COUR D'APPEL DE BASSE-TERRE
CHAMBRE SOCIALE ARRET No 3 DU TREIZE JANVIER DEUX MILLE QUATORZE
AFFAIRE No : 12/ 01064
Décision déférée à la Cour : Jugement du Conseil de Prud'hommes de POINTE A PITRE du 26 avril 2012- Section Commerce.
APPELANTE
Madame Léna X... ... 97115 SAINTE ROSE Représentée par Maître Céline MAYET (Toque 126) substituée par Maître LE GUERN, avocat au barreau de la GUADELOUPE.
INTIMÉE
SARL SGHTA HOTEL FLEUR D'EPEE 49 impasse de Bas du Fort 97190 GOSIER Représentée par Maître Isabelle WERTER-FILLOIS (Toque 8), avocat au barreau de la GUADELOUPE
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 25 novembre 2013, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant M. Bernard ROUSSEAU, président de chambre, chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Monsieur Bernard Rousseau, président de chambre, président, Madame Françoise Gaudin, conseiller, Madame Marie-Josée Bolnet, conseiller,
Les parties ont été avisées à l'issue des débats de ce que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour le 13 janvier 2014
GREFFIER Lors des débats : Madame Valérie Francillette, greffier.
ARRET :
Contradictoire, prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées conformément à l'article 450 al 2 du CPC. Signé par Monsieur Bernard Rousseau, président de chambre, président et par Madame Valérie Francillette, greffier, à laquelle la décision a été remise par le magistrat signataire.
Faits et procédure :
Il résulte des pièces versées aux débats et des explications fournies par les parties que Mme Aline X... a travaillé au sein de la Société SGHTA HOTEL FLEUR D'EPEE, ci-après désignée Société SGHTA, en qualité de cuisinière depuis le 25 mars 1993 dans le cadre de contrats saisonniers successifs dits « extras ».
L'exécution du dernier de ces contrats a pris fin le 28 septembre 2009, Mme X... ayant fait savoir à son employeur qu'elle était en congé maternité jusqu'au 18 janvier 2010.
Par courrier du 7 décembre 2009, Mme X... faisait savoir à son employeur qu'elle entendait prendre un an de congé au titre du « complément de libre choix d'activité ».
Par courriers du 17 février 2011 et 14 mars 2011 Mme X... faisait savoir à l'employeur qu'elle entendait bénéficier d'une reprise d'activité dans son établissement.
Par courriers du 2 mars et 26 mai 2011 l'employeur répond à Mme X... que les divers contrats de travail à durée déterminée qui ont été conclus avec elle, étaient des contrats d'" extras ", lesquels sont des contrats d'usage dans le secteur de l'hôtellerie, étant liés à un besoin ponctuel et étant caractérisés par le caractère temporaire. Il contestait la possibilité de requalifier son contrat de travail en contrat à durée indéterminée.
Le 8 juin 2011 Mme X... saisissait le Conseil de Prud'hommes de Pointe-à-Pitre aux fins de voir requalifier son contrat d'" extra " en contrat à durée indéterminée et obtenir une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ainsi que diverses indemnités de fin de contrat.
Par jugement du 26 avril 2012 la juridiction prud'homale déboutait Mme X... de toutes ses demandes et la condamnait aux dépens.
Par déclaration du 21 mai 2012, Mme X... interjetait appel de cette décision.
Par conclusions notifiées à la partie adverse le 4 février 2013, auxquelles il a été fait référence lors de l'audience des débats, Mme X... sollicite l'infirmation du jugement déféré et entend voir requalifier le contrat de travail oral en contrat de travail à durée indéterminée. Elle demande paiement par la Société SGHTA des sommes suivantes :-1 236, 75 euros à titre d'indemnité pour non respect de la procédure,-14 841 euros correspondants à 12 mois de salaire, à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,-2 473, 50 euros à titre d'indemnité de préavis,-7 420, 50 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement,-7 420, 50 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive,-2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
À l'appui de ses prétentions Mme X... expose qu'aucun contrat de travail écrit n'a jamais été établi. Elle invoque les dispositions de l'article 14 de la convention collective nationale du 30 avril 1997 selon lequel un " extra " qui se verrait confier par le même établissement des missions pendant plus de 60 jours dans un trimestre civil pourra demander la requalification de son contrat en contrat à durée indéterminée. Elle prétend qu'elle a travaillé 65 jours de juillet à septembre 2009, avant la suspension, en raison de son congé maternité, de son contrat de travail, ce congé ayant été suivi d'un congé parental d'un an.
