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20/10/2015 | FRANCE | N°12/02780

France | France, Cour d'appel d'Angers, Chambre sociale, 20 octobre 2015, 12/02780


COUR D'APPEL d'ANGERS Chambre Sociale
ARRÊT DU 20 Octobre 2015

ARRÊT N 15/ ic/
Numéro d'inscription au répertoire général : 12/ 02780.

Jugement Au fond, origine Conseil de Prud'hommes-Formation paritaire du MANS, décision attaquée en date du 29 Novembre 2012, enregistrée sous le no 12/ 00121

APPELANT :
Monsieur Patrick X...... 72100 LE MANS
comparant assisté de Maître ROMAIN JEHANIN, avocat au barreau de PARIS

INTIMEE :
SAS YOPLAIT 170 bis Boulevard du Montparnasse 75014 PARIS
représenté par Maître Solenne MOULINET, avocat a

u barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du co...

COUR D'APPEL d'ANGERS Chambre Sociale
ARRÊT DU 20 Octobre 2015

ARRÊT N 15/ ic/
Numéro d'inscription au répertoire général : 12/ 02780.

Jugement Au fond, origine Conseil de Prud'hommes-Formation paritaire du MANS, décision attaquée en date du 29 Novembre 2012, enregistrée sous le no 12/ 00121

APPELANT :
Monsieur Patrick X...... 72100 LE MANS
comparant assisté de Maître ROMAIN JEHANIN, avocat au barreau de PARIS

INTIMEE :
SAS YOPLAIT 170 bis Boulevard du Montparnasse 75014 PARIS
représenté par Maître Solenne MOULINET, avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 07 Septembre 2015 à 14 H 00, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Isabelle CHARPENTIER, conseiller chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Anne JOUANARD, président Madame Catherine LECAPLAIN-MOREL, conseiller Madame Isabelle CHARPENTIER, conseiller

