COUR D'APPEL d'ANGERS Chambre Sociale
ARRÊT N clm/ jc
Numéro d'inscription au répertoire général : 13/ 03330.
Jugement Au fond, origine Conseil de Prud'hommes-Formation paritaire d'ANGERS, décision attaquée en date du 05 Décembre 2013, enregistrée sous le no 12/ 01299
ARRÊT DU 01 Mars 2016
APPELANTE :
Madame Véronique X...... 49000 ANGERS (bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2014/ 005691 du 24/ 10/ 2014 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de ANGERS)
comparante-assistée de Maître de STOPPANI, avocat substituant Maître Stéphanie CHOUQUET-MAISONNEUVE, de la SCP AGIR AVOCATS, avocats au barreau d'ANGERS-No du dossier FS12024
INTIMEE :
LA SA EMERA EXPLOITATIONS RCS GRASSE Prise en son établissement, l'EHPAD RESIDENCE RETRAITE DU LAC DE MAINE Sise 18 route d'Angers-49080 BOUCHEMAINE 18, avenue du Maréchal de Lattre de Tassigny 06130 GRASSE
représentée par Maître Philippe BODIN, avocat de la SELARL CAPSTAN AVOCATS, avocats au barreau de RENNES
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 12 Janvier 2016 à 14H00, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Catherine LECAPLAIN-MOREL, conseiller chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Anne JOUANARD, président Madame Catherine LECAPLAIN-MOREL, conseiller Madame Anne LEPRIEUR, conseiller
Greffier : Madame BODIN, greffier.
ARRÊT : prononcé le 01 Mars 2016, contradictoire et mis à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile. Signé par Madame Anne JOUANARD, président, et par Madame BODIN, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS ET PROCÉDURE :
La société Emera Exploitations a pour activité la gestion de maisons de retraite médicalisées parmi lesquelles la " Résidence Retraite Lac de Maine " située à Bouchemaine qui dispose d'une autorisation d'exploitation portant sur une centaine de lits. Cet établissement étant un établissement d'accueil médicalisé, par rapport à une résidence service, il présente la particularité d'employer en permanence un médecin coordinateur, des infirmières diplômées d'Etat placées sous l'autorité d'une infirmière référente et des personnels de soins diplômés, notamment, des aides-soignants.
Dans ses rapports avec son personnel, la société Emera Exploitations relève de l'annexe étendue médico-sociale du 10 décembre 2002 (annexe SYNERPA) de la convention collective nationale étendue de l'Hospitalisation Privée du 18 avril 2002.
Suivant contrat de travail à durée indéterminée à temps partiel (durée mensuelle de travail : 102, 37 heures) du 21 mars 2009 à effet au 23 mars suivant, la société Emera Exploitations a embauché Mme Véronique X... en qualité d'aide soignante moyennant un salaire brut mensuel de 1 004, 71 ¿. Ce contrat prévoyait une période d'essai d'un mois renouvelable une fois pour une durée identique qui a effectivement été renouvelée pour un mois par avenant du 17 avril 2009.
Par lettre recommandée du 22 octobre 2009 réceptionnée le lendemain, la société Emera Exploitations a convoqué Mme Véronique X... à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 30 octobre 2009 pour insuffisances dans l'exécution de son contrat de travail en dépit de mises en garde répétées.
Le 23 octobre 2009, la salariée a été placée en arrêt de travail pour maladie jusqu'au 3 novembre suivant. Cet arrêt de travail a été renouvelé.
Aux termes d'une nouvelle convocation du 27 octobre 2009 réceptionnée le lendemain et annulant la précédente, l'employeur a reporté l'entretien préalable au 5 novembre 2009.
Par courrier recommandé du 30 octobre 2009 réceptionné par l'employeur le 2 novembre suivant, Mme Véronique X... lui a notifié sa démission en ces termes : " Madame, Suite à la réception de vos deux lettres recommandées mentionnant mes insuffisances et envisageant mon licenciement, je vous adresse par la présente ma lettre de démission au poste d'aide soignante que j'occupais dans votre entreprise. Pour des raisons de discrimination et d'insultes, je vous demande également de ne pas effectuer mon préavis. ".
