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24/02/2014 | FRANCE | N°13/00391

France | France, Cour d'appel de Basse-Terre, Chambre sociale, 24 février 2014, 13/00391


FG-VF

COUR D'APPEL DE BASSE-TERRE

CHAMBRE SOCIALE ARRET No 89 DU VINGT QUATRE FEVRIER DEUX MILLE QUATORZE

AFFAIRE No : 13/ 00391
Décision déférée à la Cour : jugement du Conseil de Prud'hommes de POINTE A PITRE du 9 juin 2009- Section Encadrement.
APPELANT
Monsieur Fabrice X... ......97434 Saint Gilles les Bains Représenté par Maître Florence BARRE-AUJOULAT (Toque 1), avocat au barreau de la Guadeloupe

INTIMÉE
SA BANQUE FRANCAISE COMMERCIALE ANTILLES GUYANE Direction Générale-Grand Camp-La Rocade BP 13 97139 LES ABYMES Représentée pa

r Maître BERTE et ASSOCIES, avocat au barreau de Fort de France substituée par Maître WERTER-FIL...

FG-VF

COUR D'APPEL DE BASSE-TERRE

CHAMBRE SOCIALE ARRET No 89 DU VINGT QUATRE FEVRIER DEUX MILLE QUATORZE

AFFAIRE No : 13/ 00391
Décision déférée à la Cour : jugement du Conseil de Prud'hommes de POINTE A PITRE du 9 juin 2009- Section Encadrement.
APPELANT
Monsieur Fabrice X... ......97434 Saint Gilles les Bains Représenté par Maître Florence BARRE-AUJOULAT (Toque 1), avocat au barreau de la Guadeloupe

INTIMÉE
SA BANQUE FRANCAISE COMMERCIALE ANTILLES GUYANE Direction Générale-Grand Camp-La Rocade BP 13 97139 LES ABYMES Représentée par Maître BERTE et ASSOCIES, avocat au barreau de Fort de France substituée par Maître WERTER-FILLOIS Isabelle, avocat au barreau de la Guadeloupe.

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 6 janvier 2014, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant M. Bernard ROUSSEAU, président de chambre, et Madame GAUDIN, conseiller.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
M. Bernard ROUSSEAU, président de chambre, président, Mme Marie-Josée BOLNET, conseiller, Mme Françoise GAUDIN, conseiller.

Les parties ont été avisées à l'issue des débats de ce que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour le 24 février 2014.
GREFFIER Lors des débats Madame Juliette GERAN, adjointe administrative principale, faisant fonction de greffier.
ARRET :
Contradictoire, prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées conformément à l'article 450 al 2 du CPC. Signé par M. Bernard ROUSSEAU, président de chambre, président, et par Mme Valérie FRANCILLETTE, greffier, à laquelle la décision a été remise par le magistrat signataire.

Faits et procédure :
M. Fabrice X... a été embauché par la Banque Française Commerciale (BFC) le 5 octobre 1979 dans le cadre d'un statut expatrié par contrat en date du 20 septembre 1979 à l'agence de Cayenne (Guyane Française).
Le 8 septembre 1981, il est affecté dans le département de la Réunion en qualité de fondé de pouvoir. Le 12 novembre 1984, il occupe un poste de chargé de la Direction des installations de la BFC aux Seychelles.

A la suite de la création de deux nouvelles filiales outre-mer par la BFC, son contrat est transféré le 1er janvier 1985 à la Banque Française Commerciale Océan Indien. En 1987, il est détaché à la Banque Française Commerciale ¿ Antilles Guyane, autre filiale de la BFC et nommé à la Direction de groupe des agences de Saint-Martin et Saint-Barthélemy.

