COUR D'APPEL
d'ANGERS
Chambre Sociale
ARRÊT N°
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/00401 - N° Portalis DBVP-V-B7F-E3NV.
Jugement Au fond, origine Pole social du TJ du MANS, décision attaquée en date du 02 Juin 2021, enregistrée sous le n° 20/00239
ARRÊT DU 29 Juin 2023
APPELANTE :
S.A.S. [4]
[Adresse 5],
[Localité 3]
représentée par Me WILBERT, avocat substituant Maître Michaël RUIMY de la SELARL R & K AVOCATS, avocat au barreau de LYON
INTIMEE :
LA CAISSE PRIMAIRE ASSURANCE MALADIE DE MAINE ET LOIRE
[Adresse 1]
[Localité 2]
représentée par Monsieur [F], muni d'un pouvoir
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 02 Février 2023 à 9 H 00, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame GENET, conseiller chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Président : Mme Marie-Christine DELAUBIER
Conseiller : Madame Estelle GENET
Conseiller : M. Yoann WOLFF
Greffier lors des débats : Madame Viviane BODIN
ARRÊT :
prononcé le 29 Juin 2023, contradictoire et mis à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par Madame GENET, conseiller pour le président empêché, et par Madame Viviane BODIN, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
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FAITS ET PROCÉDURE :
La société [4] a saisi le 29 juillet 2020, le pôle social du tribunal judiciaire du Mans d'une contestation du taux d'incapacité permanente partielle retenu par la caisse primaire d'assurance maladie de Maine-et-Loire à la date de consolidation du 27 septembre 2019 de M. [X] [N] à la suite de sa maladie professionnelle du 18 mai 2016 au titre du tableau 98 des maladies professionnelles (sciatique gauche par hernie discale L4 L5 avec sciatalgie).
Par jugement en date du 2 juin 2021, le pôle social a :
' rejeté la demande d'expertise et de consultation ;
' rejeté la demande de réduction du taux d'incapacité permanente partielle dans les rapports entre l'employeur et la caisse primaire d'assurance maladie de Maine-et-Loire;
' validé la décision de la caisse attribuant un taux d'IPP médical de 10 % à M. [X] [N] en indemnisation des séquelles de sa maladie professionnelle du 18 mai 2016 ;
' condamné la société [4] aux dépens.
Par lettre recommandée avec accusé de réception postée le 14 juin 2021, la société [4] a régulièrement interjeté appel de cette décision qui lui a été notifiée le 4 juin 2021.
Ce dossier a été plaidé à l'audience du conseiller rapporteur du 2 février 2023.
MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES
Par conclusions reçues au greffe le 20 juillet 2022, régulièrement soutenues à l'audience et auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé, la société [4] demande à la cour de :
- infirmer le jugement ;
À titre principal,
- entériner les conclusions médicolégales rendues par le docteur [H] [W] ;
- juger que le taux de 10 % attribué à M. [X] [N] doit être ramené à 5 % dans les rapports caisse/employeur ;
À titre subsidiaire,
- constater qu'il subsiste une difficulté d'ordre médical ;
- ordonner une consultation médicale et désigner un expert qui devra se prononcer sur les séquelles faisant suite à la maladie professionnelle du 18 mai 2016 et le taux attribué à M. [X] [N] ;
- juger que les frais de la consultation médicale ou d'expertise seront entièrement mis à la charge de la caisse ;
- juger que les dépens d'instance seront entièrement mis à la charge de la caisse.
Au soutien de ses intérêts, la société [4] fait valoir les conclusions de son médecin consultant, le docteur [H] [W], qui considère que le taux de 10 % a largement été surévalué et met en évidence l'existence d'un état antérieur majeur de type « arthrose facettaire » non pris en compte par le médecin-conseil de la caisse lors de l'évaluation du taux. Elle ajoute que M. [N] n'a jamais cessé son activité professionnelle et que les conclusions motivées de la commission médicale de recours amiable n'ont jamais été transmises aux parties ni versées au débat contradictoire de première instance, contrairement à ce qu'indique le tribunal.
Par conclusions reçues au greffe le 16 août 2022, régulièrement soutenues à l'audience et auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé, la caisse primaire d'assurance maladie de Maine-et-Loire conclut :
- qu'il soit jugé qu'elle n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation en fixant le taux de 10 % ;
- à titre subsidiaire, dans l'hypothèse où la cour rejette le contrôle de l'erreur manifeste d'appréciation, qu'il soit jugé qu'elle a correctement fixé le taux en litige ;
- à la confirmation du jugement entrepris en ce qu'il a confirmé la juste évaluation du taux de 10 % opposable à la société [4], à la consolidation de la maladie professionnelle du 18 mai 2016 dont a été reconnu atteint M. [X] [N].