Par lettre recommandée du 9 novembre 2009 réceptionnée le lendemain, Mme Véronique X... s'est vue notifier son licenciement pour insuffisance professionnelle dans les termes suivants :
« Madame, Par courrier du 30 octobre 2009, vous nous informiez de votre démission de votre poste de travail comme conséquence de votre convocation à un entretien préalable. Toutefois, les termes de votre courrier liant ces deux événements, je ne peux pas prendre en compte cette démission. Par ailleurs, vous ne vous êtes pas présentée à l'entretien préalable auquel nous vous avions convoqué par courrier recommandé du 27 octobre 2009. Malgré votre absence à cet entretien, je suis au regret de vous notifier, par la présente, votre licenciement. En effet, déjà au mois d'août, Madame Y..., infirmière référente, vous avez reçue pour vous faire part du profond mécontentement sur la qualité de votre travail. Nous vous avons, de nouveau, reçue, le 23 septembre 2009, puis le 16 octobre 2009, compte tenu de l'absence totale d'amélioration dans la qualité de votre travail. Au-delà de l'absence totale d'esprit d'équipe qui vous a été reproché et que vous avez reconnu lors de l'entretien du 16 octobre 2009, je dois faire le constat d'un manque patent de professionnalisme à vous concernant. Ainsi, à titre d'exemple, Monsieur Z... qui est l'un des résidents dont vous avez la charge, a été changé le 25 août 2009 par vos soins et laissé avec un lit non changé et souillé. La conséquence en a été que les enfants de ce résident, lorsqu'ils sont venus voir leur père, ont immédiatement constaté la situation qui n'est pas admissible pour ce résident. D'autres situations identiques sont mises en avant par vos collègues ou résidents et notamment le cas de Monsieur A... le 22 septembre 2009 que vous n'avez pas écouté, vous informant que son lit était souillé. De la même manière, certains résidents n'ont pas été changés et c'est par exemple le cas de Madame B..., dont l'absence de change a été constaté le 26 août 2009. La poche de nuit par exemple n'a pas été installée chez certains résidents pendant 3 nuits ce qui n'est absolument pas admissible tant pour les résidents en premier lieu que pour vos collègues de travail qui de votre fait doivent procéder à des changes complets de literie ce qui dénote un manque total d'implication dans votre métier et de considération envers le travail d'autrui.
Le non-respect du suivi du tableau de selle pouvant engendrer des actions inadaptées.
Plus grave, pour réaliser les transferts de certains résidents en fauteuil roulant de leur lit vers leur fauteuil ou réciproquement, il est élémentaire d'actionner les freins du fauteuil roulant, ne serait-ce que pour assurer la sécurité du résident. Malheureusement, cela n'a pas été le cas le 26 août 2009 en ce qui concerne Madame C... et cet événement a été constaté par moi-même avec le risque de voir ce résident chuter de votre fait avec toutes les conséquences envisageables et constatées également par Madame Y... le 16 octobre 2009 auprès de Mme D.... Ceci dénote un comportement non professionnel exposant la sécurité des résidents ce qui n'est vraiment pas admissible. Vous comprendrez qu'il n'est pas possible, de la part d'un professionnel diplômé, d'accepter qu'il puisse ignorer les exigences de sécurité dont nous sommes redevables envers les résidents que nous accueillons.
Au-delà de cette exigence de sécurité qui fait défaut, vous exercez votre métier dans un contexte humain prépondérant et nous avons en charge d'assurer le bien-être des résidents âgés que nous accueillons dans des conditions souvent difficiles car ils sont proches du terme de leur vie. L'éthique de notre métier mais également l'exigence de la qualité de l'accueil que nous leur devons dont le niveau est élevé au sein d'un établissement du groupe Emera, est de tout faire pour que leur séjour dans notre établissement soit le plus agréable possible. À titre d'exemple, vous avez assuré le 16 octobre 2009 les soins de bouche de Madame E..., résidente en soins palliatifs, sans même avoir pris le soin de lui expliquer votre action et lui avez ouvert la bouche avec brusquerie. Vos collègues sont à juste titre profondément choqués de constater que vous pouvez installer les résidents « tels des objets » (selon leur terme) le soir sans un mot ou sans approcher leur téléphone ou un mot d'attention envers eux.