Le 1er mars 1992, il est détaché en tant que directeur de groupe des agences martiniquaises de la BFC Antilles-Guyane (dite ci-après BFC-AG).
Selon courrier en date du 12 juillet 1995, le directeur général de la BFC-AG faisant état de dysfonctionnements imputables au salarié dans l'exercice de ses fonctions, lui a notifié un blâme à titre de sanction pour mauvaise gestion du groupe de la Martinique et sa mutation en Guadeloupe à la direction générale, à compter de septembre 1995.
M. X... Fabrice a ensuite accepté la modification de son contrat de travail qui lui avait été proposée par lettre du 31 octobre 1995 et a occupé ensuite les fonctions de directeur des moyens généraux, puis directeur de la communication, à la direction de Pointe à Pitre jusqu'à son adhésion à la convention de préretraite de l'entreprise, le 31 octobre 2006.
Estimant avoir été sanctionné d'un blâme, d'une mutation puis d'une modification de son contrat de travail pour les mêmes faits en méconnaissance du principe de l'interdiction du cumul des sanctions, M. X... a saisi le 30 janvier 2008 le conseil de prud'hommes de Pointe à Pitre pour demander leur annulation et la condamnation de l'employeur à l'indemniser du préjudice résultant de la modification du contrat de travail.
Par jugement du 9 juin 2009, la juridiction prud'homale a condamné la SA BFC-AG à payer à M. X... une indemnité sur perte de salaire sur cinq années (l'affaire ayant été initiée en 2006) soit la somme de 13. 713, 38 ¿ sur 5 ans, soit 68. 555, 90 ¿ et la somme de 1. 000 ¿ au titre de l'article 700 du code de procédure civile, rejetant le surplus des demandes du salarié.
Par déclaration du 24 juin 2009, M. X... Fabrice saisissait la cour d'appel de Basse-Terre, laquelle, par arrêt du 5 septembre 2011, infirmait le jugement qui lui était déféré, constatait la validité du contrat de travail conclu entre le BFC-AG et M. X... le 31 octobre 1995, entré en vigueur le 1er novembre 1995 et déboutait ce dernier de l'ensemble de ses demandes, le condamnant au paiement de la somme de 2. 000 ¿ en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.
Cet arrêt du 5 septembre 2011 était cassé et annulé, dans toutes ses dispositions, par arrêt du 26 février 2013 de la Cour de Cassation, aux motifs suivants :

« Qu'en statuant ainsi, alors, d'une part, que la cour avait constaté que la mutation du salarié avait été décidée avant qu'il ait accepté la modification de son contrat de travail et, d'autre part, que la mise en ¿ uvre d'une clause de mobilité ne privait pas la mutation de son caractère disciplinaire, la cour d'appel, qui avait relevé que le changement d'affectation du salarié avait été décidé par l'employeur en raison de faits considérés par lui comme fautifs, n'a pas tiré les conséquences de ses constatations et a violé le texte susvisé (article L. 1331-1 du code du travail). »

Par déclaration du 5 mars 2013, M. X... Fabrice saisissait la cour d'appel de Basse-Terre, désignée comme cour de renvoi par l'arrêt de cassation.
****
Par conclusions notifiées à la partie adverse le 6 février 2013, auxquelles il a été fait référence lors de l'audience des débats, M. X... Fabrice sollicite l'infirmation du jugement du conseil de prud'hommes de Pointe à Pitre en date du 9 juin 2009, et demande à la cour de céans de :
A titre principal :
dire et juger que par courrier en date du 12 juillet 1995 la BFC-AG a infligé à M. X... deux sanction disciplinaires, à savoir un blâme et une mutation rétrogradation pour les mêmes faits ; dire et juger que la mutation-sanction est irrégulière en ce que la BFC-AG a violé les garanties de procédure disciplinaire conventionnelles et légales et n'a pas tenu compte du refus express de la mutation-rétrogradation par Monsieur X... ; dire et juger que la mutation disciplinaire constitue une sanction cumulée et illicite pour les mêmes faits ; annuler en conséquence la mutation-rétrogradation disciplinaire notifiée par la BFC-AG à M. Fabrice X... le 12 juillet 1995 ; constater que le 31 octobre 1995 la BFC-AG a notifié à M. Fabrice X... une modification de son contrat de travail portant sur un déclassement de son statut de cadre détaché, un déclassement de fonction, une baisse de salaire, la suppression d'avantages en nature, l'affiliation à une caisse de retraite moins avantageuse ; dire et juger que la BFC-AG n'a pas notifié à M. Fabrice X... un projet de modification du contrat de travail ; dire et juger que la BFC-AG n'a pas laissé un délai de réflexion suffisant à M. Fabrice X... pour se prononcer sur cette modification du contrat.

