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16/11/2009 | FRANCE | N°08/01283

France | France, Cour d'appel de Basse-Terre, 1ère chambre civile, 16 novembre 2009, 08/01283


COUR D'APPEL DE BASSE-TERRE



1ère CHAMBRE CIVILE



ARRÊT N° 906 DU 16 NOVEMBRE 2009



R.G : 08/01283



Décision déférée à la Cour : Jugement du tribunal de grande instance de BASSE TERRE, décision attaquée en date du 26 juin 2008, enregistrée sous le n° 06/00017





APPELANTS :



S.A.R.L. FJCG - SARL

Chez LOCADRESS

[Adresse 10]

[Localité 14]

Représentée par Me Pascal Alexis LUCIANI, avocat au barreau de GRASSE, avocat plaidant, et Me Myriam WIN-BOMPARD (TOQUE 114), a

vocat au barreau de GUADELOUPE, avocat postulant





Monsieur [A] [Y] [T] [W]

[Adresse 11]

[Localité 3]

Représenté par Me Pascal Alexis LUCIANI, avocat au barre...

COUR D'APPEL DE BASSE-TERRE

1ère CHAMBRE CIVILE

ARRÊT N° 906 DU 16 NOVEMBRE 2009

R.G : 08/01283

Décision déférée à la Cour : Jugement du tribunal de grande instance de BASSE TERRE, décision attaquée en date du 26 juin 2008, enregistrée sous le n° 06/00017

APPELANTS :

S.A.R.L. FJCG - SARL

Chez LOCADRESS

[Adresse 10]

[Localité 14]

Représentée par Me Pascal Alexis LUCIANI, avocat au barreau de GRASSE, avocat plaidant, et Me Myriam WIN-BOMPARD (TOQUE 114), avocat au barreau de GUADELOUPE, avocat postulant

Monsieur [A] [Y] [T] [W]

[Adresse 11]

[Localité 3]

Représenté par Me Pascal Alexis LUCIANI, avocat au barreau de GRASSE, avocat plaidant, et Me Myriam WIN-BOMPARD (TOQUE 114), avocat au barreau de GUADELOUPE, avocat postulant

Madame [O] [N] [U] épouse [W]

[Adresse 11]

[Localité 3]

Représentée par Me Pascal Alexis LUCIANI, avocat au barreau de GRASSE, avocat plaidant, et Me Myriam WIN-BOMPARD (TOQUE 114), avocat au barreau de GUADELOUPE, avocat postulant

INTIMÉES :

SCP [S]-[F]-[E]-[I]-[Z] ET [D]

[Adresse 13] -

[Adresse 13]

[Localité 14]

Représentée par la SCP PAYEN-PRADINES (TOQUE 74), avocats au barreau de GUADELOUPE

LA COMPAGNIE LES MUTUELLES DU MANS ASSURANCES IARD

[Adresse 1]

[Localité 5]

Représentée par la SCP PAYEN-PRADINES (TOQUE 74), avocats au barreau de GUADELOUPE

SARL CLASA

[Adresse 2]

[Localité 6]

Représentée par Me Bertrand CHAUCHAT, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, et Me Georges JULIN (TOQUE 55), avocat au barreau de GUADELOUPE, avocat postulant

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 21 septembre 2009, en audience publique,devant la cour composée de :

M. Jean-Luc POISOT, président de chambre, rapporteur,

Mme Marie-Hélène CABANNES, conseillère,

M. Pierre RICHARD, conseiller.

qui en ont délibéré.

Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour le 16 novembre 2009.

GREFFIER :

Lors des débats: Mme Murielle LOYSON, adjointe administrative, faisant fonction de greffière, serment préalablement prêté.

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées conformément à l'article 450 al 2 du code de procédure civile.

Signé par M. Jean-Luc POISOT, président de chambre, et par Mme Murielle LOYSON, adjointe administrative, faisant fonction de greffière, à laquelle la décision a été remise par le magistrat signataire.

La société Clasa a fait édifier dans l'île de [Localité 14] la première tranche d'un ensemble immobilier à usage de résidence hôtelière, dénommé Hôtel [Adresse 9], au lieudit [Localité 8], revendu sous forme de lots de copropriété à des investisseurs bénéficiant des dispositions fiscales prévues par la 'loi Pons'.

