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13/10/2015 | FRANCE | N°13/02146

France | France, Cour d'appel d'Angers, Chambre sociale, 13 octobre 2015, 13/02146


COUR D'APPEL d'ANGERS Chambre Sociale

ARRÊT N clm/ jc
Numéro d'inscription au répertoire général : 13/ 02146.
Jugement Au fond, origine Conseil de Prud'hommes-Formation paritaire d'ANGERS, décision attaquée en date du 01 Juillet 2013, enregistrée sous le no 12/ 00331

ARRÊT DU 13 Octobre 2015
APPELANTE :
Madame Huguette X... épouse Y...... 49520 LE TREMBLAYE
représentée par Maître CHARLES, avocat substituant Maître Alain GUYON de la SCP ALAIN GUYON-PAUL CAO, avocats au barreau d'ANGERS-No du dossier 12- 031B

INTIMEE :
LA SARL DISTRIB

ANJOU PRESSE 3 impasse Jean Bertin 49220 LE LION D'ANGERS
représentée par Maître LEVRON, avocat ...

COUR D'APPEL d'ANGERS Chambre Sociale

ARRÊT N clm/ jc
Numéro d'inscription au répertoire général : 13/ 02146.
Jugement Au fond, origine Conseil de Prud'hommes-Formation paritaire d'ANGERS, décision attaquée en date du 01 Juillet 2013, enregistrée sous le no 12/ 00331

ARRÊT DU 13 Octobre 2015
APPELANTE :
Madame Huguette X... épouse Y...... 49520 LE TREMBLAYE
représentée par Maître CHARLES, avocat substituant Maître Alain GUYON de la SCP ALAIN GUYON-PAUL CAO, avocats au barreau d'ANGERS-No du dossier 12- 031B

INTIMEE :
LA SARL DISTRIBANJOU PRESSE 3 impasse Jean Bertin 49220 LE LION D'ANGERS
représentée par Maître LEVRON, avocat substituant Maître Laurent POIRIER de la SELARL PRAXIS-SOCIETE D'AVOCATS, avocats au barreau d'ANGERS

COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 16 Juin 2015 à 14H00, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Catherine LECAPLAIN MOREL, conseiller chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Anne JOUANARD, président Madame Catherine LECAPLAIN-MOREL, conseiller Madame Isabelle CHARPENTIER, conseiller
Greffier : Madame BODIN, greffier.
ARRÊT : prononcé le 13 Octobre 2015, contradictoire et mis à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par Madame Anne JOUANARD, président, et par Madame BODIN, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PROCÉDURE :
Jusqu'au 30 novembre 2011, M. Patrice Z... a, en tant qu'entrepreneur individuel, exercé une activité de portage de presse à domicile sous le nom commercial de " Crespin Distribution ". Il ne fait pas débat que, dans le cadre de cette activité, il a collaboré avec Mme Huguette Y... en concluant avec elle un contrat commercial de colporteur de presse.
Aux termes d'un contrat de travail à durée indéterminée conclu le 25 août 2009 (pièce no 1 de l'intimée), la société Duchesne, ayant pour gérante Mme Mariannick A..., a embauché Mme Huguette Y... à compter du 28 août 2009 en qualité de porteur de presse du lundi au samedi selon les jours de parution des titres distribués par l'employeur.
A compter du 1er juillet 2011, en plus de cet emploi au sein de la société Duchesne, Mme Huguette Y... a été engagée en qualité de porteur de presse par la SARL Prestapostage, dont le gérant était M. Philippe B... (pièce no 7 de l'intimée).
Le 30 novembre 2011, M. Patrice Z... a cessé son activité de travailleur indépendant pour commencer à exploiter, à compter du 1er décembre 2011, la société DISTRIBANJOU PRESSE, SARL créée par lui, dont il était le gérant et qui a repris l'activité de portage de la société Duchesne. Le contrat de travail liant cette dernière à Mme Huguette Y... s'est donc trouvé transféré de plein droit à la société DISTRIBANJOU PRESSE.
Suivant contrat de travail à durée indéterminée du 22 novembre 2011 à effet au 1er décembre suivant, la société DISTRIBANJOU PRESSE a embauché Mme Huguette Y... en qualité de porteur, catégorie " employé " de la filière " portage et livraison ", niveau 1 de la convention collective nationale du Portage de Presse conclue le 26 juin 2007. Au paragraphe " Objet et période d'essai ", ce contrat énonçait : " Le présent contrat prend suite à l'activité que Mme Y... effectuait chez Mr B... à LAVAL ".
Ce contrat prévoyait que :
- la salariée effectuerait, " dans le cadre des jours de parution des titres distribués par la Société une tournée de distribution portage de journaux à domicile, sur un secteur défini par la hiérarchie et susceptible d'être modifié selon les besoins de cette distribution, les jours suivants : 6 JOURS PAR SEMAINE même si ces jours tombent un jour de fête légale. ", la salariée s'engageant à livrer les journaux chaque jour de parution ;- la salariée serait rémunérée à l'exemplaire de publication de presse portée moyennant une rémunération dite " prime de base " d'un montant de 0, 0411 ¿ à l'exemplaire porté majorée, par exemplaire, d'une allocation " liée à l'étendue de la tournée et au nombre de journaux à livrer ainsi qu'aux spécificités de cette activité et de toutes les contraintes qu'elle comporte " ;- " La rémunération totale à l'exemplaire de publication de presse porté tient compte des contraintes particulières de la tournée, notamment, du nombre moyen d'exemplaires portés, des caractéristiques du produit, pour une tournée effectuée en suivant les indications données par la Société avec un 2 roues à moteur thermique. " ;- les frais de déplacement seraient indemnisés dans le respect des règles définies par la convention collective nationale du Portage de Presse, annexe " porteurs ", paragraphe " défraiements des porteurs de presse " avec possibilités de majorations ou d'indexation au sein de l'entreprise selon modalités fixées par note de service précisant, notamment, le mode de locomotion déterminé par l'employeur.
