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26/01/2023 | FRANCE | N°19/00519

France | France, Cour d'appel d'Angers, 1ère chambre section b, 26 janvier 2023, 19/00519


COUR D'APPEL

D'ANGERS

1ERE CHAMBRE SECTION B







LP/IM

ARRET N°



AFFAIRE N° RG 19/00519 - N° Portalis DBVP-V-B7D-EPDI



Jugement du 15 Janvier 2019

Tribunal de Grande Instance d'ANGERS

n° d'inscription au RG de première instance : 13/02409





ARRET DU 26 JANVIER 2023



APPELANT :



M. [A] [U]

né le 10 Novembre 1947 à [Localité 7]

lieu-dit [Adresse 9]

[Localité 5]



Représenté par Me Stéphanie SIMON de la SELARL ADE

O - JURIS, avocat au barreau d'ANGERS - N° du dossier 130052



INTIMES :



Mme [B] [E]

née le 9 Février 1949 à [Localité 7]

[Adresse 8]

[Localité 4]



M. [W] [U]

né le 12 Juin 1952 à [Localité 7]

[Adre...

COUR D'APPEL

D'ANGERS

1ERE CHAMBRE SECTION B

LP/IM

ARRET N°

AFFAIRE N° RG 19/00519 - N° Portalis DBVP-V-B7D-EPDI

Jugement du 15 Janvier 2019

Tribunal de Grande Instance d'ANGERS

n° d'inscription au RG de première instance : 13/02409

ARRET DU 26 JANVIER 2023

APPELANT :

M. [A] [U]

né le 10 Novembre 1947 à [Localité 7]

lieu-dit [Adresse 9]

[Localité 5]

Représenté par Me Stéphanie SIMON de la SELARL ADEO - JURIS, avocat au barreau d'ANGERS - N° du dossier 130052

INTIMES :

Mme [B] [E]

née le 9 Février 1949 à [Localité 7]

[Adresse 8]

[Localité 4]

M. [W] [U]

né le 12 Juin 1952 à [Localité 7]

[Adresse 2]

[Localité 6]

M. [D] [U]

né le 25 Décembre 1957 à [Localité 12]

[Adresse 10]

[Localité 7]

Représentés par Me Jean-Charles LOISEAU de la SELARL GAYA, avocat au barreau d'ANGERS, substitué à l'audience par Me Hortense DE BOUGLON

INTERVENANTE VOLONTAIRE

UDAF DE MAINE ET LOIRE ès qualités de tuteur de Mme [B] [U] veuve [E]

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me Jean-Charles LOISEAU de la SELARL GAYA, avocat au barreau d'ANGERS, substitué à l'audience par Me Hortense DE BOUGLON

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue publiquement, à l'audience du 24 Novembre 2022, Mme PARINGAUX, conseillère ayant été préalablement entendue en son rapport, devant la Cour composée de :

Mme COURTADE, présidente de chambre

Mme BUJACOUX, conseillère

Mme PARINGAUX, conseillère

qui en ont délibéré

Greffière lors des débats : Mme BOUNABI

ARRET : contradictoire

Prononcé publiquement le 26 janvier 2023 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions de l'article 450 du code de procédure civile ;

