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05/03/2012 | FRANCE | N°10/01657

France | France, Cour d'appel de Basse-Terre, Chambre sociale, 05 mars 2012, 10/01657


COUR D'APPEL DE BASSE-TERRE
CHAMBRE SOCIALE ARRET No 221 DU QUATRE JUIN DEUX MILLE DOUZE

AFFAIRE No : 10/ 01657
Décision déférée à la Cour : jugement du Conseil de Prud'hommes BASSE-TERRE du 30 juin 2010.

APPELANTE
LA SARL FAIR POINT GAZ C/ o DSL Lieudit Galisbay 97150 SAINT-MARTIN Représentée par Maître Sandrine JABOULEY-DELAHAYE (Toque 13), avocat au barreau de la Guadeloupe

INTIMÉE
Madame Adeline X...... ... 97150 SAINT-MARTIN Représentée par Maître Clodine LACAVÉ (Toque 58) substituée par Maître Roland EZELIN, avocats au barreau de la

Guadeloupe

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 5 mars 2012, en audience...

COUR D'APPEL DE BASSE-TERRE
CHAMBRE SOCIALE ARRET No 221 DU QUATRE JUIN DEUX MILLE DOUZE

AFFAIRE No : 10/ 01657
Décision déférée à la Cour : jugement du Conseil de Prud'hommes BASSE-TERRE du 30 juin 2010.

APPELANTE
LA SARL FAIR POINT GAZ C/ o DSL Lieudit Galisbay 97150 SAINT-MARTIN Représentée par Maître Sandrine JABOULEY-DELAHAYE (Toque 13), avocat au barreau de la Guadeloupe

INTIMÉE
Madame Adeline X...... ... 97150 SAINT-MARTIN Représentée par Maître Clodine LACAVÉ (Toque 58) substituée par Maître Roland EZELIN, avocats au barreau de la Guadeloupe

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 5 mars 2012, en audience publique, devant la Cour composée de :

M. Bernard ROUSSEAU, Président de chambre, président, M. Jacques FOUASSE, conseiller, rapporteur Mme Marie-Josée BOLNET, conseillère. qui en ont délibéré.

Les parties ont été avisées à l'issue des débats de ce que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour le 4 juin 2012
GREFFIER Lors des débats Mme Maryse PLOMQUITTE, Greffière.
ARRET :
Contradictoire, prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées conformément à l'article 450 al 2 du CPC. Signé par M. Bernard ROUSSEAU, Président de chambre, président, et par Mme Juliette GERAN, Adjointe administrative faisant fonction de greffière, à laquelle la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS et PROCEDURE :
La SARL FAIR POINT GAZ exploite une station service, localisée en partie française de l'île de Saint-Martin. Mademoiselle Adeline X... a été engagée au sein de la SARL FAIR POINT GAZ, le 1er octobre 2000, en qualité de caissière polyvalente à temps partiel initialement, puis à temps plein.
Ce poste implique les tâches suivantes :
1. encaissement des carburants, 2. surveillance générale de la station (impliquant la vérification que les branchements soient dégagés, que les citernes approvisionnent régulièrement, détection de problèmes relatifs à la sécurité éventuellement, etc) 3. aide ponctuelle aux pompes, en cas de problèmes, 4. vérification de la propreté de la station, approvisionnement des rayons et frigos de la station,

A l'occasion de la clôture des comptes 2004, l'expert-comptable de la société FAIR POINT GAZ devait constater une diminution sensible des marges commerciales de la société et devait attirer l'attention des dirigeants sur ce point.
Par un rapport du 4 novembre 2005, l'expert-comptable exposait ce qui constituait, selon lui, une des causes du problème : des opérations très régulières voire journalières de « remise en cuve », opération qui permettait au responsable de l'opération d'encaisser la vente pour son propre compte.
Le montant total des remises en cuve entre janvier 2004 et septembre 2005, se montait à 58. 434, 40 €.
Par rapprochement des plannings d'intervention, l'expert-comptable Monsieur B... relevait que dans la quasi majorité des jours (296 sur 299) où des remises en cuve avaient été faites, il s'agissait des jours où Mademoiselle X... était en poste.
Estimant Melle X... responsable de ces détournements, la SARL FAIR POINT GAZ portait plainte contre X à la gendarmerie le 15 novembre 2005 et licenciait Melle X... pour faute lourde par lettre du 6 décembre 2005.
Contestant ce licenciement, Melle X... saisissait la juridiction prud'homale.
Par jugement du 30 juin 2010, le Conseil de prud'hommes de BASSE-TERRE :
CONDAMNE la S. A. R. L. FAIR POINT GAZ à payer à Mademoiselle Adeline X..., les sommes suivantes :
- SEPT MILLE CINQ CENT ONZE EUROS ET VINGT SIX CENTS (7. 511, 26 Euros) à titre des indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- TROIS MILLE CINQ CENT VINGT ET UN EUROS ET VINOT CINQ CENTS (3. 521, 25 Euros) à titre d'indemnité de licenciement,

