jamais la qualification de la personne remplacée alors que lesdits contrats étaient conclus au titre des 1o, 4o et 5o de l'article l. 1242-2 susmentionné.
Qu'en outre, les contrats conclus les 15 février 2007 (pièce no2 de l'intimée), 7 mai 2007 (pièce no3 de l'intimée), 1er août 2007 (pièce no4 de l'intimée), 7 décembre 2007 (pièce no5 de l'intimée), 30 avril 2008 (pièce no11 de l'intimée), 3 juillet 2008 (pièce no12 de l'intimée) concernaient le remplacement de plusieurs salariés dans un seul contrat, dont les noms et qualifications n'étaient pas toujours mentionnés.
Que si le délai de carence prévu à l'article L. 1244-3 du code du travail n'est pas applicable entre deux contrats successifs conclus pour assurer le remplacement d'un salarié temporairement absent, en cas de nouvelle absence du salarié, ledit délai doit être respecté lorsqu'il ne s'agit pas du même salarié absent de nouveau ;
Qu'en l'espèce, le délai de carence entre deux contrats à durée déterminée successifs n'a pas été respecté à plusieurs reprises par l'employeur, notamment pour les contrats conclus pour les mois d'août et septembre 2007, de même que pour les contrats conclus pour les mois de septembre à décembre 2008, de janvier à mars 2009, de juillet à octobre 2010, de novembre 2010 à janvier 2011.
Que compte tenu de tout ce qui précède, il s'avère qu'en réalité, l'emploi de Mme X...avait un caractère permanent pour le centre médical et s'inscrivait dans un besoin structurel de main d'¿ uvre du dit établissement.
Que dès lors, c'est à juste titre que le premier juge a fait droit à ladite demande, sur le fondement des articles L. 1242-1 et suivants du code du travail, de requalification de la relation contractuelle en un contrat à durée indéterminée liant Mme X...à la SARL CENTRE MEDICAL RENEE LACROSSE.
Qu'il y a lieu à requalification de la relation contractuelle de travail en contrat à durée indéterminée dès l'origine, soit à compter du 19 décembre 2006.
Que compte tenu de ladite requalification, la salariée est en droit de prétendre à une indemnité spécifique de ce chef, conformément à l'article L. 1245-2 du code du travail, laquelle ne peut être inférieure à un mois de salaire. Que nonobstant la succession de contrats à durée déterminée conclue avec Mme X..., il ne peut lui être accordé qu'une seule indemnité et non une indemnité par contrat requalifié.
Qu'il y a lieu à réformation de ce chef sur le quantum et de ramener ladite indemnité à la somme de 2. 000 ¿, le dernier salaire de Mme X...s'élevant à la somme de 1. 720 ¿.
Sur la rupture du contrat de travail
Que compte tenu de la requalification de la relation contractuelle en contrat à durée indéterminée, la rupture de ce contrat était dès lors régie par les règles du licenciement.
Attendu qu'au terme du dernier contrat de travail, soit le 14 septembre 2011, l'employeur n'a pas écrit à Mme X...pour lui donner les causes du non-renouvellement de son contrat de nature à justifier la rupture de la relation de travail entre eux
Que l'employeur ne peut en conséquence, en cours de procédure, invoquer des manquements professionnels de Mme X..., de nature à justifier la rupture à ses torts.
Que le non-renouvellement des contrats à durée déterminée s'analyse comme une sanction voulue par l'employeur sans respect de la procédure disciplinaire ni lettre motivée de rupture, répondant aux prescriptions légales.
Que dès lors, il y a lieu de constater que la rupture du contrat à l'initiative de l'employeur, sans convocation à un entretien préalable, tel que prévu par les articles L. 1232-2 et suivants du code du travail, et sans lettre de licenciement motivée, s'analyse en un licenciement irrégulier en la forme et dénué de cause réelle et sérieuse.
Sur les demandes pécuniaires de Mme X...