Signé par Marie-Christine COURTADE, présidente de chambre, et par Florence BOUNABI, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

~~~~

FAITS ET PROCÉDURE

Mme [Y] [S], épouse de M. [C] [U], est décédée en novembre 2004.

M. [C] [U], exploitant agricole, est décédé le 5 juillet 2012, laissant pour lui succéder leurs quatre enfants communs :

- M. [A] [U], né le 10 novembre 1947

- Mme [B] [U] veuve [E], née le 9 février 1949

- M. [W] [U], né le 12 juin 1952

- M. [D] [U], né le 25 décembre 1957

Aucun accord n'a pu être trouvé entre les héritiers pour liquider la succession de leurs parents.

Par exploit en date du 18 juin 2013, M. [A] [U] a fait citer Mme [B] [U] veuve [E], M. [W] [U] et M. [D] [U] devant le tribunal de grande instance d'Angers.

Dans ses dernières écritures signifiées le 20 novembre 2018, M. [A] [U] a sollicité de la juridiction de :

A titre principal,

- voir fixer au passif de la succession [S]- [U] au bénéfice de M. [A] [U] sa créance de salaire différé à hauteur de la somme de 51 376 euros au 1er janvier 2018 et à réactualiser en fonction de l'évolution du SMIC ;

- voir autoriser M. [A] [U] à se faire remettre ladite somme par le notaire chargé de la succession sur présentation du jugement ;

A titre subsidiaire,

- voir condamner les défendeurs solidairement à verser à M. [A] [U] la somme de 51 376 euros à titre de dommages intérêts sur le fondement de l'enrichissement sans cause ;

- voir débouter les défendeurs de l'ensemble de leurs demandes ;

- voir ordonner l'exécution provisoire du jugement à intervenir ;

- voir condamner les défendeurs solidairement à lui verser la somme de 3 500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi que les entiers dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile dont soustraction au profit de la SELARL Adeo Juris.

Dans leurs écritures récapitulatives en date du 13 novembre 2018, Mme [B] [U] veuve [E], M. [W] [U] et M. [D] [U] ont sollicité de :

- voir ordonner l'ouverture des opérations de compte liquidation partage des successions de Mme [Y] [S] épouse [U] et de M. [C] [U] ;

- voir commettre Maître [I][V], notaire à Pouancé, pour y procéder ;

- voir débouter M. [A] [U] de ses demandes et à titre infiniment subsidiaire voir dire qu'elle ne pourrait s'imputer sur la succession de M. [C] [U] pour une période maximale de 3,58 années ;

- voir condamner M. [A] [U] à verser à Mme [B] [U] veuve [E], M. [W] [U] et M. [D] [U] la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens en application de l'article 699 du code de procédure civile.

Par jugement du 15 janvier 2019, le tribunal de grande instance d'Angers a notamment :

- ordonné l'ouverture des opérations de compte, liquidation et partage du régime des successions de Mme [Y] [S] épouse [U] et de M. [C] [U] ;

- commis Maître Arnaudjouan, notaire à Pouancé, pour y procéder ;

- désigné Mme Nadine Gaillou, vice président, en qualité de juge commissaire et pour faire rapport en cas de difficulté ;

- dit qu'en cas d'empêchement du juge ou du notaire commis, il sera remplacé par simple ordonnance sur requête rendue à la demande de la partie la plus diligente ;

- débouté M. [A] [U] de sa demande de créance de salaire différé ;

- débouté M. [A] [U] de sa demande au titre de l'enrichissement sans cause ;

- débouté les parties de toutes leurs autres demandes ;

- laissé à chacune des parties la charge de ses propres frais irrépétibles ;

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire de la présente décision ;

- dit que les dépens seront employés en frais privilégiés de liquidation et partage ;

- autorisé l'application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile au profit des avocats de la cause pouvant y prétendre.

