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12/06/2023 | FRANCE | N°20/00819

France | France, Cour d'appel d'Angers, 1ère chambre section b, 12 juin 2023, 20/00819


COUR D'APPEL

D'ANGERS

1ERE CHAMBRE SECTION B







LP/IM

ARRET N°:



AFFAIRE N° RG 20/00819 - N° Portalis DBVP-V-B7E-EVSG



Jugement du 24 Avril 2018

Tribunal de Grande Instance du Mans

n° d'inscription au RG de première instance



ARRET DU 12 JUIN 2023



APPELANT :



M. [D] [P], décédé le 1er mai 2021



INTERVENANTS VOLONTAIRES



Mme [F] [G] [V] [P] venant aux droits de M. [D] [P], décédé le 1er mai 2021

née le 3 Novembre 1

966 à [Localité 10]

[Adresse 12]

[Localité 3]



M. [B] [X] [P] venant aux droits de M. [D] [P], décédé le 1er mai 2021

né le 18 Juillet 1970 à [Localité 10]

[Adresse 11]

[Localité 4]



M. [W] [Z] ...

COUR D'APPEL

D'ANGERS

1ERE CHAMBRE SECTION B

LP/IM

ARRET N°:

AFFAIRE N° RG 20/00819 - N° Portalis DBVP-V-B7E-EVSG

Jugement du 24 Avril 2018

Tribunal de Grande Instance du Mans

n° d'inscription au RG de première instance

ARRET DU 12 JUIN 2023

APPELANT :

M. [D] [P], décédé le 1er mai 2021

INTERVENANTS VOLONTAIRES

Mme [F] [G] [V] [P] venant aux droits de M. [D] [P], décédé le 1er mai 2021

née le 3 Novembre 1966 à [Localité 10]

[Adresse 12]

[Localité 3]

M. [B] [X] [P] venant aux droits de M. [D] [P], décédé le 1er mai 2021

né le 18 Juillet 1970 à [Localité 10]

[Adresse 11]

[Localité 4]

M. [W] [Z] [R] [P] venant aux droits de M. [D] [P], décédé le 1er mai 2021

né le 16 Juin 1973 à [Localité 10]

[Adresse 13]

[Localité 4]

Représentés par Me Etienne BONNIN, avocat au barreau du MANS

INTIMEE :

Mme [A] [P] veuve [O]

née le 24 Mars 1949 à [Localité 4] (72200)

[Adresse 1]

[Localité 5]

Représentée par Me François-xavier LANDRY, avocat au barreau du MANS - N° du dossier 2022084

COMPOSITION DE LA COUR

L'affaire a été débattue publiquement à l'audience du 3 Avril 2023, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme PARINGAUX, conseillère qui a été préalablement entendue en son rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme COURTADE, présidente de chambre

Mme BUJACOUX, conseillère

Mme PARINGAUX, conseillère

Greffière lors des débats : Mme BOUNABI

ARRET : contradictoire

Prononcé publiquement le 12 juin 2023 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions de l'article 450 du code de procédure civile ;