- MILLE TROIS CENT CINQUANTE NEUF EUROS ET QUATRE VINGT SEPT CENTS (1. 359, 87 Euros) à titre d'indemnité compensatrice de congés payés,

- DEUX MILLE HUIT CENT SEIZE EUROS ET DOUZE CENTS (2. 816, 12 Euros) à titre d'indemnité compensatrice de préavis ;
- SEPT MILLE CINQ CENT ONZE EUROS ET VINGT SIX CENTS (7 511, 26 Euros) à titre de dommages-intérêts pour rupture abusive ;
- CINQ MILLE EUROS (5. 000, 00 Euros) à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral
-DEUX MILLE EUROS (2. 000, 00 Euros) en application de l'article 700 du Code de Procédure civile,

Par déclaration déposée au greffe le 3 septembre 2010, la société FAIR POINT GAZ a relevé appel de ce jugement.

MOYENS et DEMANDES des PARTIES :

La SARL FAIR POINT GAZ par conclusions déposées le 22 novembre 2011 et reprises oralement à l'audience, fait valoir au soutien de son appel, que :
- la procédure prud'homale est une procédure sans représentation obligatoire et ne peut se voir appliquer l'article 915 (ancien) du Code de Procédure Civile,
- une diminution de la marge commerciale sur l'exercice 2004, et des dysfonctionnements dans la gestion ont été constatées par l'employeur. Suite au rapport du 4 novembre 2005 du cabinet d'expertise comptable, il est apparu que des remises en cuve avaient été réalisées de façon très fréquentes alors que ces opérations de remise en cuve doivent rester exceptionnelles. Or, sur l'exercice 2004, il y a eu 153 opérations de remise en cuve, représentant 40. 069 litres, pour une valeur d'environ 28. 440, 00 € et de janvier à septembre 2005, il y a eu 146 opérations de remise en cuve, représentant plus de 39. 090 litres, pour une valeur d'environ 29. 994, 00 €.
- il est relevé qu'après recherche des causes de cette situation anormale, et en rapprochant les jours de remise en cuve avec les plannings des salariés, le nom de Mme X... apparaît systématiquement. En fait, le Cabinet d'expertise comptable relève que les remises en cuve sont pratiquées exclusivement les jours où Mme X... est présente.
- contrairement à ce que Mademoiselle X... indique, elle n'a pas été mise hors de cause au pénal dans ce dossier : l'affaire a été simplement classée sans suite, sans autre explications. I1 semblerait que le dossier ait été trop fastidieux à vérifier.

La SARL FAIR POINT GAZ demande à la Cour :

DIRE ET JUGER que le licenciement de Mademoiselle X... repose sur une faute lourde, réelle et sérieuse.
DEBOUTER Mademoiselle X... de l'ensemble de ses demandes,
CONDAMNER Mademoiselle X... à payer à la SARL FAIR POINT GAZ, la somme de 3. 500, 00 € en application de l'article 700 du Code de Procédure Civile, ainsi qu'aux entiers dépens d'instance et d'appel.

Mademoiselle X... Adeline, par conclusions déposées le 30 septembre 2011 et reprises oralement à l'audience expose que :

- l'enquête qui s'est déroulée au sein de la station FAIR POINT qui a permis d'examiner sur les lieux toutes les explications soutenues par la SARL FAIR POINT dans chacun de ses éléments et auprès de chacune des personnes en cause, ne peut se voir ni reprise, ni contestée à travers des conclusions d'avocats.
- aucun élément n'a été retenu contre cette salariée qui n'a pas été mise en examen,
- l'employeur ne rapporte pas la preuve des motifs retenus pour décider de ce licenciement qui est donc purement abusif.

Mademoiselle X... Adeline demande à la Cour :

CONFIRMER le jugement,
Condamner la SARL FAIR POINT à lui payer la somme de 3 000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi que les entiers dépens.