Dans le cadre de cette opération, la SCP de notaires [X] [S], [L] [S] et [C], devenue actuellement la SCP [S], [F]-[E], [Z] (la SCP) est intervenue pour établir :

Le 20 décembre 1989, les statuts de la société à responsabilité limitée FJCG, en vertu d'une procuration de M. et Mme [W] datée du 6 octobre 1989

Le 22 décembre 1989, l'acte de vente par la société Clasa à la société FJCG des lots de copropriété n° 32 et 33, les millièmes de copropriété qui y sont attachés et le mobilier garnissant ces lots et ce au prix de 1 880 000 F.

Soutenant que l'acte de vente était nul dès lors qu'elle n'avait aucune existence juridique avant son immatriculation au registre du commerce et des sociétés (RCS) effectuée le 28 décembre 1989, la société FJCG et les époux [W] ont fait assigner, par actes d'huissier de justice du 25 novembre 2005, devant le tribunal de grande instance de Basse-Terre la SCP [S] [F]-[E] et [Z], la société Clasa, en demandant, aux termes de leurs dernières écritures, à cette juridiction :

prononcer la résolution de l'acte de vente des lots n° 32 et 33 dépendant d'un immeuble cadastré à Saint-Martin, section AW n° [Cadastre 4], régularisée par acte notarié de la SCP [S]-[F]-[Z] en date du 22 décembre 1989 entre la société FJCG et la société Clasa,

constater la nullité du contrat d'adhésion au GIE [Adresse 9] et dire en conséquence que l'adhésion n'a jamais produit ses effets

condamner en conséquence le GIE [Adresse 9] à rembourser à la société FJCG, les sommes indûment versées, puisque sans cause

condamner la SCP [S], [F]-[E] et [Z] à lui rembourser les versements effectués au titre du prêt et des frais afférents à l'opération de défiscalisation, outre les intérêts de droit, ainsi qu'une somme de 152 450 € à titre de dommages et intérêts

condamner la SCP [S], [F]-[E] et Balzame à payer une somme de 100 000 € aux époux [W] à titre de dommages et intérêts

condamner la SCP [S]-[F]-[E] et [Z] à payer une somme de 15 245 € par application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

La SCP [S], [F]-[E], [I], [Z], [D] et la compagnie les Mutuelles du Mans Assurances IARD ont demandé pour leur part au tribunal de grande instance de :

déclarer irrecevable la demande en nullité de l'acte de vente conclu le 22 décembre 1989 ainsi que l'action en responsabilité notariale, par acquisition de la prescription prévue par l'article L 110-4 du code de commerce dérogeant à l'article 2262 du code civil, ou subsidiairement faute de publication de la demande conformément à l'article 30-5°) du décret du 4 janvier 1955

débouter les demandeurs de leur action en responsabilité notariale, en invoquant l'absence de faute et de préjudice et en se prévalant notamment du consentement de la société FJCG à la vente prétendument viciée, après son immatriculation, qui se serait manifestée par la jouissance du bien vendu, le paiement des charges et la perception des revenus ainsi que par le remboursement de l'emprunt ayant servi au financement de l'opération

condamner les demandeurs, in solidum, à payer à la SCP notariale, une somme de 150 000 € à titre de dommages et intérêts, ainsi qu'une somme de 30 000 € par application de l'article 700 du code de procédure civile

La société Clasa a déposé des conclusions le 5 septembre 2007 tendant à faire :

déclarer prescrite l'action en nullité engagée par la société FJCG, par application de l'article L 110-4 du code de commerce, les obligations nées de la vente entre les deux sociétés commerciales à l'occasion de leur activité commerciale étant soumise à la prescription décennale

constater subsidiairement que la société FJCG a ratifié la vente conclue alors qu'elle était en cours de formation, ou qu'elle a, à tout le moins, confirmé la vente en exécutant sans réserve, étant précisé que la société FJCG ne peut se prévaloir du défaut de transfert de l'autorisation d'occupation du domaine public qui a été réalisé au profit du syndicat des copropriétaires de [Adresse 9] par arrêté du 10 septembre 1998 faisant suite à une demande du 28 mai 1990