Signé par Marie-Christine COURTADE, présidente de chambre, et par Florence BOUNABI, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

~~~~

FAITS ET PROCÉDURE

Mme [L] [P], née le 16 mai 1937, est décédée le 20 juin 2017 à [Localité 4] (72), laissant comme famille proche son frère, M. [D] [P], et sa soeur, Mme [A] [P] épouse [O].

Par jugement du 23 novembre 2010 du juge des tutelles du tribunal d'instance de La Flèche, et à la requête de M. [D] [P], Mme [L] [P] a été placée sous curatelle renforcée, confiée pour 5 ans à sa soeur Mme [A] [P] épouse [O].

M. [D] [P] a interjeté appel de cette décision.

Par arrêt du 28 février 2011 la cour d'appel d'Angers a infirmé partiellement le jugement déféré en désignant l'UDAF de la Sarthe en qualité de curateur.

Par jugement du 23 octobre 2012 le juge des tutelles du tribunal d'instance de La Flèche a placé Mme [L] [P] sous le régime de la tutelle confiée pendant dix ans à l'Udaf de la Sarthe, et a maintenu le droit de vote de la majeure protégée.

Après le décès de sa soeur, M. [D] [P] a découvert l'existence de deux testaments olographes, datés des 18 décembre 1988 et 21 novembre 2007, rédigés par Mme [L] [P].

Le second a été enregistré au fichier national des testaments le 15 juin 2011 par l'intermédiaire de la SCP Martin et Guihard, notaires associés à Herbignac (44).

Dans le premier testament Mme [L] [P] attribue à son décès un terrain situé à [Localité 17] à sa soeur Mme [A] [O] et à son beau-frère M. [R] [O], et dans le second elle institue Mme [A] [O] pour légataire universel.

Par acte d'huissier du 21 novembre 2017, M. [D] [P] a fait assigner Mme [A] [P] épouse [O], devant le tribunal de grande instance du Mans aux fins de voir sur le fondement des articles 414-1 et 901 du code civil :

- prononcer la nullité des testaments olographes de Mme [L] [P] datés des 18 décembre 1988 et 21 novembre 2007 pour insanité d'esprit de la testatrice ;

- ordonner l'ouverture des opérations de compte liquidation et partage de la succession de Mme [L] [P] ;

- désigner pour y procéder le président de la chambre des notaires avec faculté de délégation ;

- condamner Mme [O] au paiement d'une indemnité de 2 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens de l'instance.

Mme [A] [P] épouse [O] n' a pas constitué avocat.

Par jugement du 24 avril 2018, le tribunal de grande instance du Mans a :

- débouté M. [D] [P] de ses demandes portant annulation des testaments des 18 décembre 1988 et 21 novembre 2007 ainsi que de celles se rapportant aux opérations de liquidation partage, et de frais irrépétibles ;

- laissé les dépens à la charge de M. [D] [P].

Selon déclaration reçue au greffe de la cour d'appel d'Angers le 3 juillet 2020, M. [D] [P] a interjeté appel de cette décision en ce qu'elle a : 'débouté M. [P] de ses demandes portant annulation des testaments des 18 décembre 1988 et 21 novembre 2007 ainsi que celles se rapportant aux opérations de liquidation partage et de frais irrépétibles et laissé les dépens à la charge de M. [P].'

M. [D] [P] a signifié ses conclusions à Mme [F] [P] épouse [O] par acte d'huissier délivré à personne le 21 octobre 2020.

M. [D] [P] est décédé le 1er mai 2021.

Mme [P] épouse [O] a constitué avocat le 11 août 2022.

Par conclusions du 22 septembre 2022, Mme [F] [P], M. [B] [P] et M. [W] [P], enfants de M. [D] [P], sont intervenus volontairement à la procédure aux droits de leur père.

Par conclusions du 5 octobre 2022, Mme [A] [P] épouse [O] a saisi le conseiller de la mise en état d'un incident.

Par ordonnance du 8 décembre 2022, le conseiller de la mise en état a :

- constaté l'intervention volontaire à la procédure de Mme [F] [P], M. [W] [P] et M. [B] [P] venant aux droits de M. [D] [P], leur père décédé ;

- déclaré Mme [O] irrecevable à conclure sur incident devant le conseiller de la mise en état ;

- rejeté la demande de communication de pièces médicales ;

- débouté les parties de leurs demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile ;

- laissé à chaque partie la charge des dépens de l'incident qu'elle a exposés.

Par avis du 2 février 2023, le conseiller en charge de la mise en état a invité les parties à présenter leurs observations préalables sur l'irrecevabilité des conclusions de l'intimée déposées le 24 octobre 2022.

Par ordonnance du 2 mars 2023, le conseiller de la mise en état a déclaré irrecevables les conclusions de Mme [P] épouse [O] en date du 24 octobre 2022.