Invoquant les dispositions des articles L. 1245-1 et L. 1242-12 du code du travail, elle fait valoir qu'aucun contrat de travail écrit n'existe et que des lors il convient de requalifier son contrat de travail oral en contrat de travail à durée indéterminée.
Faisant valoir que son contrat de travail a été suspendu pendant le congé de maternité et le congé parental qui a suivi, son employeur était tenu de lui proposer à son retour, soit son précédent emploi, soit un emploi similaire assorti d'une rémunération au moins équivalente ; l'employeur ne l'ayant pas reprise à l'issue de son congé parental malgré sa demande, elle explique que la rupture du contrat de travail a été effectuée sans entretien préalable au licenciement et sans notification de lettre de licenciement.
Par conclusions notifiées à la partie adverse le 28 mai 2013, auxquelles il a été fait référence lors de l'audience des débats, la Société SGHTA sollicite la confirmation du jugement entrepris en toutes ses dispositions. Elle entend voir juger que le contrat de travail a un caractère saisonnier et qu'aucune obligation de renouvellement n'est imposée.
La Société SGHTA explique que la relation de travail entre les parties à cesser depuis le 29 septembre 2009 à la demande de Mme X... et qu'il n'avait plus aucune réalité au moment de la saisine du conseil de prud'hommes.
Faisant valoir d'une part que les missions de Mme X... n'ont pas excédé 60 jours par trimestre, au-delà desquels la requalification est encourue, et d'autre part qu'elle rapporte la preuve de la réalité des contrats saisonniers signés par les parties, elle entend voir juger que la requalification ne peut être prononcée.
À titre subsidiaire la Société SGHTA demande qu'il soit constaté qu'aucun préjudice ne peut lui être imputé, et qu'en tous les cas, il ne saurait excéder les 6 mois des derniers salaires prévus par les dispositions de l'article L. 1235-3 du Code civil.
Motifs de la décision :
Sur la demande de requalification de la relation de travail :
Il résulte des dispositions des articles L. 1242-2 et D. 1242-1 du code du travail, que des contrats à durée déterminée peuvent être conclus pour les emplois pour lesquels il est d'usage constant de ne pas recourir au contrat à durée indéterminée en raison de la nature de l'activité exercée et du caractère par nature temporaire de ces emplois, notamment dans le secteur de l'hôtellerie et de la restauration.
Il résulte des dispositions de l'article L. 1242-8, L. 1244-1 et L. 1244-4 du code du travail, que la durée totale du contrat de travail saisonnier peut dépasser 18 mois, que des contrats de travail saisonniers successifs peuvent être conclus sans délai de carence entre ceux-ci.
Toutefois le contrat de travail saisonnier, même qualifié d'" extra " reste soumis aux dispositions de l'article L. 1242-12 du code du travail selon lequel le contrat de travail à durée déterminée est établi par écrit, à défaut de quoi il est réputé conclu pour une durée indéterminée.
La Société SGHTA verse aux débats les contrats de travail signés par Mme X... pour les années 2007, 2008 et 2009.
Pour la dernière année il est produit 18 contrats de travail souscrits pendant la période de janvier à septembre 2009. Pour chacun de ces 9 premiers mois de l'année il a été conclu deux contrats de travail portant au total sur 10 à 18 jours de travail par mois.
L'examen du premier contrat de travail de l'année 2009 est en date du 30 janvier 2009 et a été signé par l'employeur mais non par la salariée. Il porte sur des journées de travail effectuées du 16 au 20 janvier 2009, les 24, 25, 29 et 30 janvier 2009. Il en résulte comme le soutient Mme X..., que pour le 16 janvier 2009 et les journées de travail suivantes, Mme X... a été engagée par contrat verbal.