En conséquence : dire et juger que M. Fabrice X... n'a pas valablement accepté la modification de son contrat de travail ; dire et juger que la BFC-AG a manqué à ses obligations d'exécuter de bonne foi le contrat de travail de M. Fabrice X.... dire et juger que la BFC-AG a engagé sa responsabilité contractuelle à l'égard de M. Fabrice X... en imposant à M. Fabrice X... la modification de son contrat de travail ; condamner la BFC-AF à réparer le préjudice qui en est résulté, tel que ci-après liquidé ; dire et juger que les demandes de M. Fabrice X... sont soumises à la prescription trentenaire. liquider le préjudice financier de M. X... au titre du cumul de sanction illicite à la somme de 178 729 ¿ ; condamner la BFC-AG à verser ladite somme de 178 729 ¿ à M. X... à titre de dommages-intérêts, outre les intérêts de droit à compter du 30 janvier 2008, date de la saisine du conseil des prud'hommes et jusqu'à parfait paiement ;

liquider le préjudice financier subi par M. X... à la suite de la modification abusive de son contrat de travail à la somme totale de 445. 116 ¿ se décomposant comme suit :
- indemnité sur perte de salaire du 01/ 11/ 1995 au 31/ 10/ 2006 : 143. 021 ¿- perte d'avantages en nature depuis le 01/ 11/ 1995 : 107. 012 ¿- manque à gagner sur les retraites (sous réserve dernière valeur en vigueur des points de retraite au 01/ 07/ 13) : 115. 774 ¿.- manque à gagner sur l'indemnité de départ en retraite : 17. 142 ¿.- manque à gagner sur la rente Predica : 62. 167 ¿

condamner en conséquence la BFC-AG à payer à M. Fabrice X... en réparation du préjudice financier au titre de la modification abusive de son contrat de travail la somme totale de 445. 116 ¿ outre les intérêts au taux légal à compter du 30 janvier 2008, date de la saisine du conseil des prud'hommes et jusqu'à parfait paiement ; liquider le préjudice moral subi par M. Fabrice X... à la suite du cumul illicite de sanction et de la modification abusive de son contrat de travail à la somme totale de 200. 000 ¿ ; condamner en conséquence la BFC-AG à payer à M. Fabrice X... en réparation du préjudice moral au titre de la modification abusive de son contrat de travail à la somme totale de 200. 000 ¿ outre les intérêts au taux légal à compter du 30 janvier 2008, date de la saisine du Conseil des prud'hommes et jusqu'à parfait paiement ;

A titre subsidiaire : dire et juger que la modification du contrat de travail notifiée par la BFC-AG à M. X... le 31 octobre 1995 constitue rétrogradation et donc sanction disciplinaire ; dire et juger que par courriers en date du 12 juillet 1995 et du 31 octobre 1995 BFC-AG a infligé à M. X... trois sanctions disciplinaires à savoir un blâme, une mutation sanction, et une rétrogradation pour les mêmes faits ; dire et juger que la mutation sanction est irrégulière en ce que la BFC-AG a violé les garanties de procédure disciplinaire conventionnelles et légales et n'a pas tenu compte du refus express de la mutation rétrogradation par M. X... ; dire et juger que la modification du contrat-rétrogradation est irrégulière en ce qu'elle porte sur des faits prescrits et a été décidée en violation des règles de procédure disciplinaire dire et juger que la mutation sanction et la rétrogradation constituent des sanctions cumulées et illicites pour les mêmes faits ; annuler en conséquence la mutation-sanction disciplinaire notifiée par la BFC-AG à M. X... le 12 juillet 1995 et la rétrogradation notifiée par la BFC-AG à M. X... le 31 octobre 1995 ; liquider les préjudices financier et moral de M. X... au titre du cumul de sanction illicite à la somme totale de 823. 845 ¿ se décomposant comme suit :

blâme/ mutation disciplinaire à la somme de 178. 729 ¿ blâme/ mutation/ rétrogradation à la somme de 445. 116 ¿ préjudice moral à la somme de 200. 000 ¿

condamner la BFC-AG à verser à M. M. X... la somme de 823. 854 ¿ à titre de dommages et intérêts tous confondus au titre du cumul illicite de sanctions, outre les intérêts de droit à compter du 30 janvier 2008, date de la saisine du conseil des prud'hommes et jusqu'à parfait paiement ;
débouter la BFC ¿ AG de l'ensemble de ses demandes et la condamner à payer à M. X... la somme de 10. 000 ¿ au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens.
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Par conclusions notifiées à la partie adverse le 6 septembre 2013, à laquelle il a été fait référence lors de l'audience des débats, la Société Banque Française Commerciale Antilles-Guyane sollicite l'infirmation du jugement entrepris et demande à la cour de :
A titre principal, constater la validité du contrat de travail conclu entre la BFC-AG et M. X... le 31 octobre 1995 et entré en vigueur le 1er novembre 1995. débouter M. X... de toutes ses demandes d'indemnisation ; condamner M. X... à payer à la BFC-AG la somme de 10. 000 ¿ sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile ainsi qu'aux entiers dépens ; condamner M. X... à rembourser à la BFC-AG les sommes qui lui ont été versées en exécution du jugement du conseil des prud'hommes de Pointe à Pitre du 9 juin 2009.