L'ordonnance de clôture de la procédure a été rendue le 29 mars 2023, l'affaire étant fixée pour plaidoiries à l'audience du 3 avril 2023.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Aux termes de leurs dernières conclusions déposées le 21 octobre 2022, Mme [F] [P], M. [B] [P] et M. [W] [P], venant aux droits de leur père [D] [P] demandent à la présente juridiction de :

- dire recevable et bien fondée l'intervention volontaire de :

* Mme [F] [G] [V] [P]

Agricultrice

De nationalité française

Née le 3 novembre 1966 à [Localité 10]

Domiciliée [Adresse 12]

* M. [B] [X] [P]

Apiculteur

De nationalité française

Né le 18 juillet 1970 à [Localité 10]

Domicilié [Adresse 11]

* M. [W] [Z] [R] [P]

Paysagiste

De nationalité française

Né le 16 juin 1973 à [Localité 10]

Domicilié [Adresse 13]

Venant ensemble aux droits de :

M. [D] [P],

De nationalité française

Né le 8 février 1932 à [Localité 7] (72)

Décédé au [Localité 4] (72) le 1er mai 2021

Domicilié de son vivant [Adresse 8]

- dire irrecevable la constitution de Mme [O] et constater la caducité de ses conclusions,

Avant dire droit :

- ordonner la réouverture des débats,

- ordonner à Mme ou M. le directeur de l'établissement public de santé mentale de la Sarthe, dont le siège est situé [Adresse 2], la production du dossier médical de Mme [L] [P] au greffe de la cour d'appel d'Angers, dans un délai de trois semaines à compter de la signification de l'arrêt à intervenir et sous astreinte journalière de 250 euros par jour de retard passé le délai précité ;

- dire que le dossier médical de Mme [L] [P] sera notifié aux concluants par RPVA à la diligence du greffe de la cour de céans ;

- renvoyer l'examen de la présente instance à telle audience de plaidoirie qu'il plaira à la cour fixer et clôture la mise en état de la présente instance à telle date qu'il plaira à la cour ;

Sur le fond :

- infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

- débouter Mme [O] de l'ensemble de ses moyens, fins et prétentions ;

- prononcer la nullité des testaments olographes de Mme [L] [P] datés des 18 décembre 1988 et 21 novembre 2007 pour insanité d'esprit de la testatrice ;

- ordonner l'ouverture des opérations de compte liquidation et partage de la succession de Mme [L] [P] née le 16 mai 1937 à [Localité 14] (Sarthe) et décédée le 20 juin 2017 au [Localité 4] (Sarthe) ;

- désigner pour y procéder le président de la chambre départementale des notaires, avec faculté de délégation ;

- condamner Mme [O] au paiement d'une indemnité de 3 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens de l'instance.

Pour un exposé plus ample des moyens et prétentions des parties, la cour se réfère expressément aux conclusions sus visées en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur l'intervention volontaire

M. [D] [P] a interjeté appel le 3 juillet 2020 du jugement rendu le 24 avril 2018 par le tribunal de grande instance du Mans.

M. [D] [P] est décédé en cours d'instance le 1er mai 2021.

Suivant l'attestation délivrée le 23 juillet 2023 par Maître [K] [M], notaire à [Localité 10], Mme [F] [P] épouse [S], M. [B] [P] et M. [W] [P] sont, avec leur mère Mme [E] [U] veuve [P], habiles à se dire et porter héritiers ensemble pour le tout ou chacun pour un tiers, sauf à tenir compte des droits du conjoint survivant, de M. [D] [P].

En application des dispositions de l'article 554 du code de procédure civile, Mme [F] [P], M. [B] [P] et M. [W] [P] en leurs qualités d'héritiers de feu M. [D] [P], appelant initial, sont donc recevables à intervenir volontairement en cause d'appel.

Sur l'irrecevabilité de la constitution de Mme [P] épouse [O] et la caducité de ses conclusions

Mme [F] [P], M. [B] [P] et M. [W] [P] demandent que soient déclarées irrecevables la constitution de Mme [P] épouse [O] et ses conclusions d'incident.

Ils arguent de ce que la déclaration d'appel lui a été signifiée par exploit d'huissier du 21 octobre 2020, et qu'en se constituant au cours du second semestre 2022, elle a méconnu les dispositions des articles 902 et 909 du code de procédure civile relatives aux délais impératifs de constitution d'intimé et de dépôt de conclusions d'intimé devant la cour.

Sur ce,

L'article 902 du code de procédure civile ne sanctionne pas le non respect par l'intimé du délai de quinze jours à compter de la signification faite par l'appelant pour constituer avocat d'une irrecevabilité.

