COUR D'APPEL
d'ANGERS
Chambre Sociale
ARRÊT N°
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/00402 - N° Portalis DBVP-V-B7F-E3NX.
Jugement Au fond, origine Pole social du TJ de LAVAL, décision attaquée en date du 21 Mai 2021, enregistrée sous le n° 20/00141
ARRÊT DU 22 Juin 2023
APPELANTE :
LA S.A.S. [7]
[Adresse 2]
[Localité 4]
représentée par Me Xavier BONTOUX de la SAS BDO AVOCATS LYON, avocat au barreau de LYON substitué par Me QUILICHINI
INTIMEE :
LA CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DES HAUTES ALPES
[Adresse 3]
[Adresse 3]
[Localité 1]
représentée par Mr [O], muni d'un pouvoir
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 02 Février 2023 à 9 H 00, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame GENET, conseiller chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Président : Mme Marie-Christine DELAUBIER
Conseiller : Madame Estelle GENET
Conseiller : M. Yoann WOLFF
Greffier lors des débats : Madame Viviane BODIN
ARRÊT :
prononcé le 22 Juin 2023, contradictoire et mis à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par Madame GENET, conseiller pour le président empêché, et par Madame Viviane BODIN, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
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FAITS ET PROCÉDURE :
Salarié de la société [7] en qualité d'agent technico-commercial, M. [V] [H] a déclaré avoir été victime d'un accident du travail le 16 janvier 2020 dans les circonstances suivantes, selon la déclaration d'accident du travail complétée par l'employeur le 20 janvier 2020 : « le salarié déclare avoir glissé lorsqu'il est monté à l'arrière de son véhicule, ce qui a provoqué sa chute. Il s'est rattrapé avec son poignet gauche. Impact avec le sol lors de la chute ».
Le certificat médical initial établi le 17 janvier 2020 fait état d'une « fracture poignet gauche » et a prescrit un arrêt de travail jusqu'au 24 janvier 2020, finalement prolongé jusqu'au 11 mai 2020, date à laquelle le salarié a été déclaré guéri.
Par décision du 3 février 2020, la caisse primaire d'assurance maladie des Hautes-Alpes a pris en charge d'emblée l'accident déclaré par M. [H] au titre de la législation professionnelle, considérant que les réserves présentées par la société [7] n'étaient pas motivées.
Cette dernière a saisi la commission de recours amiable d'une contestation de cette décision, le 24 mars 2020, laquelle a rejeté son recours lors de sa séance du 24 juin 2020.
Par lettre recommandée avec accusé de réception expédiée le 29 août 2020, la société [7] a saisi le pôle social du tribunal judiciaire de Laval d'une contestation de cette décision.
Par jugement en date du 21 mai 2021, le pôle social a déclaré opposable à l'employeur la décision de prise en charge au titre de la législation professionnelle de l'accident de M. [V] [H] du 16 janvier 2020 et l'a condamné aux dépens.
Pour statuer en ce sens, les premiers juges ont considéré que l'employeur n'explicitait pas les réserves et reprenait à son compte la version de son salarié.
Par lettre recommandée avec accusé de réception reçue au greffe le 16 juin 2021, la société [7] a régulièrement interjeté appel du jugement qui lui a été notifié le 26 mai 2021.
Le dossier a été appelé pour plaidoirie à l'audience du conseiller rapporteur du 2 février 2023.
MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES
Par conclusions récapitulatives reçues au greffe le 30 janvier 2023, régulièrement soutenues à l'audience et auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé, la SAS [7] demande à la cour de :
- infirmer le jugement rendu par le pôle social en ce qu'il a rejeté son recours, lui a déclaré opposable la décision de prise en charge au titre de la législation professionnelle de l'accident de M. [H] du 16 janvier 2020 et l'a condamnée aux dépens ;
Statuant à nouveau :
- juger que la décision de prise en charge au titre de la législation professionnelle de l'accident déclaré par M. [H] comme étant survenu le 7 janvier 2020 lui est inopposable.
Au soutien de ses intérêts, la société [7] souligne que la caisse n'a pas pris en compte ses réserves motivées. Elle explique que dans la déclaration d'accident du travail, elle a mentionné que personne n'avait été témoin de cet accident. Elle considère que la mention de l'absence de témoins dans la partie intéressant les réserves motivées constitue bien des réserves motivées. Elle reproche ainsi à la caisse de ne pas avoir diligenté d'enquête.
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Par conclusions reçues au greffe le 27 janvier 2023, régulièrement soutenues à l'audience et auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé, la caisse primaire d'assurance maladie des Hautes-Alpes conclut :
- à la confirmation de la reconnaissance au titre de la législation professionnelle de l'accident de travail dont M. [V] [H] a été victime le 16 janvier 2020 ;
- à la confirmation de la régularité de la procédure de prise en charge ;
- qu'il soit constaté que la société [7] n'apporte aucun élément susceptible de détruire la présomption d'imputabilité s'appliquant à la qualification de l'accident ;
- à la confirmation de l'opposabilité à l'employeur de la décision de reconnaissance du caractère professionnel de l'accident de M. [H] ;
- à la confirmation en tous ses termes du jugement du tribunal judiciaire de Laval du 21 mai 2021 ;
- par conséquent, au rejet de la requête de la société [7] ainsi que toute nouvelle prétention ;
- que les dépens soient donnés à la charge de la société [7] ;
- au rejet de toute demande tendant au bénéfice de l'article 700 du code de procédure civile ;
- à la condamnation de la société [7] à la somme de 1500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Au soutien de ses intérêts, la caisse primaire d'assurance maladie des Hautes-Alpes fait valoir que, dans le cadre de la déclaration d'accident du travail la mention « faits déclarés par le salarié, pas de témoins », dans le paragraphe « éventuelles réserves motivées » ne constitue pas des réserves motivées au regard de l'absence de toute autre précision ainsi qu'au regard de la profession itinérante de M. [H]. Elle ajoute que l'employeur a joint à la déclaration d'accident du travail une lettre dans laquelle il se contente d'énoncer les circonstances de l'accident déclaré par le salarié sans expliciter aucune réserve et surtout sans remettre en cause ses déclarations.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Selon les dispositions de l'article R. 441-6 du code de la sécurité sociale dans sa version en vigueur à compter du 1er décembre 2019, 'lorsque la déclaration de l'accident émane de l'employeur, celui-ci dispose d'un délai de dix jours francs à compter de la date à laquelle il l'a effectuée pour émettre, par tout moyen conférant date certaine à leur réception, des réserves motivées auprès de la caisse primaire d'assurance maladie.'