L'affaire a été appelée et retenue à l'audience du 5 mars 2012.

MOTIFS de la DECISION :

A l'occasion de la clôture des comptes 2004, l'expert-comptable de la société FAIR POINT GAS devait constater une diminution sensible des marges commerciales de la société, et devait attirer l'attention des dirigeants sur ce point. Finalement, et par un rapport en date du 4 novembre 2005, l'expert-comptable devait livrer ses conclusions, et mettre en exergue une des causes du problème : des opérations très régulières voire journalières de « remise en cuve ».
Ceci voulait dire que régulièrement voire journellement, un employé appuyait physiquement sur le bouton « Remise en cuve » afin de neutraliser une distribution de carburant. Ceci permettait au responsable de l'opération d'encaisser la vente pour son propre compte. Le montant total des remises en cuve entre janvier 2004 et septembre 2005, se montait à 58. 434, 40 €, Ce montant correspond à 299 opérations (entendu 299 journées d'intervention) de remises en cuve, et 79. 160, 63 litres de carburants. Normalement, durant cette période, les opérations de remise en cuve n'auraient pas dû dépasser 4 opérations de contrôle, avec remise physique du carburant dans les cuves.
La lettre de licenciement adressée à Mademoiselle X... indique :
« Nous avions constaté une diminution de notre marge commerciale sur l'exercice 2004, et des dysfonctionnements dans notre gestion, mais nous n'arrivions pas à en déterminer les causes.
Nous avons donc missionné un cabinet d'expertise comptable, afin de nous aider.
Ce cabinet vient de nous établir un rapport, en date du 4 novembre 2005. Dans le cadre de l'étude, notamment, des tickets journaliers de caisse, il est apparu des remises en cuve, très fréquentes, qui ont attiré l'attention. Notre cabinet d'expertise comptable relève que ces opérations de remise en cuve doivent rester exceptionnelles. Or :

- sur l'exercice 2004, il y a eu 153 opérations de remise en cuve, représentant 40. 069 litres, pour une valeur d'environ 28. 440, 00 €
- de janvier à septembre 2005 : il y a eu 146 opérations de remise en cuve, représentant plus de 39. 090 litres, pour une valeur d'environ 29. 994, 00 €

1l est relevé qu'après recherche des causes de cette situation anormale, et en rapprochant les jours de remise en cuve avec les plannings des salariés, votre nom apparaît systématiquement.

En fait, ce Cabinet d'expertise comptable relève que les remises en cuve sont pratiquées exclusivement les jours où vous êtes présente.
Vous seriez donc à l'origine de ces manipulations tant techniques qu'administratives, correspondant à des remises en cuve, et ayant pour finalités la disparition d'encaissements.
Nous avons déposé plainte auprès de la gendarmerie, concernant ces faits.
Durant l'entretien préalable, vous avez nié les faits, indiquant que la secrétaire pouvait être à l'origine de ces manipulations, lorsque vous vous absentiez (notamment pour aller aux toilettes), ou n'importe qui d'autre quand vous aviez le dos tourné.

I1 s'avère que ces autres personnes que vous accusez auraient dû être vigilantes à ne faire ces manipulations que lorsque vous êtes au planning !

En effet, reprenant le listing d'analyse des plannings des salariés, comparé avec les jours de remise en cuve, quelque soit la personne travaillant avec vous, qui est différente, les jours de remise en cuve sont quasi-systématiquement les jours où vous travaillez, de janvier 2004 à septembre 2005, étant tout de même précisé que les remises en cuve ne concernent pas systématiquement tous les jours où vous avez travaillé.
Sur cette période, il n'y a que trois jours où vous ne travailliez pas et où il y a eu des remises en cuve, contre environ 300 jours où vous travailliez et où des remises en cuve ont été faites.
Par conséquent, vos observations consistant à tenter de jeter le trouble sur vos collègues de travail, et à diluer les responsabilités, ne sont pas suffisantes pour écarter les griefs retenus à votre encontre.
L'analyse des remises en cuve, sur presque deux années, démontre un détournement de fonds suffisamment important pour nuire de façon grave à notre petite entreprise.
Nous devons donc prendre la décision de vous licencier pour faute lourde, car votre maintien au sein de notre entreprise ne s'avère pas possible (…) »

L'opération dite de « remise en cuve » ne doit être effectuée que ponctuellement (une à deux fois par an), et par un technicien appartenant à une entreprise prestataire extérieure nommée PETROLEUM TECHNICS, en collaboration avec le caissière de service.