Greffier : Madame BODIN, greffier.
ARRÊT : prononcé le 20 Octobre 2015, contradictoire et mis à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par Madame Anne JOUANARD, président, et par Madame BODIN, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS et PROCÉDURE,
M. Patrick X... a été recruté le 30 mai 2006 en qualité de préparateur de commandes par la société Yoplait France dans le cadre d'un contrat de travail à durée déterminée à temps complet jusqu'au 1er juillet 2006, en remplacement de personnel absent pour cause de repos ARTT ou congés.
Le salarié a signé neuf contrats à durée déterminée successifs à temps complet :- le 29 juin 2006, pour la période du 3 juillet au 8 juillet 2006, en remplacement de personnel absent pour cause de repos,- le 7 juillet 2006, pour la période du 10 juillet au 15 juillet 2006, en remplacement de personnel absent pour cause de maladie,- le 21 juillet 2006 pour la période du 24 juillet 2006 au 5 août 2006, en remplacement de personnel absent (congés),- le 4 août 2006 pour la période du 7 août 2006 au 19 août 2006, en remplacement de personnel absent (congés),- le 4 août 2006 pour la période du 21 août au 26 août 2006, en remplacement de personnel absent (congés),- le 4 août 2006 pour la période du 28 août au 2 septembre 2006, en remplacement de personnel absent (repos),- le 30 août 2006 pour la période du 4 septembre au 9 septembre 2006, en remplacement de personnel absent (repos),- le 30 août 2006 pour la période du 11 septembre au 13 septembre 2006, en remplacement de personnel absent (repos)- le 30 août 2006 pour la période du 14 septembre au 16 septembre 2006, en remplacement de personnel absent (repos). Il a toujours exercé son activité sur le site de l'entreprise au Mans.
A compter du 18 septembre 2006, M. X... a conclu successivement 134 contrats de travail en intérim avec la société Adecco pour le compte de la société Yoplait France. Il a travaillé en qualité de préparateur de commandes sur le site de l'entreprise du Mans principalement pour des motifs de remplacement de personnel et, de manière épisodique, pour un surcroît temporaire d'activité. Le dernier contrat de mission temporaire a pris fin le 15 mai 2010.
En dernier lieu, il percevait une rémunération moyenne de 1 184. 55 euros brut par mois au vu des six derniers mois.
La société Yoplait France applique la convention collective nationale des coopératives agricoles laitières.
Par courrier en date du 8 septembre 2010, M. X... a présenté à la société Yoplait France une demande d'intégration en contrat de travail à durée indéterminée.
Le 22 décembre 2010, le directeur adjoint du travail de la Sarthe a invité la société Yoplait France à trouver une solution amiable avec le salarié pour " prévenir un contentieux prud'homal en requalification sur la base de l'article L 1251-40 du code du travail " au regard de la durée des périodes travaillées au sein de l'entreprise dans le cadre de contrats à durée déterminée et de missions intérimaires.
Le 23 mars 2011, la responsable des ressources humaines de la société Yoplait France a répondu que M. X... n'avait pas travaillé de manière continue entre la première mission d'intérim et la sortie définitive, que le motif du recours était régulier s'agissant du remplacement de salariés absents, que la candidature du salarié sur un poste en contrat à durée indéterminée n'avait pas été retenue pour le moment.
Estimant que le recours à ses contrats temporaires était destiné à pourvoir durablement un emploi au sein de la société Yoplait France, M. X... a saisi le conseil de prud'hommes du Mans, par requête du 22 mars 2012, pour voir requalifier sa relation de travail avec la société Yoplait France en contrat à durée indéterminée et obtenir le versement des indemnités et des rappels de salaires afférents à la requalification.
Par jugement avant dire-droit en date du 21 juin 2012, le conseil de prud'hommes du Mans a enjoint à la société Yoplait France de produire les éléments de preuve pour justifier des motifs de recours aux contrats de travail temporaires de M. X... en remplacement des salariés absents.
Par jugement en date du 29 novembre 2012, le conseil de prud'hommes du Mans a :- dit que le recours abusif aux contrats de travail temporaire par la société Yoplait France n'était pas démontré par M. X...,- débouté le salarié de l'ensemble de ses demandes,- condamné M. X... aux dépens.
Les parties ont reçu notification de ce jugement le 3 décembre 2012.
M. X... en a régulièrement relevé appel général par courrier posté le 18 décembre 2012
PRÉTENTIONS et MOYENS des PARTIES