A titre subsidiaire, si la cour de céans devait considérer que l'une ou l'autre des sanctions de M. X... étaient injustifiées ou nulles :
limiter l'indemnisation du préjudice de M. X... à la seule indemnisation symbolique d'une sanction injustifiée ou annulée en tenant compte de la situation globale de M. X... au sein de la BFC-AG postérieurement à ces sanctions ; opérer une compensation entre les sommes qu'est condamnée à verser l'intimée et les sommes déjà versées en exécution du jugement de première instance.

A titre infiniment subsidiaire, si la cour de céans devait considérer que M. X... doit être indemnisé d'un préjudice financier lié à son changement de statut contractuel :
- constater que ce changement de statut contractuel a entraîné une diminution annuelle de salaire de 13. 713, 38 ¿,- constater que la prescription quinquennale est applicable à toute demande de préjudice financier visant à compenser une perte de salaire-confirmer la limitation de l'indemnisation de M. X... à ce titre à la somme de 52. 567, 95 ¿.- débouter M. X... de ses demandes d'indemnisation relative au complément de l'indemnité de départ en préretraite et à la revalorisation de la rente PREDICA au motif qu'elles sont en contradiction avec les termes de l'accord collectif de mise en place de la préretraite d'entreprise du 18 juillet 2006 (articles 4-1 et 4-2)- débouter M. X... de sa demande d'indemnisation d'un avantage en nature voiture au motif qu'il n'apporte pas la preuve du bénéfice de cet avantage antérieurement au 1er novembre 1995 ni de sa suppression postérieurement à cette date.- débouter M. X... de sa demande d'indemnisation liée à la diminution de son avantage logement à compter du 1er novembre 1995 dans la mesure où il n'apporte pas la preuve des frais réellement engagés-débouter M. X... de sa demande d'indemnisation de frais de voyage vers la métropole dans la mesure où Monsieur X... n'apporte la preuve ni de l'avantage dont il bénéficiait â ce titre avant le 1er novembre 1995 ni des frais de transport qu'il aurait engagés postérieurement à cette date et dont le remboursement lui aurait été refusé en raison du changement de son contrat de travail-débouter M. X... de sa demande d'indemnisation lié à un « manque à gagner » sur les retraites au motif que celle-ci n'est pas juridiquement justifié et que les calculs transmis sont manifestement totalement erroné,- en tout état de cause, débouter M. X... de toute demande d'indemnisation au titre d'un préjudice moral distinct

****
Motifs de la décision :

Sur la demande d'annulation de la mutation

Attendu que M. X... soutient qu'il a été victime d'un cumul de sanctions disciplinaires pour des mêmes faits, en méconnaissance de l'interdiction du cumul de sanctions et invoquant le caractère disproportionné desdites sanctions.

que par courrier du 12 juillet 1995, le directeur général de la banque BFC A-G écrit à M. X... :

« J'accuse réception de votre courrier du 6 juillet 1995 qui ne laisse pas de m'étonner, tant l'essentiel de notre entretien du 2 juillet 1995 a été délibérément passé sous silence, ou volontairement mal compris. Je me vois dans ces conditions contraint de vous en rappeler les grandes lignes qui s'inscrivent plutôt dans le registre de la mutation disciplinaire que dans celui de l'évolution normale de carrière. Au cours de cette entrevue, je vous ai d'abord précisé que je n'étais pas du tout satisfait de votre action en tant que responsable de Groupe : Par votre attitude invariablement butée et entêtée, vous vous êtes progressivement coupé de la confiance non seulement de votre hiérarchie et de vos pairs, mais aussi de celle de vos collaborateurs. De façon quasi unanime, ils vous reprochent un manque total de communication, qui au dire de certains frise le mépris. Par votre obstination habituelle et votre absence de loyauté, vous vous êtes rendu incapable de gérer deux dossiers de rupture de contrat de travail :