Seul le non respect par l'intimé du délai de trois mois à compter de la notification des conclusions de l'appelant prévues à l'article 908 du code de procédure civile pour remettre ses conclusions au greffe et former, le cas échéant, appel incident ou appel provoqué encourt l'irrecevabilité.

Par ordonnance du 2 mars 2023, le conseiller en charge de la mise en état a constaté que les conclusions de l'intimée déposées au greffe et notifiées le 24 octobre 2022 sont irrecevables car déposées après la date d'expiration du délai de trois mois imposée par l'article 909 du code de procédure civile.

Ainsi il a déjà été statué sur la demande présentée par Mme [F] [P], M. [B] [P] et M. [W] [P], qui par suite est sans objet devant la cour.

Sur la demande de réouverture des débats et de communication de pièces

Mme [F] [P], M. [B] [P] et M. [W] [P] demandent la réouverture des débats pour ordonner au directeur de l'établissement public de santé mentale de la Sarthe, situé à [Localité 6], la production du dossier médical de Mme [L] [P] au greffe de la cour d'appel d'Angers, dans un délai de trois semaines à compter de la signification de l'arrêt à intervenir et sous astreinte journalière de 250 euros par jour de retard passé le délai précité.

Ils expliquent que le dossier médical de la défunte, qui a été hospitalisée dès 2006 plusieurs semaines dans cet établissement spécialisé dans les soins psychiatriques, contient des éléments sur la pathologie dont elle souffrait susceptibles d'éclairer sur son insanité d'esprit lors de la rédaction des deux testaments olographes contestés.

Sur ce,

L'article 11 alinéa 2 du code de procédure civile dispose que : 'Si une partie détient un élément de preuve, le juge peut, à la requête de l'autre partie, lui enjoindre de le produire, au besoin à peine d'astreinte. Il peut, à la requête de l'une des parties, demander ou ordonner, au besoin sous la même peine, la production de tous documents détenus par des tiers s'il n'existe pas d'empêchement légitime'.

L'article L 1110-4 du code de la santé publique énonce le principe du respect pour toute personne prise en charge par un professionnel de santé, un établissement ou un service, de sa vie privée et du secret des informations la concernant.

Le secret médical ne fait cependant pas obstacle à ce que les informations concernant une personne décédée soient délivrées à ses ayants droit, son concubin ou son partenaire lié par un pacte civil de solidarité, dans la mesure où elles leur sont nécessaires pour leur permettre de connaître les causes de la mort, de défendre la mémoire du défunt ou de faire valoir leurs droits.

Or Mme [F] [P], M. [B] [P] et M. [W] [P], hormis leur lien de parenté avec la défunte, n'ont pas une des qualités spécifiques énumérées par l'article L. 1110-4 du code de la santé publique permettant de leur communiquer les informations médicales sollicitées.

Par suite la demande de production du dossier médical de Mme [L] [P] détenu par l'établissement public de santé mentale de la Sarthe se heurte à un empêchement légitime, le secret médical.

D'autre part, Mme [F] [P], M. [B] [P] et M. [W] [P] n'ont pas sollicité la réalisation d'une expertise médicale portant sur l'examen du contenu du dossier médical de Mme [L] [P].

Aussi leur demande d'injonction de production de pièces à la procédure par un tiers sera rejetée, ainsi que celle tendant à obtenir pour ce faire la réouverture des débats.

Sur la nullité des testaments

L'article 414-1 du code civil énonce que : 'Pour faire un acte valable, il faut être sain d'esprit. C'est à ceux qui agissent en nullité pour cette cause de prouver l'existence d'un trouble mental au moment de l'acte'.

L'article 901 du code civil énonce que : 'Pour faire une libéralité, il faut être sain d'esprit. La libéralité est nulle lorsque le consentement a été vicié par l'erreur, le dol ou la violence'.

L'article 970 du code civil dispose que : 'Le testament olographe ne sera point valable s'il n'est écrit en entier, daté et signé de la main du testateur : il n'est assujetti à aucune autre forme'.

L'article 9 du code de procédure civile dispose que : 'Il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention'.

Mme [F] [P], M. [B] [P] et M. [W] [P] demandent le prononcé de la nullité des deux testaments olographes de Mme [L] [P] datés des 18 décembre 1988 et 21 novembre 2007 au motif qu'elle présentait une insanité d'esprit.