en cas d'annulation de la vente, condamner les époux [W], à réparer le préjudice qui résulterait pour elle, d'une annulation de la vente à laquelle les époux [W] sont intervenus avec la plus parfaite mauvaise foi, et avant dire droit de chef, d'une part ordonner une mesure d'expertise afin de déterminer la valeur actuelle des lots 32 et 33, d'autre part les condamner à lui payer une provision de 286 604 €

en cas d'annulation de la vente, condamner la SCP notariale et son assureur solidairement avec les époux [W] à lui payer les dommages et intérêts alloués, dès lors qu'il lui appartenait de s'assurer de l'efficacité de l'acte en cause

condamner la société FJCG et les époux [W], in solidum, à lui payer une somme de 15 000 € à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive ainsi qu'une somme de 15 000€ par application de l'article 700 du code de procédure civile.

Par jugement du 26 juin 2008, le tribunal de grande instance a:

dit n'y avoir lieu à révocation de l'ordonnance de clôture du 10 mai 2007

écarté des débats toutes les écritures et pièces signifiées après l'ordonnance de clôture

rejeté tous les fins de non recevoir soulevées par les défendeurs

débouté la société FJCG et M. et Mme [W] de l'ensemble de leurs demandes

débouté la SCP [S], [F]-[E], [Z] et la société Clasa de leur demande en paiement de dommages et intérêts

condamné la société FJCG et M. et Mme [W] à payer à la société Clasa une somme de 4 000 € en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile

condamné la société FJCG et M. et Mme [W] aux dépens, avec distraction au profit de Me Julin qui en a fait la demande, dans les conditions prescrites à l'article 699 du nouveau code de procédure civile.

Par déclaration enregistrée au greffe de la cour d'appel le 30 juillet 2008, la société FJCG et M. et Mme [W] ont interjeté appel de cette décision.

M. et Mme [W] et la société FJCG, par conclusions déposées le 15 juin 2009, demandent à la cour de :

dire mal fondées et rejeter les fins de non recevoir soulevées par la SCP [S] et les Mutuelles du Mans Assurances

dire et juger que la prescription trentenaire doit s'appliquer

prononcer la nullité de l'acte notarié de prêt passé par la SCP [S] le 22 décembre 1989

ordonner la remise des parties en leur état antérieur à la vente du 22 décembre 1989

condamner la société Clasa à restituer à la société FJCG la somme reçue au titre du prix de la vente, outre les intérêts réglés par la société FJCG

dire et juger que les intérêts seront capitalisés conformément aux dispositions de l'article 1154 du code civil

condamner la SCP [S] et les Mutuelles du Mans Assurances à garantir la société FJCG du paiement de cette somme et des intérêts afférents, et plus généralement de toutes sommes dues par la société Clasa à la société FJCG en exécution du contrat de vente annulé

constater que la nullité de l'acte de vente notarié, par la faute du notaire, entraînera des conséquences fiscales pour M. et Mme [W], associés de la société FJCG

condamner la SCP [S] et la compagnie d'assurances Mutuelles du Mans Assurances à relever et garantir les associés de toutes les conséquences fiscales qui pourront être tirées par les autorités compétentes des décisions rendues par la juridiction de céans

condamner in solidum la SCP [S] et [C], devenue SCP [S] [F]-[E] [Z] [D] au paiement de la somme de 152 450 € de dommages et intérêts, au profit de la société FJCG

les condamner in solidum au paiement de la somme de 100 000€ de dommages et intérêts au profit des époux [W]

les condamner in solidum au paiement de la somme de 15 245€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile

les condamner aux entiers dépens dont distraction au profit de Me Win Bompard, avocat, en application de l'article 699 du code de procédure civile.