Celui de Madame Janine B.... Celui de Monsieur Brice C.... dossiers que votre positionnement hiérarchique vous amenait à gérer personnellement, d'autant que ces actions s'inscrivaient dans le cadre d'une instruction et d'une délégation précises de votre Direction Générale Vos insuffisances dans ce domaine ne sont pas admissibles eu égard à votre fonction de Responsable d'établissement. En définitive, ces litiges ont dû être directement traités par intervention de la Direction Générale, à cause de votre absence d'implication dans la mise en ¿ uvre des mesures disciplinaires prises avec votre accord à l'encontre du personnel placé sous votre responsabilité. Il en est résulté des surcoûts financiers qui auraient pu être évités. Par votre indiscipline et votre opposition à notre politique de fermeture des agences non rentables afin de réduire nos frais généraux, vous avez retardé autant que possible la fermeture de l'agence de Didier, pour enfin y parvenir sans aucune véritable mesure d'organisation ni d'information de notre clientèle, afin que cette décision soit acceptée dans les meilleures conditions par tous. D'une manière générale, vous vous êtes souvent contenté de transmettre purement et simplement les directives de la Direction Générale sans réunir vos collaborateurs afin de les convaincre et les motiver par une information claire et précise.

A la fin de notre rencontre, je vous ai enfin indiqué que votre manque de réalisme et votre tendance à l'autosatisfaction sont à l'origine d'un climat de mésentente et de perte de confiance qui exigent votre remplacement dans les plus brefs délais à la tête du Groupe. J'ai donc été amené à prendre les mesures suivantes qui sont de deux ordres :
J'ai le regret de vous infliger par la présente un blâme à titre de sanction pour votre mauvaise gestion du Groupe de la Martinique où vous avez créé un climat social absolument détestable. Je vous prie de prendre note de votre mutation en Guadeloupe à la Direction Générale dès la première semaine de septembre 1995, donc à l'issue de vos vacances que vous prendrez à compter du 24 juillet 1995. Compte tenu de l'absence de poste vacant dans notre organigramme, vous serez provisoirement affecté à l'audit des Risques sous la responsabilité de Monsieur André D..., Directeur Général Adjoint, cette fonction étant éventuellement appelée à évoluer vers le poste de Directeur Commercial entreprises après une période probatoire, toujours sous la responsabilité de André D.... Dans ce contexte, il vous appartient bien entendu de prendre les mesures que vous jugerez nécessaires en ce qui concerne votre situation personnelle et familiale, en particulier votre logement dans le cadre du budget de 6. 000 F qui vous a été octroyé. Face à ce constat négatif par rapport à votre positionnement antérieur, je demeure néanmoins ouvert à toute négociation qui aboutirait à la rupture amiable de nos relations.. »

Attendu qu'en vertu de l'article L. 1331-1 du code du travail, constitue une sanction toute mesure, autre que les observations orales, prise par l'employeur à la suite d'un agissement du salarié considéré comme fautif, que cette mesure soit de nature à affecter immédiatement ou non la présence du salarié dans l'entreprise, sa fonction, sa carrière, ou sa rémunération.

Qu'il ressort de ladite lettre que l'employeur, à la suite de dysfonctionnements reprochés à M. X... et considérés comme des manquements à ses obligations professionnelles par la banque, a entendu lui infliger deux sanctions, à savoir un blâme puis une mutation disciplinaire. Que selon la règle non bis in idem, un même fait ne peut cependant être sanctionné deux fois.

Que si l'employeur reconnait le caractère disciplinaire de la mutation, il conteste le caractère de sanction au blâme, lequel selon la banque, n'aurait été qu'un « complément » sans valeur ni portée juridique, sans effet sur la carrière future du salarié.
Que cependant, ledit blâme constitue une sanction disciplinaire au sens de l'article L. 1331-1 susmentionné, et dénommé d'ailleurs comme tel dans le courrier susvisé de l'employeur lui-même et le fait que cette première sanction disciplinaire prononcée n'ait pas été suivie d'effet n'autorisait pas l'employeur à appliquer une nouvelle sanction, en l'occurrence une mutation disciplinaire aux mêmes faits.
Qu'il y a eu cumul illicite de sanctions et dès lors, la mutation de M. X... à effet du 1er septembre 1995 doit être déclarée nulle et de nul effet, sans qu'il y ait lieu d'en examiner la régularité au regard des garanties de procédure conventionnelles. Que le fait que M. X... ait in fine accepté sa mutation après la double sanction dont il a fait l'objet ne peut valoir renonciation de sa part à se prévaloir de la nullité de cette sanction et il y a lieu de faire droit à sa demande en annulation sur le fondement de l'article L. 1333-2 du code du travail.