Constitue des réserves motivées de la part de l'employeur toute contestation du caractère professionnel de l'accident portant sur les circonstances de temps et de lieu de celui-ci ou sur l'existence d'une cause totalement étrangère au travail. Peut ainsi constituer de telles réserves la mise en doute du fait que l'accident ait pu se produire au temps et au lieu du travail, en relevant, d'une part, l'absence de témoins, et d'autre part, l'absence de déclaration de l'accident par le salarié à l'employeur le jour supposé de sa survenue, ce qui permet de retenir l'existence de réserves motivées. L'émission de réserves ne saurait en revanche être interprétée comme imposant à l'employeur de rapporter, à ce stade de la procédure, la preuve de faits de nature à démontrer que l'accident n'a pu se produire au temps et au lieu du travail.
L'absence de réserves portées par l'employeur sur la déclaration qu'il adresse à la caisse primaire quant au caractère professionnel de l'accident ne vaut pas reconnaissance tacite de sa part d'un tel caractère et ne le prive pas de la possibilité de le contester par la suite.
Si l'employeur a formulé des réserves sur les circonstances de temps et de lieu de l'accident ainsi que sur la matérialité même du fait accidentel, la caisse ne peut prendre sa décision sans procéder à une instruction préalable.
En l'espèce, il est constant que la société [7] a bien rempli dans la déclaration d'accident de travail du 20 janvier 2020, la rubrique 'réserves motivées'. La seule mention 'faits déclarés par le salarié, pas de témoin' constitue en soi et sans aucune ambiguïté une contestation du caractère professionnel de l'accident portant sur les circonstances de temps et de lieu de celui-ci, plus précisément relève d'une insuffisance des seules déclarations du salarié pour apprécier la matérialité du fait accidentel allégué. En complément de la déclaration, la société [7] a indiqué la mention suivante : 'Explications détaillées accident du travail [H] [V] du 16/01/2020
Le salarié nous a décrit les faits suivants le vendredi 17/01/2020 :
Monsieur [V] [H] était en déplacement pour se rendre chez un client de [Localité 6] (83). Lors de son trajet, il a reçu un appel téléphonique. Il s'est arrêté sur le bas-côté de la nationale 7 à [Localité 5].
Ayant besoin d'un catalogue avec tarifs, il est descendu de son véhicule pour aller chercher le catalogue dans son coffre. Monsieur [V] [H] dispose [d'un] trafic expert.
En rentrant dans son coffre, il a posé le pied dans son véhicule et il a glissé. En tombant, il a voulu se rattraper et il est tombé sur son poignet gauche'.
Cependant, ce paragraphe ne doit pas s'analyser comme une reprise à son compte de la version donnée par le salarié. Il s'agit d'une simple précision apportée à la rubrique 'activité de la victime lors de l'accident' qui n'a pas été renseignée, que par la mention 'voir le détail sur la pièce jointe'.
Bien au contraire, toutes les formules utilisées par l'employeur dans la déclaration d'accident de travail ne font que traduire la mise à distance de la version du salarié : 'le salarié déclare [...]', 'le salarié nous a décrit les faits suivants [...]'.
En présence de réserves motivées de la part de l'employeur, la caisse primaire d'assurance maladie des Hautes-Alpes aurait dû procéder à une instruction. Il importe peu qu'à ce stade, elle fasse état des éléments lui permettant de reconnaître d'emblée le caractère professionnel de l'accident du travail.
Il y a donc lieu de déclarer inopposable à la SAS [7] la décision de prise en charge au titre de la législation professionnelle de l'accident de M. [V] [H] du 16 janvier 2020.
Le jugement est infirmé en toutes ses dispositions.
La caisse primaire d'assurance maladie des Hautes-Alpes est condamnée au paiement des dépens de première instance et d'appel.
La demande qu'elle a présentée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile doit être rejetée.
PAR CES MOTIFS :
La COUR,
Statuant par arrêt contradictoire, prononcé publiquement et par mise à disposition au greffe,
Infirme en toutes ses dispositions le jugement rendu par le pôle social du tribunal judiciaire de Laval du 21 mai 2021 ;
Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,
Déclare inopposable à la SAS [7] la décision de prise en charge au titre de la législation professionnelle de l'accident de M. [V] [H] du 16 janvier 2020 ;
Rejette la demande présentée par la caisse primaire d'assurance maladie des Hautes-Alpes sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la caisse primaire d'assurance maladie des Hautes-Alpes au paiement des dépens de première instance et d'appel.
LE GREFFIER, P/ LE PRÉSIDENT EMPÊCHÉ
Viviane BODIN E. GENET