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24/03/2014 | FRANCE | N°12/01326

France | France, Cour d'appel de Basse-Terre, Chambre sociale, 24 mars 2014, 12/01326


COUR D'APPEL DE BASSE-TERRE
CHAMBRE SOCIALE ARRET No 103 DU VINGT QUATRE MARS DEUX MILLE QUATORZE

AFFAIRE No : 12/ 01326
Décision déférée à la Cour : Jugement du Conseil de Prud'hommes BASSE-TERRE du 26 juin 2012, section encadrement.
APPELANTE
SARL PRIMEUR Lieudit Petite Saline 97133 SAINT-BARTHELEMY Représentée par Me Aurélien STEPHANE substituant la SELARL BARTHELEMY PHILIPPON (TOQUE 25), avocat au barreau de GUADELOUPE

INTIMÉE
Madame Danielle X... ... 93170 BAGNOLET Représentée par Me Isabelle OLLIVIER, avocat au barreau de PARIS

COMPO

SITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédu...

COUR D'APPEL DE BASSE-TERRE
CHAMBRE SOCIALE ARRET No 103 DU VINGT QUATRE MARS DEUX MILLE QUATORZE

AFFAIRE No : 12/ 01326
Décision déférée à la Cour : Jugement du Conseil de Prud'hommes BASSE-TERRE du 26 juin 2012, section encadrement.
APPELANTE
SARL PRIMEUR Lieudit Petite Saline 97133 SAINT-BARTHELEMY Représentée par Me Aurélien STEPHANE substituant la SELARL BARTHELEMY PHILIPPON (TOQUE 25), avocat au barreau de GUADELOUPE

INTIMÉE
Madame Danielle X... ... 93170 BAGNOLET Représentée par Me Isabelle OLLIVIER, avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 06 janvier 2014, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant M. Bernard ROUSSEAU, président de chambre et Mme Françoise GAUDIN, conseillère.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
M. Bernard ROUSSEAU, Président de chambre, président, Mme Marie-Josée BOLNET, Conseillère, Mme Françoise GAUDIN, Conseillère.

Les parties ont été avisées à l'issue des débats de ce que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour le 17 février 2014 puis le délibéré a été successivement prorogé jusqu'au 24 mars 2014
GREFFIER Lors des débats Mme Juliette GERAN, Adjointe Administrative Principale, faisant fonction de greffière, serment préalablement prêté.
ARRET :
Contradictoire, prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées conformément à l'article 450 al 2 du CPC. Signé par M. Bernard ROUSSEAU, Président de chambre, président, et par Mme Valérie FRANCILLETTE, Greffière, à laquelle la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PROCÉDURE
Mme Danielle X... a été embauchée par la SARL PRIMEUR, entreprise de grossiste alimentaire, par contrat à durée indéterminée du 10 mai 2006 en qualité de responsable de la SARL PRIMEUR exerçant son activité sous l'enseigne JOJO PRIMEUR, avec une période d'essai de trois mois.
Le contrat est soumis à la convention collective du commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire du 12 juillet 2001.
Ses fonctions étaient d'assurer la gestion et l'organisation de l'entreprise, de faire des études permettant une évolution progressive de la société en vue de l'accroissement de son chiffre d'affaires, de gérer le personnel, les stocks, les commandes et les fournisseurs, et de suivre les contrats-clients.
IL y est également indiqué que M. Georges Y..., gérant de la SARL PRIMEUR, lui délègue la gestion de l'entreprise et qu'elle devait lui rendre des comptes mensuellement.
Le lieu de travail est situé à Petite Saline, 97133 SAINT-BARTHELEMY.
La rémunération mensuelle brute de Mme X... a été fixée à 5 047, 01 euros.
Dans l'hypothèse d'une évolution conséquente du chiffre d'affaires, il a été prévu un intéressement dont le pourcentage serait fixé par le gérant de la société, M. Y....
Par lettre du 08 avril 2008, la SARL PRIMEUR a convoqué Mme X... à un entretien préalable à une mesure de licenciement, prévu le 23 avril 2008.
Mme X... a été informée de son licenciement pour insuffisance professionnelle par lettre recommandée avec avis de réception du 30 avril 2008, avec dispense de préavis de trois mois.
Contestant cette mesure, elle a saisi le conseil de prud'hommes de Basse-Terre aux fins de juger sans cause réelle et sérieuse son licenciement et de condamner son employeur au paiement de diverses sommes.
Par jugement du 26 juin 2012, la juridiction prud'homale a jugé sans cause réelle et sérieuse le dit licenciement et a condamné la SARL PRIMEUR, en la personne de son représentant légal, à payer à l'intéressée les sommes suivantes :-60 574, 12 euros pour rupture abusive du contrat de travail,-10 000 euros en réparation de son préjudice moral,-1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Il a également fixé la moyenne des trois derniers mois de salaire à la somme de 5 017, 90 euros, a débouté la SARL PRIMEUR de sa demande reconventionnelle et a condamné cette dernière aux dépens.
Par déclaration du 19 juillet 2012, la SARL PRIMEUR a relevé appel de cette décision.
Par conclusions du 11 décembre 2012, réitérées à l'audience des plaidoiries du 6 janvier 2014, la SARL PRIMEUR, représentée, demande à la cour, au visa des articles L. 1231-1, L. 1232-1 et suivants, L. 1234-1 et suivants, L. 1235-1 et suivants, R. 1231 et suivants du code du travail, de :- réformer le jugement du 26 juin 2012 en toutes ses dispositions,