Tous ces exemples d'une absence de prise en compte de l'aspect humain prééminent de nos fonctions montrent que vous n'avez pas pris la mesure de votre métier tel qu'il doit être accompli au sein de notre établissement et de votre équipe. Ces faits relèvent d'une situation d'insuffisance professionnelle. De tels comportements professionnels ne sont pas acceptables de la part d'une professionnelle diplômée et ne correspondent absolument pas à l'éthique de notre établissement puisque certains faits relèvent de la maltraitance envers les résidents. Compte tenu de l'accumulation de ces faits et de votre inaptitude à prendre en considération les nombreuses observations qui vous ont été faites à plusieurs reprises tant par moi-même que par l'infirmière référente et compte tenu de l'impossibilité de mettre en cause la sécurité des résidents que nous accueillons, j'ai pris la décision de mettre un terme à votre contrat de travail.... »
Le 25 septembre 2012, Mme Véronique X... a saisi le conseil de prud'hommes auquel, dans le dernier état de ses prétentions, elle demandait essentiellement de :- lui allouer des dommages et intérêts pour absence de visite médicale d'embauche ;- à titre principal, déclarer son licenciement nul et lui allouer de ce chef la somme de 8 883, 60 ¿ à titre de dommages et intérêts ;- à titre subsidiaire, de déclarer son licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse sur le fondement de l'article L. 1235-5 du code du travail et de lui allouer la somme de 4 441, 80 ¿ (soit trois mois de salaire) à titre de dommages et intérêts.
Par jugement du 5 décembre 2013 auquel le présent renvoie pour plus ample exposé, le conseil de prud'hommes d'Angers a :- déclaré bien fondé le licenciement de Mme Véronique X... et l'a déboutée de toutes ses prétentions ;- débouté la société Emera Exploitations de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile et condamné Mme Véronique X... aux dépens.
Cette dernière a régulièrement relevé appel de ce jugement par déclaration électronique du 23 décembre 2013.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :
Vu les conclusions et observations orales des parties à l'audience des débats du 12 janvier 2016 auxquelles il est renvoyé pour l'exposé détaillé des prétentions et moyens présentés ;
Vu les conclusions enregistrées au greffe le 18 septembre 2015, régulièrement communiquées et reprises oralement à l'audience aux termes desquelles Mme Véronique X... demande à la cour :- de condamner la société Emera Exploitations à lui payer la somme de 1480, 60 ¿ pour absence de visite médicale d'embauche ;- de déclarer son licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse et, en application de l'article L. 1235-5 du code du travail, de condamner l'employeur à lui payer la somme de 8 883, 60 ¿ en réparation de son préjudice ;- de le condamner à lui payer la somme de 2 000 ¿ en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter les dépens ;- de condamner la société Emera Exploitations, intimée non bénéficiaire de l'aide juridictionnelle et qui est en mesure de faire face aux frais et honoraires non compris dans les dépens qu'elle aurait elle-même exposés si elle n'avait pas bénéficié de l'aide juridictionnelle, au paiement de la somme de 1 800 ¿ hors taxes à maître Françoise de Stoppani, son conseil, (outre la TVA de 20 % ce jour) sur le fondement de l'article 37 de la loi numéro 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
La salariée fait valoir en substance que :
au sujet du délai mis à agir et des erreurs qu'elle a commises lors de la saisine du conseil de prud'hommes faute pour elle de retrouver divers documents dont son contrat de travail :- profondément affectée par l'accusation de " maltraitance " formulée par son employeur, envers les personnes âgées, elle a été placée en arrêt de travail pour maladie le 23 octobre 2009 et a même dû être hospitalisée dans une clinique psychiatrique pour " grand automatisme mental " du 28 avril au 12 mai 2010 ;
sur la visite médicale d'embauche :- elle aurait dû passer une visite médicale d'embauche d'autant qu'aux termes de son contrat de travail, son embauche était soumise à cette visite ; l'employeur n'établit pas qu'il pouvait se dispenser d'une telle visite en raison du délai qui s'était écoulé entre la dernière visite médicale passée chez le précédent employeur et son embauche par la société Emera Exploitations ;- son état de santé justifiait une visite médicale d'embauche ;