Vu les conclusions récapitulatives enregistrées au greffe le 7 décembre 2015, régulièrement communiquées et reprises oralement à l'audience, aux termes desquelles M. X... demande à la cour :- d'infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,- de prononcer la requalification de sa relation de travail avec la société Yoplait France en contrat de travail à durée indéterminée à temps complet,- de dire que la rupture de la relation de travail avec la société Yoplait, intervenue le 28 mars 2011, est un licenciement sans cause réelle et sérieuse,- de condamner la société Yoplait France à lui verser les sommes suivantes : * 1 836. 20 euros au titre de l'indemnité de requalification, * 54 838. 85 euros au titre du rappel de salaires pour les heures non payées entre le 15 avril 2007 et le 28 mars 2011, * 5 483. 88 euros pour les congés payés y afférents, * 10 000 euros de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail, * 1 794. 19 euros au titre de l'indemnité de licenciement, * 3 672. 40 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, * 367. 24 euros pour les congés payés y afférents, * 22 034. 40 euros au titre des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, * 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,- d'ordonner à la société Yoplait la remise des documents sociaux rectifiés sous astreinte de 100 euros par jour de retard et par document de retard.
Il fait valoir en substance que :
- sur la requalification de la relation de travail en contrat de travail à durée indéterminée-le contrat de travail à durée déterminée et le contrat de travail temporaire, dont le recours est strictement encadré par les articles L 1242-1 et L 12515 du code du travail, ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise ;- il s'est vu confier 10 contrats à durée déterminée suivis de 134 contrats de mission temporaire avec la société Yoplait France entre le 30 mai 2006 et le 15 mai 2010, ce qui représente 34 mois de travail sur une période totale de 48 mois ;- les tâches qui lui étaient confiées, identiques, relevaient de la même qualification de préparateur de commandes ;- les missions temporaires étaient fondées de manière habituelle sur le même motif de recours du remplacement d'un salarié absent, à quelques exceptions près ;- la régularité des absences des salariés de la société Yoplait entraînait la poursuite quasi systématique de ses missions au travers de contrats successifs, ce qui permet d'établir que le poste de préparateur de commandes occupé par lui à titre temporaire correspondait à une activité normale et permanente de l'entreprise utilisatrice ;- recruté pour occuper un poste de remplaçant permanent au sein de l'entreprise, il est donc bien fondé à obtenir la requalification de sa relation de travail en contrat à durée indéterminée à temps plein avec la société Yoplait ;- il est resté à disposition de la société Yoplait entre le 16 mai 2010 date de son dernier contrat de mission et le 28 mars 2011 durant les périodes d'inter-contrat justifiant de son indemnisation par Pôle Emploi lors des interruptions de missions ;- le recours aux contrats à durée déterminée et aux contrats de travail temporaire constituait un mode de fonctionnement quotidien de la société Yoplait, représentant entre 12 à 32. 9 % du total de l'effectif selon les mois entre mai 2006 et mai 2009, malgré les protestations des représentants du personnel ;- certains contrats de mission, établis le 29 septembre 2006 et le 27 février 2009, lui ayant été transmis hors du délai légal de deux jours, le non-respect de ce délai entraîne une requalification de la relation de travail en contrat à durée indéterminée à compter du 30 mai 2006 ;
- sur l'indemnité de requalification :- il est fondé à obtenir, en cas de requalification de sa relation de travail temporaire en contrat à durée indéterminée, une indemnité à la charge de l'employeur qui ne peut être inférieure à un mois de salaire selon l'article L 1251-41 du code du travail, représentant la somme de 1 836. 20 euros,
