COUR D'APPEL
d'ANGERS
Chambre Sociale
ARRÊT N°
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/00320 - N° Portalis DBVP-V-B7F-E23J.
Jugement Au fond, origine Pole social du TJ d'ANGERS, décision attaquée en date du 29 Mars 2021, enregistrée sous le n° 19/00486
ARRÊT DU 09 Février 2023
APPELANT :
Monsieur [L] [P]
[Adresse 1]
[Localité 3]
représenté par Maître Xavier CORNUT, avocat au barreau de NANTES
INTIMEES :
S.A. [5]
[Adresse 6]
[Adresse 6]
[Localité 3]
représentée par Me Nathalie HERMOUET de la SELAS NEOCIAL, avocat au barreau de LA ROCHE-SUR-YON - N° du dossier 180084
LA CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE MAINE ET LOIRE
[Adresse 2]
[Localité 4]
représentée par Madame [D], munie d'un pouvoir
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 29 Novembre 2022 à 9 H 00, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Monsieur WOLFF, conseiller chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Président : Madame Estelle GENET
Conseiller : Mme Marie-Christine DELAUBIER
Conseiller : M. Yoann WOLFF
Greffier lors des débats : Madame Viviane BODIN
ARRÊT :
prononcé le 09 Février 2023, contradictoire et mis à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par Monsieur WOLFF, conseiller pour le président empêché, et par Madame Viviane BODIN, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
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EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE
Le 23 mars 2018, M. [L] [P], alors salarié de la société [5] (la société), a souscrit une déclaration pour un accident du travail qui serait survenu le 23 janvier 2018, qui aurait consisté à «se pencher de façon répétitive pendant 3 h sous la pluie» alors qu'il «ramassait des déchets sous la pluie à la main», et qui aurait entraîné des lésions en «bas du dos». Cet accident a fait l'objet d'un certificat médical initial daté du 6 février 2018, constatant : «de nouveau douleur lombaire avec irradiation dans le membre inf droit jusqu'au mollet». Ce certificat était dit rectificatif, un certificat de rechute d'une précédente maladie professionnelle (une sciatique par hernie discale L5-S1) ayant d'abord été établi à la même date. Le 18 juin 2018, la caisse primaire d'assurance maladie de Maine-et-Loire (la caisse) a décidé de prendre en charge l'accident ainsi déclaré au titre de la législation professionnelle.
Par requête adressée au greffe par lettre recommandée expédiée le 17 décembre 2019, M. [P] a saisi le pôle social du tribunal de grande instance d'Angers, devenu depuis tribunal judiciaire, aux fins de reconnaissance de la faute inexcusable de la société.
Par jugement du 29 mars 2021 notifié à M. [P] par lettre recommandée reçue le 14 mai suivant, le tribunal a :
- Rejeté la demande de M. [P] de voir écarter les pièces nos 16, 17 et 18 de la société ;
- Rejeté la demande de reconnaissance de la faute inexcusable ;
- Rejeté la demande de M. [P] faite sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Rejeté la demande de la société faite sur le même fondement ;
- Laissé les dépens à la charge de chacune des parties.
Le tribunal a considéré que l'existence d'un accident survenu le 23 janvier 2018 n'était démontrée par aucun autre élément que les allégations de M. [P], et qu'il n'existait donc aucune preuve de la survenance de cet accident dans un cadre professionnel.
M. [P] a relevé appel de ce jugement, en ce qu'il a rejeté sa demande de voir écarter les pièces nos 16 à 18 de la société, sa demande de reconnaissance de la faute inexcusable et sa demande de condamnation de la société sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, par déclaration faite par pli recommandé expédié le 21 mai 2021.
Les débats ont ensuite eu lieu devant le magistrat chargé d'instruire l'affaire, à l'audience du 29 novembre 2022.
EXPOSÉ DES PRÉTENTIONS DES PARTIES
Dans ses conclusions reçues au greffe le 6 octobre 2022 et auxquelles il s'est référé à l'audience du 29 novembre 2022, M. [P] demande à la cour :
- De confirmer le jugement «en ce qu'il a dit que l'accident ['] constitue un accident du travail» ;
- De l'infirmer en ce qu'il a rejeté ses demandes ;
- De dire que l'accident doit être imputé à la faute inexcusable de la société ;
- De fixer la majoration de la rente qui lui est servie à son maximum ;
- De rappeler que cette majoration suivra l'évolution du taux d'incapacité ;
- D'ordonner une expertise médicale sur ses préjudices personnels ;
- De condamner la société à lui verser une provision de 5000 euros ;
- De dire que cette provision sera avancée par la caisse ;
- De condamner la société à lui verser à titre provisionnel la somme de 2000 euros au titre de ses frais irrépétibles ;
- De rejeter l'ensemble des demandes de la société ;
- De déclarer le jugement commun et opposable à la caisse.