Par conclusions déposées le 20 avril 2009, la société Clasa, qui a vendu les lots de copropriété à la société FJCG, demande à la cour de:

confirmer le jugement déféré et statuant à nouveau

dire et juger que l'action de la société FJCG en nullité de l'acte de vente conclu avec la société Clasa le 22 décembre 1989, se heurte à la prescription de l'article L.110-4 du code de commerce

subsidiairement, confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la société FJCG et M. et Mme [W] de leurs demandes en nullité de l'acte de vente du 22 décembre 1989

plus subsidiairement, dire et juger que M. et Mme [W], la SCP [S] [F]-[E] [Z] et la société les Mutuelles du Mans Assurances devront être condamnés solidairement à indemniser la société Clasa du préjudice que lui causerait l'annulation de l'acte de vente du 22 décembre 1989

dans cette hypothèse subsidiaire,

condamner solidairement M. et Mme [W], la SCP [S], [F]-[E] et [Z] et la société les Mutuelles du Mans Assurances à payer à la société Clasa, à titre de dommages et intérêts provisionnels, la somme de 286 604 €

instituer une mesure d'expertise ayant pour objet de calculer l'entier préjudice qui serait subi par la société Clasa en cas d'annulation de la vente

à cette fin dire que l'expert devra établir la valeur des lots n° 32 et 33 de la première tranche de la résidence hôtelière [Localité 12], en tenant compte des charges y attachées au regard de la situation de la résidence hôtelière [Adresse 9] et des conditions d'exploitation

dire que la SCP [S], [F]-[E] et [Z] et la société les Mutuelles du Mans Assurances devront faire l'avance des frais d'expertise.

condamner solidairement la société FJCG et M. et Mme [W] à payer à la société Clasa la somme de 15 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile

condamner solidairement la société FJCG et les époux [W] aux entiers dépens tant de première instance que d'appel dont distraction au profit de Me Georges Julin, avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

La SCP [S], [F]-[E], [Z] et son assureur Les Mutuelles du Mans Assurances demandent à la cour de :

en la forme :

statuer ce que droit sur la recevabilité du présent appel

au fond :

confirmer le jugement querellé par substitution de motif et pour ce faire,

constater que l'assignation en nullité de l'acte de vente du 22 décembre 1989 n'a été délivrée à la société Clasa que le 21 novembre 2005

constater que la société FJCG dispose de la personnalité morale à la date de l'introduction de la présente action et qu'elle est donc commerciale en la forme

en conséquence, dire et juger que la prescription applicable est celle stipulée à l'article L.110-4 du code du commerce dérogeant à l'article 2262 du code civil

dire et juger que les actions en nullité ont été introduites plus de 10 ans après la date des actes

déclarer la société FJCG et M. et Mme [W] irrecevables en leur demande par application de l'article 122 du nouveau code de procédure civile en raison de la prescription encourue

les déclarer à titre surabondant irrecevables à poursuivre la nullité de l'acte de vente du 27 décembre 1989 faute de publication de la demande conformément à l'article 30-5°) du décret du 4 janvier 1955

dire et juger que la société FJCG et M. et Mme [W] n'ont pas d'intérêt à agir en nullité des actes de vente et de prêt pour les causes sus énoncées

les déclarer en conséquence irrecevables en leurs demandes

constater qu'en sollicitant seule la nullité de l'acte de vente, la société FJCG se crée elle-même le préjudice dont elle se plaint et dont elle sollicite réparation

dire et juger qu'en agissant ainsi, elle viole les dispositions de l'article 1134 alinéa 3 du code civil

dire et juger que cette mauvaise foi entraîne l'irrecevabilité de son action en responsabilité contre le notaire

constater au surplus que la société FJCG et M. et Mme [W] ne subissent aucun préjudice en relation avec la nullité alléguée, qu'au contraire ils réaliseraient un substantiel profit

en conséquence, les débouter purement et simplement de toutes demandes à l'encontre de la SCP [S]

constater que postérieurement au 28 novembre 1989, date à laquelle la cause de nullité a disparu, la société FJCG a conservé les lots acquis et les sommes empruntées

constater que chaque année de 1990 à 2006, la société FJCG a confirmé de voir figurer à son actif les unités hôtelières n° 32 et 33 et à son passif le prêt

constater que chaque année de 1990 à 2006, M. et Mme [W] ont approuvé ces comptes

constater que chaque année à partir de 1990, la société FJCG s'est acquittée des charges au GIE [Adresse 9], des charges de copropriété, des taxes foncières et des taxes professionnelles

dire et juger qu'un nouveau contrat de vente et de prêt est né de la volonté des parties de demeurer dans les liens contractuels