- sur les rappels de salaires :- en vertu d'une jurisprudence constante, la société Yoplait France en qualité d'entreprise utilisatrice doit payer, lorsque les contrats de mission successifs sont requalifiés en contrat à durée indéterminée, les salaires correspondant aux périodes d'inactivité entre les contrats de mission sous réserve que le salarié n'ait pas travaillé pour d'autres employeurs durant les périodes intermédiaires et qu'il se soit tenu à la disposition de l'entreprise utilisatrice ;- il est resté à disposition de la société Yoplait France entre le 15 mai 2010 date de son dernier contrat et le 28 mars 2011 date à laquelle la société Yoplait l'a informé qu'elle ne lui proposerait pas un contrat à durée indéterminée et il est donc légitime à obtenir des rappels de salaires durant les périodes intermédiaires d'inactivité, représentant :- la somme de 35 681. 16 euros pour la période du 15 avril 2007 au 8 mai 2010, outre les congés payés y afférents,- la somme de 19 157. 69 euros pour la période du 16 mai 2010 au 28 mars 2011 outre les congés payés y afférents ;
- sur les dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail :- la société Yoplait France l'a employé au moyen de multiples contrats temporaires pour assurer un poste correspondant à l'activité normale et permanente de l'entreprise, les périodes d'inactivité contrainte ont généré pour lui une incertitude sur son avenir professionnel ; il a été maintenu dans une situation de précarité durant près de cinq années, ce qui justifie l'octroi de dommages-intérêts de 10 000 euros,
- sur la rupture du contrat de travail-la rupture de la relation de travail entre lui et la société Yoplait France doit être analysée en un licenciement sans cause réelle et sérieuse,- le dernier contrat de mission temporaire ayant pris fin le 15 mai 2010, il est resté en vain à disposition de la société Yoplait France dans l'attente d'une nouvelle mission et lui a adressé en vain une demande d'intégration en contrat à durée indéterminée. Le courrier de la société Yoplait du 23 mars 2011 révélant ses intentions de ne pas le recruter, peut être assimilé à une lettre de licenciement.
- sur l'indemnité de licenciement :- la rupture n'ayant pas été motivée par l'employeur, elle doit être requalifiée en licenciement sans cause réelle et sérieuse en considérant que son ancienneté court à compter du 30 mai 2006 soit 4 ans, 7 mois et 28 jours et l'indemnité de licenciement à la somme de 1 794. 19 euros.- sur l'indemnité de préavis-cette indemnité correspondant à deux mois de salaire s'élève à la somme de 3 672. 40 euros outre 367. 24 euros pour les congés payés,- sur les dommages-intérêts pour licenciement abusif-au chômage au cours de l'année 2011, il n'a pas trouvé d'emploi stable après la rupture de ses relations de travail avec la société Yoplait France.
Vu les conclusions enregistrées au greffe le 28 août 2015, régulièrement communiquées et reprises oralement à l'audience selon lesquelles la SAS Yoplait France demande à la cour :- de confirmer le jugement en ses dispositions,- de débouter M. X... de toutes ses demandes,- subsidiairement, si les contrats de mission sont requalifiés en un contrat de travail à compter du 7 mai 2010, * de fixer la date du licenciement au 15 mai 2010, * de débouter M. X... de ses demandes d'indemnité de licenciement, de dommages-intérêts pour licenciement abusif et pour exécution déloyale du contrat de travail, de sa demande de rappel de salaire, de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile et de sa demande d'astreinte, * de réévaluer l'indemnité de compensatrice de préavis à la somme de 2 085. 11 euros brut, et aux congés payés y afférents-très subsidiairement, * de réévaluer le rappel de salaire à la somme de 35 681. 16 euros bruts outre les congés payés y afférents, pour la période du 15 avril 2007 au 2 mai 2010.
La société Yoplait France soutient essentiellement que :
- sur la demande de requalification des missions en contrat à durée indéterminée :- le recours aux contrats de travail à durée déterminée puis de mission d'intérim de M. X... était parfaitement motivé soit par le remplacement de salariés absents soit par l'exécution de tâches précises et temporaires du fait d'un surcroît temporaire d'activité ;- les cas de recours prévus par la loi démontrent que M. X... n'a pas été employé pour pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise ;- les périodes d'inactivité entre les missions représentent 573 jours sur une période globale de 5 ans, allant jusqu'a 4 mois consécutifs au second semestre 2008 ;- le salarié ne démontre pas s'être tenu à disposition de la société Yoplait durant ces périodes d'inactivité ;- elle conteste avoir fait un prétendu usage abusif de l'intérim au sein de l'usine du Mans, le recours à l'intérim ayant diminué de 7 % entre mai 2008 et mai 2009 ;- les missions d'intérim sont utilisées de manière usuelle dans les industries traitant en continu des produits alimentaires ultra-frais, comme la société Yoplait, nécessitant le remplacement immédiat du personnel ;- devant faire face à un taux d'absentéisme très variable, elle a rencontré des difficultés au cours de la période 2008/ 2010 avec une stagnation des embauches et depuis, a procédé à 58 recrutements en contrats à durée indéterminée dont 23 postes créés entre 2011 et 2013 ;
