MJB-VF
COUR D'APPEL DE BASSE-TERRE
CHAMBRE SOCIALE ARRET No 46 DU DIX HUIT FEVRIER DEUX MILLE TREIZE
AFFAIRE No : 12/ 00255
Décision déférée à la Cour : Jugement du Conseil de Prud'hommes de POINTE A PITRE du 29 novembre 2011- Section Commerce.
APPELANTE
SOCIETE DIFAG SAS Alfred Lumière Zi de Jarry 97122 BAIE MAHAULT Représentée par Maître MATRONE (SELARL DERAINE JEAN-MARC Toque 23), avocat au barreau de la Guadeloupe
INTIMÉE
Madame Claudine C.........97170 PETIT BOURG Comparante en personne
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 12 novembre 2012, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant M. Bernard ROUSSEAU, président de chambre et Mme Marie-Josée BOLNET, conseiller.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
M. Bernard ROUSSEAU, Président de chambre, M. Jean de ROMANS, conseiller, Mme Marie-Josée BOLNET, conseiller,
Les parties ont été avisées à l'issue des débats de ce que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour le 28 janvier 2013 date à laquelle le prononcé de l'arrêt a été prorogé au 18 février 2013
GREFFIER Lors des débats Mme Valérie FRANCILLETTE, greffier.
ARRET : Contradictoire, prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées conformément à l'article 450 al 2 du CPC. Signé par M. Bernard ROUSSEAU, président de chambre, président, et par Mme Valérie FRANCILLETTE, greffier, à laquelle la décision a été remise par le magistrat signataire.
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FAITS ET PROCÉDURE
Mme Claudine C... a été engagée par la société DIFAG, le 10 novembre 1998 par contrat à durée indéterminée, en qualité d'attachée commerciale.
Par courrier du 30 mai 2006 remis en main propre le 31 suivant, la société DIFAG a convoquée celle-ci à un entretien préalable à un éventuel licenciement, fixé au 08 juin suivant.
Par lettre recommandée avec avis de réception du 03 juillet 2006, Mme Claudine C... a été licenciée pour les motifs suivants : " insubordination, injures à l'encontre de son supérieur hiérarchique sur votre lieu de travail, comportement anormal et menaçant à son égard sur le lieu et pendant le temps de travail, violences et agressions réalisées avec objet dangereux. En effet, vous m'avez relaté par courrier en date du 15 mai 2006 une altercation intervenue entre vous-même et Monsieur D...au sujet d'un problème dans la rédaction d'un pro forma. Vous avez prétexté des moqueries de sa part à la suite d'une demande d'explications sur les références produites, pour justifier avoir, selon vous, claqué la porte de son bureau malgré l'interdiction qui vous était faite par ce dernier. Vous l'avez accusé de vous avoir attrapé par le cou à la suite de vos agissements, ce qui vous aurait prétendument occasionné les traumatismes relevés par un médecin consulté sur la zone de Jarry. J'ai été informé que vous avez déposé plainte contre ce dernier à la gendarmerie. Je n'ai pas connaissance à ce jour qu'une suite était réservée à cette plainte dont l'absence de sérieux apparaît évidente. J'ai en effet jugé nécessaire de procéder à quelques investigations avant de me prononcer dans un sens ou l'autre et j'ai interrogé Monsieur D...qui a contesté votre version des faits, m'indiquant qu ‘ en réalité vous étiez depuis quelques temps particulièrement agressive à son égard, que vous aviez un comportement impoli, voire autoritaire à son égard notamment lors de votre discussion du 15 mai 2006, au cours de laquelle, ainsi que vous le reconnaissez, vous-même dans votre rapport du 15 mai 2006, vous lui avez d'abord intimé de rentrer dans son bureau et de fermer sa porte, ce qui constituait à l'égard de votre responsable hiérarchique une insubordination caractérisée et un comportement menaçant, puis alors qu'il vous faisait part de son opposition la plus ferme, vous avez refermé cette porte. Monsieur D...m'ayant par ailleurs confirmé que c'est vous qui l'aviez agressé lorsqu'il a rouvert la porte de son bureau, j'ai alors interrogé le seul témoin de la scène en l'occurrence Monsieur E...et celui-ci m'a indiqué qu'étant monté pour se faire un café, il avait été témoin de votre altercation. Monsieur E...a attesté que vous aviez proféré des propos injurieux à l'égard de Monsieur D...et que vous aviez refermé sa porte, non pas une seule fois, mais à plusieurs reprises. Celui-ci l'ayant légitimement rouverte, vous avez été alors prise d'un accès de fureur et vous vous êtes précipitée sur lui avec un porte-mine à la main dans une position qui ne laissait aucun doute sur vos intentions de l'agresser physiquement. C'est à cette occasion qu'il vous a saisi les poignets pour se défendre et que Monsieur E...s'est interposé. Ainsi, contrairement à votre relation des faits, c'est manifestement vous qui avez eu une attitude provocatrice et un comportement tout à fait anormal à l'encontre de votre supérieur hiérarchique. Vous avez eu à son égard pendant le temps de travail et sur votre lieu de travail, un comportement d'une extrême violence ponctuée par une agression. De tels actes et une telle violence de votre part sur le lieu et pendant le temps de travail ne sont pas admissibles. C'est la raison pour laquelle je vous ai convoquée à un entretien préalable avec mise à pied conservatoire, de façon à éviter le renouvellement de tels faits, qui mettent en péril le fonctionnement de l'entreprise et plus particulièrement du service auquel vous appartenez. Compte tenu de la gravité des faits, votre maintien dans l'entreprise s'avère impossible. Le licenciement prendra donc effet à compter de la date de la présentation de ce courrier, sans indemnité de préavis ni de licenciement (...) ".