Sur la modification du contrat de travail

Que le contrat de travail de M. X... a été également modifié le 31 octobre 1995 pour une application au 1er novembre 2005, au niveau de son statut et de sa rémunération, à savoir qu'il avait auparavant un statut de cadre expatrié, étant soumis à la convention collective des banques de métropole et bénéficiant d'avantages liés à au détachement outre-mer (salaire majoré, indemnité d'éloignement, logement de fonction, prise en charge des billets d'avion pour les congés, véhicule de fonction..) et qu'à compter du 1er novembre 1995, il a intégré le statut local, soumis à la convention collective du personnel des banques de la Guadeloupe, affilié à la caisse de retraite des DOM, avec un salaire fixe mensuel sur 15 mois et une prime de transport, de même qu'une indemnité de logement de 6. 000 francs par mois (914, 69 ¿), durant trois ans.

Que le salarié fait valoir que l'employeur a agi avec déloyauté et lui a imposé ladite modification, engageant dès lors sa responsabilité contractuelle.

Que cependant, il résulte des documents de la cause que l'employeur a remis, selon accusé de réception valant décharge, à M. X... le 18 octobre 1995 une lettre avenant comportant les futures modifications de son contrat de travail et que des entretiens informels ont eu lieu entre les parties, avant que le salarié accepte et signe ledit avenant le 31 octobre suivant.
Qu'il a donc bénéficié d'un délai de réflexion nécessaire et compte tenu de son niveau de responsabilités, était à même d'apprécier les conséquences des modifications qui lui étaient soumises. Que dès lors, cette modification du contrat de travail, qui a été acceptée par le salarié le 31 octobre 1995, aux termes d'un avenant comportant sa signature précédée de la mention manuscrite de M. X... « lu et approuvé », ne saurait constituer une modification abusive et unilatérale.

Que sa demande visant à constater que ce changement de statut contractuel lui aurait été imposé et serait donc inapplicable, sera rejetée.
Que ce changement de statut et cette modification du contrat de travail, qui nécessitait l'accord exprès du salarié, s'ils peuvent s'analyser comme une conséquence de la mesure de mutation disciplinaire, ne sauraient constituer ni une sanction pécuniaire illicite, ni une sanction disciplinaire à part entière, comme le soutient à tort M. X... Que la demande formée à titre subsidiaire, de ce chef sera rejetée.

Sur les conséquences financières de la sanction illicite
Que ladite mutation étant nulle, le salarié doit être rétabli dans ses droits, étant fondé à solliciter des dommages et intérêts en réparation de son préjudice.
Qu'il invoque en premier lieu une baisse de responsabilités et une suppression d'avantages en nature liées à sa mutation. Que consécutivement à sa mutation en Guadeloupe, le contrat de travail de M. X... a été modifié par le fait qu'il ne bénéficiait plus d'un logement de fonction mais d'une indemnité plafonnée à 6. 000 francs (914, 69 ¿) pour se loger.

Que la modification de cet avantage en nature ne saurait cependant constituer une sanction pécuniaire illicite ni une sanction distincte, s'agissant d'une conséquence de la mutation disciplinaire nulle.
Que cependant, le salarié a subi indéniablement un préjudice financier, ayant dû débourser dans un premier temps une somme de 4. 000 francs (609, 80 ¿) par mois pour son logement (le loyer étant de 10. 000 francs) jusqu'au 30 juin 1997, outre les frais d'électricité, gaz, entretien et impôts locaux, auparavant pris en charge totalement par l'employeur.
Qu'il a perçu une prime forfaitaire mensuelle de 914, 69 ¿ jusqu'à son départ en pré-retraite pour se loger.
Qu'il produit les justificatifs du montant des loyers qu'il a dû verser en sus de l'indemnité allouée, s'élevant à la somme de 50. 000 ¿, à l'exclusion de la période durant laquelle il était propriétaire. Qu'il y a lieu d'y adjoindre celle de 15. 000 ¿ compte tenu des frais pris en charge par M. X... au titre de l'entretien de son logement, auparavant pris en charge par l'employeur, de même que les frais d'achat de mobilier et de déménagement de meubles arrêtés à une somme forfaitaire de 8. 000 ¿, soit une somme globale de 73. 000 ¿ au titre de la perte des avantages en nature.