sur le licenciement :- l'employeur ne rapporte pas la preuve des mises en garde répétées mentionnées dans la convocation à l'entretien préalable ; elles sont inexistantes de même qu'elle n'a jamais fait l'objet de remontrances ou d'avertissements ;- les faits qui lui sont reprochés aux termes de la lettre de licenciement ne relèvent pas de l'insuffisance professionnelle mais de la faute ;- ces faits fautifs (plus précisément : ceux des 25 et 26 août 2009 (lits souillés), le fait de n'avoir pas actionné le frein d'un fauteuil roulant le 26/ 08/ 2009, les soins de douche avec brusquerie le 16/ 10/ 2009) ne peuvent pas fonder le licenciement en ce qu'ils étaient prescrits à la date de son prononcé ;- l'employeur lui reproche dans le cadre de la présente instance de n'avoir pas respecté les protocoles établis au sein de la résidence ; ce grief ne peut pas être invoqué dès lors qu'il n'est pas énoncé dans la lettre de licenciement ;- le défaut de changement de la poche de nuit et le défaut de change apporté à certains résidents parmi lesquels Mme B... ne sont pas matériellement établis ;- dans le cadre de son travail, elle a subi des brimades en raison de son aspect physique, situation qu'elle a dénoncée à l'inspection du travail le 30/ 10/ 2009 de même que les conditions de travail particulièrement difficiles, harassantes, auxquelles elle était soumise ; elle était surchargée.
Vu les conclusions enregistrées au greffe le 7 janvier 2016, régulièrement communiquées et reprises oralement à l'audience aux termes desquelles la société Emera Exploitations demande à la cour :- à titre principal, de débouter Mme Véronique X... de son appel et de toutes ses prétentions, de confirmer le jugement entrepris ;- à titre subsidiaire, de constater que Mme Véronique X... ne rapporte la preuve d'aucun préjudice et de la débouter de toutes ses prétentions ; en tout cas, de réduire à de plus justes proportions les indemnités qui pourraient lui être allouées ;- de la condamner à lui payer la somme de 3 500 ¿ en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
L'employeur fait valoir en substance que :
sur la visite médicale d'embauche :- en application du 3o b) de l'article R. 4624-12 du code du travail, il n'avait pas à soumettre la salariée à une visite médicale d'embauche puisqu'une visite effectuée au cours des six derniers mois chez le précédent employeur n'avait pas donné lieu à un avis d'inaptitude ;- la mention type portée dans le contrat de travail est sans incidence ;- la salariée ne l'a informé d'aucune difficulté de santé lors de l'embauche ;
sur le licenciement :- le licenciement est bien motivé par des insuffisances professionnelles et non par des faits fautifs ; ce sont des erreurs, des négligences, des échecs professionnels, une mauvaise exécution des tâches qui sont reprochés à la salariée à l'exclusion de toute mauvaise foi délibérée ou volonté fautive ;- en tout état de cause, les faits invoqués ne sont prescrits en ce que la procédure de licenciement a été engagée le 22 octobre 2009 par la première convocation à l'entretien préalable ;- les faits qui lui sont reprochés sont établis par les attestations de collègues de travail qu'il verse aux débats.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Sur la visite médicale d'embauche :
L'article R. 4624-10 du code du travail pose le principe que le salarié bénéficie d'un examen médical avant l'embauche ou au plus tard avant l'expiration de la période d'essai par le médecin du travail.
Aux termes de l'article R. 4624-12 du même code, " Sauf si le médecin du travail l'estime nécessaire ou lorsque le salarié en fait la demande, un nouvel examen médical d'embauche n'est pas obligatoire lorsque les conditions suivantes sont réunies : 1o Le salarié est appelé à occuper un emploi identique présentant les mêmes risques d'exposition ; 2o Le médecin du travail intéressé est en possession de la fiche d'aptitude établie en application de l'article R. 4624-47 ; 3o Aucune inaptitude n'a été reconnue lors du dernier examen médical intervenu au cours : a) Soit des vingt-quatre mois précédents lorsque le salarié est à nouveau embauché par le même employeur ; b) Soit des douze derniers mois lorsque le salarié change d'entreprise. ".
Au cas d'espèce, la société Emera Exploitations justifie avoir procédé à la déclaration unique d'embauche de Mme Véronique X... le 20 mars 2009 et que cette formalité a emporté de sa part une demande d'examen aux fins de visite médicale d'embauche par le médecin du travail.