Contestant le bien-fondé de son licenciement, Mme Claudine C... a saisi le conseil de prud'hommes de Pointe-à-Pitre de diverses demandes, lequel, par jugement du 29 novembre 2011, en sa formation de départage :- sans retenir la faute grave, jugeait le licenciement de l'intéressée fondé sur une cause réelle et sérieuse et condamnait la société DIFAG à lui payer les sommes suivantes :-7 655, 82 € à titre d'indemnité de préavis,-3294, 45 € à titre de salaire brut du mois de juin 2006 (+ commission),-4350, 04 € à titre de commission de 2 % sur chiffre d'affaires encaissé et réalisé pendant la période de préavis de 3 mois sur référence du chiffre d'affaires 2005,-2041, 55 € à titre d'indemnité légale de licenciement,- déboutait les parties du surplus de leurs demandes en précisant ne pas faire application de l'article 700 du code de procédure civile et en laissant à chaque partie la charge de ses propres dépens.
la société DIFAG en interjeta appel par déclaration reçue au greffe de la cour le 05 octobre 2011
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Par conclusions remises le 08 octobre 2012 et développées à l'audience des plaidoiries du 12 novembre suivant, la société DIFAG demande à la cour, sur le fondement des articles L1222-1 et L1234-1 du code du travail, de constater que Mme Claudine C... a, le 15 mai 2006, bien commis les faits qui lui sont reprochés ; qu'ainsi, elle a manifesté une insubordination qui rendait impossible son maintien dans les effectifs de l'entreprise ; que les salariés de la société attestent des agissements fautifs de celle-ci ; de confirmer en conséquence le jugement du 29 novembre 2011 en ce qu'il a jugé que le licenciement de Mme C... repose sur un ensemble de faits imputables qui constituent une violation des obligations résultant du contrat ou de la relation de travail ; de constater que ces mêmes faits caractérisent indiscutablement la faute grave justifiant la rupture immédiate du contrat de travail, et en statuant à nouveau, d'infirmer le jugement du 29 novembre 2011 en ce qu'il l'a condamnée à payer à Mme Claudine C... les sommes rappelées ci-dessus, de débouter cette dernière de l'ensemble de ses demandes et de condamner la même au paiement de la somme de 2500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile eu égard à l'extrême mauvaise foi et le trouble engendré au sein de l'entreprise.
Elle invoque tout d'abord le jour du 15 mai 2006 au cours duquel Mme C... entrait sans raison et sans retenue dans une colère qui se manifestait par des insultes et une attitude provocatrice à l'égard de son supérieur hiérarchique, alors que Mr D...lui signalait des anomalies sur un document pro forma, les insultes de " connard " et de " nul " lancés par celle-ci en lui intimant l'ordre " d'aller se faire foutre " et " d'aller dans son box " et de " s'y enfermer', le fait qu'elle ordonnait à son supérieur hiérarchique de demeurer dans ce bureau, la porte fermée et que celui-ci, conservant son sang froid, refusait d'obéir et lui faisait savoir que la porte de son bureau resterait ouverte malgré son attitude répétée de vouloir à tout prix la fermer, et l'agression qu'elle lui porta avec un porte-mine, évitée de justesse par l'intervention d'un autre salarié, témoin de la scène.
Elle fait observer que ces agissements caractérisent la faute grave par leurs natures, insultes répétées, refus d'obéissance, attitude provocatrice et agression révélant la volonté délibérée de blesser aux yeux son supérieur hiérarchique avec un porte-mine, eu égard à la jurisprudence constante de diverses cours d'appel.