Que M. X... demande réparation du préjudice financier lié à la perte de salaire, soit une somme de 143. 021 ¿, suite à son changement de statut contractuel sur la période du 1er novembre 1995 au 31 octobre 2006, date de son départ en pré-retraite.
Que même si le salarié a accepté le changement de statut contractuel, celui-ci est néanmoins intervenu comme conséquence indirecte de la mutation illicite. Que bien que détaché à la BFC-AG depuis 1987, M. X... avait continué à bénéficier du statut de cadre expatrié et même si la banque invoque une harmonisation à court terme du statut des cadres de la BFC-AG dès lors que la société BFC holding disparaitrait en métropole, suite à son rachat par le Crédit Agricole (en 1996), il n'en demeure pas moins que la mutation de M. X... en Guadeloupe ne pouvait se faire qu'avec un changement de statut, ce qu'a admis d'ailleurs l'employeur devant le premier juge.

Que dès lors, la demande en réparation du préjudice financier de M. X... doit être examinée mais dans la mesure où cette demande ne tend, sous couvert de dommages et intérêts, qu'à obtenir le paiement de différentiels de salaires et primes, lesquels sont en partie prescrits en vertu de l'article 2277 du code civil, elle ne peut être déterminée que sur la période du 1er janvier 2003 au 31 octobre 2006, compte tenu de la saisine judiciaire intervenue en janvier 2008.
Qu'il résulte de la lecture des bulletins de salaire de M. X... produits au dossier, que pour la période antérieure au 1er novembre 1995, date d'effet de la mutation, ce dernier percevait un salaire mensuel global brut de 46. 349, 94 francs, soit 7. 066 ¿, comprenant un salaire de base, une majoration outre-mer et une indemnité forfaitaire mensuelle d'éloignement.
Que postérieurement, il a perçu un salaire de base fixe brut mensuel correspondant à 2. 000 points, la valeur du point évaluée à 19, 40 francs en novembre 1995, sur 15 mois, et une prime de transport, soit un salaire global de 5. 916, 24 ¿. Qu'il s'en déduit un différentiel de salaire de 13. 713, 38 ¿ bruts par an, admis par les parties.

Attendu que cependant, celui-ci est en réalité moindre car le salarié a perçu des primes exceptionnelles et autres avantages complémentaires sur les années 1996 à 2006. Que le salarié ne peut réclamer de son côté les primes exceptionnelles qu'il a perçues sur la période antérieure, celles-ci étant liées à ses performances professionnelles dans les différents postes qu'il a occupés et non à son statut de détaché.

Que compte tenu de ces éléments et de la prescription quinquennale applicable, il y a lieu de chiffrer le montant des dommages et intérêts en réparation du préjudice financier dû au salarié à la somme de 52. 567, 95 ¿.

Que le salarié invoque également des « manque à gagner » liés à son changement de statut contractuel, au niveau des billets d'avion, du véhicule de fonction, sur sa retraite, sur l'indemnité de départ en retraite et sur la rente Predica.
sur les billets d'avion
Attendu que M. X... fait valoir que dans l'ancien statut, il bénéficiait d'une prise en charge des frais de voyage pour lui et sa famille par avion tous les ans, de son lieu de résidence habituelle (étant expatrié de métropole) à son lieu d'emploi et que par la suite, n'étant plus détaché, cet avantage a été réduit à tous les deux ans. Qu'il réclame donc le coût de 4 billets d'avion aller/ retour pour les années 1998, 2000, 2004, 2006, représentant une somme de 34. 157 ¿. Que cependant, le salarié ne justifie pas avoir effectué chaque année un voyage en famille vers la métropole donnant lieu à ladite prise en charge. Que dès lors, ce chef de demande sera écarté.

sur le véhicule de fonction

Attendu que M. X... fait valoir qu'avant sa mutation, il bénéficiait d'un véhicule de fonction sans que ledit avantage en nature n'apparaisse sur ses bulletins de salaire antérieurs à 1995 et alors que le contrat de travail initial ne mentionnait pas ledit avantage. Qu'il invoque une pratique sans l'établir et dès lors, sa demande sera rejetée d'autant qu'il a perçu dans son nouveau statut une prime de transport mensuelle.

manque à gagner sur les retraites
Attendu que le salarié estime qu'il a subi une perte de points de retraite découlant du manque à gagner annuel sur salaires.
Attendu qu'il chiffre la totalité de son préjudice à 13. 371 points AGIRC et 1195 points ARRCO qu'il valorise respectivement à 0, 4330 ¿ et 1, 2414 ¿, soit un total de 115. 774 ¿.
Que cependant, les calculs de M. X... ne peuvent être retenus en l'état, dans la mesure où il porte le différentiel de salaire à 20. 639, 20 ¿, au lieu de celui évalué à 13. 713, 38 ¿ et sur 15 ans, sans tenir compte de la prescription quinquennale et du fait, qu'il n'était plus en activité à partir de 2006.