Par note de service du 1er décembre 2011, il a été prévu au sein de la société DISTRIBANJOU PRESSE que :
- pour une tournée d'une distance comprise entre 0 et 40 kilomètres, le moyen de transport déterminé par l'employeur était un vélomoteur ou un scooter d'une puissance inférieure à 50 cm3 et que l'indemnité kilométrique s'élèverait à 0, 195 ¿ ;- pour une tournée d'une distance supérieure à 40 kilomètres, le moyen de transport déterminé par l'employeur était un scooter d'une puissance inférieure à 50 cm3 ou une automobile et que l'indemnité kilométrique s'élèverait à 0, 205 ¿.
Le 20 mars 2012, Mme Huguette Y... a saisi le conseil de prud'hommes aux fins de résiliation judiciaire de son contrat de travail et en paiement de diverses sommes, notamment à titre de rappel d'indemnités pour frais de déplacement non remboursés.
Aucun accord n'ayant abouti lors de la tentative de conciliation du 14 mai 2012, l'affaire a été renvoyée devant la formation de jugement.
Par courrier recommandé réceptionné par la société DISTRIBANJOU PRESSE le 18 juillet 2012, Mme Huguette Y... a pris acte de la rupture de son contrat de travail dans les termes suivants :
" Monsieur le Gérant,
J'ai signé depuis le 1er décembre 2011 avec vos services un contrat de travail à durée indéterminée en qualité de porteuse de journaux. Par la présente, je suis contrainte de prendre acte de la rupture de mon contrat de travail à vos seuls torts en raison des motifs ci-dessous évoqués qui ne présentent pas un caractère exhaustif. En premier lieu, je ne bénéficie d'aucun suivi médical et je n'ai bénéficié d'aucune visite médicale à l'embauche. En second lieu, vous ne respectez pas les obligations qui découlent de votre contrat de travail, à savoir me permettre d'exécuter correctement ma prestation puisque les journaux sont transmis régulièrement en retard, de sorte que je ne puis effectuer mes livraisons en temps et heure que vous m'imposez. Vous ne rémunérez pas mes déplacements conformément au droit et à la jurisprudence applicable. Je vous ai sollicité à de nombreuses reprises en indiquant que les indemnités prévues par la convention collective était très insuffisantes et revenait quasiment, déduction faite des frais que j'expose pour travailler, à ce que je ne sois pas rémunérée ou, en tout cas, à un taux inférieur au SMIC horaires. J'ai saisi le conseil de prud'hommes par acte du 19 mars 2012. Aucune conciliation n'a pu aboutir, ce qui m'amène donc à prendre acte de la rupture du contrat de travail à vos seuls torts, étant précisé que je demanderai au Conseil de Prud'hommes d'Angers de juger que celle-ci doit produire les effets d'un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse. Je vous remercie de m'adresser sans délai les documents de fin de contrat et vous prie de croire, Monsieur le Gérant, à l'assurance de mes salutations distinguées. ".
Par courrier du 23 juillet 2012, la société DISTRIBANJOU PRESSE a déclaré contester les griefs avancés par la salariée à l'appui de sa prise d'acte.
Dans le dernier état de la procédure de première instance, Mme Huguette Y... demandait essentiellement au conseil de :
- juger que sa prise d'acte doit produire les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse pour manquement de l'employeur à ses obligations d'organiser une visite médicale d'embauche et de lui rembourser les frais par elle exposés pour son travail au profit de son employeur ;- condamner la société DISTRIBANJOU PRESSE à lui payer les sommes suivantes : ¿ 1000 ¿ de dommages intérêts pour absence de visite médicale d'embauche, ¿ 1496, 58 ¿ au titre des " frais exposés par elle pour travailler ", ¿ 6000 ¿ de dommages intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ; ¿ 2 000 ¿ en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
La société DISTRIBANJOU PRESSE a quant à elle demandé au conseil de dire que la prise d'acte de la salariée devait produire les effets d'une démission et, à titre reconventionnel, elle a sollicité sa condamnation à lui payer la somme de 709, 47 ¿ pour non-respect du préavis ainsi qu'une indemnité de procédure de 3000 ¿.