- sur le retard de transmission des contrats-l'obligation de remise d'un contrat écrit de mission dans le délai légal relève de la responsabilité de l'entreprise de travail intérimaire, en l'occurrence la société Adecco, et non pas de la société utilisatrice, au terme de l'article L 1251-17 du code du travail ;
- subsidiairement, si la relation de travail avec la société Yoplait est requalifiée en contrat à durée indéterminée, elle a commencé le 7 mai 2010, date de reprise des missions chez Yoplait après l'interruption de travail de 17 jours et a cessé le 8 septembre 2010, date à laquelle M. X... ne répondait plus aux sollicitations de la société Adecco ;
- sur le rappel de salaires du 15 avril 2007 au 28 mars 2011 :- M. X... ne justifie pas d'actes positifs permettant de confirmer qu'il est resté à sa disposition et ne peut donc pas prétendre à un rappel de salaires durant les périodes d'inactivité,- subsidiairement, les demandes salariales sont erronées en ce que :- elle applique la convention collective des coopératives agricoles laitières et non celle de l'industrie laitière ;- les salaires minima calculés dans le cadre d'un accord d'établissement sont supérieurs aux minima conventionnels ;- le rappel de salaires ne peut pas excéder la somme de 35 681. 16 euros outre les congés payés de 3 568. 12 euros ;
- sur l'indemnité légale de licenciement :- le salarié ne peut pas prétendre à une indemnité légale de licenciement puisqu'il ne comptait pas au 15 mai 2010 une année d'ancienneté au regard des interruptions d'activité entre les missions successives ;
- sur les dommages-intérêts pour licenciement abusif :- le salarié, ayant une ancienneté continue de moins de deux ans, ne rapporte pas la preuve du préjudice subi à l'appui de sa demande de dommages-intérêts et en sera débouté,- subsidiairement, en l'absence de préjudice particulier, il lui sera accordé la somme de 6 255. 33 euros correspondant à l'indemnité fixée par l'article L 1235-3 du code du travail,
- sur l'indemnité de préavis :- l'indemnité de préavis est fixée par la convention collective à un mois de salaire pour le salarié ouvrier de moins de deux ans d'ancienneté, soit 2 085. 11 euros bruts outre les congés payés.
MOTIFS DE LA DECISION,
Sur la demande de requalification de la relation de travail en contrat à durée indéterminée.
L'article L 1251-5 du code du travail dispose que " le contrat de mission, quel que soit son motif, ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise utilisatrice. " L'article L 1251-6 du même code précise que " sous réserve des dispositions de l'article L 1251-7, il ne peut être fait appel à un salarié temporaire que pour l'exécution d'une tâche précise et temporaire dénommé mission et seulement dans les cas suivants : 1o- remplacement d'un salarié en cas d'absence, 2o- accroissement temporaire de l'activité de l'entreprise. "
Selon l'article L 1251-40 du même code, lorsqu'une entreprise utilisatrice a recours à un salarié d'une entreprise de travail temporaire en méconnaissance des dispositions des articles L 1251-5 à L 1251-7, ce salarié peut faire valoir auprès de l'entreprise utilisatrice les droits correspondant à un contrat de travail à durée indéterminée prenant effet au premier jour de sa mission irrégulière.
Il en est de même pour le contrat de travail à durée déterminée quel que soit son motif. Selon l'article L 1242-1 un tel contrat ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise.
L'article L 1245-1 du code du travail prévoit la requalification du contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée en cas de méconnaissance de l'article L 1242-1.
Si l'employeur dispose de la faculté de conclure avec le même salarié des contrats successifs pour remplacer un ou des salariés absents, il ne peut pas recourir de façon systématique aux contrats à durée déterminée ou à des missions de remplacement pour faire face à un besoin structurel de main-d'oeuvre lié à l'absentéisme de son personnel permanent.