Que la perte de points de retraite complémentaire attribués au titre des cotisations sur une assiette de 25. 990, 03 ¿ ne saurait conduire, comme le soutient le salarié, à l'attribution d'une retraite complémentaire majorée de 7. 365, 13 ¿ par an par rapport à la retraite complémentaire perçue par M. X..., depuis sa mise à la retraite en juillet 2013.

Que cependant, en tenant compte du différentiel perdu sur les salaires et tel que retenu par la cour, de 2003, au départ en retraite du salarié, la perte de points de retraite s'analysant comme un manque à gagner peut être chiffrée à la somme de 15. 000 ¿.
manque à gagner sur l'indemnité de départ à la retraite
Que lors de son départ en pré-retraite, M. X... a perçu une indemnité de 125. 845, 35 ¿ nets représentant 15 mois de salaire.
Qu'en tenant compte d'un différentiel de salaire de 13. 713, 38 ¿ sur l'année et du calcul de l'indemnité de départ sur la base d'1/ 12ème de la rémunération annuelle, à l'exclusion des primes, le salarié aurait pu percevoir une somme supplémentaire de 17. 142 ¿ qui lui sera accordée à titre de dommages et intérêts.
manque à gagner sur la rente Predica
Que la rente de pré-retraite calculée également sur la base d'1/ 12ème de la rémunération annuelle, à l'exclusion des primes, le salarié aurait pu percevoir une somme supplémentaire de 777, 09 ¿ par mois, soit 62. 167 ¿ sur 80 mois.
préjudice moral
Que le salarié a subi nécessairement un préjudice moral pour avoir été muté disciplinairement après avoir occupé des fonctions de direction pendant de longues années sans problème et alors qu'il est resté un an dans un poste d'attente avant de se voir confier de nouveau des responsabilités de direction. Qu'il s'en est suivi un « déficit d'image qu'il mettra du temps à combler » tel que mentionné dans sa notation professionnelle de 2001 Qu'il convient de chiffre son préjudice moral découlant de la sanction illicite et de ses conséquences, à la somme de 10. 000 ¿.

Que l'employeur sera donc condamné à payer lesdites sommes à M. X... avec intérêts de droit à compter du présent arrêt, compte tenu de leur caractère indemnitaire.
Qu'il y a lieu d'ordonner la compensation entre lesdites condamnations et celles réglées par la BFC ¿ AG en exécution du jugement déféré.
Qu'il paraît inéquitable de laisser à la charge de M. X... les frais irrépétibles qu'il a exposés et il lui sera alloué la somme de 5. 000 ¿ au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Que l'employeur, succombant, sera débouté de sa propre demande à ce titre et supportera les entiers dépens.

Par ces motifs,

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
Vu l'arrêt de la cour de cassation en date du 26 février 2013,
Infirme le jugement déféré,
Dit et juge nulle la mutation notifiée à M. X... Fabrice par lettre du 12 juillet 1995.
En conséquence, Condamne la Société Banque Française Commerciale d'Antilles Guyane à payer à M. X... Fabrice les sommes suivantes :

-73. 000 ¿ à titre de dommages et intérêts en réparation de la perte d'avantages en nature,-52. 567, 95 ¿ à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice financier,-15. 000 ¿ à titre de dommages et intérêts pour manque à gagner sur les retraites,-17. 142 ¿ à titre de de dommages et intérêts pour manque à gagner sur l'indemnité de départ en pré-retraite,-62. 167 ¿ à titre de de dommages et intérêts pour manque à gagner sur la rente Predica,-10. 000 ¿ à titre de de dommages et intérêts pour préjudice moral, lesdites sommes portant intérêts au taux légal à compter du présent arrêt,

-5 000 ¿ d'indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Ordonne la compensation entre lesdites condamnations et les sommes réglées par la BFC-AG en exécution du jugement déféré du conseil des prud'hommes de Pointe à Pitre du 9 juin 2009.
Dit que les entiers dépens tant de première instance que d'appel sont à la charge de la Société BFC-AG.
Déboute les parties de toute demande plus ample ou contraire.

Le greffier, Le président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Basse-Terre
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 13/00391
Date de la décision : 24/02/2014
Sens de l'arrêt : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours
Type d'affaire : Sociale

Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.basse-terre;arret;2014-02-24;13.00391 ?
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