Par jugement du 1er juillet 2013 auquel il est renvoyé pour un ample exposé, le conseil de prud'hommes d'Angers a :
- dit que la rupture du contrat de travail de Mme Huguette Y... s'analyse en une démission ;- débouté cette dernière de toutes ses prétentions ;- condamné Mme Huguette Y... à payer à la société DISTRIBANJOU PRESSE la somme de 614, 87 ¿ au titre du préavis non exécuté et une indemnité de procédure de 2000 ¿, sans préjudice de sa condamnation aux dépens.
Mme Huguette Y... a régulièrement relevé appel général de ce jugement par courrier électronique du 1er août 2013.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :
Vu les conclusions et observations orales des parties à l'audience des débats du 16 juin 2015 auxquelles il est renvoyé pour l'exposé détaillé des prétentions et moyens présentés ;
Vu les conclusions enregistrées au greffe le 30 mars 2015, régulièrement communiquées et reprises oralement à l'audience aux termes desquelles Mme Huguette Y... demande à la cour :
- d'infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;- de condamner la société DISTRIBANJOU PRESSE à lui payer les sommes suivantes : ¿ 1000 ¿ de dommages et intérêts pour absence de suivi médical, ¿ 1220, 20 ¿ au titre des frais de déplacement exposés par elle pour travailler et non remboursés, ¿ 1000 ¿ de dommages et intérêts " eu égard au fait qu'elle a été amenée à travailler en échange d'un salaire non décent " ;
- de juger que sa prise d'acte doit produire les effets d'un licenciement sans cause réelle ;- en conséquence, de condamner la société DISTRIBANJOU PRESSE à lui payer les sommes suivantes : ¿ 1 420, 24 ¿ à titre d'indemnité compensatrice de préavis outre 142, 02 ¿ de congés payés afférents, ¿ 414, 71 ¿ à titre d'indemnité légale de licenciement, ¿ 6000 ¿ de dommages et intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, ¿ 2 000 ¿ en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
La salariée fait valoir en substance que :
sur les frais de déplacement :- la convention collective nationale du Portage de Presse prévoit une indemnisation des frais de déplacement sur la base d'un tarif forfaitaire au kilomètre ;- toutefois, une telle forfaitisation n'est valable que si elle n'est pas manifestement disproportionnée au regard du montant réel des frais effectivement engagés par le salarié pour se déplacer et que si la rémunération proprement dite du travail demeure chaque mois au moins égale au SMIC ;- faute de moyen de locomotion fourni par l'employeur et de transports en commun utilisables, dans la mesure en outre où elle ne pouvait pas accomplir sa tournée à pied compte tenu de la distance de l'ordre de 30 km qu'elle représentait, elle était contrainte d'utiliser son véhicule personnel, une Renault mégane 1. 5 DCI 100 pour laquelle elle acquittait une assurance d'un montant annuel de 256, 54 ¿, de sorte que le coût de déplacement au kilomètre était de 0, 40 ¿, soit bien supérieur au montant de l'indemnité kilométrique versée par l'employeur ;- l'utilisation d'un vélomoteur ou d'un scooter lui aurait imposé l'achat d'un tel véhicule, ce qui lui aurait occasionné des frais supplémentaires, étant ajouté que l'" on peut douter que ce moyen de locomotion ait été adapté " sur le plan sécurité et compte tenu " du nombre important de journaux qu'elle était amenée à déposer chaque jour " ;- la somme forfaitaire versée en application de la convention collective était donc disproportionnée au regard du montant réel des frais engagés et l'écart entre cette indemnité forfaitaire et les frais réellement exposés a eu pour conséquence de la faire travailler à un taux inférieur au SMIC ;- si la cour devait considérer que l'indemnisation des frais de déplacement ne présente pas un caractère forfaitaire, elle devrait retenir que cette indemnisation, telle que prévue par la convention collective nationale du Portage de Presse, a pour conséquence un travail effectué quasiment à perte, ce que prohibent l'article 4 de la Charte sociale européenne et l'article 23 paragraphe 3 de la Déclaration universelle des droits de l'homme et du citoyen ;- en conséquence, la convention collective nationale du Portage de Presse devra être déclarée nulle en ses dispositions relatives aux frais de déplacement en ce qu'elle porte atteinte à ces textes qui octroient à tout salarié le droit à un salaire décent ;
