COUR D'APPEL
d'ANGERS
Chambre Sociale
ARRÊT N°
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/00518 - N° Portalis DBVP-V-B7F-E4OT.
Ordonnance , origine Pole social du TJ du MANS, décision attaquée en date du 04 Août 2021, enregistrée sous le n° 21/283
ARRÊT DU 18 Avril 2024
APPELANTE :
Société [4]
[Adresse 5]
[Localité 3]
représentée par Me Anne-laure DENIZE de la SELEURL Anne-Laure Denize, avocat au barreau de PARIS, substituée par Me TREVET, avocat au barreau de PARIS
INTIMEE :
CAISSE PRIMAIRE D ASSURANCE MALADIE DE LA SARTHE
[Adresse 1]
[Localité 2]
représenté par Madame [J], munie d'un pouvoir
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 15 Février 2024 à 9 H 00, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Estelle GENET, conseiller chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Président : Madame Clarisse PORTMANN
Conseiller : Madame Estelle GENET
Conseiller : Mme Claire TRIQUIGNEAUX-MAUGARS
Greffier lors des débats : Madame Viviane BODIN
ARRÊT :
prononcé le 18 Avril 2024, contradictoire et mis à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par Madame Clarisse PORTMANN, président, et par Madame Viviane BODIN, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
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FAITS ET PROCEDURE
Le 10 février 2016, Mme [E] [W] épouse [I], salariée de la société [4], a souscrit une déclaration de maladie professionnelle pour notamment une « tendinopathie du supra épineux droit et gauche avec syndrome algoneurodistrophique - syndrome du canal carpien droit ». Cette déclaration faisait suite à un certificat médical initial du 31 mars 2016 qui avait constaté une « tendinopathie du supra épineux d'épaule gauche avérée par I.R.M. compliquée avec une capsulite rétractile en cours de résolution».
La caisse primaire d'assurance maladie de la Sarthe a décidé de prendre en charge cette maladie sur le fondement du tableau 57 des maladies professionnelles, et ce, en tant que « tendinopathie aiguë de la coiffe des rotateurs de l'épaule gauche ». Elle en a informé l'employeur, la société [4], par une lettre du 11 octobre 2016 reçue le 13 octobre suivant. La société a alors formé une contestation devant la commission de recours amiable qui, par une décision du 2 février 2018 reçue par la société le 9 février 2018, a confirmé la décision de la caisse. La société a ensuite saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale de la Sarthe d'une requête adressée par lettre recommandée expédiée le 9 mars 2018.
Par jugement du 9 juin 2021 notifié à la société le 15 juin suivant, le pôle social du tribunal judiciaire du Mans désormais compétent a déclaré la décision de prise en charge de la maladie litigieuse inopposable à la société et a condamné la caisse aux dépens.
Puis, saisi par la caisse d'une requête en rectification d'erreur matérielle, le tribunal a, par ordonnance du 4 août 2021 notifié à la société le 6 août 2021 :
- ordonné la rectification de l'erreur matérielle apparue dans le jugement rendu le 9 juin 2021 ;
- dit qu'il convenait de lire au dispositif : « déclare la décision de prise en charge de la maladie opposable à la société ; condamne la société aux dépens ».
Par déclaration faite par lettre recommandée avec demande d'avis de réception expédiée le 2 septembre 2021, la société [4] a relevé appel du jugement.
Les débats ont ensuite eu lieu devant le magistrat chargé d'instruire l'affaire, à l'audience du 19 juin 2023.
Par arrêt en date du 19 octobre 2023, la cour a ordonné la réouverture des débats à l'audience du 15 février 2024 afin de permettre aux parties de faire leurs observations sur la fin de non recevoir tirée de l'irrecevabilité des appels, relevée d'office par la cour. La cour a en effet relevé que, d'une part, sur le fondement des dispositions de l'article 538 du code civil, la société [4] avait fait appel du jugement plus d'un mois après sa notification, et que d'autre part, sur le fondement de l'article 462 du code de procédure civile, seul le pourvoi en cassation était ouvert à l'encontre de l'ordonnance rectificative du jugement passé en force de chose jugée.