Selon déclaration reçue au greffe de la cour d'appel d'angers le 19 mars 2019, M. [A] [U] a interjeté appel de cette décision en ce qu'elle a : '- débouté M. [A] [U] de sa demande de créance de salaire différé, - débouté M. [A] [U] de sa demande au titre de l'enrichissement sans cause, - laissé à chacune des parties la charge de ses propres frais irrépétibles.'

Mme [B] [U] veuve [E], M. [W] [U] et M. [D] [U] ont constitué avocat le 8 avril 2019.

Par jugement du 2 décembre 2021 rendu par le juge des tutelles du tribunal judiciaire d'Angers, Mme [B] [U] veuve [E] a été placée sous le régime de la tutelle confiée à l'Udaf de Maine et Loire.

L'ordonnance de clôture de la procédure a été rendue le 21 novembre 2022, l'affaire étant fixée pour plaidoiries à l'audience du 24 novembre 2022.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Aux termes de ses dernières conclusions déposées le 7 novembre 2022, M. [A] [U] demande à la présente juridiction de :

- le déclarer recevable et bien fondé en son appel ;

- infirmer le jugement rendu par le tribunal de grande instance d'Angers le 15 janvier 2019 et qui lui a été signifié par acte en date du 20 février 2019, en ce qu'il a :

* débouté M. [A] [U] de sa demande de créance de salaire différé,

* débouté M. [A] [U] de sa demande au titre de l'enrichissement sans cause,

* laissé à chacune des parties la charge de ses propres frais irrépétibles,

Statuant à nouveau, la cour ne pourra que :

- fixer au passif de la succession [U]-[S] ou, à défaut, au passif de la succession [U], au bénéfice de M. [A] [U] sa créance de salaire différé à hauteur de la somme de 54 964 euros au 1er janvier 2022 et à réactualiser en fonction de l'évolution du SMIC ;

- fixer au passif de la succession [U]-[S] au bénéfice de M. [A] [U] la somme de 75 000 euros à titre de dommages et intérêts sur le fondement de la théorie de l'enrichissement sans cause ;

- autoriser M. [A] [U] à se faire remettre ladite somme par le notaire chargé de la succession sur présentation du jugement ;

- débouter l'Udaf de Maine et Loire ès qualités de mandataire judiciaire de Mme [B] [U] veuve [E], M. [W] [U] et M. [D] [U] de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions,

- condamner l'Udaf de Maine et Loire ès qualités de mandataire judiciaire de Mme [B] [U] veuve [E], M. [W] [U] et M. [D] [U] solidairement à lui verser la somme de 4 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi que les entiers dépens de première instance et d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Aux termes de leurs dernières conclusions déposées le 13 juin 2022, l'Udaf de Maine et Loire ès qualités de mandataire judiciaire de Mme [B] [U] veuve [E], M. [W] [U] et M. [D] [U] demandent à la présente juridiction de :

A titre principal,

- dire recevable l'intervention volontaire de l'Udaf de Maine et Loire, en qualité de mandataire judiciaire de Mme [E] ;

- débouter M. [A] [U] de l'intégralité de ses demandes ;

- confirmer le jugement du tribunal de grande instance d'Angers en date du 15 janvier 2019 en ce qu'il :

* ordonne la révocation de l'ordonnance de clôture en date du 13 novembre 2018 ;

En conséquence,

* autorise le dépôt des conclusions et pièces postérieures à ladite ordonnance et prononce la date de clôture au 20 novembre 2018 ;

* ordonne l'ouverture des opérations de compte, liquidation et partage du régime des successions de Mme [Y] [S] épouse [U] et de M. [C] [U] ;

* commet Maître Arnaudjouan, notaire à Pouancé, pour y procéder ;

* désigne Mme Nadine Gaillou, vice-présidente, en qualité de juge commissaire et pour faire rapport en cas de difficulté ;

* dit qu'en cas d'empêchement du juge ou du notaire commis, il sera remplacé par simple ordonnance sur requête rendue à la demande de la partie la plus diligente ;

* déboute M. [A] [U] de sa demande de créance de salaire différé ;

* déboute M. [A] [U] de sa demande au titre de l'enrichissement sans cause ;