sur le suivi médical :
- elle est devenue la salariée de la société DISTRIBANJOU PRESSE à la suite d'un transfert de son contrat de travail ; si elle admet que le défaut de visite médical d'embauche n'est pas imputable à l'intimée, celle-ci a failli à son obligation de s'assurer qu'elle avait bien bénéficié d'un contrôle médical dans les 24 mois suivant l'embauche et, au constat de l'absence d'une telle visite, elle aurait dû l'organiser, ce qu'elle n'a pas fait ;- ce manquement lui a nécessairement causé un préjudice ;
sur la prise d'acte :
- elle doit produire les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse au motif, d'une part, que l'employeur a failli à son obligation de sécurité de résultat à son égard en ce qu'il l'a exposée à un risque particulier et important lié au port de charges lourdes sans la faire bénéficier d'un suivi médical régulier, d'autre part, en la faisant travailler pour un taux horaire inférieur au SMIC en ce qu'il ne l'indemnisait de ses frais de déplacement que sur la base d'un taux forfaitaire de 0, 17 ¿ du kilomètre dont il ne pouvait ignorer le caractère défavorable, alors que ses frais réels s'élevaient au moins à 0, 41 ¿ du kilomètre.
Vu les conclusions enregistrées au greffe le 15 mai 2015, régulièrement communiquées et reprises oralement à l'audience aux termes desquelles la société DISTRIBANJOU PRESSE demande à la cour de :
- débouter Mme Huguette Y... de son appel et de l'ensemble de ses prétentions ;- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;- de condamner Mme Huguette Y... à lui payer la somme de 3 000 ¿ en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter tous les dépens.
L'employeur fait valoir en substance que :
sur le suivi médical :
- dans la mesure où, en application de l'article L. 1224-1 du code du travail, elle a repris le contrat de travail de Mme Huguette Y... conclu le 28 août 2009 avec la société Duchesne, elle n'avait pas à faire procéder à la visite médicale d'embauche ;- la visite périodique aurait dû être organisée par le précédent employeur avant le 28 août 2011 ; le transfert du contrat de travail étant intervenu le 1er décembre 2011, soit postérieurement à cette date, ce manquement ne lui est pas imputable ; en outre, la salariée ne justifie d'aucun préjudice en lien avec cette absence de visite médicale périodique ;
sur les frais de déplacement :
- s'agissant des frais de déplacement, elle a repris, sur ce point, les dispositions de la convention collective nationale du Portage de Presse dans l'article V du contrat de travail de Mme Huguette Y... et dans la note de service du 1er décembre 2011 ;- la salariée ne discute pas le nombre de kilomètres mentionnés sur ses bulletins de paie ;- de décembre 2011 à juillet 2012, elle a perçu 1160, 65 ¿ à titre de remboursement de frais de déplacement ;- la clause contractuelle fixant les modalités d'indemnisation de ses frais de déplacement est parfaitement licite ;- la salariée n'établit pas que, pour des raisons de distances ou de charges, ses tournées ne pouvaient pas être effectuées au moyen d'un véhicule deux-roues ; sa rémunération respecte les minima légaux ; l'utilisation de son véhicule personnel procède donc d'une pure convenance personnelle ;
sur la rupture du contrat de travail :
- les griefs invoqués à l'appui de la prise d'acte ne sont pas fondés en ce que le défaut de visite médicale d'embauche et de suivi médical ne lui est pas imputable et qu'elle a indemnisé les frais de déplacement conformément à la convention collective ;- en tout cas l'absence de visite médicale périodique ne constitue pas un manquement suffisamment grave susceptible de justifier la prise d'acte.