- condamner Mme X... au paiement de la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle rappelle qu'il est de jurisprudence constante que le licenciement pour insuffisance professionnelle repose sur une réunion de plusieurs faits qui, sans qu'aucun motif pris individuellement ne puisse constituer une faute de la part du salarié, constituent de par leur accumulation une cause réelle et sérieuse de licenciement ; qu'en outre, le licenciement pour insuffisance professionnelle est légitime sans qu'il soit nécessaire que l'inadaptation à l'emploi ou l'incompétence se soit traduite par une faute professionnelle caractérisée.
Elle fait observer que la motivation des premiers juges est lapidaire alors que plusieurs éléments objectifs et imputables à la salariée permettent de caractériser son insuffisance professionnelle qui a été signalée une première fois par la lettre du 28 décembre 2007, dénonçant certains faits objectivement décrits dans la lettre du licenciement.
Elle soutient que chacun des griefs compris dans cette lettre est justifié : en effet, les comptes rendus de gestion devaient être mensuels et non hebdomadaires. Il n'appartenait pas à l'employeur de suppléer à la carence de la salariée en lui réclamant ces documents, celle-ci bénéficiant d'une délégation totale de la gestion de l'entreprise eu égard à son degré de qualification (cf le curriculum vitae produit) et d'une rémunération mensuelle particulièrement confortable. Elle ne pouvait espérer et obtenir de sa part des consignes alors que cette méthode n'était pas prévue au contrat. Le contrôle et la responsabilité des salariés constituaient l'une des missions principales de Mme X... qui ne peut se contenter de faire confiance face aux agissements douteux du personnel, celle-ci devant intervenir immédiatement en les rappelant à l'ordre.
Elle dit également que si l'insuffisance de résultat ne constitue pas en soi une cause réelle et sérieuse de licenciement, elle le devient lorsque trois conditions posées par la cour de cassation (cass. soc. du 30 novembre 2005) sont réunies : l'objectif de résultat est stipulé dans le contrat et a été accepté par le salarié, l'insuffisance de résultat découle d'une insuffisance professionnelle et la baisse des résultats ne doit pas être liée à la conjoncture. Ce contrôle n'a pas été fait par les premiers juges. Outre les deux premières conditions déjà discutées, l'analyse du bilan de la SARL PRIMEUR au titre de l'exercice 2006-2007 révèle non seulement l'absence d'un accroissement du résultat de l'entreprise mais de surcroît une baisse importante de celui-ci, indépendant d'une quelconque hausse de charges.
Elle fait remarquer à cet égard que les seules informations transmises à l'employeur sont les simples plannings hebdomadaires, que l'année 2007 fut une année de croissance sur l'île de SAINT-BARTHELEMY et que la chute du chiffre d'affaires s'explique par les erreurs de gestion quant aux prix de marchandises fixés par rapport aux entreprises concurrentes, qu'en outre, Mme X... n'a jamais lancé la moindre étude de marché afin de faire évoluer le chiffre d'affaires.