* dit n'y avoir lieu à exécution provisoire de la présente décision ;

* dit que les dépens seront employés en frais privilégié de liquidation et partage ;

* autorise l'application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile au profit des avocats de la cause pouvant y prétendre ;

A titre subsidiaire,

- dire que la créance de salaire différé de M. [A] [U] ne pourra s'imputer sur la succession de M. [C] [U] que pour une période maximale de 3,58 années ;

En toute hypothèse,

- condamner M. [A] [U] au versement de la somme de 4 500 euros aux consorts [U] et à l'Udaf, en qualité de mandataire judiciaire à la protection des majeurs de Mme [E], au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner le même aux entiers dépens.

Pour un exposé plus ample des moyens et prétentions des parties, la cour se réfère expressément aux conclusions sus visées en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur l'intervention volontaire

Les intimés, dans leurs conclusions communes avec l'Udaf de Maine et Loire, demandent que cette dernière soit déclarée recevable en son intervention volontaire.

M. [A] [U] n'a présenté aucune demande contraire.

Sur ce,

Par jugement en date du 2 décembre 2021, le juge des tutelles du tribunal judiciaire d'Angers a placé Mme [B] [U] veuve [E] sous le régime de la tutelle confiée pour cinq ans à l'Udaf de Maine et Loire.

L'article 475 du code civil dispose que la personne sous tutelle est représentée en justice par le tuteur.

Mme [B] [U] veuve [E] a été placée sous cette mesure de protection en cours de procédure d'appel introduite par la déclaration d'appel de M. [A] [U] le 19 mars 2019.

En application des dispositions de l'article 554 du code de procédure civile, l'Udaf de Maine et Loire, tutrice de Mme [B] [U] veuve [E], est donc recevable à intervenir volontairement à l'instance, étant observé que les dernières conclusions des parties ont été régularisées et sont rédigées respectivement contre et pour l'Udaf de Maine et Loire en sa qualité de tutrice de Mme [B] [U] veuve [E].

Par suite l'intervention volontaire de l'Udaf de Maine et Loire est recevable.

Sur la créance de salaire différé

L'article L 321-13 du code rural et de la pêche maritime dispose que : 'Les descendants d'un exploitant agricole qui, âgés de plus de dix-huit ans, participent directement et effectivement à l'exploitation, sans être associés aux bénéfices ni aux pertes et qui ne reçoivent pas de salaire en argent en contrepartie de leur collaboration, sont réputés légalement bénéficiaires d'un contrat de travail à salaire différé sans que la prise en compte de ce salaire pour la détermination des parts successorales puisse donner lieu au paiement d'une soulte à la charge des cohéritiers.

Le taux annuel du salaire sera égal, pour chacune des années de participation, à la valeur des deux tiers de la somme correspondant à 2 080 fois le taux du salaire minimum interprofessionnel de croissance en vigueur, soit au jour du partage consécutif au décès de l'exploitant, soit au plus tard à la date du règlement de la créance, si ce règlement intervient du vivant de l'exploitant'.

L'article L 321-17 du code rural et de la pêche maritime dispose que : 'Le bénéficiaire d'un contrat de salaire différé exerce son droit de créance après le décès de l'exploitant et au cours du règlement de la succession ; cependant l'exploitant peut, de son vivant, remplir le bénéficiaire de ses droits de créance, notamment lors de la donation-partage à laquelle il procéderait.

Toutefois, le bénéficiaire des dispositions de la présente sous section, qui ne serait pas désintéressé par l'exploitant lors de la donation-partage comprenant la majeure partie des biens, et alors que ceux non distribués ne seraient plus suffisants pour le couvrir de ses droits, peut lors du partage exiger des donataires le paiement de son salaire.