dire et juger en conséquence que la société FJCG et M. et Mme [W] ne peuvent se prévaloir d'un quelconque préjudice résultant de l'inefficacité des actes puisque de nouveaux contrats se sont formés

constater au demeurant que la société FJCG et M. et Mme [W] peuvent parfaitement régulariser la situation en signant de nouveaux actes

déclarer la société FJCG et M. et Mme [W] tant irrecevables par application de l'article 1304 du code civil que mal fondés pour les causes sus énoncées relativement aux autres moyens de nullité invoqués

dire et juger que le préjudice invoqué par la société Clasa et distinct du mécanisme de restitution est la conséquence directe de l'exécution de mauvaise foi par M. et Mme [W] de la convention sous seing privé qu'ils ont signée le 2 octobre 1989

qu'en conséquence et au visa de l'article 1134 alinéa 3 du code civil, dire et juger que M. et Mme [W] devront :

- supporter seuls le préjudice occasionné par la nullité de l'acte à la société Clasa

- ou relever indemne la SCP [S] et la compagnie Les Mutuelles du Mans de toutes condamnations pécuniaires au profit de la société Clasa au titre de son préjudice causé par la nullité de l'acte

débouter la société Clasa du surplus de ses demandes

et recevant la SCP [S] en sa demande reconventionnelle et y faisant droit

condamner in solidum la société FJCG et M. et Mme [W] à payer à la SCP [S] la somme de 10 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, la cour entend se référer à leurs conclusions régulièrement déposées après avoir été notifiées.

MOTIFS :

Sur l'intérêt à agir de la société FJCG :

Attendu que l'intérêt à agir de cette société pour faire constater la nullité absolue de l'acte notarié ne saurait être apprécié au regard des seules conséquences financières susceptibles d'en résulter et être ainsi subordonné à la justification préalable d'un préjudice alors que la détermination de celui-ci relève du fond du litige et ne peut conditionner de la recevabilité de l'action ;

Attendu que les parties concernées, qui doivent bénéficier de l'absolue sécurité juridique attachée aux actes auxquels le notaire, en sa qualité d'officier public, a conféré l'authenticité, ont un intérêt à faire reconnaître les manquements de celui-ci dans l'exercice de cette mission d'authentification pour en tirer toutes les conséquences juridiques et indemnitaires au titre de sa responsabilité professionnelle ;

Sur la nullité du contrat de vente immobilière :

Attendu que, le 22 décembre 1989, le notaire a établi sous la forme authentique un acte portant vente par la société Clasa, représentée par un clerc de notaire, à 'la société FJCG', représentée également par un clerc de notaire, des lots n° 32 et 33, avec mobilier, de l'ensemble immobilier dénommé [Adresse 9], à usage d'hébergement touristique, situé au lieudit [Localité 8] à la société FJCG, moyennant paiement du prix de 1 880 000 F ;

Attendu que cet acte notarié mentionne pour sa part que l'acquéreur est 'La société dénommée FJCG, société à responsabilité limitée au capital de 50 000 F ayant son siège à Marigot, île de FJCG, immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Basse-Terre sous le numéro 89 B 489 (numéro inscrit à la main). Ladite société constituée aux termes de ses statuts établis suivant acte reçu par Me [L] [S], notaire à [Localité 14] le 20 décembre 1989. Ladite société, représentée par Mlle [K] [H], clerc de notaire, demeurant à Marigot, île de [Localité 14] . En vertu des pouvoirs qui lui sont conférés suivant délibération des associés en date du 4 décembre 1989, dont une copie certifiée conforme au procès-verbal est demeurée annexée à un acte de prêt par la Banque nationale de Paris au profit de la société acquéreur aux présentes, reçu par le notaire-associé soussigné, ce jour même, un instant avant les présentes' ;

Qu'il ressort des mentions de cet acte, exemptes d'ambiguïté, que la vente immobilière n'a pas été conclue le 22 décembre 1989 au nom d'une société en formation, mais bien par la société, elle-même, déjà constituée et immatriculée comme telle au registre du commerce et des sociétés (RCS) sous le numéro 89 B 489 ;

Attendu que les mentions de l'extrait K bis du 8 janvier 1991 révèlent cependant que la société FJCG n'était pas encore immatriculée lors de la conclusion de l'acte de vente et qu'elle n'a acquis la personnalité juridique par son immatriculation que postérieurement le 28 décembre 1989 ;