Ils expliquent que leur tante souffrait d'une altération ancienne de ses facultés mentales liée à une pathologie psychotique au long court, qui a donné lieu à plusieurs semaines d'hospitalisation en établissement psychiatrique dès 2006 sur intervention du maire de la commune de [Localité 15] comme celui-ci en atteste.

Et que la cour d'appel d'Angers, dans l'arrêt rendu le 28 février 2011, a elle-même pu apprécier cette altération, établie par le rapport du service social du centre hospitalier spécialisé de la Sarthe communiqué à la cour, qui générait des troubles du jugement et un caractère influençable, ce qui a conduit au placement de Mme [L] [P] sous le régime de la curatelle renforcée par le juge des tutelles de La Flèche le 23 novembre 2010.

Ils soutiennent que du fait de sa pathologie Mme [L] [P] était sous l'influence de sa soeur [A] qui en a vraisemblablement profité, comme en atteste un ami de la défunte, M. [T] [Y].

Les intervenants soulignent qu'il est suspect que Mme [A] [P] soit intervenue plus de 22 ans après sa rédaction pour faire enregistrer sur le fichier national des testaments et à ses frais le 24 mai 2011 le testament de 1988 par la SCP Marin et Guihard, alors que la cour d'appel d'Angers avait désigné à sa place l'UDAF de la Sarthe comme curateur de sa soeur et que le testament daté du 21 novembre 2007, à supposer cette date exacte, comporte une mention manuscrite fausse rajoutée par Mme [A] [P] 'fait chez Me [I]'.

Mme [F] [P], M. [B] [P] et M. [W] [P] estiment en outre que la teneur des deux actes litigieux (qualité d'écriture, régularité des lignes, ratures, l'ajout par Mme [A] [P] épouse [O]) militent dans le sens de l'existence de la pathologie dont souffrait Mme [L] [P] qui n'était par suite pas saine d'esprit pour librement tester, son consentement ayant à l'évidence été manipulé par sa soeur à son profit.

Sur ce,

Mme [F] [P], M. [B] [P] et M. [W] [P] versent aux débats les photocopies de deux documents entièrement manuscrits, signés et datés, respectivement des 18 décembre 1988 et 21 novembre 2007 :

- le premier, référencé pièce n°5, contient notamment les éléments suivants : 'je soussignée Mme [P] [L] atteste que depuis l'achat de mon terrain situé à [Localité 17], ma soeur [A] [O] et mon beau-frère [R] [O] l'entretiennent et ont effectué différents travaux depuis que je l'ai acheté pour une amélioration et surtout pour les besoins du mobil home implanté sur ce terrain, ces travaux ont été effectués à leurs frais personnel c'est pour cette raison que j'exige que ce terrain leur revienne à mon décès' ;

- le second, référencé pièce N° 8, contient principalement les éléments suivants : 'ceci est mon testament, je sousigner Melle [P] [L], demeurant à [Adresse 16], j'institue pour ma légataire universel madame [A] [O] née [P] ma soeur, de manière à ce quelle recueille la totalité de mes biens'.

Une mention manuscrite au bas de ce document ,qui n'est pas de la même écriture, apparaît 'fait chez Me [I]'.

Mme [F] [P], M. [B] [P] et M. [W] [P] n'ont émis aucun doute sur le fait que ces deux documents aient été rédigés de la main de leur tante [L].

Cependant ils versent aux débats une attestation de M. [T] [Y] en date du 15 septembre 2017, qui déclare avoir été le compagnon de Mme [L] [P], à une époque non précisée, et qui émet une réserve sur l'écriture figurant sur les deux testaments, indiquant ' pour moi ce n'est pas son écriture'.

Cette personne n'est néanmoins pas catégorique et elle ne fournit aucun élément précis étayant son impression.

Il convient par ailleurs de relever que dans l'arrêt rendu le 28 février 2011 pour confier la curatelle de Mme [L] [P] à l'UDAF de la Sarthe, la cour d'appel d'Angers n'a pas fait mention de l'existence d'un compagnon de la majeure protégée mais seulement 'd'un ami'.

C'est d'ailleurs sous l'angle de cette seule relation amicale que les consorts [P] évoquent dans leurs écritures M. [T] [Y].

Il n'est donc pas établi une proximité avec la défunte susceptible de le rendre apte à identifier sans risque d'erreur possible l'écriture de cette dernière.

Sur le second testament figure une mention manuscrite, avec une encre ou un crayon différents de ceux utilisés pour la rédaction du document, 'fait chez Me [H]' , que Mme [F] [P], M. [B] [P] et M. [W] [P] attribuent à leur tante Mme [A] [P] épouse [O], sans cependant en rapporter la preuve.