Ce dossier a été examiné à l'audience du conseiller rapporteur du 15 février 2024.
MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES
Par conclusions après réouverture des débats, régulièrement soutenues et auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé, la société [4] demande à la cour de :
- déclarer recevable et bien fondé son appel ;
sur l'inopposabilité de la décision de prise en charge :
- constater que la preuve de la première constatation médicale d'une tendinopathie aiguë de la coiffe des rotateurs de l'épaule gauche dans le délai de prise en charge de 30 jours n'est pas rapportée ;
- subsidiairement, constater que la demande de reconnaissance de maladie professionnelle adressée à la caisse le 23 mai 2016 était prescrite ;
statuant à nouveau :
- infirmer le jugement du 9 juin 2021 modifié par ordonnance rectificative du 4 août 2021 ;
- lui déclarer inopposable la décision ayant reconnu le caractère professionnel de la maladie du 31 mars 2016 déclarée par Mme [I] ;
- débouter la caisse de l'ensemble de ses demandes.
Au soutien de ses intérêts, la société [4] fait valoir qu'aucun acte de notification ne lui a été annexé au jugement initial. Elle ajoute que la mention selon laquelle « en application de l'article R. 142 ' 28 du code de la sécurité sociale, les parties pourront interjeter appel de la décision dans le délai d'un mois à compter de sa notification » n'est pas suffisante pour répondre aux exigences de l'article 680 du code de procédure civile, l'article R. 142 ' 28 ayant été abrogé depuis le 1er janvier 2019. Elle considère ainsi que le délai d'appel n'a pas couru et que le jugement rendu le 9 juin 2021 n'est pas passé en force de chose jugée. Elle souligne que ce n'est qu'à partir de la notification de l'ordonnance de rectification matérielle du jugement qu'elle a eu un intérêt à agir en appel au sens de l'article 31 du code de procédure civile.
S'agissant du délai de prise en charge prévu au tableau 57 des maladies professionnelles, elle précise que le certificat médical vise comme date de première constatation médicale de la maladie le 31 mars 2016 et que Mme [I] a cessé de travailler depuis le 13 mars 2014 soit depuis plus de deux ans, de sorte que le délai de prise en charge de 30 jours est dépassé. Elle conteste que le médecin-conseil ait retenu dans le colloque médico administratif la date du 13 mars 2014 correspondant à une radiographie de l'épaule gauche. Elle considère que ce colloque n'est pas suffisamment probant et conteste la signature du médecin-conseil. Elle ajoute que la caisse n'a communiqué aucun compte-rendu de la radiographie alléguée ni justifié de la réalisation d'une radiographie de l'épaule le 13 mars 2014. À titre subsidiaire, elle considère qu'il résulte de la lecture combinée des articles L. 461 ' 1 et L. 431 ' 2 du code de la sécurité sociale que la demande de reconnaissance de maladie professionnelle se prescrit dans un délai de deux ans à compter de la date à laquelle la victime est informée du lien possible entre sa maladie et son activité professionnelle. Elle soutient dès lors qu'il appartenait à Mme [I] d'établir une demande de reconnaissance de maladie professionnelle dans le délai de deux ans à compter de la réalisation de la radiographie du 13 mars 2014, soit jusqu'au 13 mars 2016. Elle ajoute que Mme [I] avait nécessairement connaissance du lien entre son affection et le travail en 2014 puisque la déclaration de maladie professionnelle qu'elle a complétée précise qu'une première demande de reconnaissance de maladie professionnelle avait été faite le 23 février 2014.
Par note en délibéré autorisée à l'audience, la société [4], après connaissance de l'acte de notification joint au jugement, a complété son argumentation en invoquant :
- l'absence de toute indication des modalités d'exercice de l'appel ;
- l'omission des mentions obligatoires quant à l'identité de l'appelant personne morale sur la notice explicative ;
- la mention erronée sur l'obligation tenant à l'étendue de la critique du jugement sur la notice explicative ;
- la mention erronée sur le montant du taux du ressort dans la notice explicative ;
- la référence à des dispositions abrogées dans cette même notice.