Suite à cette demande, elle a été informée de ce que Mme Véronique X... avait été soumise à une visite médicale d'embauche le 14 novembre 2008 alors qu'elle était salariée de la Maison de Retraite de La Congrégation en qualité d'aide soignante. Elle verse aux débats l'avis d'aptitude alors émis par le médecin du travail (sa pièce no 3).
Mme Véronique X... ne bénéficiait pas d'une surveillance médicale renforcée telle que prévue à l'article R. 4624-18 du code du travail. Elle n'allègue pas même avoir alerté la société Emera Exploitations sur une quelconque difficulté de santé lors de son embauche. Il est indifférent à la solution du présent litige qu'elle ait été placée en arrêt de travail pour maladie après avoir reçu sa convocation à l'entretien préalable et que son état de santé ait ensuite nécessité la consultation d'un psychiatre et même une hospitalisation.
En effet, il ressort des éléments susvisés, que les conditions de l'article R. 4624-12 du code du travail dispensant l'employeur de soumettre la salariée à une visite médicale d'embauche étaient réunies en ce que Mme Véronique X... était bien appelée à occuper, au sein de la société Emera Exploitations, le même emploi d'aide soignante, présentant les mêmes conditions d'exposition, que celui qu'elle occupait précédemment au sein de la Maison de Retraite de La Congrégation, que le médecin du travail était en possession de la fiche d'aptitude établie lors de la visite médicale d'embauche effectuée à la demande de ce précédent employeur, que cet examen datait de moins de douze mois et qu'il n'avait donné lieu à aucune reconnaissance d'inaptitude. La circonstance que le contrat de travail ait mentionné que l'engagement ne serait confirmé qu'après la visite médicale d'embauche décidant de l'aptitude de Mme Véronique X... au poste proposé n'est pas de nature à faire échec à la règle de dispense d'une visite médicale d'embauche à l'initiative du nouvel employeur posée par l'article R. 4624-12. L'avis d'aptitude émis le 14 novembre 2008 a permis à l'intimée de confirmer l'engagement de l'appelante en qualité d'aide soignante.
La preuve d'un manquement de la société Emera Exploitations à son obligation de sécurité de résultat n'est pas rapportée et le jugement entrepris doit donc être confirmé en ce qu'il a débouté Mme Véronique X... de sa demande de dommages et intérêts pour défaut de visite médicale d'embauche.
Sur le licenciement :
En cause d'appel, Mme Véronique X... ne poursuit plus la nullité de son licenciement pour discrimination.
L'insuffisance professionnelle, sans présenter un caractère fautif, traduit l'inaptitude du salarié à exercer de façon satisfaisante, conformément aux prévisions contractuelles, les fonctions qui lui ont été confiées. Si l'employeur est juge des aptitudes professionnelles de son salarié et de son adaptation à l'emploi, et si l'insuffisance professionnelle peut constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement, elle doit être caractérisée par des faits objectifs et matériellement vérifiables.
Le licenciement peut reposer à la fois sur une insuffisance professionnelle et des motifs disciplinaires.
Au cas d'espèce, le fait pour la société Emera Exploitations d'indiquer en page 3 de la lettre de licenciement que " certains faits relèvent de la maltraitance envers les résidents. " traduit bien son intention de considérer certains faits comme fautifs. En effet, la maltraitance ne procède pas d'une simple négligence ou inattention.
Les faits qui, dans la lettre de licenciement, relèvent d'une attitude fautive sont les suivants :- avoir, le 25 août 2009, changé M. Z... en le laissant dans un lit souillé ;- ne pas avoir changé Mme B... le 26 août 2009 et ne pas avoir changé les draps souillés de M. A... le 22 septembre 2009 ;- avoir, le 16 octobre 2009, procédé à des soins de bouche sur la personne de Mme E..., résidente en soins palliatifs, sans lui expliquer son action et en lui ouvrant la bouche avec brusquerie.
Les autres faits relèvent de l'insuffisance professionnelle. A ce titre, la lettre de licenciement est suffisamment motivée par la seule indication que le licenciement est fondé sur l'insuffisance professionnelle du salarié et l'employeur peut invoquer dans le cadre de l'instance prud'homale des faits non énoncés dans la lettre de licenciement. La société Emera Exploitations peut donc parfaitement arguer dans le cadre de la présente instance du défaut de respect, par la salariée, de protocoles établis au sein de l'établissement, étant observé qu'un certains nombre de faits énoncés dans le courrier de rupture procèdent de cette carence.