Au soutien de ses intérêts, la caisse primaire d'assurance maladie de Maine-et-Loire soutient que le juge pourrait exercer un contrôle sanctionnant une erreur manifeste d'appréciation à partir de l'application du barème indicatif d'invalidité qui fournit les bases d'estimation du préjudice consécutif aux séquelles des accidents du travail, éventuellement des maladies professionnelles. À titre subsidiaire, elle considère que le taux d'incapacité de M. [N] a été correctement évalué et que la commission médicale de recours amiable a pris sa décision au regard des observations du médecin consultant de l'employeur, le docteur [W]. Elle indique verser aux débats le certificat médical initial, le colloque médico administratif, l'avis du médecin conseil sur la fixation de la consolidation, le certificat médical final et les conclusions motivées du médecin-conseil de la fixation du taux d'IPP.
MOTIFS DE LA DECISION
L'article L. 434-2 du code de la sécurité sociale prévoit que la détermination du taux d'incapacité permanente partielle s'effectue d'après la nature de l'infirmité, l'état général, les facultés physiques et mentales de la victime ainsi que d'après ses aptitudes et sa qualification professionnelle, compte tenu d'un barème indicatif d'invalidité.
En l'espèce, il ressort des pièces versées aux débats, notamment de la notification de la décision relative au taux d'incapacité permanente partielle du 4 novembre 2019, que la caisse a attribué à M. [X] [N] un taux d'incapacité permanente partielle de 10 % à compter du 28 septembre 2019 au vu des renseignements recueillis en application de l'article R.434-31 du code de sécurité sociale ainsi que des conclusions du médecin-conseil lequel a indiqué : 'séquelles indemnisables de la MP : sciatique par hernie discale L4 L5 ayant bénéficié de 3 infiltrations [sont] des douleurs nécessitant un traitement et gêne fonctionnelle avec plusieurs signes objectifs dont un signe de Lasègue permettant de déterminer un taux à 10 % selon le chapitre 3. 2 du barème de l'invalidité (accident de travail) '.
Ce taux a été confirmé par la commission médicale de recours amiable par décision du 25 juin 2020.
Pour contester le taux d'IPP retenu et le limiter à 5 %, l'employeur prétend en se basant sur les conclusions de son médecin-consultant, que ni la hernie discale ni le conflit discoradiculaire n'ont pas été objectivés par IRM. Le médecin consultant évoque un salarié de 56 ans en surpoids notable pour lequel il existait une discopathie évoluée et une arthrose facettaire. Il évoque en tout état de cause des séquelles extrêmement discrètes, se limitant à des douleurs alléguées, en l'absence de la moindre anomalie neurologique objectivée. Il ajoute que le salarié n'a jamais cessé son activité de magasinier cariste, activité sollicitant pourtant le rachis lombaire, ce qui tend à démontrer l'absence de retentissement fonctionnel notable.
La contestation par l'employeur du taux d'IPP attribué au salarié nécessite de pouvoir répondre aux affirmations de ce dernier, ce qui exclut un simple contrôle de l'erreur manifeste d'appréciation dans la fixation de ce taux par le médecin-conseil.
Ainsi, le certificat médical initial du 18 mai 2016, celui final du 7 octobre 2019, la fiche colloque médico administratif du 1er septembre 2016, ainsi que la notification du taux d'incapacité permanente partielle font tous mention d'une sciatique gauche par hernie discale L4 L5. C'est bien sur la base de cette même pathologie prévue au tableau 98 des maladies professionnelles que la commission de recours amiable a confirmé le maintien du taux d'incapacité permanente à 10 % à la date de consolidation du 27 septembre 2019. En effet, la commission de recours amiable fait expressément référence au chapitre 3. 2 du barème indicatif d'invalidité relatif au rachis dorso-lombaire.
Or, en contestant aujourd'hui l'existence d'une hernie discale par l'intermédiaire de son médecin consultant, dans le cadre de l'attribution du taux d'incapacité permanente partielle, l'employeur revient à remettre en cause la réunion des conditions de reconnaissance de la maladie professionnelle telle que décrite au tableau 98. La cour constate néanmoins que l'employeur n'a jamais contesté l'origine professionnelle de la maladie. Il convient de considérer qu'il n'est plus fondé à le faire dans le cadre de la discussion sur le taux d'incapacité permanente partielle. Par conséquent, les affirmations sans fondement médical de son médecin consultant sur l'absence de hernie discale, d'un conflit discoradiculaire et l'absence de la moindre anomalie neurologique objectivée n'ont aucun intérêt dans le débat.