Les droits de créance résultant des dispositions de la présente sous-section ne peuvent en aucun cas, et quelle que soit la durée de la collaboration apportée à l'exploitant, dépasser pour chacun des ayants droits la somme représentant le montant de la rémunération due pour une période de dix années et calculée sur les bases fixées au deuxième alinéa de l'article L 321-13.

Le paiement du salaire différé ou l'attribution faite au créancier, pour le remplir de ses droits de créance, ne donne lieu à la perception d'aucun droit d'enregistrement.

Les délais et modalités de paiement sont fixés, s'il y a lieu, dans les conditions prévues à l'article 924-3 du code civil'.

L'article L 321-19 du même code énonce que : 'La preuve de la participation à l'exploitation agricole dans les conditions définies aux articles L 321-13 à L 321-18 pourra être apportée par tous moyens. En vue de faciliter l'administration de cette preuve, les parties pourront effectuer chaque année une déclaration à la mairie, laquelle devra être visée par le maire qui en donnera réception'.

M. [A] [U] demande que soit fixée au passif de la succession [U]-[S], ou à défaut au passif de la succession [U], une créance de salaire différé de 54 964 euros au 1er janvier 2022, à réactualiser en fonction de l'évolution du SMIC.

M. [A] [U] argue de ce qu'il a travaillé en qualité d'aide familial sur l'exploitation agricole de ses deux parents M. [C] [U] et son épouse Mme [Y] [S], sans percevoir de rémunération dès l'âge de dix-huit ans, du 9 novembre 1965 au 28 février 1967, puis du 1er juillet 1968 au 31 décembre 1970, soit sur une période de plus de 45 mois.

Il indique avoir travaillé sur le fonds familial que ses deux parents exploitaient conjointement, en justifier par la production d'attestations de voisins ainsi que par le relevé MSA de sa reconstitution de carrière, ce qui l'autorise à réclamer le règlement des salaires à l'une ou l'autre des successions.

M. [A] [U] explique avoir cessé sa formation en Maison Familiale et Rurale en juillet 1964 puis avoir travaillé sur l'exploitation de ses parents sans jamais avoir été associé aux bénéfices ou recevoir de rémunération.

M. [A] [U] précise qu'il a d'abord travaillé sur l'exploitation de ses parents se situant à [Localité 7] (49) et, à compter de 1970 jusqu'en 1973, sur la ferme de [Adresse 8] située à [Localité 4] (49) appartenant à sa grand-mère, qui était antérieurement exploitée par un fermier en place.

Il indique qu'il a alors servi de prête-nom à ses parents pour, en sa double qualité de jeune agriculteur et de petit-fils, permettre la reprise de la ferme de [Adresse 8] et pouvoir évincer le preneur en place, ses parents, exploitant déjà une ferme de 31 hectares située à plus de 18 kilomètres de la ferme de [Adresse 8], ne remplissant pas les critères de l'article 845 du code rural pour prétendre à une reprise régulière des terres louées.

M. [A] [U] déclare avoir travaillé seul et sans aucune contrepartie avec sa mère, sur les deux sites, compte tenu de l'état de santé défaillant de son père, jusqu'au 1er novembre 1973, date à laquelle il s'est installé à son compte dans la ferme rachetée à ses beaux-parents via un prêt bancaire.

Il considère que ses parents étaient co-exploitants agricoles, ne devenant propriétaires de la ferme de [Adresse 8] qu'au décès de sa grand-mère en mai 1984, et que dans la mesure où il n'a existé qu'un seul contrat de salaire différé, il peut exercer son droit de créance sur l'une ou l'autre des successions.

M. [A] [U] calcule le montant de sa créance de la manière suivante :

2/3 de 2 080 euros x 10,57 euros (valeur au 1er janvier 2022) x 3,75 ans, soit une somme de 54 964 euros.