Au cas d'espèce, il résulte des pièces produites que :- M. X... a conclu avec la société Yoplait France dès le 30 mai 2006, dix contrats de travail à durée déterminée jusqu'au 16 septembre 2006, motivés par " le remplacement en cascade de différents salariés absents " principalement pour cause de congés.- le salarié a été ensuite immédiatement recruté, durant 125 missions, pour assurer le remplacement d'un ou de plusieurs salariés-par glissement de poste-dans la même usine du Mans de la société Yoplait,- plusieurs contrats (9) ont été conclus pour faire face à un accroissement temporaire d'activité justifié :- en raison du " lancement simultané de nouveaux produits MMD, Perle de Lait Litchi " le 2 juillet 2007 durant 12 semaines,- pour cause " des jours fériés " le 28 avril 2008 durant 3 semaines, le 26 avril 2009 durant 7 jours-pour cause d'" un jour férié " le 12 avril 2009 durant 7 jours, le 26 mai 2009 durant une journée-par " la mise en place d'une organisation spécifique aux jours fériés " le 8 novembre 2009 durant 7 jours, le 7 mai 2010 durant 9 jours.- en raison " la mise à niveau du palletier " les 19 et 20 avril 2010 durant 2 jours,- la qualification de l'emploi occupé par le salarié était identique en tant que préparateur de commande.
S'agissant du motif de l'accroissement temporaire d'activité, il appartient à l'employeur de prouver à la fois la réalité de cet accroissement mais également son caractère temporaire.
Or en l'espèce, les motifs invoqués par la société Yoplait à ce titre ne visent aucune augmentation inhabituelle de son activité mais correspondent à l'activité normale et permanente de l'entreprise spécialisée dans la fabrication de lait liquide et de produits ultra-frais.
Ainsi, l'organisation de l'effectif dans la perspective des jours fériés est largement prévisible pour l'employeur et ne constitue pas en soi un événement exceptionnel : il ne répond pas aux critères légaux d'un accroissement inhabituel mais non durable de l'activité de nature à justifier le recours à du personnel intérimaire.
La preuve de l'accroissement temporaire d'activité en lien avec le lancement simultané de deux nouveaux produits (MMD et Perle de Lait saveur litchi), alors que son secteur d'activité est soumis par nature à un renouvellement régulier des produits fabriqués, n'est pas davantage rapportée par la société Yoplait au cours de la période en cause.
S'agissant du motif lié à l'absence de personnel, la société Yoplait justifie le recours à des missions d'intérim par la nécessité de pallier aux absences même ponctuelles dans le cadre d'une activité continue de fabrication de produits alimentaires frais.
Toutefois, les remplacements opérés concernent exclusivement, sur une période de près de quatre années, des absences en raison des congés légaux ou en ARRT des salariés, à l'exception d'une absence pour arrêt maladie d'une semaine. Ils répondent donc à un besoin structurel de main-d'oeuvre lié à l'absentéisme régulier et légal de son personnel permanent.
L'employeur ne fournit aucun élément permettant de déterminer l'importance du recours à de la main d'oeuvre extérieure au sein de l'entreprise du Mans au cours de la période en cause (2006/ 2010), se contentant de chiffrer le nombre de recrutement d'emplois temporaires et des emplois en contrat à durée indéterminée pour la période 2011/ 2013.
Par ailleurs, la succession de plusieurs contrats à durée déterminée (10) et de multiples missions (125) entre mai 2006 et mai 2010 motivés par le remplacement de salariés absents, alternant immédiatement avec des missions motivées par l'accroissement d'activité (9), sans que le délai de carence prévu par l'article L 1251-36 du code du travail soit respecté et sans que le motif de l'accroissement d'activité rentre dans le champ d'application de l'article L 1251-37 du code du travail, révèle que l'emploi précaire fourni à M. X... permettait à l'employeur de bénéficier d'une prestation quasi-continue pour pourvoir durablement un poste permanent dans l'entreprise.
Enfin, le fait que M. X... ait occupé, à chaque mission, un poste de même qualification de préparateur de commande, confirme que le recours au travail temporaire du salarié a eu pour objet et/ ou pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise au sens des articles L 1242-1 et L 1251-5 du code du travail.
Dans ces conditions, le salarié est bien fondé à solliciter le bénéfice des dispositions des articles L 1245-1 et L 1251-40 pour faire valoir auprès de l'entreprise utilisatrice les droits correspondant à un contrat de travail à durée indéterminée prenant effet au premier jour de son premier contrat irrégulier, en l'espèce le 30 mai 2006.
Il sera en conséquence fait droit à la demande de requalification de la relation de travail de M. X... avec la société Yoplait en un contrat à durée indéterminée à compter du 30 mai 2006, par voie d'infirmation du jugement entrepris.