De même le contrat de travail signé le 13 février 2009 par l'employeur et le 9 mars 2009 par la salariée porte sur des journées de travail effectué les 1er, 2, 3, 7, 8, 9, 10, 12 et 13 février 2009. Il en résulte que Mme X... a été engagée par contrat verbal début février 2009, et que l'employeur n'a établi le contrat de travail que postérieurement à l'engagement de la salariée et n'a été signé par la salariée qu'après l'exécution de son contrat de travail.
Les mêmes constatations peuvent être faites pour les contrats de travail souscrits par la suite, le contrat de travail écrit n'étant établi et signé par les parties que postérieurement au début de l'exécution du contrat de travail et souvent le dernier jour dudit contrat.
Les mêmes observations peuvent être fait pour les contrats de travail souscrits en 2007 et 2008.
Il y a donc lieu de considérer que Mme X... a été, à chaque fois, embauchée verbalement, et qu'à posteriori l'employeur a entendu transformer le contrat de travail verbal à durée indéterminée en contrat à durée déterminée, étant relevé que lorsqu'il était proposé à Mme X... de régulariser à posteriori le contrat verbal, en signant un contrat d'" extra " ", elle était soumise à un lien de subordination et à une dépendance économique.
En tout état de cause, comme il a été dit ci-avant, le contrat de travail d'" extra " daté du 30 janvier 2009, portant sur la période du 16 au 30 janvier 2009 n'a jamais été signé par Mme X....
Ainsi il y a lieu de requalifier les contrats d'" extra " " de Mme X... en contrat à durée indéterminée.
Sur la rupture du contrat de travail :
Il n'est pas contesté par l'employeur que Mme X... l'a avisé de son congé maternité à partir du 29 septembre 2009, ainsi son contrat de travail s'est trouvé suspendu.
Elle lui a fait savoir ensuite, dès le 7 décembre 2009, qu'elle entendait prendre un an de congé pour être auprès de ses enfants, fournissant la photocopie de l'extrait de naissance de son dernier enfant. Dans son courrier elle qualifiait ce congé " de complément de libre choix d'activité ". En réalité cette mention fait référence à la possibilité pour la mère de l'enfant d'obtenir une allocation lorsqu'elle cesse de travailler ou opte pour un travail à temps partiel pour s'occuper de son enfant de moins de trois ans, cette allocation étant prévue par l'article L. 531-4 du code de la sécurité sociale.
Certes Mme X... n'a pas utilisé le terme de congé d'éducation parentale telle que prévu par les articles L. 1225-47 et suivants du code du travail et n'a pas respecté la forme du courrier recommandé avec avis de réception prévue par l'article R. 1225-13 du même code. Cependant elle en a respecté le délai de prévenance d'un mois et l'envoi d'une lettre recommandée n'est pas une formalité substantielle ; en l'espèce l'employeur ne conteste pas avoir réceptionné le courrier de Mme X....
L'information fournie à l'employeur par le courrier du 7 décembre 2009, correspond en fait à un congé parental d'éducation, Mme X... ayant mentionné le complément qui lui serait versé pendant ledit congé. Il doit être constaté que Mme X... remplissait la condition d'ancienneté d'un an au sein de l'entreprise, puisque selon les dispositions de l'article L. 1244-2, pour calculer l'ancienneté du salarié, les durées des contrats de travail à caractère saisonnier successifs sont cumulés.
En tout état de cause la lettre du 7 décembre 2009, ne constitue pas une manifestation claire et non équivoque emportant démission de la salariée, et aucun acte de rupture du contrat de travail n'est intervenu à la suite du dernier jour travaillé par Mme X..., le 28 septembre 2009, et ce jusqu'à l'expiration du délai d'un an suivant la fin du congé de maternité, soit le 18 janvier 2011, époque à laquelle l'employeur s'est opposé à la reprise d'activité de Mme X..., comme en attestent le courrier de celle-ci en date du 17 février 2011 et la réponse de l'employeur en date du 2 mars 2011.