L'udaf de Maine et Loire en sa qualité de mandataire judiciaire de Mme [B] [U] veuve [E], M. [W] [U] et M. [D] [U] demandent la confirmation du jugement. Ils arguent de ce que Mme [Y] [S] épouse de M. [C] [U], comme cela résulte du courrier de la MSA de Maine et Loire du 9 septembre 2013 adressé à Maître Arnaudjouan, n'était pas exploitante agricole de 1965 à 1970.

Les intimés rappellent qu'il incombe à M. [A] [U] de rapporter la preuve de l'absence de rémunération perçue pour le travail effectué sur les fonds de son père, ce que ne certifient pas les attestations de tiers qu'il produit aux débats qui se contentent d'énumérer, sur le même modèle stéréotypé, des généralités sur la situation de l'appelant entre 1965 et 1970.

Ils indiquent que M. [A] [U], dont le relevé de carrière établit qu'il s'est installé à son compte le 1er novembre 1970 sur la ferme de sa grand-mère, a en fait bénéficié a minima d'un prêt de 9 000 francs le 28 août 1979 de son père, qu'il a certes remboursé en 1981 mais sans taux d'intérêt, ce qui constitue un avantage certain à une époque où les taux avoisinaient les 15 %.

En outre il a pu agrandir son exploitation en reprenant en novembre 1973 la ferme de ses beaux-parents, signe qu'il a bien reçu des sommes versées par ses parents au titre de sa participation sur l'exploitation.

Les intimés relèvent que M. [C] [U] était parfaitement habilité à reprendre la ferme de sa mère, la Dérouttière, sans avoir besoin du prête-nom de son fils aîné et que celui-ci ne justifie en rien n'avoir pu exercer une activité agricole propre que tardivement et avoir contribué à l'enrichissement de ses parents.

Sur ce,

Pour la succession de Mme [Y] [S] épouse [U]

La MSA de Maine et Loire, dans son courrier du 9 septembre 2013 adressé au notaire en charge de la liquidation de sa succession, a attesté de ce que Mme [Y] [S] épouse de M. [C] [U], si elle a bien cotisé auprès de cet organisme en tant que conjointe d'exploitation de 1968 à 1970, n'était pas exploitante de 1965 à 1970.

Cela n'est pas contredit pas l'attestation de M. [N] et celle de Mme [L] qui décrivent Mme [Y] [S] comme 's'occupant de la maison et participant aux travaux de la ferme au lieudit [Localité 11] commune de [Localité 7], plantation de betteraves et de choux ainsi qu'aux travaux des foins et à la traite des vaches qui était journalière'.

En effet il ne résulte pas de la rédaction même des deux attestations produites la démonstration que les travaux auxquels Mme [Y] [S] épouse [U] participait excédaient une aide ponctuelle et saisonnière pour ce qui est des plantations de légumes et le ramassage des foins, et que celle quotidienne de la traite des vaches lui incombait systématiquement et exclusivement.

Par ailleurs Mme [Y] [S] était mère de quatre enfants, nés entre 1947 et 1957, et devait nécessairement consacrer du temps à la prise en charge de cette fratrie d'enfants tous mineurs dont le plus jeune, [D], avait huit ans en 1965.

Il n'est donc pas démontré que sa participation à l'activité agricole de son époux aurait excédé le soutien usuel donné par une épouse à la communauté familiale.

Aussi l'une des trois conditions, cumulatives, posées par l'article L 321-13 du code rural et de la pêche maritime, à savoir la qualité d'exploitante voire de co-exploitante agricole de Mme [Y] [S] épouse [U] n'est en l'espèce pas remplie pour que M. [A] [U] puisse revendiquer une créance de salaire différé à l'égard de la succession de sa mère.

Pour la succession de M. [C] [U]

En application des dispositions de l'article 9 du code de procédure civile, il appartient à M. [A] [U] de rapporter la preuve de l'absence de rémunérations ou de participation aux bénéfices de l'exploitation de son père qu'il revendique.