Elle réfute le décompte de la prise de 5 jours de congés du 24 avril 2008 au 29 avril 2008, alors qu'elle ne travaillait pas le samedi, et dénonce la méthode consistant à n'en informer l'employeur que la veille.

Elle considère injustifiée la réparation du prétendu préjudice moral à concurrence de la somme de 10 000 euros au regard des dispositions de l'article 1382 du code civil, aucune faute ne peut lui être reprochée, aucun préjudice n'est rapporté. Il ne peut lui être aussi reproché d'avoir mis en difficulté financièrement l'intéressée alors qu'il a été remis en main propre à celle-ci, pour solde de tout compte, un chèque de 12 801, 12 euros qu'elle a refusé d'encaisser en premier lieu et dont elle a accusé réception le 03 mai 2008, qu'à cette date elle pouvait le déposer sur son compte bancaire.
Par conclusions notifiées à l'appelante le 11 juin 2013, et soutenues à l'audience, Mme Danielle X..., représentée, demande à la cour, au visa des articles L. 1222-1, L. 1235-1 à L. 1235-5 du code du travail et de l'article 1382 du code civil, de :- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions et de dire le licenciement intervenu dépourvu de cause réelle et sérieuse,- condamner la société PRIMEUR SARL à lui verser les sommes allouées en première instance soit 60 574, 12 euros à titre de dommages-intérêts pour rupture abusive et 10 000 euros pour préjudices moral et matériel (tracas),- débouter la SARL PRIMEUR de l'ensemble de ses moyens, fins et conclusions,- de condamner la même au paiement de la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Elle explique tout d'abord que pour comprendre le contexte de la rupture, il est important de rappeler que les dates figurant sur les documents de rupture étaient erronées, que le calcul des jours dûs était faux, que le certificat de travail l'était également ainsi que le solde de tout compte, ce qui nécessitait des rectifications, que de plus, le montant correspondant aux sommes dues a été versé avec retard, que M. Y..., gérant de la société SARL PRIMEUR, étant de surcroît son bailleur, venait lui réclamer parallèlement des loyers prétendus impayés alors que ses salaires n'étaient pas versés.
Elle soutient ensuite que l'insuffisance professionnelle peut constituer une cause légitime de licenciement mais à la condition que l'incompétence alléguée repose sur des éléments concrets et pertinents, que la prétendue insuffisance professionnelle décrite dans la lettre de licenciement n'est pas fondée, que s'il est constant que le contrat de travail prévoyait un compte-rendu mensuel, elle établissait des comptes rendus hebdomadaires que l'employeur a tenté de nier puis d'occulter des débats en s'abstenant de les verser, que ces comptes-rendus hebdomadaires allaient au-delà de l'obligation contractuelle qui était dûment forcément remplie, que de plus, si ces comptes-rendus hebdomadaires n'avaient pas satisfait l'employeur, il est certain que ce dernier n'aurait pas manqué de l'en aviser, que de l'embauche au licenciement, se sont écoulées presque deux années durant lesquelles aucune demande, aucune observation ne lui a été adressée à ce sujet, qu'ainsi, le premier manquement n'est pas établi.
Elle dit aussi que sur les reproches énoncés " pêle-mêle " sur la l'absence de surveillance du personnel, la gestion des stocks et le suivi de la clientèle, la pièce 21 bis est la réponse faite à la lettre de l'employeur du 28 décembre 2007 par laquelle elle réagissait point par point à la répartition des marchandises organisée par celui-ci entre la SARL PRIMEUR et la société JOJO PRIMEUR dont il est également gérant, attirant son attention sur la confusion entretenue entre les stocks des deux établissements, qu'elle a eu notamment à soulever dans ce même courrier une mauvaise validation des marchandises à leur arrivée par les employés de JOJO PRIMEUR.