MOTIFS DE LA DÉCISION :
Sur le suivi médical :
En application des articles R. 4624-10 et R. 4624-16 du code du travail, le salarié doit bénéficier, par le médecin du travail, d'une part, d'un examen médical avant l'embauche ou, au plus tard, avant l'expiration de la période d'essai, d'autre part, d'examens médicaux périodiques, au moins tous les vingt-quatre mois.
La société DISTRIBANJOU PRESSE, à laquelle a été transféré le contrat de travail conclu entre la salariée et la société Duchesne, ne peut pas être tenue pour responsable du défaut d'organisation de la visite médicale d'embauche qui aurait dû être effectuée à la diligence de ce premier employeur avant le 28 août 2009, date de l'embauche ou, en tout cas, avant le 28 octobre 2009, date de fin de la période d'essai. Elle ne peut pas non plus être tenue pour responsable du défaut de mise en oeuvre d'une visite médicale d'embauche par la société PRESTAPOSTAGE avant le 1er juillet 2011.
Par contre, en vertu de l'obligation de sécurité de résultat qui pèse sur elle en matière de préservation de la santé et de la sécurité de ses salariés, et compte tenu des ports de charges et de l'obligation de conduite d'un véhicule qu'impliquent le portage et la distribution de journaux, au moment du transfert du contrat de travail, la société DISTRIBANJOU PRESSE aurait dû s'assurer de ce que Mme Huguette Y... avait bien bénéficié d'une visite médicale périodique entre la fin août et la fin octobre 2011 et, en tout cas, avant qu'elle ne l'embauche elle-même. Elle n'a pas procédé à cette vérification et il ne fait pas débat qu'une telle visite n'a été organisée ni par le précédent employeur, ni par l'intimée.
Faute pour elle de s'être assurée de la réalisation de cette visite périodique et de l'avoir organisée, la société DISTRIBANJOU PRESSE a manqué à son obligation de préserver la santé et la sécurité de sa salariée ce qui a été pour cette dernière à l'origine d'un préjudice qui, par voie d'infirmation du jugement entrepris, sera justement réparé par l'allocation d'une somme de 500 ¿.