Elle indique par ailleurs que Mme C... ne produit aucun élément caractérisant l'existence de brimades de la part de Mr D...qui la pousserait à de tels actes ; que sa version des faits n'est que mensongère, ce qui est justifié par les diverses attestations versées aux débats et qu'il est vite apparu que son dépôt de plainte est resté à juste titre sans suite.
Elle soutient enfin qu'aucun acte vexatoire n'a été commis à l'encontre de Mme C... au moment de son licenciement ; qu'au contraire, c'est elle qui s'est signalée par son comportement injurieux à l'égard de son chef ; qu'elle n'est pas davantage fondée à solliciter l'indemnité de préavis en cas de faute grave et sans avoir exécuté ce préavis ; que les commissions sur chiffre d'affaires ne sont pas dues pour cette même raison et sans preuve rapportée par l'intéressée sur le montant du chiffre d'affaires en question, méconnaissant ainsi les dispositions de l'article 9 du code de procédure civile ; que l'indemnité de licenciement et le salaire de juin 2006 ne se justifient plus en cas de faute grave.
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Par conclusions soutenues oralement à l'audience des plaidoiries, Mme Claudine C... demande à la cour, sur le fondement des articles L1243-1, L1243-2, L1243, L1233-4 du code du travail : * de dire et juger qu'aucun des griefs allégués par la société DiFAG n'est exact, clairement caractérisé, établi et suffisamment pertinent au sens de la jurisprudence pour retenir la faute grave et justifier une rupture immédiate du contrat de travail, * de dire et juger que son licenciement est alors sans cause réelle et sérieuse, * de débouter la société DiFAG de l'intégralité de ses prétentions et conclusions, * de condamner celle-ci aux sommes suivantes :-7655, 82 € au titre de l'indemnité compensatrice de préavis de trois mois,-3294, 45 € au titre du salaire brut du mois de juin 2006 + commissions,-4350, 04 € à titre de commissions de 2 % sur le chiffre d'affaires encaissé et réalisé pendant le préavis de 3 mois par référence au chiffre d'affaires 2006,-2041, 55 € au titre de l'indemnité légale de licenciement,-15311, 64 € au titre de l'indemnité pour licenciement abusif,-30623, 28 € à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral et physique,-4252, 32 € au titre du préjudice matériel,-2300 € sur le fondement de l'article 700 du NPC, * d'ordonner l'exécution provisoire du jugement à intervenir, * condamner la société DIFAG aux dépens.
Elle rappelle en premier lieu que la société DIFAG a fait preuve d'une mauvaise foi indiscutable en trompant la juridiction du premier degré ainsi qu'elle-même sur sa volonté de trouver une issue amiable au litige, cherchant uniquement à gagner du temps pour voir enterrer l'affaire.
Elle rappelle également qu'à partir de février 2004, elle relevait des anomalies sur ses commissions et sur sa prime de transport qui, maintes fois signalées à la Direction, devaient finalement donner lieu à une réclamation écrite pour un montant de 2154, 66 €, restée sans suite ; que Mr D...lui imposait une rigidité de tarifs pour ses clients ce qui lui faisait perdre des marchés, alors qu'il accordait des remises substantielles pour ses propres dossiers et ceux récupérés de son portefeuille ; que malgré ses bons résultats, elle était confrontée à des difficultés liées au passage obligé de tous ses actes de gestion par le secrétariat, et à une prétendue panne d'ordinateur, la privant ainsi de son outil de travail, premiers éléments révélant le contexte dans le quel prenaient naissance ses différends avec Mr D....
Elle soutient que le fait de fermer une porte le15 mai 2006 malgré une demande contraire d'un supérieur hiérarchique, ne peut s'apprécier comme un fait constitutif d'insubordination, conformément à une jurisprudence constante, sans tenir compte du comportement du salarié (acte isolé ou non) et des circonstances ; qu'en l'espèce, l'échange entre les deux parties s'est dégradé puisque que Mr D...dépassait les limites de la liberté d'expression, usant de vulgarités touchant sa dignité de femme ; que voulant se protéger elle a fermé la porte du bureau de son chef qui n'a pas hésité à la menacer en tenant les propos suivants " si tu fermes cette porte, quelque chose va t'arriver aujourd'hui " ; que défiant à juste titre celui-ci, elle a refermé cette porte pour éviter des insanités et à cet instant, elle a ressenti une douleur aux cervicales, Mr D...venait de lui porter les mains au cou en exerçant une forte pression.