Elle sollicitait qu'au regard de l'irrégularité de l'acte de notification du jugement, le délai d'un mois n'a pas couru et que soit reconnu recevable son appel.
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Par conclusions déposées à l'audience, régulièrement soutenues et auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé, la caisse primaire d'assurance maladie de la Sarthe conclut :
- qu'il soit constaté que les conditions de la maladie déclarée par Mme [I] sont remplies ;
en conséquence :
- à la confirmation du jugement en toutes ses dispositions ;
- à la confirmation du bien-fondé de sa décision reconnaissant le caractère professionnel de la pathologie ;
- que soit déclaré opposable à la société [4] l'ensemble des arrêts et des soins pris en charge ;
- au rejet de l'ensemble des demandes présentées par la société [4].
La caisse primaire d'assurance maladie de la Sarthe a précisé que sur la recevabilité de l'appel elle s'en rapporte à justice.
Au soutien de ses intérêts, la caisse primaire d'assurance maladie de la Sarthe rappelle que le médecin-conseil s'est fondé sur une radiographie pour fixer la date de première constatation médicale. Elle ajoute que Mme [I] était en arrêt maladie pour une autre pathologie lorsqu'elle a déclaré sa maladie à l'épaule gauche. Elle soutient que si la lésion a été médicalement constatée dès 2014, Mme [I] n'a eu le certificat médical faisant le lien entre sa pathologie et le travail qu'en 2016. Elle considère dès lors que la déclaration de maladie professionnelle n'est pas prescrite.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur le fondement des dispositions de l'article 480 du code civil, l'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui fait l'objet d'un jugement et a été tranché dans son dispositif.
Il résulte de ces dispositions que le jugement du 9 juin 2021 ayant d'une part, déclaré, dans son dispositif, inopposable à la société [4] la décision de prise en charge de la maladie professionnelle déclarée par Mme [I], objet du certificat médical du 31 mars 2016 et d'autre part, ayant condamné la caisse primaire d'assurance maladie de la Sarthe aux dépens de l'instance a donc l'autorité de la chose jugée, quand bien même les motifs de la décision seraient contradictoires avec le dispositif.
Ce jugement n'a pas été frappé d'appel dans le délai d'un mois à compter de sa notification aux parties. Il ne peut d'ailleurs être reproché à la société [4] de ne pas avoir fait appel de cette décision. Sur le fondement des dispositions de l'article 31 du code de procédure civile, elle n'avait aucun intérêt à faire appel puisque cette décision dans son dispositif lui est favorable.
Cette décision a été régulièrement notifiée à la société [4]. Les moyens développés par la société [4] quant à l'irrégularité de la notification du jugement doivent être rejetés. En effet, la société ne peut guère se prévaloir d'une prétendue irrégularité de cette notification alors qu'elle s'est abstenue volontairement de faire appel de cette décision qui lui était favorable. Par ailleurs, le jugement lui a bien été notifié le 15 juin 2021 comme en atteste l'accusé de réception. Le courrier de notification est conforme aux dispositions de l'article 680 du code de procédure civile puisqu'il indique très clairement que cette décision est susceptible d'appel dans un délai d'un mois à compter du jour de la notification du jugement et que l'appel doit être formé par déclaration au greffe de la cour d'appel. La notice explicative au verso de ce courrier de notification peut bien comporter quelques erreurs, celles-ci n'ont aucun impact sur la faculté de chaque partie de faire appel du jugement notifié.
Si ce jugement n'a pas été frappé d'appel, en revanche, il a fait l'objet d'une requête en rectification d'erreur matérielle de la part de la caisse primaire d'assurance maladie de la Sarthe, reçue au greffe dans le délai d'appel.