Il justifie par la production de son relevé de carrière du 27 mars 2013 établi par la MSA de Maine et Loire avoir eu, du 10 novembre 1965, date d'obtention de ses dix-huit ans, jusqu'au 28 février 1967, puis du 1er juillet 1968 au 10 novembre 1968 (après sa période d'appelé sous les drapeaux du 1er mars 1967 au 30 juin 1968) le statut de 'MF participant travaux' (acronyme non explicité) et ensuite du 11 novembre 1968 au 31 décembre 1970 le statut de NSA (Non Salarié Agricole).

Les attestations versées aux débats en première instance émanant de M. [N] et de M. [L] font état de la participation de M. [A] [U] en tant qu'aide familial aux travaux de la ferme de ses parents à [Localité 7] de 1965 à 1970 où il était nourri et logé sans être rémunéré hormis 'quelques pièces pour la sortie du dimanche après-midi comme l'usage de l'époque'.

Celles de M. [N] et de Mme [L] produites en cause d'appel, qui sont rédigées de la même manière, à deux mots près, font état du modeste train de vie de M. [A] [U] qui vivait 'très chichement'.

Néanmoins ces personnes, en dehors de la mention générale de ce que M. [A] [U] n'avait pas de voiture ni biens, ne rapportent pas d'éléments factuels plus étayés sur l'absence de rémunération dont ils auraient été les témoins directs.

M. [A] [U] verse aux débats un écrit signé de ses deux parents, non daté, dans lequel ils reconnaissent qu'il leur a servi de prête-nom pour obtenir l'exploitation de la ferme de [Adresse 8].

Il apparaît également dans un autre écrit non daté que leur fils leur a abandonné tous les biens mobiliers (animaux) et immobiliers concernant cette ferme le 1er novembre 1973. Ces écrits n'établissent cependant pas que M. [A] [U] n'aurait reçu aucune rémunération ou participation aux bénéfices de l'exploitation en parallèle.

M. [A] [U] a obtenu un prêt de 161 615 francs du Crédit Agricole de Maine et Loire le 20 décembre 1973 pour financer notamment la reprise de la part de cheptel de ses beux-parents, M. et Mme [J], à hauteur de 53 250 euros.

Cet emprunt, d'une somme conséquente, ne constitue pas davantage la preuve que M. [A] [U], jeune agriculteur de 26 ans, aurait été privé de la moindre rémunération pour le travail effectué au sein de l'exploitation agricole de son père.

D'autre part, M. [A] [U] justifie avoir obtenu un prêt de 9 000 euros de ses parents le 26 août 1979 et leur avoir remboursé le 24 mai 1981, comme en atteste le reçu versé aux débats, mais sans avoir eu à leur verser le moindre intérêt.

Aussi M. [A] [U] ne rapporte pas la preuve de l'absence de rémunération ou de participation aux bénéfices qu'il aurait reçu en contrepartie du travail effectué sur les terres agricoles de son père.

Par suite le jugement contesté sera confirmé.

Sur l'enrichissement sans cause

L'article 1303 du code civil dispose que : ' En dehors des cas de gestion d'affaires et de paiement de l'indu, celui qui bénéficie d'un enrichissement injustifié au détriment d'autrui doit, à celui qui s'en trouve appauvri, une indemnité égale à la moindre des deux valeurs de l'enrichissement et de l'appauvrissement'.

L'article 1303-3 du code civil dispose que : 'L'appauvri n'a pas d'action sur ce fondement lorsqu'une autre action lui est ouverte ou se heurte à un obstacle de droit, tel que la prescription'.

A titre subsidiaire M. [A] [U] demande 75 000 euros de dommages et intérêts pour les trois années, de 1970 à 1973, pendant lesquelles il déclare avoir travaillé gracieusement pour ses parents au détriment de sa propre carrière professionnelle et de sa vie personnelle.

Il argue de ce qu'en travaillant sur l'exploitation de ses parents et en reprenant pour eux l'exploitation de [Adresse 8], à l'époque où son père était gravement malade, atteint d'un ulcère à l'estomac, et incapable d'exploiter ses terres, il a fait montre d'un dévouement particulier en travaillant gratuitement pour lui au lieu de l'obliger à embaucher un salarié, ce qui constitue une créance d'assistance vis à vis de la succession.

L'udaf de Maine et Loire en sa qualité de mandataire judiciaire de Mme [B] [U] veuve [E], M. [W] [U] et M. [D] [U] sollicitent la confirmation du jugement.