Elle précise que les autres griefs, injures à l'encontre du supérieur hiérarchique, comportement anormal et menaçant à son égard, violences et agression réalisées avec objets dangereux, ne sont pas justifiés, la société DIFAG s'appuyant sur des témoignages douteux, étant de surcroît l'employeur de la famille E..., Richard, Frandiane et Jocelyn ; que par ailleurs, le seul témoin ne pouvait assister au fait étant de dos au moment de l'altercation ; que les constatations faites par le médecin le 15 mars 2006 (traces au cou) sont en totale opposition avec la version de Mr D...et de ce témoin qui ne dit pas la vérité, s'exclamant d'ailleurs ainsi au moment des faits : " Edmond qu'est-ce tu fais " ; qu'à aucun moment, l'employeur n'a procédé à un confrontation entre les intéressés pour rechercher la vérité.
Elle fait observer à la cour que Mr D...avait également porté plainte contre elle et qu'elle-même ayant refusé la médiation pénale proposée, aucune suite n'a été réservée au dépôt de plainte de ce dernier ; que depuis l'agression violente du 15 mai 2006, sa santé s'est considérablement aggravée entraînant une médication lourde avec une prise en charge à 100 %.
MOTIVATION DE LA DÉCISION
Sur la communication d'une pièce
Attendu que l'examen des pièces de Mme Claudine C... révèle que celle-ci a intégré dans son dossier un procès-verbal de signification et d'interpellation de saisie-attribution relatif aux comptes bancaires de la société DIFAG aux fins de signaler à la cour l'état de cessation de paiement de cette dernière ;
Attendu qu'il est établi que ce document n'a pas été porté à la connaissance de la société DIFAG alors que l'ordonnance rendue le 17 septembre 2012 par le magistrat chargé d'instruire l'affaire faisait obligation à Mme C... de communiquer toutes ses pièces à la partie appelante ;
que dès lors, en l'absence d'une telle communication, il convient d'exclure cette pièce pour apprécier le bien fondé des demandes de l'intimée.
Sur la rupture du contrat pour faute grave
Attendu que la faute grave s'analyse comme un manquement intolérable rendant impossible la poursuite des relations contractuelles ;
Attendu que les termes de la lettre de licenciement fixent les limites du litige ;
Attendu qu'en l'espèce, les faits reprochés à Mme C... sont l'insubordination, un comportement anormal et menaçant à l'égard de son supérieur hiérarchique, Mr D..., des insultes proférées à son encontre et surtout son agression physique avec un porte-mine ;
Attendu que ces faits, amplement justifiés par les pièces présentées par l'appelante et non démentis par documents contraires de l'intimée, sont constitutifs d'une faute dont la gravité doit être retenue en raison de l'acharnement de Mme C... à vouloir fermer la porte du bureau de son supérieur hiérarchique, contre son gré, et de la violence verbale et physique que celle-ci a manifesté à son égard ; que les déclarations de Mr E...Richard, seul témoin oculaire, traduisent cette gravité lorsqu'il dit que " la salariée tenait des propos injurieux envers Mr D..., son supérieur hiérarchique, en lui ordonnant de rester dans " son box " (son bureau) et de s'y enfermer, que ce dernier voulait garder sa porte ouverte alors que Mme C... la refermait à plusieurs reprises, que devant la résistance du supérieur hiérarchique, la salariée a eu une réaction de furie et s'est précipitée sur lui en brandissant un porte-mine à la main de manière dangereuse pouvant entraîner la blessure d'un oeil, que Mr D...a dû la saisir par les poignets pour éviter le pire, ce qui a nécessité son intervention pour séparer les antagonistes " ;
qu'il convient en conséquence d'infirmer le jugement querellé, de dire que le licenciement de Mme C... est fondé sur une faute grave et de rejeter les demandes financières de cette dernière, à savoir le salaire de juin 2006, les commissions de 2 % sur chiffres d'affaires correspondant à la période de préavis, l'indemnité légale de licenciement, l'indemnité pour licenciement abusif, les dommages et intérêts pour préjudice distinct moral et physique, et pour préjudice matériel.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant publiquement, après en avoir délibéré, par arrêt contradictoire rendu en dernier ressort :
Infirme le jugement du 29 novembre 2011 ;
Et statuant à nouveau,
Dit que le procès-verbal de saisie-attribution produit par Mme Claudine C... et non communiqué à la société DIFAG est exclu de tout examen ;
Dit que le licenciement de Mme Claudine C... est justifié par une faute grave ;
Rejette en conséquence l'ensemble de ses demandes ;
Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne Mme Claudine C... aux éventuels dépens ;
Le greffierLe président