Elle ajoute que sur la prétendue forte baisse du chiffre d'affaires, aucun chiffre de référence ne figure, ni dans son contrat de travail, ni dans les notes ou avenants ultérieurs, ni dans la lettre de licenciement, qu'aucun paramètre de comparaison n'a été donné, ni à l'origine, ni ultérieurement, rendant sans réalité et sans valeur la clause s'y référent, qu'elle n'a reçu aucune alerte, aucun message, ni aucun reproche à ce titre durant l'exercice de ses fonctions, qu'elle a toutefois oeuvré pour que la société voie son compte " perte de marchandises " divisé par trois, que des clients perdus ont été retrouvés, notamment l'hôtel d'île de France, que les chiffres derrière lesquels s'abrite l'employeur ne sont pas fiables car la confusion entre les deux sociétés étaient entretenues.

Elle précise que pour les congés pris sans respect du délai de prévenance, il s'agissait pour elle de passer des examens médicaux au sein d'un laboratoire d'analyse situé en Guadeloupe, qu'elle a prévenu oralement et par écrit le 23 avril 2008 son employeur comme en témoigne la pièce no22 versée aux débats, qu'elle a préféré utilisé des congés payés plutôt qu'un arrêt de travail et ce eu égard à ses fonctions, que jusqu'à son licenciement, les motifs d'insuffisance professionnelle n'ont jamais antérieurement fait l'objet d'une lettre d'avertissement ou d'un courrier attirant son attention sur cette prétendue insuffisance, qu'elle ne pouvait imposer, en sa qualité de salarié cadre, à son employeur de modifier ses pratiques même par l'effet d'une délégation prévue au contrat de travail, que la clause prévoyant la délégation totale ne l'autorisait pas à prendre des décisions engageant la société, qu'aucun objectif de chiffre d'affaires n'a été prévu dans le contrat de travail, aucun pourcentage n'a été donné et aucun détail de cet objectif n'a été fixé.
Elle rappelle également que n'ayant pas deux ans d'ancienneté, elle a dû effectuer de multiples demandes d'emploi qui ne lui ont pas permis de retrouver un poste identique, que mettant fin à son contrat de travail, la SARL PRIMEUR a profité de ses compétences pour réorganiser ses services et pour se débarrasser d'elle à bon compte, c'est la raison pour laquelle sa demande de dommages et intérêts a été présentée à hauteur d'un an de salaires, soit 60 574, 12 euros, qu'en outre, n'ayant pas été réglée à plusieurs reprises de ses salaires dans les délais légaux, elle a subi une situation de précarité et d'incertitude dans les derniers mois de son activité, ayant supporté un découvert bancaire et ayant vu rejeter un chèque par sa banque, qu'elle s'est retrouvée brusquement sans emploi sur l'île de SAINT-BARTHELEMY où l'on sait que la vie est très chère, que la faute de l'employeur ne respectant pas les délais imposés par le code du travail est patente et bien à l'origine de ses déboires financiers (bancaires et loyers).
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties, la cour se réfère expressément à leurs conclusions écrites et à la décision des premiers juges.

MOTIFS DE LA DÉCISION

SUR LE LICENCIEMENT POUR INSUFFISANCE PROFESSIONNELLE

L'insuffisance professionnelle constitue une cause légitime de licenciement. Elle doit reposer sur des éléments concrets.

Les termes de la lettre de licenciement fixent les limites du litige.