II s'agit pour ce technicien de la société en charge de la maintenance des pompes et du calibrage technique du matériel, pour procéder à la vérification des compteurs des pompes de se munir d'un jerrican doseur, de se servir normalement du carburant dans ce jerrican, et de vérifier que la quantité mentionnée dans son jerrican est la même quantité que celle indiquée sur le compteur de la pompe.
Ensuite, il doit reverser physiquement lui-même, dans les cuves, l'essence contenue dans le jerrican. Du côté de la caissière, son ordinateur indique qu'une pompe a servi plusieurs litres de carburant. Elle doit donc justifier de l'encaissement de cette livraison. Comme le technicien a remis physiquement l'essence ou le carburant dans la cuve, il a neutralisé la livraison. La caissière doit, alors, à son tour, neutraliser la vente, pour ne pas fausser les comptes. Elle appuie alors sur un bouton de son clavier, mentionnant « cuve », ce qui signifie « annulation de la vente ». Ainsi, en fin de poste, la vente a été neutralisée.

En l'espèce. Monsieur B..., l'expert-comptable, relève qu'entre janvier 2004 et septembre 2005, il y aurait eu mentionné sur les tickets de livraison carburant journaliers, dits tickets JC, 299 opérations de remise en cuve, là où il y aurait dû en avoir moins de 4, l'expert-comptable expliquant que les contrôles des pompes n'interviennent que 2 fois par an au maximum. Il ajoute que ces opérations correspondraient à 79. 160, 63 litres de carburants pour une valeur de 58. 434, 40 € (étalées sur 21 mois, soit en moyenne 2. 783 € par mois)..

Selon le rapport de l'expert-comptable, le rapprochement des plannings entre janvier 2004 et septembre 2005 devait faire apparaître un point commun : la quasi majorité (296 sur 299) des opérations de remise en cuve avait été effectuée lorsque Mademoiselle X... était présente.
A la lecture des pièces comptables, on constate que la marge avait diminué de 31. 2 % en 2003 à 22. 3 % en 2004 et 23, 5 % en 2005 mais que suite au départ de Mademoiselle X..., cette marge est remontée à 33, 6 % en 2006.
L'expert-comptable Monsieur B... dans son rapport établi le 4 novembre 2005 note également :
« La procédure de remise en cuve permet donc de mettre en adéquation les ventes véritables avec les encaissements réels.
Compte tenu des particularités de ces opérations, elles ne devraient être que très exceptionnelles
Cette situation est totalement anormale.
En rapprochant les jours de remise en « CUVE » et le planning hebdomadaire de travail et ou « le cas échéant les fiches de pointage de vos employés, nous constatons que ces opérations ont été réalisées quasi exclusivement les jours où une caissière particulière était de service (Mlle X... A.).
La Cour constate que le tableau des permanences de Melle X... et la liste des jours où ont été opérées des remise en cuve, de façon très importantes (296 sur 299), révèle que Melle X... se trouvait alors en service, et seule chargée de la caisse
La faute de Mme X... est donc clairement établie.
L'autorité de la chose jugée au pénal ne s'attache qu'aux décisions définitives des juridictions de jugement qui statuent sur le fond de l'action publique et il appartient au juge de vérifier le comportement fautif reproché au salarié ainsi que d'apprécier le caractère réel et sérieux des motifs de licenciement invoqués par l'employeur.
Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, la Cour estime que la faute de Mme X... est clairement établie et que c'est à bon droit que l'employeur a licencié Melle X... Adeline pour faute lourde.
Le jugement dont appel sera en conséquence infirmé, et Melle X... déboutée de l'ensemble de ses demandes.

- sur les frais irrépétibles :

Il serait inéquitable de laisser à la charge de l'intimée les frais engagés en cause d'appel.

PAR CES MOTIFS :

La Cour :
Infirme le jugement,
Statuant à nouveau,
Déboute Melle X... de l'ensemble de ses demandes,
Condamne Melle X... au paiement de la somme de 500 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, outre les éventuels dépens.

Le Greffier, Le Président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Basse-Terre
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 10/01657
Date de la décision : 05/03/2012
Sens de l'arrêt : Délibéré pour mise à disposition de la décision
Type d'affaire : Sociale

Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.basse-terre;arret;2012-03-05;10.01657 ?
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