L'employeur s'étant opposé, en janvier 2011, à la reprise, par Mme X..., de son emploi au sein de l'entreprise, il y a lieu de constater que la rupture du contrat de travail à l'initiative de l'employeur, sans convocation à un entretien préalable tel que prévu par les articles L. 1232-2 et suivants du code du travail, et sans lettre de licenciement motivée, s'analyse en un licenciement irrégulier en la forme et sans cause réelle et sérieuse.
Sur les demandes pécuniaires de Mme X... :
Mme X... ayant plus de deux ans d'ancienneté et l'entreprise employant habituellement plus de onze salariés, est fondée à réclamer l'indemnité minimale d'un montant équivalent aux six derniers mois de salaires, prévue par l'article L. 1235-3 du code du travail en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, c'est-à-dire en l'espèce la somme de 9 115, 77 euros.
Mme X... ne fournissant aucun élément permettant d'apprécier l'étendue du préjudice résultant de la rupture du contrat detravail, puisqu'elle n'a pas précisé la durée de la période de chômage qu'elle a pu subir, ni fourni aucune justification d'une telle période, son indemnisation sera limitée au minimum légal rappelé ci-dessus. Par ailleurs la rupture du contrat de travail n'étant pas caractérisée par des circonstances brutales et vexatoires, il ne peut être fait droit à sa demande de dommages et intérêts complémentaires qu'elle formule à hauteur de 7 420, 50 euros pour rupture abusive.
Les dispositions de l'article L. 1235-2 du code du travail, étant applicables à Mme X..., elle ne peut cumuler l'indemnité pour procédure irrégulière de licenciement, avec celle allouée pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. Elle doit donc être déboutée de sa demande d'indemnité pour procédure irrégulière de licenciement.
Mme X... ayant plus de deux ans d'ancienneté, a droit, en application des dispositions de l'article L. 1234-1 du code du travail, à une indemnité compensatrice de préavis équivalente à 2 mois de salaire. Il sera donc fait droit à la demande qu'elle formule à ce titre, à hauteur de la somme de 2 473, 50 euros.
Selon les dispositions de l'article 13 de la convention collective départementale des hôtels de Guadeloupe, régulièrement produite aux débats, Mme X... a droit ;- jusqu'à deux ans d'ancienneté, à 1/ 5 ème de mois de salaire par année d'ancienneté,- à 1/ 3 de mois de salaire de 2 ans à 5 ans d'ancienneté,- à un demi mois de salaire au-delà de 5 ans d'ancienneté, dans la limite totale de 6 mois de salaire.
Compte tenu des dispositions de l'article L. 1225-54 du code du travail, Mme X... ayant une ancienneté de 16 ans et demi à la date de la fin de son préavis, et son salaire moyen des trois derniers mois s'élevant à 1 542, 42 euros, il sera fait droit à sa demande d'indemnité conventionnelle de licenciement qu'elle formule à hauteur de 7 420, 50 euros.
Comme il paraît inéquitable de laisser à la charge de Mme X... les frais irrépétibles qu'elle a exposés tant en première instance qu'en cause d'appel, il lui sera alloué la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par ces motifs,
La cour statuant publiquement, par arrêt contradictoire et dernier ressort,
Réforme le jugement déféré,
Et statuant à nouveau,
Requalifie la relation de travail de Mme X... avec la Société SGHTA HOTEL FLEUR D'EPEE, en contrat de travail à durée indéterminée,
Dit que le licenciement de Mme X... est sans cause réelle et sérieuse,
Condamne la Société SGHTA HOTEL FLEUR D'EPEE à payer à Mme X... les sommes suivantes :
-9 115, 77 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
-2 473, 50 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,
-7 420, 50 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement,
-2 000 euros d'indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Dit que les entiers dépens sont à la charge de la Société SGHTA HOTEL FLEUR D'EPEE,
Déboute les parties de toute conclusion plus ample ou contraire.