La lettre de licenciement du 30 avril 2008 est rédigée en ces termes :
" Je vous notifie votre licenciement pour cause personnelle (...) Les motifs de ce licenciement sont liés aux insuffisances professionnelles que j'ai constatées à votre égard et qui sont préjudiciables à l'entreprise. Ces motifs sont plus précisément ceux que je vous ai exposés lors de notre entretien du 23 avril 2008 et à propos desquels j'ai recueilli vos explications, à savoir :- que votre contrat de travail prévoyait (" article 3 : fonctions ") que vous seriez amenée à faire des études qui devaient aboutir à une évolution progressive de la société en vue de l'accroissement de son chiffre d'affaires, or, vous n'avez pas réalisé ces études et les comptes de la société montrent que non seulement le chiffre d'affaires ne s'est pas accru comme prévu, mais encore qu'il a fortement baissé au cours du dernier exercice.- que votre contrat de travail prévoyait que vous deviez me rendre des comptes mensuels, ce qui n'a pas été fait régulièrement,- que votre contrat de travail précisait que je déléguais la gestion de l'entreprise et notamment la responsabilité du personnel et de la gestion des stocks, commandes, fournisseurs et le suivi de la clientèle ; or votre gestion déléguée n'est pas satisfaisante. Je vous avais déjà alertée sur les problèmes liés à la gestion des stocks et à la surveillance du personnel et je vous ai adressé une lettre à cet effet le 28 décembre 2007. Vous me disiez la chose suivante : " lorsque la marchandise arrive à Jojo Primeur, les employés chargés de les ranger sont le préparateur et les 2 livreurs de Jojo Primeur ainsi que les deux livreurs de chez Jojo Supermarché " et vous ajoutiez " selon moi, seuls ces employés peuvent vous renseigner sur cette anomalie ". Alors que vos fonctions consistent, dans une telle situation, à prendre vous-même les renseignements utiles pour remédier aux anomalies constatées. Vous ajoutiez encore " je leur fais confiance s'ils me disent qu'il n'y a pas d'erreur. L'organisation établie ensemble depuis mon arrivée dans la société ne stipulait pas un double contrôle de ma part ". Aussi de votre propre aveu, vous ne remplissiez pas votre mission de gestion déléguée de l'entreprise avec le sérieux et la conscience nécessaire, en vous limitant à des contrôles que vous jugiez vous-même insuffisants ; manifestement, vous ne considériez pas être tenue de faire tout le nécessaire pour résoudre les dysfonctionnements que vous constatiez pourtant. Et suite à cet échange de lettre, vous n'avez pas remis en cause vos méthodes, vous ne vous êtes pas impliquée davantage dans votre mission. Je vous précise que votre rémunération s'est élevée en 2007 à 60 570, 12 euros brut, autrement dit une rémunération élevée, la plus élevée parmi le personnel de la société. Cette rémunération était justifiée par le caractère même de votre mission : recherche et mise en oeuvre des moyens d'accroître le chiffre d'affaires de la société, gestion déléguée de l'entreprise et responsabilité du personnel et de la gestion des stocks notamment. Lors de notre entretien du 23 avril 2008, je vous ai fait part des motifs qui m'amenaient à envisager votre licenciement. J'ai recueilli vos explications, qui n'ont pas été satisfaisantes. Vous m'avez notamment expliqué que vous donniez un plan d'action à vos employés mais qu'à aucun moment vous n'aviez à vérifier en tant que responsable que vous n'en aviez pas le temps. Je m'étonne une telle explication dans la mesure où la tâche d'un responsable est précisément de vérifier que ses directives sont correctement appliquées. (...), j'¿ ajoute par ailleurs que vous ne vous êtes pas présentée à votre poste du 24 au 29 avril, soit les jours suivants notre entretien. Dans une lettre datée du 23 avril 2008, qui nous a été remise par une salariée de la société le 24 avril 2008 et que vous m'avez fait parvenir ensuite par courrier recommandé avec avis de réception, vous déclarez prendre vos congés payés en prétextant des raisons de santé ; or deux choses l'une :

- soit vous étiez réellement souffrante et vous ne nous avez transmise aucune ordonnance médicale vous prescrivant un arrêt de travail, ce qui est pourtant obligatoire en cas d'arrêt maladie,- soit il s'agissait de congés payés, sans lien avec votre état de santé, que vous ne pouviez prendre de cette manière, sans m'en informer par avance ni solliciter mon accord, ce qui, là encore, est obligatoire (...) ".