Par ailleurs, le médecin consultant prétend, toujours à partir de l'analyse du compte rendu de l'I.R.M., qu'il existerait un état pathologique antérieur, notamment une arthrose facettaire pouvant « irradier aux membres inférieurs minimisant les douleurs sciatiques (pseudo radiculalgies) ». Là encore, le docteur [W] procède par simples affirmations, sans aucune démonstration médicale et alors qu'il a déjà été indiqué précédemment que son interprétation du compte rendu de l'I.R.M. sur l'absence de hernie discale n'était pas pertinente.
De plus, le barème indicatif d'invalidité de l'annexe I § 3. 2 de l'article R. 434 ' 32 du code de la sécurité sociale prévoit pour le rachis dorsolombaire :
« Si le rachis dorsal est un segment pratiquement rigide et participant peu aux mouvements, la pathologie traumatique du rachis lombaire est fréquente. Aussi, est-il indispensable de tenir compte des données rhumatologiques les plus récentes de la pathologie discale et non discale lombaire.
Pour éviter les interprétations erronées basées sur une fausse conception de l'image radiologique, il faut définir avec soin les données objectives de l'examen clinique et, notamment, différencier les constatations faites selon qu'elles l'ont été au repos ou après un effort.
L'état antérieur (arthroses lombaires ou toute autre anomalie radiologique que l'accident révèle et qui n'ont jamais été traitées antérieurement), ne doit en aucune façon être retenu dans la génèse des troubles découlant de l'accident.
Normalement, la flexion à laquelle participent les vertèbres dorsales et surtout lombaires est d'environ 60°. L'hyperextension est d'environ 30°, et les inclinaisons latérales de 70°. Les rotations atteignent 30° de chaque côté.
C'est l'observation de la flexion qui donne les meilleurs renseignements sur la raideur lombaire. La mesure de la distance doigts-sol ne donne qu'une appréciation relative, les coxo-fémorales intervenant dans les mouvements vers le bas. L'appréciation de la raideur peut se faire par d'autres moyens, le test de Schober-Lasserre peut être utile. Deux points distants de 15 cm (le point inférieur correspondant à l'épineuse de L 5), s'écartent jusqu'à 20 dans la flexion antérieure. Toute réduction de cette différence au-dessous de 5 cm atteste une raideur lombaire réelle.
Persistance de douleurs notamment et gêne fonctionnelle (qu'il y ait ou non séquelles de fracture) :
- Discrètes 5 à 15
- Importantes 15 à 25
- Très importantes séquelles fonctionnelles et anatomiques 25 à 40
A ces taux s'ajouteront éventuellement les taux estimés pour les séquelles nerveuses coexistantes [...] ».
Pour retenir l'attribution d'un taux de 10 %, le médecin-conseil évoque l'existence de douleurs nécessitant 3 infiltrations ainsi qu'une gêne fonctionnelle avec plusieurs signes objectifs dont un signe de Lasègue. À ce stade, il convient de préciser que le signe de Lasègue est un test clinique permettant de caractériser une douleur entre les lombaires et le pied. Ces constatations permettent d'affirmer que le médecin-conseil a bien procédé à un examen médical approfondi de M. [N] pour fixer le taux d'IPP à hauteur de 10 %.
En revanche, le taux de 5 % proposé par le médecin consultant de l'employeur est dépourvu de toute justification puisqu'il est fondé outre sur les éléments non pertinents précédemment examinés, sur une prétendue absence de retentissement fonctionnel notable au motif que M. [N] a poursuivi son activité professionnelle. Il ne peut pourtant être tiré aucune conséquence de la prescription de soins sans arrêt de travail sur la fixation du taux d'IPP. À l'inverse, la réalisation d'infiltrations et la poursuite d'un traitement antalgique caractérise l'existence de douleurs en plus d'une gêne fonctionnelle. L'absence de production aux débats par l'employeur, d'éléments médicaux sérieux pour contester l'attribution de ce taux d'incapacité permanente partielle ne peut pas non plus justifier, à titre subsidiaire, l'organisation d'une consultation médicale.
Par conséquent, le jugement est confirmé en toutes ses dispositions. La société [4], partie perdante, est condamnée aux dépens de la procédure d'appel.
PAR CES MOTIFS :
La cour statuant publiquement par arrêt contradictoire, mis à disposition au greffe,
Rejette le contrôle exercé sur la fixation du taux d'incapacité permanente partielle par le médecin-conseil de la caisse primaire d'assurance maladie de Maine-et-Loire, basé sur la simple erreur manifeste d'appréciation , tel que sollicité par la caisse ;
Confirme le jugement du pôle social du tribunal judiciaire du Mans du 2 juin 2021 en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant,
Condamne la société [4] au paiement des dépens de la procédure d'appel.
LE GREFFIER, P/ LE PRÉSIDENT empêché,
Viviane BODIN E. GENET