En effet cette mention paraît très différente de l'écriture manuscrite de Mme [O] qui figure sur la lettre avec ses coordonnées qu'elle a adressée le 24 mai 2011 à l'office notarial, la SCP Marin et Guihard (pièce n°6). Et quoiqu'il en soit cette mention n'éclaire pas sur les conditions de rédaction du testament du 21 novembre 2007.

Par ailleurs l'écriture manuscrite dans les deux documents signés par Mme [L] [P] est semblable, avec un caractère anguleux de la graphie très marqué.

Ce tracé grêlé des lettres déjà présent sur le document de 1988 s'est notablement accentué sur le document de 2007.

Dans ce dernier écrit les lignes de rédaction sont également beaucoup moins droites que celles de 1988 et partent vers le haut mais ces altérations du geste scriptural peuvent aisément s'expliquer par l'avancée en âge de Mme [L] [P], qui avait 51 ans en 1988, et 70 ans en 2007, sans que cela traduise une insanité d'esprit.

Chacun des deux documents comporte quelques fautes d'orthographe ou des rayures, mais est d'une rédaction parfaitement cohérente, et développée, en particulier le testament du 18 décembre 1988 qui explique le pourquoi de la donation du terrain que Mme [L] [P] entend faire au profit de sa soeur et de son beau-frère à sa mort en remerciement de son entretien et des travaux qu'ils ont réalisés dessus.

Aussi la présentation matérielle des deux documents ne révèle pas en elle-même de signes d'insanité d'esprit dont aurait pu être affectée Mme [L] [P] au moment de leur rédaction.

Il résulte d'un courrier manuscrit du 24 mai 2011 signé du nom de Mme [A] [P] épouse [O] (avec une adresse au [Adresse 1] qui est celle déclarée dans sa constitution d'avocat du 11 août 2022), qu'elle est à l'origine de l'enregistrement du document du 21 novembre 2007 au fichier national des testaments par l'entremise d'un office notarial situé à [Localité 9] (44), la SCP Marin et Guihard, qu'elle a rémunéré selon facture du 10 juin 2021 pour ce faire, en invitant le notaire à ne pas envoyer de courrier à sa soeur 'elle ne veut pas de courrier c'est personnel', tout en lui communiquant les bonnes coordonnées de cette dernière.

Si cette démarche réalisée deux mois après le prononcé de l'arrêt de la cour d'appel d'Angers qui a déchargé Mme [A] [P] épouse [O] de sa mission de curatrice, et auprès d'un office notarial d'un département où ni elle ni sa soeur ne résidaient, interroge quant aux motivations de cette dernière, elle ne constitue cependant pas la démonstration univoque de l'existence d'une manoeuvre frauduleuse pour vicier le consentement de sa soeur.

Mme [L] [P] n'a fait l'objet d'une mesure de protection, un placement sous le régime de la curatelle renforcée que le 23 novembre 2010, soit trois ans après la rédaction du testament du 21 novembre 2007.

La cour d'appel d'Angers dans l'arrêt rendu le 28 février 2011 indique dans sa motivation que Mme [L] [P] souffre d'une altération des facultés mentales liées à une pathologie psychotique au long court, générant des troubles du jugement et un caractère influençable, qui justifie l'instauration d'une mesure de curatelle renforcée.

Il est également fait mention d'un rapport établi par le service social du centre hospitalier spécialisé de la Sarthe du 27 janvier 2011 qui évoque l'état de tension dans lequel se trouve Mme [L] [P] du fait des dissensions existant entre son frère [D] et sa soeur [A].

La motivation de la cour d'appel permet de constater que Mme [L] [P] était bien suivie ou au moins a effectué un séjour au sein d'un établissement psychiatrique en 2011, mais elle n'établit pas que Mme [L] [P] aurait en 1988 et 2007 présenté un état d'insanité mentale.

L'apparition et la manifestation de la pathologie psychotique au long court évoquée par la cour n'étant pas datée et surtout elle est présentée comme génératrice de simples troubles du jugement et d'effets sur le caractère de Mme [L] [P] rendue influençable, mais non comme une inaptitude majeure médicalement établie à jouir d'un consentement libre.

M. [N], maire de la commune de [Localité 15] (72), atteste, le 12 septembre 2017, être intervenu une dizaine d'années auparavant pour ramener Mme [L] [P] chez son frère alors qu'elle divaguait sur la route en tenant des propos incohérents.