Le premier grief fait à Mme X... porte sur l'absence d'études devant permettre l'évolution progressive de l'entreprise en vue de l'accroissement de chiffre d'affaires. Ce grief ne peut être retenu car la notion d'étude est imprécise. Les parties n'ont pas défini dans le contrat l'objet de ces études, étude du marché " clients ", étude sur l'organisation interne de l'entreprise. En outre, aucun objectif chiffré n'a été fixé par l ¿ employeur. Ne sont pas versés aux débats les documents comptables qui permettraient la comparaison du chiffre d'affaires de la SARL PTMEUR avant embauche et après embauche de Mme X.... IL est évident que cette obligation d'études, vague et sans contours, ne pouvait être exécutée sans cadre préalablement défini par l'employeur.
La mauvaise gestion du personnel et des stocks, commandes, fournisseurs et le suivi de la clientèle constituent le deuxième reproche. L'insuffisance professionnelle n'est pas davantage démontrée en ces domaines.
En effet, sur la gestion du personnel, des stocks et commandes, la lettre de Mme X... du 21 janvier 2008 (pièce no21), non contestée par l'appelante puisqu'elle y puise une partie de son argumentation, est significative car Mme X... s'explique sur le fait des jambonneaux stockés à tort dans son entrepôt et dénonce à cette occasion les erreurs d'acheminement des marchandises et les confusions entretenues entre les stocks de la SARL PRIMEUR (enseigne JOJO primeur) et la SARL " chez JOJO supermarché ". Elle précise d'ailleurs dans ce même courrier que lorsqu'elle a tenté d'éviter les dites confusions, elle a été systématiquement reprise par le gérant de la société PRIMEUR. Par ailleurs, il est étonnant que l'employeur assistant, sur le fait comme il le dit, à la prise des jambonneaux, n'ait pris aucune mesure à l'égard des salariés concernés.
La cour constate également que l'autorité réelle était restée entre les mains de M. Y... ce que confirme l'attestation du cabinet d'expertise AACE FIDEM, expert comptable de la SARL PRIMEUR, (document no25 de l'appelante) concluant que Mme X... exécutait les ordres du gérant dans le cadre de ses fonctions.
L'attestation de M. Thierry Z..., informaticien, est tout aussi pertinente (document no17 de l'appelante) pour contredire l'insuffisance professionnelle de l'intimée lorsqu'il dit : " j'ai installé en 1995 un logiciel de gestion et de facturation pour la SARL PRIMEUR. J'ai travaillé avec Mme X... pendant l (¿ année 2006, 2007 et 2008 sur le logiciel. Nous avons ensemble fait évoluer le logiciel dont je suis le concepteur ".
La cour convient que les mails de M. Fabrice A... faisant état d'une incompréhension de la notion de UV " Unité de Vente " par Mme X... ne peuvent attester de l'insuffisance professionnelle de celle-ci. IL s'agissait là d'une demande ponctuelle, sans incidence particulière. Des demandes fréquentes et persistantes de Mme X... sur des points élémentaires de gestion auraient permis d'en déduire le contraire. Ce qui n'est pas le cas en l'espèce.
Sur la perte des clients, l'élément pertinent fait également défaut lorsque l'employeur reconnaît lui-même que son chiffre d'affaires avec le client " Isle de France " a progressé entre 2007 et 2008 (document no 21 de l'appelante). En plus, les deux factures communiquées pour le client " Le GuanahanIi " pour justifier de l'augmentation du coût des marchandises sont inopérantes comme éléments de comparaison dans la mesure où les marchandises et les quantités y figurant ne sont pas les mêmes.
Sur les comptes rendus de gestion mensuels, si Mme X... était effectivement tenue d'en établir mensuellement, il ne peut lui être fait reproche d'en avoir présenté à son employeur à une fréquence hebdomadaire (document no26 de l'intimée). L'examen de cette pièce révèle des rapports complets journaliers sur l'activité de grossiste de la SARL PRIMEUR. Celle-ci n'a pas eu à souffrir d'une absence d'informations et l'employeur n'a manifesté aucune opposition à cette transmission qui a duré presque deux ans. A cet égard, la cour relève que Mme X... dénonçait déjà certaines pratiques créant la confusion entre les marchandises de la SARL PRIMEUR enseigne " JOJO PRIMEUR " et la SARL JOJO Supermarché.
Les attestations des salariés de la SARL PRIMEUR versées aux débats par l'appelante n'apportent aucune information d'intérêt sur la prétendue insuffisance professionnelle de Mme X.... La cour note aussi que les factures de 2006 d'avant l'arrivée de Mme X... dans l'entreprise (pièces produites par l'appelante) comportent de nombreuses annotations sur l'absence de livraison ou sur des pertes de marchandises. Les quelques factures de l'exercice 2007 de Mme X... n'en comportent pas. C'est bien la démonstration que celle-ci a oeuvré pour les réduire.
Sur la prise de congés sans autorisation, ce grief ne peut être retenu car aucune faute n'a été relevée à ce titre par l'employeur contre la salariée dans la lettre de licenciement, ayant motivé le licenciement par l'unique insuffisance professionnelle.
Au vu de l'ensemble de ces éléments, l'insuffisance professionnelle n'étant pas caractérisée, il convient de dire que c'est à bon droit que les premiers juges ont qualifié le licenciement de Mme X... sans cause réelle et sérieuse.
Le jugement entrepris de ce chef est confirmé.
SUR LES DOMMAGES-INTÉRÊTS POUR LICENCIEMENT ABUSIF
Par application de l'article L. 1235-5 du code du travail, le salarié ayant moins de deux ans d'ancienneté dans l'entreprise peut prétendre, en cas de licenciement abusif à une indemnité calculée en fonction du préjudice subi.
En l'espèce, Mme X... justifie d'une ancienneté de moins de deux ans au sein de l'entreprise JOJO PRIMEUR.
L'absence de cause réelle et sérieuse du licenciement implique nécessairement le préjudice de la perte de l'emploi.
Mme X... fait la démonstration d'une recherche soutenue d'un nouvel emploi au cours des années 2009 et 2010. Ses différentes demandes n'ont pas abouti par l'obtention d'un emploi équivalent (Documents no22 et 23). Elle est aujourd'hui âgée de 59 ans. Ses chances de réemploi restent minces.