Que la déclaration concernant l'immatriculation de la société FJCG auprès du centre de formalités des entreprises était inopérante pour conférer la personnalité juridique à ladite société avant son immatriculation au registre du commerce et des sociétés ;

Qu'il se déduit de ces éléments que, d'une part, la société FJCG était dépourvue de la personnalité morale lui permettant de contracter en son nom le 22 décembre 1989 et que, d'autre part, elle n'a pu se livrer, après son immatriculation, à aucune reprise de l'acte, faute pour celui-ci d'avoir été souscrit par un mandataire pour le compte de la société en formation et d'être à ce titre soumis à l'application du régime de reprise par une société des actes conclus en son nom au cours de sa formation, tel que défini par les dispositions de l'article 1843 du code civil et de l'article 6 du décret d'application (n 78-804 du 3 juillet 1978) de la loi du 4 janvier 1978 ;

Que, de même, étant frappé de nullité absolue pour avoir été conclu par une société inexistante ce contrat n'était pas davantage susceptible de confirmation ou de ratification, par un acte unilatéral, exprès ou tacite, de la part de cette société après son immatriculation au RCS ;

Qu'ainsi, l'irrégularité de fond tenant à l'inexistence de la société FJCG lors de la conclusion du contrat de vente n'a pu être couverte, après le 28 décembre 1989, ni par les actes d'exécution et de jouissance accomplis par elle depuis cette date en tant que propriétaire des lots n° 32 et 33, ni par l'attitude ou le comportement de ses associés à l'égard des tiers ;

Qu'il n'est, par ailleurs, justifié d'aucune démarche des parties en vue de procéder à la réfection de l'acte nul et à la conclusion d'un nouveau contrat se substituant à celui-ci, ni même d'aucun élément de preuve laissant supposer qu'elles en aient eu l'intention ;

Attendu que la nullité tirée du défaut de personnalité morale de la société FJCG lors de la conclusion de l'acte litigieux est une nullité absolue qui échappe aux prescriptions de l'article 1304 du code civil et de l'article L 110-4 du code du commerce, ainsi que l'ont rappelé à juste titre sur ce point les premiers juges, et qui, nonobstant l'exécution dudit contrat, peut dès lors être soulevée pendant le délai de la prescription trentenaire de droit commun ;

Qu'il résulte de ces éléments que la société FJCG est recevable et fondée à se prévaloir de cette nullité et à réclamer, en contrepartie de la restitution des lots au vendeur, la restitution par celui-ci du prix de vente ;

Attendu qu'afin de replacer les parties dans une situation aussi proche de celle où elles se trouvaient avant la vente nulle, le jeu des restitutions réciproques et l'équilibre de celles-ci obligent, en principe, à une restitution de l'immeuble fondée sur sa valeur au jour de la vente ;

Que toutefois ce principe de restitutions équilibrées ne trouve pas à s'appliquer lorsque l'immeuble a subi une dépréciation résultant d'un fait fortuit, exclusif d'un usage abusif ou d'un défaut d'entretien imputable à l'acquéreur ;

Que, dans ce cas, les risques de dépréciation fortuite sont à la charge du vendeur qui reprend l'immeuble et qui est censé en être toujours resté propriétaire par l'effet de la rétroactivité de la nullité absolue de la vente ;

Qu'en l'occurrence, dès lors qu'il n'est pas établi que la société FJCG a manqué à ses obligations dans l'entretien et la jouissance des lots de copropriété depuis son acquisition en 1989, ces lots seront réintégrés dans le patrimoine de la société Clasa sans que leur dépréciation économique, à la supposer établie, puisse être compensée par une indemnité venant s'ajouter à la restitution en nature ;

Qu'il résulte de ce qui précède que la société Clasa, qui obtient la restitution des lots vendus, n'est pas fondée à réclamer l'indemnisation, même à titre provisionnel, d'un préjudice qui résulterait de la nullité de l'acte de vente ;

Attendu que, pour sa part, la société FJCG qui justifie d'une publication régulière des assignations à la conservation des hypothèques, devra recevoir de la société Clasa la somme 286 604 € correspondant au prix d'acquisition des lots restitués ;