Cet épisode, dont le maire n'indique pas qu'il a donné lieu ensuite à une hospitalisation volontaire ou sous contrainte de l'intéressée en secteur psychiatrique, démontre que Mme [L] [P] a pu avoir un comportement délirant ou problématique ponctuel, mais en l'absence d'élément médical émanant de professionnels qualifiés, il ne caractérise pas une insanité d'esprit avérée.

Il est d'ailleurs notable que dans la motivation du jugement de placement sous tutelle de Mme [L] [P] en octobre 2022, il n'est fait mention d'aucune pathologie psychotique à l'origine de l'aggravation de la mesure de protection, et que la tutélaire a pu conserver son droit de vote.

La cour d'appel d'Angers dans son arrêt du 28 février 2011 a considéré sur la base du rapport du service social du centre hospitalier spécialisé de la Sarthe de janvier 2011que Mme [A] [P] épouse [O] s'est improvisée tutrice de sa soeur depuis des années sans l'associer à la gestion de ses comptes et en la laissant vivre dans un état apparent de dénuement et de relative insalubrité, sans que les aides à la personne pourtant nécessaires n'aient été mises en place. Ce qui a motivé que l'exercice de la mesure de curatelle soit confiée à l'Udaf de la Sarthe et non à Mme [O].

M. [T] [Y] indique en outre que Mme [O] n'hésitait pas à le mettre dehors (d'un endroit non précisé) pour faire signer à sa soeur certains documents, et 'qu'elle était obligée de le faire sous contrainte par peur, Mme [O] étant très méchante et autoritaire pour moi et [L]'.

L'ensemble de ces éléments tend à démontrer que Mme [O] n'était à l'évidence pas une personne ressource pour sa soeur, à laquelle elle pouvait tenter d'imposer son intervention dans la gestion de ses comptes ou de ses papiers.

Mais il sont insuffisants pour caractériser les manoeuvres ou violences dont elle aurait pu se rendre coupable pour amener sa soeur en 1988 puis en 2007 à tester en sa faveur.

Il n'est ainsi pas rapporté la preuve par Mme [F] [P], M. [B] [P] et M. [W] [P] de l'insanité d'esprit qu'aurait présentée leur tante [L] le 18 décembre 1988 et le 21 novembre 2007, ni de l'existence d'une erreur, d'un dol ou de violences dont elle aurait été victime de sa soeur [A] pour vicier son consentement et l'amener à tester en sa faveur.

Par suite le jugement contesté sera confirmé.

Sur la demande d'ouverture des opérations de compte liquidation et partage

Le droit de demander le partage de l'indivision successorale appartient au co-indivisaires en application de l'article 815 du code civil.

En l'espèce Mme [A] [P] épouse [O] a été instaurée légataire universel par Mme [L] [P] dans son testament olographe du 21 novembre 2007.

M. [D] [P], frère de la défunte, et ses trois enfants qui interviennent en qualité d'héritiers de leur père, neveux de la défunte, ne sont pas des héritiers réservataires de cette dernière.

Il n'existe par suite pas d'indivision successorale et c'est à bon droit que le tribunal de grande instance du Mans a débouté M. [D] [P] de sa demande d'ouverture des opérations de compte liquidation et partage de la succession de Mme [L] [P].

Le jugement contesté de ce chef sera confirmé.

Sur les frais et dépens

En l'espèce, la demande d'indemnisation au titre de l'article 700 du code de procédure civile formée par Mme [F] [P], M. [B] [P] et M. [W] [P] sera rejetée en ce qu'ils succombent en leurs demandes.

Mme [F] [P], M. [B] [P] et M. [W] [P] seront condamnés aux dépens.

PAR CES MOTIFS

La cour,

DÉCLARE recevables les interventions volontaires de Mme [F] [P], M. [B] [P] et M. [W] [P] ;

CONSTATE que la demande de prononcé de l'irrecevabilité des conclusions de l'intimée est sans objet ;

REJETTE la demande d'injonction de production de pièces par le directeur de l'établissement public de santé mentale de la Sarthe présentée par Mme [F] [P], M. [B] [P] et M. [W] [P] ès qualités ;

CONFIRME le jugement rendu le 24 avril 2018 par le tribunal de grande instance du Mans en toutes ses dispositions contestées ;

DÉBOUTE Mme [F] [P], M. [B] [P] et M. [W] [P] ès qualités de leur demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE Mme [F] [P], M. [B] [P] et M. [W] [P] ès qualités aux dépens d'appel.

LA GREFFIERE LA PRESIDENTE

F. BOUNABI M.C. COURTADE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Angers
Formation : 1ère chambre section b
Numéro d'arrêt : 20/00819
Date de la décision : 12/06/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-06-12;20.00819 ?
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