Au regard de ces éléments, l'allocation allouée par les premiers juges est justifiée.

Le jugement entrepris de ce chef est confirmé.
SUR LES DOMMAGES-INTÉRÊTS POUR PRÉJUDICES MORAL ET MATÉRIEL
Tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à le réparer.
Mme X... doit rapporter la preuve de ses allégations. La cour considère que la SARL ne peut être considérée comme seule responsable des déboires bancaires de celle-ci. Car l'unique relevé bancaire produit par l'intéressée (document no12) fait apparaître le retrait de sommes importantes en espèces, à savoir 1 500 euros, et 1 700 euros les 24 et 25 juin 2008. Elle ne rapporte pas davantage la preuve du paiement tardif de ses salaires. Des relevés bancaires auraient permis de vérifier cette allégation puisque le paiement des salaires était prévu par virement.
Il n'est également pas rapporté par Mme X... la preuve que la violation des formalités d'établissement et de délivrance des documents de la rupture lui ont causé un quelconque dommage, Mme X... ayant reçu ces documents par la suite rectifiés. Elle le dit.
Aucun préjudice moral n'est en outre rapporté.
Dès lors, il y a lieu d'infirmer le jugement entrepris de ce chef et de rejeter la demande formulée par Mme X... à ce titre.

SUR LES FRAIS IRREPETIBLES

L'équité commande d'allouer à Mme X... la somme de 1 000 euros au titre des frais qu'elle a engagés dans la présente instance pour défendre ses droits, hors dépens.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort :
Déclare l'appel recevable ;
Confirme le jugement du 26 juin 2012 sauf en ce qu'il a condamné la SARL PRIMEUR, en la personne de son représentant légal, à payer à Mme Danielle X... la somme de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation d'un préjudice moral ;
Et statuant à nouveau,
Rejette la demande de Mme Danielle X... visant des dommages-intérêts pour préjudices moral et matériel ;
Condamne la SARL PRIMEUR, en la personne de son représentant légal, à payer à Mme Danielle X... la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la SARL PRIMEUR aux éventuels dépens ;


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Basse-Terre
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 12/01326
Date de la décision : 24/03/2014
Sens de l'arrêt : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée
Type d'affaire : Sociale

Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.basse-terre;arret;2014-03-24;12.01326 ?
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