En vertu de l'article L. 1332-4 du code du travail, aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l'exercice de poursuites pénales.
Il est exact que la société Emera Exploitations a, dans un premier temps, par lettre du 22 octobre 2009, convoqué la salariée à un premier entretien préalable fixé au 30 octobre suivant. Toutefois, dans la mesure où, en considération de son arrêt de maladie, par courrier du 27 octobre 2009, elle l'a convoquée pour une autre date d'entretien préalable (le 5 novembre 2009) en lui précisant que cette nouvelle convocation annulait et remplaçait la précédente, elle ne peut pas se prévaloir de la convocation initiale pour soutenir que le délai de deux mois aurait été interrompu le 22 octobre 2009. Les attitudes fautives antérieures de plus de deux mois au 27 octobre 2009 ne peuvent donc pas fonder le licenciement disciplinaire. Tel est le cas des faits relevés au sujet de M. Z... le 25 août 2009 et au sujet de Mme B... le 26 août 2009 en ce qu'ils étaient prescrits au moment de l'engagement de la procédure de licenciement.
Mme Martine F..., ancienne collègue de travail de l'appelante, relate de façon circonstanciée que, le 22 septembre 2009 au soir, M. A..., a demandé à Mme Véronique X... de changer ses draps souillés ; que, cela n'ayant pas été fait, ce résident a rappelé de sorte que Mme F... est intervenue et a demandé de l'aide à sa collègue qui a nié que les draps étaient souillés et a pris M. A... à partie en mettant sans ménagement sa parole en doute. Le témoin indique que cette attitude a blessé cette personne âgée qui était psychologiquement et physiquement faible. La preuve de ces faits fautifs imputables à l'appelante est ainsi suffisamment rapportée.
L'employeur ne produit aucune pièce, notamment aucun témoignage, au sujet de l'attitude brusque reprochée à la salariée le 16 octobre 2009 à l'occasion de soins de bouche réalisés sur la personne de Mme E.... La preuve de ce fait fautif fait donc défaut.
Comme l'ont retenu les premiers juges, Mme Joëlle Y..., infirmière référente, et Mmes Kristell G..., Martine F..., Dominique H..., Ginette I..., aides médico-psychologique au sein de la société Emera Exploitations, témoignent de façon concordante du fait que Mme Véronique X... faisait preuve de brusquerie, d'un manque d'attention envers les résidents (elle ne les coiffait pas, oubliait de leur mettre leurs lunettes, ne les " installait " pas le soir omettant de mettre leur téléphone à proximité, de leur allumer la télévision), n'avait pas d'échanges avec eux, les prenait pour des " objets ", de ce qu'elle omettait de respecter le protocole consistant à renseigner le tableau de selles et de vérifier l'état d'hygiène urinaire des résidents avant de les amener dans la salle de restaurant, de ce qu'elle omettait d'actionner les freins du fauteuil roulant avant de procéder au transfert d'un résident du fauteuil à son lit, de ce qu'elle omettait régulièrement de changer les résidents et leurs draps quand ils étaient souillés, de ce qu'elle était très observatrice, " n'avait pas l'idée " de renouveler les poches de nuit lorsqu'il n'y en avait plus et ne savait toujours pas quel change mettre à un résident en dépit de six mois de présence dans l'établissement.
Mme Joëlle Y... indique que ces carences ont persisté en dépit de plusieurs entretiens, qu'elles étaient pour ses collègues à l'origine d'un surcroît de travail et d'une lassitude qu'elle devait gérer.
Au regard de ces éléments, le licenciement de Mme Véronique X... pour faits fautifs et insuffisance professionnelle apparaît justifié. Le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il l'a déboutée de ses demandes pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant publiquement, en matière sociale, par arrêt contradictoire et en dernier ressort ;
Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant,
Dit que chaque partie conservera la charge de ses frais irrépétibles d'appel ;
Condamne Mme Véronique X..., bénéficiaire de l'aide juridictionnelle totale, aux dépens d'appel.