Sur l'indemnité de requalification,
En cas de requalification d'un contrat de travail en contrat de travail à durée indéterminée, il est accordé au salarié une indemnité à la charge de l'entreprise utilisatrice qui ne peut être inférieure à un mois de salaire correspondant au dernier salaire mensuel perçu avant la saisine de la juridiction, en application de l'article L 1251-41 du code du travail pour le contrat de mission et l'article L 1245-2 alinéa 2 pour le contrat à durée déterminée.
Les parties sont en désaccord sur la date de la rupture du contrat de travail, le salarié proposant le 28 mars 2011 date à laquelle l'employeur l'a informé de son refus de le recruter dans le cadre d'un contrat à durée déterminée tandis que la société Yoplait France l'a fixé au 15 mai 2010.
La dernière mission de travail ayant pris fin le 15 mai 2010 date à laquelle le contrat de travail doit être considéré comme rompu de fait, il sera alloué à M. X... une indemnité de requalification, compte tenu du montant non contesté du salaire applicable à sa qualification à temps complet (1 836. 20 euros par mois brut), de son ancienneté (3 ans 11 mois) et des circonstances de l'espèce, une indemnité de 1 836. 20 euros.
Le jugement sera infirmé de ce chef.
Sur les rappels de salaires,
En cas de requalification de contrats à durée déterminée en une relation de travail à durée indéterminée, il incombe au salarié d'établir qu'il s'est tenu à la disposition de l'entreprise en vue d'effectuer un travail afin de justifier de sa créance salariale à l'encontre de celle-ci au titre des périodes non travaillées entre ses différents contrats à durée déterminée requalifiés en contrat à durée indéterminée.
Le dernier contrat de travail devants'étant achevé le 15 mai 2010, M. X... n'est pas fondé à réclamer un rappel de salaire au titre de la période postérieure d'inactivité persistante entre le 16 mai 2010 et le 23 mars 2011.. S'agissant de la période de juin 2006 à mai 2010, il apparaît que :- le salarié a connu 543 jours, soit plus de 17 mois, d'inactivité au sein de la société Yoplait dont la plupart sont situés au cours des périodes de vacances ou du dernier trimestre 2008,
et n'a connu aucune période d'inactivité de juillet 2006 à avril 2007, de juin 2007 à novembre 2007, de janvier 2008 à juillet 2008, de février 2009 à mai 2009 à l'exception de quelques jours en mai 2009 (6 + 4 jours),
- l'utilisation systématique du report de date de la fin de mission et la fixation de durées de mission différentes, parfois de très courte durée, ont créé chez le salarié un temps de maintien au service de l'entreprise utilisatrice,
- une telle pratique confortée par la multiplicité des missions et l'absence de délai de prévenance caractérisent le maintien du salarié à la disposition de la société Yoplait.
Dans ces conditions, M. X... est parfaitement fondé à demander le paiement d'un rappel de salaires pour la période d'inactivité interstitielle entre le 30 mai 2006 et le 15 mai 2010.
Le décompte fourni par M. X... est confirmé par la société Yoplait, dans ses conclusions sur la base de la somme principale de 35 681. 16 euros brut outre les congés payés y afférents de 3 568. 12 euros. Il sera fait droit à la demande du salarié de ce chef, par voie d'infirmation du jugement.
Sur les conséquences de la rupture du contrat,
Le dernier contrat de travail à durée déterminée ayant pris fin à l'échéance prévue du 15 mai 2010, la société Yoplait France a cessé de fournir du travail à M X....
En raison de la requalification du contrat en contrat à durée indéterminée avec effet au 30 mai 2006, la rupture de la relation de travail le 15 mai 2010 étant imputable à l'employeur doit s'analyser en un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
M. X... est légitime à fonder ses demandes sur la base d'un salaire moyen brut de 1 836. 20 euros par mois correspondant au salaire minimum conventionnel applicable à sa qualification selon les grilles de la convention de l'accord d'établissement, dont il n'est pas contesté qu'elles soient plus favorables que celles de la convention applicable. Il justifiait d'une ancienneté de 3 ans et 11 mois.
Aux termes de l'article L 1235-3 du code du travail, en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse d'un salarié ayant plus de deux ans d'ancienneté et travaillant dans une entreprise de plus de 11 salariés, il est alloué au salarié à la charge de l'employeur une indemnité qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.
Il n'est pas contesté que M. X... n'a pas retrouvé d'emploi stable après la rupture du contrat le 15 mai 2010 et a perçu des indemnités chômage au cours des années 2010 et 2011. Compte tenu des circonstances de la rupture, de l'âge, de l'ancienneté du salarié et de sa capacité à retrouver un nouvel emploi au regard de sa formation et de son expérience professionnelle, il convient d'évaluer l'indemnité à la somme de 12 000 euros au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Aux termes de l'article L 1234-1 du code du travail, lorsque le licenciement n'est pas motivé par une faute grave, le salarié a droit à une indemnité compensatrice de préavis correspondant à deux mois de salaire pour un salarié ayant plus de deux ans d'ancienneté. La convention collective prévoit également un préavis d'une durée de deux mois pour le salarié ayant " deux ans de présence " au sein de l'entreprise ce qui est le cas de l'espèce pour M. X... dont le contrat de travail a pris effet le 30 mai 2006.