Ils indiquent que M. [C] [U] a été opéré d'un ulcère de l'estomac en 1971, soit postérieurement à l'installation de son fils [A], et qu'il s'est rapidement remis de cette intervention pour reprendre son activité professionnelle, décédant bien des années plus tard et à l'âge de 95 ans.

Par ailleurs ils soulignent que [B] [U] et son époux et [D] [U] ont travaillé eux aussi sur l'exploitation de leur père à [Localité 4] pour l'aider mais à titre totalement gracieux.

Les intimés estiment que ni la notion d'enrichissement sans cause ni l'existence d'une créance d'assistance, qui sont exclusives l'une de l'autre, ne sont caractérisées par l'appelant.

Sur ce,

M. [A] [U] ne démontre pas, hormis ses simples affirmations, en quoi il se serait montré dévoué matériellement envers ses parents, au delà du devoir moral d'assistance filiale, lorsque son père a été opéré d'un ulcère à l'estomac en 1971.

Son relevé de carrière ne fait apparaître aucune interruption d'activité qu'il aurait consentie en 1971 pour favoriser l'exploitation agricole de son père. Au contraire il a pu dès le 1er janvier 1971 être inscrit auprès de la MSA de Maine et Loire comme Non Salarié Agricole Ordinaire, signe de son activité professionnelle autonome.

D'autre part M. [D] [U] verse aux débats un courrier du préfet de la région des Pays de La Loire du 8 février 1978 qui indique que la commission régionale a décidé de reconnaître sa présence indispensable pour l'exploitation de l'entreprise agricole familiale emportant dispense du service national.

Ce courrier faisait suite au signalement adressé le 1er février 1978 par le député La Combe à l'administration pour attirer l'attention sur la situation de M. [D] [U], jeune chef d'entreprise agricole mais également soutien de son père éprouvant des difficultés de santé pour exploiter ses terres.

Ainsi s'il est établi que M. [C] [U] rencontrait des problèmes de santé, en 1978 seulement, seul M. [D] [U] rapporte la preuve de l'aide qu'il a pu souhaiter apporter à son père à cette époque.

M. [A] [U] ne verse aucune pièce pouvant étayer son affirmation selon laquelle il aurait prodigué des soins ou réalisé des interventions au profit de son père pouvant constituer une créance d'assistance.

Par suite le jugement contesté sera confirmé.

Sur les frais et dépens

Compte tenu de la décision rendue par le premier juge et de sa présente confirmation, c'est à bon droit que la charge de ses propres frais irrépétibles a été laissée à M. [A] [U] et qu'il a été dit que les dépens seront employés en frais privilégiés de liquidation et partage.

La décision contestée de ces chefs sera confirmée.

M. [A] [U] qui succombe en appel sera condamné à verser aux consorts [U] et à l'Udaf de Maine et Loire, en qualité de mandataire judiciaire à la protection de Mme [B] [U] veuve [E], la somme globale de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

M. [A] [U] sera condamné aux dépens d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour,

DÉCLARE recevable l'intervention volontaire de l'Udaf de Maine et Loire, ès qualités de tutrice de Mme [B] [U] veuve [E] ;

CONFIRME le jugement rendu le 15 janvier 2019 par le tribunal de grande instance d'Angers en toutes ses dispositions contestées ;

CONDAMNE M. [A] [U] à payer à l'Udaf de Maine et Loire en sa qualité de tutrice de Mme [B] [U] veuve [E], à M. [W] [U] et à M. [D] [U] la somme globale de 3 000 euros ;

CONDAMNE M. [A] [U] aux dépens d'appel.

LA GREFFIERE LA PRESIDENTE

F. BOUNABI M.C. COURTADE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Angers
Formation : 1ère chambre section b
Numéro d'arrêt : 19/00519
Date de la décision : 26/01/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-01-26;19.00519 ?
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