Attendu que les intérêts au taux légal dus à compter du 21 novembre 2005, date de l'assignation de la société Clasa, donneront lieu à une capitalisation conforme à l'article 1154 du code civil, comme le demande la société FJCG ;

Sur la faute du notaire et ses conséquences indemnitaires :

Attendu qu'un notaire a l'obligation de veiller à l'efficacité juridique des actes qu'il établit en s'assurant notamment que les parties ont la pleine capacité juridique pour contracter ;

Attendu qu'après l'établissement le 20 décembre 1989 des statuts de la société à responsabilité limitée FJCG, en vertu d'une procuration du 6 octobre 1989 de M. [W] et de son épouse, Me [C] a ajouté à l'acte de vente du 22 décembre 1989, de manière délibérée et nécessairement fautive, la mention manuscrite de l'immatriculation de la société FJCG au RCS opérée en réalité le 28 décembre 1989 ;

Qu'en agissant ainsi, alors qu'il connaissait l'absence d'immatriculation de la société, le notaire a manqué aux obligations de sa charge et a de manière intentionnelle commis une faute qui engage la responsabilité de la SCP de notaires dont il faisait partie, en application de l'article 16 de la loi du 29 novembre 1966 ;

Que, contrairement à ce que la SCP soutient, la société FJCG ne réclame pas l'indemnisation d'un dommage qu'elle a elle-même créé, dès lors que le préjudice invoqué par elle résulte non pas de son action en nullité des actes authentiques mais de la seule faute commise par le notaire qui les a rédigés irrégulièrement ;

Que la SCP n'est pas fondée à se prévaloir de la mauvaise foi des époux [W] dans l'exécution de leurs obligations au motif qu'ils resteraient engagés par la convention de vente en l'état de futur achèvement des locaux à usage de résidence hôtelière qu'ils ont signée le 19 septembre 1989 dès lors qu'aucune des parties à ce contrat sous seing privé ne s'est prévalue de la survivance des obligations contractées par les acquéreurs à cette occasion et n'a remis en cause l'application de l'article 1601-4 du code civil en vertu duquel la cession par eux des droits tirés de cet acte a eu pour effet de substituer de plein droit le cessionnaire dans leurs obligations envers le vendeur ;

Qu'enfin les dispositions de l'article 1134 du code civil qui instituent une obligation d'exécution de bonne foi des conventions ne trouvent pas à s'appliquer au refus de réitération d'un acte nul qui ne se rattache pas l'exécution d'un contrat soumis à cette obligation ;

Qu'il en résulte que la SCP de notaires ne peut s'exonérer des conséquences indemnitaires découlant de la faute du notaire en invoquant de prétendues fautes commises par les époux [W] ;

Attendu qu'au titre de cette responsabilité pour faute, la SCP et son assureur doivent garantir la restitution par la société Clasa des sommes perçues par elle au titre de la vente des lots de copropriété, outre les intérêts au taux légal selon les modalités ci-dessus fixées ;

Attendu que, pour l'évaluation des préjudices de la société FJCG et des époux [W] découlant de la faute du notaire, il n'appartient pas à la cour de prendre en compte les avantages que les époux [W] ont tirés de l'opération de défiscalisation, ni d'ailleurs les conséquences d'une éventuelle remise en cause de ces avantages qui pourraient résulter de la nullité de la vente immobilière et qui ne concernent que l'administration fiscale, étrangère au présent litige ;

Qu'eu égard au caractère hypothétique du préjudice invoqué en matière fiscale, la demande de la société FJCG visant à une extension de la garantie de la SCP à un tel préjudice sera rejetée ;

Attendu que la société FJCG sollicite la condamnation de la SCP et son assureur au paiement d'une somme de 152 450 € en indemnisation d'un préjudice correspondant à différents frais engagés à l'occasion de l'opération immobilière ainsi annulée ;

Que cette demande sera écartée dès lors qu'il n'est fourni aucun décompte ni aucun justificatif se rapportant à ces frais ni aucune explication précise sur la nature de ceux-ci ;

Que le fait pour la société d'avoir eu recours à des emprunts contractés auprès de plusieurs banques pour financer l'acquisition des lots, qui relève de sa liberté de choix d'un mode de financement, ne suffit pas à caractériser un préjudice ;