M. [P] soutient que :
- Un employeur qui ne forme pas de réserves à la suite d'une déclaration d'accident du travail ne peut soulever ultérieurement des contestations sur les circonstances de celui-ci.
- Il ressort de la seule attestation de M. [M] [H], infirmier, qu'il a bien ressenti une douleur dorsale aiguë dans les minutes qui ont suivi la reprise de son travail à son poste habituel. Il n'est pas contesté ni contestable que le corps médical ayant eu connaissance de son cas estime que sa pathologie est d'origine traumatique et non dégénérative.
- Ne pas pouvoir connaître l'heure à la seconde près de la survenance de la lésion n'est pas de nature à faire obstacle à la réalité d'un fait soudain traumatique au temps et au lieu du travail.
- Le fait qu'un certificat médical initial de rechute ait été rédigé après une période de congés payés qui est allée du 23 janvier au 6 février 2018 n'est pas de nature à remettre en cause la matérialité des faits, ni même la présomption d'imputabilité.
- L'état pathologique antérieur qui l'affectait n'interfère en rien avec sa pathologie survenue le 23 janvier 2018.
- En conclusion, les douleurs lombaires irradiantes étant soudainement apparues au temps et au lieu du travail, à la suite d'une action professionnelle précisément datable, la qualification d'accident du travail est parfaitement justifiée.
Dans ses conclusions reçues au greffe le 18 novembre 2022 et auxquelles elle s'est référée à l'audience du 29 novembre 2022, la société demande à la cour :
- De confirmer le jugement ;
-Subsidiairement, de limiter l'expertise aux souffrances endurées et au préjudice esthétique temporaire et définitif, et de rejeter la demande de provision ;
- De réformer le jugement en ce qu'il a rejeté sa demande faite sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, et de condamner M. [P] à lui verser la somme de 1000 euros au titre des frais irrépétibles engagés en première instance ;
- De condamner M. [P] à lui verser la somme de 2000 euros au titre des frais irrépétibles engagés à hauteur d'appel, outre aux entiers dépens de l'instance.
La société soutient que M. [P] ne revendique aucun fait accidentel précis ni aucun événement soudain qui permettraient de caractériser un accident du travail, que l'existence d'une lésion de l'organisme susceptible d'être la conséquence d'un tel accident n'est pas davantage établie, alors même qu'il est démontré que M. [P] souffrait de longue date d'une lombalgie chronique, et que le caractère répétitif évolutif des troubles écarte l'idée d'un accident du travail.
La caisse, qui a présenté oralement à l'audience du 29 novembre 2022 ses prétentions, demande à la cour, en cas de reconnaissance de la faute inexcusable de la société, de condamner celle-ci à lui rembourser les frais et les indemnités dont elle aura fait l'avance.
MOTIVATION
Sur la demande de voir écarter les pièces nos 16 à 18 de la société
Si, par son appel, M. [P] a saisi la cour de cette demande, il n'a ensuite développé aucun moyen au soutien de celle-ci. Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il l'a rejetée.
Sur la matérialité de l'accident du travail allégué par M. [P]
Contrairement à ce que M. [P] avance, les premiers juges n'ont pas dit qu'il avait bien été victime d'un accident du travail. Ils ont estimé au contraire que l'existence d'un tel accident n'était pas démontrée.
Selon l'article L. 411-1 du code de la sécurité sociale, est considéré comme accident du travail, quelle qu'en soit la cause, l'accident survenu par le fait ou à l'occasion du travail à toute personne salariée ou travaillant, à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit, pour un ou plusieurs employeurs ou chefs d'entreprise.
Il résulte de ce texte que constitue un accident du travail un événement ou une série d'événements survenus à des dates certaines par le fait ou à l'occasion du travail, dont il est résulté une lésion corporelle, quelle que soit la date d'apparition de celle-ci.