M. X... est donc bien fondé à obtenir une somme de 3 672. 40 euros brut au titre de cette indemnité outre les congés payés y afférent de 367. 24 euros. Le jugement sera infirmé sur ce point.
Selon l'article L 1234-9 du code du travail, le salarié licencié a droit sauf faute grave à une indemnité de licenciement calculée en fonction de la rémunération brute dont il bénéficiait avant la rupture du contrat. Cette indemnité est fixée par l'article R 1234-2 du code du travail ou par la convention collective si celle-ci est plus favorable pour le salarié.
L'évaluation de l'indemnité légale étant plus favorable, il sera alloué au salarié la somme de 1 438. 67 euros. Le jugement sera infirmé de ce chef.
Sur la demande de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail,
Le fait que l'employeur ait conclu des contrats à durée déterminée suivis de plus d'une centaine de missions temporaires pour pourvoir un emploi correspondant à l'activité normale et permanente de l'entreprise, en méconnaissance de ses obligations légales, caractérise un comportement fautif de la société Yoplait France à l'égard de M. X... maintenu durant près de quatre années dans l'incertitude sur son avenir professionnel ce qui justifie une indemnisation spécifique.
La cour dispose des éléments suffisants d'appréciation pour évaluer à la somme de 1 000 euros les dommages-intérêts alloués au salarié en réparation de son préjudice. Le jugement sera infirmé sur ce point.
Sur les autres demandes,
Les conditions d'application de l'article L 1235-4 du code du travail étant réunies, il convient d'ordonner le remboursement par l'employeur des indemnités de chômage payées au salarié du jour de son licenciement et ce à concurrence de six mois.
Aux termes de l'article R 1234-9 du code du travail, l'employeur doit délivrer au salarié au moment de l'expiration ou de la rupture du contrat de travail, les attestations et justifications lui permettant d'exercer son droit aux prestations sociales.
Il convient en conséquence d'ordonner à l'employeur de délivrer à M. X... les bulletins de salaires rectificatifs conformes aux dispositions du présent arrêt et ce au plus tard dans les deux mois de la notification du présent arrêt sous astreinte de 30 euros par jour de retard dont la cour ne se réserve pas la liquidation.
Il apparaît inéquitable de laisser à la charge de M. X... les frais non compris dans les dépens. La société Yoplait sera condamnée à lui payer la somme de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles d'appel. L'employeur sera condamné aux entiers dépens de première instance et d'appel.
PAR CES MOTIFS,
La Cour, statuant, publiquement et contradictoirement, en matière sociale et en dernier ressort,
INFIRME le jugement entrepris en toutes ses dispositions.
Statuant de nouveau des chefs infirmés et y ajoutant :
REQUALIFIE la relation de travail de M. X... avec la société Yoplait France en une relation de travail à durée indéterminée à compter du 30 mai 2006.
DIT que la rupture du contrat de travail à durée indéterminée intervenue le 15 mai 2010 imputable à l'employeur doit s'analyser en un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
CONDAMNE en conséquence la société Yoplait France à payer à M. X... :- la somme de 1 836. 20 euros au titre de l'indemnité de requalification,- la somme de 35 681. 16 au titre du rappel de salaires entre le 30 mai 2006 et le 15 mai 2010,- la somme de 3 568. 12 euros au titre des congés payés y afférents,- la somme de 3 672. 40 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis-la somme de 367. 24 euros au titre des congés payés ya afférents,- la somme de 1 438. 67 euros au titre de l'indemnité légale de licenciement,- la somme de 12 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,- la somme de 1 000 euros de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail,- la somme de 1 500 euros en cause d'appel sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
ORDONNE à la société Yoplait France de délivrer à M. X... les bulletins de salaires rectificatifs conformes aux dispositions du présent arrêt et ce au plus tard dans les deux mois de la notification du présent arrêt sous astreinte de 30 euros par jour de retard.
ORDONNE le remboursement par la SA Yoplait France à Pôle Emploi des indemnités de chômage versées au salarié du jour de son licenciement au jour du présent arrêt, dans la limite de six mois d'indemnités.
CONDAMNE la société Yoplait France aux dépens de première instance et d'appel.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Angers
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 12/02780
Date de la décision : 20/10/2015
Sens de l'arrêt : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours
Type d'affaire : Sociale

Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.angers;arret;2015-10-20;12.02780 ?
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