Que le fait d'avoir été contraint de renégocier les prêts n'est constitutif d'aucun préjudice dès lors qu'il visait à aménager des modalités de remboursement plus avantageuses pour l'emprunteur ;

Que sera également rejetée la demande en paiement d'une somme de 100 000 € formée par les époux [W] en réparation d'un préjudice moral causé par le fait d'avoir dû engager une procédure judiciaire pour obtenir la réparation des agissements de la SCP de notaires, qui est insuffisant pour caractériser ce préjudice

Attendu qu'enfin il y a lieu d'ordonner la publication de l'arrêt au bureau de la conservation des hypothèques du lieu de la situation de l'immeuble;

Sur les demandes des appelants dirigées contre le GIE [Adresse 9] :

Attendu qu'il convient de relever que l'appel de la société FJCG et des époux [W] n'a pas été dirigé contre Me [V], prise en qualité de liquidateur du GIE [Adresse 9], de sorte que les demandes visant le GIE qui sont formulées dans les conclusions des appelants (pages 43 et 44), sans être reprises dans le dispositif de celles-ci, ne sont pas recevables ;

Sur les demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens :

Attendu que le litige trouvant son origine dans la faute du notaire, seules les demandes dirigées contre la SCP et son assureur seront accueillies à hauteur de 6 000 € pour chacune d'elles ;

Que pour le même motif, les dépens seront mis à sa charge de la SCP et de son assureur, avec application de l'article 699 du code de procédure civile au profit des avocats l'ayant sollicitée ;

PAR CES MOTIFS,

La cour,

Infirme le jugement rendu entre les parties le 26 juin 2008 par le tribunal de grande instance de Basse-Terre, sauf en ce qu'il a rejeté les fins de non recevoir et exceptions d'irrecevabilité et débouté la société FJCG et les époux [W] de leur demande en paiement de dommages et intérêts et la SCP [S], [F]-[E] et [Z] de sa demande reconventionnelle ;

Et statuant à nouveau,

Déclare irrecevables les demandes des appelants dirigées contre le liquidateur judiciaire du GIE [Adresse 9]

Rejette la fin de non recevoir tirée du défaut d'intérêt à agir de la société FJCG et des époux [W]

Constate que le contrat de vente immobilière conclu le 22 décembre 1989 entre la société Clasa et la société FJCG, dépourvue d'existence juridique à cette date, est frappé de nullité absolue

Dit qu'en conséquence de cette nullité, la société FJCG est tenue de restituer à la société Clasa les lots de copropriété n° 32 et 33 de l'ensemble immobilier Hôtel de [Adresse 9] situé à FJCG au lieudit [Localité 8] et qu'en contrepartie, la société Clasa a l'obligation de lui verser la somme de 286 604 € correspondant au prix d'acquisition des lots, outre les intérêts au taux légal à compter du 21 novembre 2005, avec capitalisation des intérêts conforme à l'article 1154 du code civil

Condamne la SCP [S], [F]-[E], [Z], in solidum avec son assureur, les Mutuelles du Mans Assurances à garantir la restitution de cette somme ainsi que le paiement des intérêts à la société FJCG

Déboute les parties de leurs plus amples demandes

Ordonne la publication de la décision à la conservation des hypothèques de [Localité 7]

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes de la société Clasa et de la SCP [S], [F]-[E], Balzame et de son assureur, les Mutuelles du Mans Assurances, et condamne la SCP et son assureur à payer ensemble à la société FJCG, aux époux [W] et à la société Crédit Foncier de France, la somme de 6 000 € à chacun d'eux

Condamne la SCP [S], [F]-[E], [Z] et son assureur, les Mutuelles du Mans Assurances, aux dépens à recouvrer conformément à l'article 699 du code de procédure civile au profit de Me Win-Bompard et de Me Julin.

Et ont signé le présent arrêt.

La greffière, Le président.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Basse-Terre
Formation : 1ère chambre civile
Numéro d'arrêt : 08/01283
Date de la décision : 16/11/2009

Références :

Cour d'appel de Basse-Terre, arrêt n°08/01283


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2009-11-16;08.01283 ?
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