Par ordonnance en date du 4 août 2021, le pôle social a procédé à la rectification matérielle du jugement en raison de la contradiction entre les motifs et le dispositif. Elle a donc rectifié le jugement en déclarant opposable à la société [4] la décision de prise en charge de la maladie professionnelle de Mme [I] et en condamnant la société aux dépens de l'instance.
La société [4] n'a fait appel du jugement que par lettre recommandée avec accusé de réception postée le 2 septembre 2021, soit au-delà du délai d'un mois.
Cet appel fait à l'évidence suite à la notification de l'ordonnance rectificative par lettre recommandée avec accusé de réception délivrée le 6 août 2021. Pourtant, le greffe a indiqué dans le courrier de notification que cette ordonnance rectificative n'était susceptible d'aucun recours.
Or, en application de l'article 462 du code de procédure civile, les erreurs et omissions matérielles qui affectent un jugement, même passé en force de chose jugée, peuvent toujours être réparées par la juridiction qui l'a rendu ou par celle à laquelle il est déféré, selon ce que le dossier révèle ou, à défaut, ce que la raison commande. La décision rectificative a, quant aux voies de recours, le même caractère et est soumis aux mêmes règles que la décision interprétée. Néanmoins, si la décision rectifiée est passée en force de chose jugée, la décision rectificative ne peut être attaquée que par la voie du recours en cassation. Il en résulte que la décision rectificative n'a pas d'effet sur le délai d'appel de la décision rectifiée, qui court depuis sa notification (2e civ, 19 mai 2022, pourvoi n° 21-10.580).
Par conséquent, l'appel interjeté par la société [4] contre le jugement du 9 juin 2021 notifié le 15 juin 2021 doit être déclaré irrecevable.
Toutefois, conformément aux interrogations exprimées à l'audience par le conseiller rapporteur sur la validité de l'ordonnance rectificative, la cour doit annuler cette ordonnance non conforme aux dispositions de l'article 462 du code de procédure civile. Le jugement du 9 juin 2021 était affecté d'une telle erreur que celle-ci ne pouvait donner lieu à la procédure de rectification d'erreur matérielle compte tenu des conséquences d'une telle rectification sur le droit d'appel de la société [4] à l'égard d'un jugement finalement passé en force de chose jugée compte tenu du délai de traitement de la requête en rectification d'erreur matérielle. Le jugement n'a pas fait l'objet d'une rectification matérielle mais a été modifié dans un sens diamétralement opposé à la solution rapportée dans le dispositif.
Au surplus, les erreurs et omissions matérielles d'un jugement rendu par une formation collégiale ne peuvent être rectifiées que par une juridiction statuant en formation collégiale (2e civ., 24 mars 2022, pourvoi n° 20-22.216). Par conséquent, le jugement rendu par le pôle social en formation collégiale ne pouvait être rectifié par une simple ordonnance signée par un juge statuant seul.
Ainsi, l'ordonnance rectificative du 4 août 2021 est nulle et de nul effet. Seul subsiste le jugement du 9 juin 2021 qui a déclaré inopposable à la société [4] la décision de prise en charge de la maladie professionnelle déclarée par Mme [I], objet du certificat médical du 31 mars 2016 et qui a condamné la caisse primaire d'assurance maladie de la Sarthe aux dépens de l'instance.
La caisse primaire d'assurance maladie de la Sarthe est condamnée au paiement des dépens d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant publiquement par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,
Déclare irrecevable l'appel interjeté par la société [4] contre le jugement du 9 juin 2021 notifié le 15 juin 2021 ;
Déclare l'ordonnance rectificative du 4 août 2021 nulle et de nul effet ;
Dit que seul subsiste le jugement du 9 juin 2021 qui a déclaré inopposable à la société [4] la décision de prise en charge de la maladie professionnelle déclarée par Mme [I], objet du certificat médical du 31 mars 2016 et qui a condamné la caisse primaire d'assurance maladie de la Sarthe aux dépens de l'instance ;
Condamne la caisse primaire d'assurance maladie de la Sarthe au paiement des dépens d'appel.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,
Viviane BODIN Clarisse PORTMANN