Si la date à laquelle les lésions sont constatées n'est pas à elle seule de nature à exclure la mise en 'uvre de la présomption d'imputabilité ainsi définie, cette présomption ne peut jouer néanmoins que s'il est justifié, par des éléments objectifs constituant au moins un faisceau d'indices ou des présomptions sérieuses, graves et concordantes, de la matérialité d'un accident survenu au temps et au lieu du travail.
En l'espèce, M. [P] ne peut reprocher utilement à la société de ne pas avoir émis de réserves à la suite de la déclaration d'accident du travail litigieuse. En effet, il est tout d'abord constant qu'une absence de réserves quant au caractère professionnel de l'accident ne vaut pas reconnaissance tacite de la part de l'employeur d'un tel caractère, et ne le prive pas de la possibilité de le contester par la suite. De plus, par une lettre du 2 mai 2018 reçue par la caisse le 4 mai suivant (pièce n° 4 de la société), la société a bien formulé des réserves, dont le caractère motivé n'est pas contesté, quant à la matérialité et au caractère professionnel de l'accident déclaré.
S'agissant de cette matérialité, force est de constater que l'accident allégué par M. [P] n'a eu effectivement aucun témoin ' M. [P] n'en invoque d'ailleurs aucun ', et que cet accident ne ressort que des déclarations de l'intéressé.
Or ces déclarations ne sont qu'insuffisamment corroborées par les autres éléments du dossier.
Ainsi, en ce qui concerne M. [M] [H], infirmier que M. [P] désigne dans sa déclaration d'accident du travail comme première personne avisée, il résulte de l'attestation qu'il a rédigée à l'attention de la caisse le 22 mars 2018 (pièce n° 13 de M. [P]), du questionnaire qu'il a renseigné le 4 juin 2018 puis retourné à celle-ci (pièce n° 8 de la société), et d'un courriel qu'il a envoyé le 21 septembre 2018 (pièce n° 10 de la société) que :
- M. [H] n'a pas été témoin de l'accident, mais a seulement recueilli les doléances de M. [P] lorsque celui-ci s'est présenté à l'infirmerie le 23 janvier 2018 en milieu de matinée. Ainsi, dans son attestation, M. [H] se contente d'indiquer que «Mr [P] dit avoir été penché », et dans le questionnaire, il conteste la qualification d'accident. M. [H] précise à cet égard dans son courriel du 24 septembre 2018, en parlant de M. [P] : «Il m'a demandé une feuille AT que j'ai refusé de lui donner, n'ayant pas de faits accidentels ou de témoins.»
- M. [H] n'a pas davantage constaté personnellement de lésion, mais recueilli là encore les seules déclarations de M. [P], puisqu'il indique sans ambiguïté dans son courriel du 24 septembre 2018 : «Je n'ai pas pu constater ses douleurs par une auscultation».
Enfin, les déclarations de M. [P] ne sont corroborées par aucune constatation médicale faite dans un temps voisin de l'accident. En effet, ce n'est que le 6 février 2018, après qu'il a pris des congés du 24 janvier au 5 février inclus, que M. [P] a consulté un médecin et que celui-ci a délivré, dans un premier temps, un certificat médical de rechute. Une telle constatation médicale, tardive et postérieure à une période de congés relativement longue, ne permet pas de présumer la survenance, deux semaines plus tôt, d'un accident au temps et au lieu du travail.
En conséquence, le jugement entrepris sera confirmé, la demande de reconnaissance de la faute inexcusable ne pouvant prospérer en l'absence d'accident du travail avéré.
3. Sur les frais du procès
La cour n'est pas saisie des dispositions du jugement qui ont laissé à chaque partie la charge de ses dépens.
Le jugement sera confirmé en ce qu'il a rejeté les demandes faites sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Perdant le procès d'appel, M. [P] sera condamné aux dépens correspondants et sa demande faite en appel sur ce même fondement sera rejetée. Il n'apparaît pas pour autant inéquitable que la société conserve la charge des frais non compris dans les dépens qu'elle a exposés.
PAR CES MOTIFS,
La cour :
CONFIRME le jugement en ses dispositions soumises à la cour ;
Y ajoutant :
Condamne M. [L] [P] aux dépens de la procédure d'appel ;
Rejette la demande faite par M. [L] [P] sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Rejette la demande faite par la société [5] sur ce même fondement.
LE GREFFIER, P/ LE PRÉSIDENT empêché,
Viviane BODIN
Y. WOLFF