Que compte tenu de son ancienneté et de l'effectif de l'entreprise occupant habituellement plus de onze salariés, Mme X...Armande est fondée à réclamer l'indemnité prévue par l'article L. 1235-3 du code du travail en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, laquelle sera fixée, en tenant compte de son âge et à défaut de justification de sa situation postérieurement à la rupture, en l'espèce la somme de 12. 000 ¿.
Que par ailleurs, les circonstances de la rupture ont été vexatoires en raison de la brutalité de la rupture et des accusations de maltraitance portée à son encontre par l'établissement (cf courrier du Directeur du centre daté du 18 mai 2012), ce qui a nécessairement causé un préjudice moral à la salariée et il sera faire doit à sa demande à ce titre, à hauteur de la somme de 1. 000 ¿.
Attendu que Mme X..., ayant plus de deux ans d'ancienneté, a droit, en application des dispositions de l'article l. 1234-1 du code du travail, à une indemnité compensatrice de préavis équivalente à 2 mois de salaire. Qu'il lui a été justement alloué la somme réclamée à ce titre, soit celle de 3. 440 ¿ ;
Que la salariée réclame le bénéfice des dispositions de la convention collective nationale en matière d'établissements d'hospitalisation privée laquelle n'est pas applicable en Guadeloupe. Que seule la convention collective départementale des établissements d'hospitalisation privée de la Guadeloupe du 1er avril 2003, mentionnée sur les contrats de travail, est applicable à la relation de travail mais n'est pas produite aux débats par les parties. Qu'en conséquence, il y a lieu d'enjoindre à Mme X...de fournier aux débats un exemplaire de ladite convention applicable au litige et d'ordonner la réouverture des débats à cette fin.
Qu'enoutre, Mme X...ne peut réclamer une indemnité compensatrice de congés payés afférente aux salaires qu'elle a perçus durant toute la relation de travail, depuis l'année 2007, alors qu'il résulte de la lecture de ses bulletins de salaire qu'elle a régulièrement perçu à la fin de chaque contrat à durée déterminée, outre l'indemnité de précarité, une indemnité compensatrice de congés payés correspondant au dixième des sommes versées, en application de l'article L. 1242-16 du code du travail ;
Que sa demande à ce titre sera rejetée, réformant le jugement de ce chef ;
Que de même, la condamnation au paiement de sommes ne peut être assortie d'une astreinte et le jugement sera réformé en ce sens.
Attendu qu'enfin il parait inéquitable de laisser à la charge de Mme X...les frais qu'elle a exposés tant en première instance qu'en cause d'appel, et il convient de condamner la société appelante à payer à l'intimée une somme de 2. 000 ¿ au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Que les dépens seront réservés.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
Confirme le jugement en ce qu'il a requalifié les 183 contrats à durée déterminée en contrat de travail à durée indéterminée et a dit et jugé le licenciement de Mme Armande X...sans cause réelle et sérieuse.
Réformant pour le surplus et statuant à nouveau,
Condamne la SARL LE DOMAINE DE CHOISY, anciennement dénommé CENTRE MEDICAL RENEE LACROSSE, à payer à Mme Armande X...les sommes suivantes :
2. 000 ¿ à titre d'indemnité de requalification, 12. 000 ¿ à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, 3. 440 ¿ à titre d'indemnité compensatrice de préavis, 1. 000 ¿ à titre de dommages et intérêts pour brusque rupture, 2. 000 ¿ sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Avant dire droit, du chef de l'indemnité conventionnelle de licenciement,
Enjoint à Mme Armande X...de verser au dossier la convention collective départementale des établissements d'hospitalisation privée de la Guadeloupe du 1er avril 2003, applicable à la relation de travail.
Ordonne la réouverture des débats à l'audience de mise en état du
Lundi 11 mai 2015 à 14h30 à cette fin,
Ordonne le renvoi de l'affaire à ladite audience,
Réserve les dépens.
Le greffier, Le président,