Sur les demandes relatives aux frais de déplacement et au salaire non décent :
Les frais qu'un salarié justifie avoir exposés pour les besoins de son activité professionnelle et dans l'intérêt de l'employeur, doivent être remboursés sans qu'ils puissent être imputés sur la rémunération qui lui est due, à moins qu'il n'ait été contractuellement prévu qu'il en conserverait la charge moyennant le versement d'une somme fixée à l'avance de manière forfaitaire et à la condition, d'une part, que cette somme forfaitaire ne soit pas manifestement disproportionnée au regard du montant réel des frais engagés, et, d'autre part, que la rémunération proprement dite du travail reste chaque mois au moins égale au SMIC.
Au cas d'espèce, le contrat de travail de Mme Huguette Y... disposait : " les frais de déplacement sont indemnisés dans le respect des règles définies par la convention collective nationale du Portage de Presse (CCNP), Annexe " porteurs ", paragraphe " défraiements des porteurs de presse " avec possibilités de majorations ou d'indexation au sein de l'entreprise selon modalités fixées par note de service précisant, notamment, le mode de locomotion déterminé par l'employeur.
L'annexe " Porteurs de journaux " de la convention collective nationale du Portage de Presse du 26 juin 2007 dans sa version modifiée au 26 juin 2009 applicable à l'espèce prévoit au paragraphe : " Défraiement des porteurs de presse " :
" Si la tournée de portage ou son organisation nécessite un moyen de locomotion, celui-ci est déterminé par l'employeur. L'indemnisation des frais d'usage de ce moyen de locomotion est définie en entreprise ou au contrat de travail dans le respect du minimum suivant : pour les tournées effectuées avec un véhicule à moteur thermique, depuis le lieu de prise des journaux jusqu'au dernier journal livré (ou, à défaut, jusqu'au point de fin de tournée déterminé par l'employeur) : barème fiscal kilométriqueapplicable aux vélomoteurs et scooters dont la puissance est inférieure à 50 cm ³, pour une distance annuelle supérieure à 5 000 kilomètres (0, 126 ¿/ km au 1er janvier 2005) ; ce barème est égal à 1, 4 fois le barème de base dans les cas suivants : pour les tournées de plus de 60 km ; pour les tournées de plus de 400 journaux ; pour les tournées dont le moyen de locomotion, exigé par l'employeur et effectivement utilisé, est l'automobile. 30 % de ce tarif majoré sera revu au 1er juillet de chaque année, pour tenir compte de l'évolution du coût du carburant depuis le 1er janvier de l'année en cours (l'indice de référence étant l'indice des carburants et lubrifiants, base 126, 10 au 1er janvier 2005). Au 1er janvier de l'année suivante, il sera fait strictement application du barème fiscal majoré de 40 %. Ces modalités ne peuvent se cumuler avec celles existantes en entreprise et ayant le même objet. Les volumes et poids confiés au porteur doivent être conformes à la réglementation en vigueur pour le moyen de locomotion déterminé par l'employeur. ".
Par note de service du 1er décembre 2011 rappelant expressément les dispositions conventionnelles ci-dessus, il a été prévu au sein de la société DISTRIBANJOU PRESSE que :
- pour une tournée d'une distance comprise entre 0 et 40 kilomètres, le moyen de transport déterminé par l'employeur était un vélomoteur ou un scooter d'une puissance inférieure à 50 cm3 et que l'indemnité kilométrique s'élèverait à 0, 195 ¿ ;- pour une tournée d'une distance supérieure à 40 kilomètres, le moyen de transport déterminé par l'employeur était un scooter d'une puissance inférieure à 50 cm3 ou une automobile et que l'indemnité kilométrique s'élèverait à 0, 205 ¿.
Il suit de là qu'il était bien convenu entre les parties que la salariée percevrait une indemnité de frais kilométriques fixée de manière forfaitaire au sens jurisprudentiel, en ce qu'il ne s'agit pas du remboursement sur justificatifs des frais réels engagés.
Mme Huguette Y... ne conteste pas le nombre de kilomètres mentionnés sur ses bulletins de salaire ni que les distances indemnisées ont été déterminées conformément aux dispositions conventionnelles, c'est à dire, depuis le lieu de prise des journaux jusqu'au dernier journal livré ou, à défaut, jusqu'au point de fin de tournée déterminé par l'employeur. Elle indique elle-même que chaque tournée représentait en moyenne une distance de 30 kilomètres. Elle forme d'ailleurs sa demande de rappel de frais de déplacement sur la base d'une tournée moyenne de 31 kilomètres. Au regard des dispositions conventionnelles et de la note de service du 1er décembre 2011, la société DISTRIBANJOU PRESSE était donc fondée à prévoir que le moyen de locomotion servant de base à la détermination de ses indemnités kilométriques serait un vélomoteur ou un scooter d'une puissance inférieure à 50 cm3. La salariée, qui ne fournit aucune indication sur les volumes et poids de journaux confiés, n'établit pas, et n'allègue d'ailleurs même pas de façon circonstanciée, que ce moyen de locomotion n'aurait pas été adapté ou aurait été non conforme à la réglementation en vigueur en considération des poids et volumes transportés.
Le barème fiscal kilométrique prend en compte la dépréciation du véhicule, les frais d'achat des casques et protections, les frais de réparation et d'entretien, les dépenses de pneumatiques, la consommation de carburant et les primes d'assurance étant observé qu'il était convenu au contrat de travail que le porteur s'engageait à " souscrire une police d'assurances le protégeant contre les accidents causés aux tiers par son véhicule pendant la durée du contrat, à payer régulièrement les primes et à en justifier à tout moment auprès de la société. ".
Les barèmes fiscaux kilométriques applicables en 2011 et 2012 aux vélomoteurs et scooters d'une puissance inférieure à 50 cm3, pour une distance annuelle parcourue supérieure à 5000 kilomètres fixaient l'indemnité kilométrique à 0, 144 ¿. En allouant à Mme Huguette Y... une indemnité kilométrique d'un montant de 0, 195 ¿, la société DISTRIBANJOU PRESSE a donc amplement respecté les dispositions conventionnelles. Il convient de souligner que cette indemnité kilométrique englobe le coût de l'assurance.
Il est ainsi établi que les dispositions en vigueur dans l'entreprise, prévoyant une indemnisation forfaitaires des frais de déplacement, étaient au moins aussi favorables que les dispositions conventionnelles alors applicables et que les indemnités kilométriques réglées l'ont été conformément aux dispositions dont il s'agit.
Il ressort de l'ensemble de ces éléments qu'à supposer avéré, ce que rien ne vient établir, que Mme Huguette Y... ait effectivement utilisé pour la réalisation de ses tournées le véhicule Renault Mégane immatriculé ... mis en circulation pour la première fois le 27 avril 2005, cette utilisation était de pure convenance personnelle et ne peut pas être valablement opposée à l'employeur pour la détermination des indemnités destinées à compenser les frais de déplacement. Ceci est d'autant plus vrai que le certificat d'immatriculation versé aux débats révèle que ce véhicule Renault Mégane n'était pas la propriété de la salariée mais celle de l'EARL Y..., au nom de laquelle étaient établies les factures d'entretien, et qui était assurée par M. Gilles Y.... Et Mme Huguette Y... ne justifie pas avoir personnellement exposé le moindre frais pour ce véhicule automobile appartenant à une personne morale. Aucun justificatif des frais réellement engagés n'étant fourni, ni même aucun calcul théorique probant, la salariée ne rapporte pas la preuve qui lui incombe de l'étendue des frais professionnels qu'elle a effectivement exposés.
Il résulte des bulletins de salaire relatifs à toute la période d'embauche, c'est à dire de décembre 2011 à juillet 2012, que chaque mois, la salariée a perçu, d'une part, sa rémunération constituée par la prime de base, les majorations dites " primes d'encart " et le " complément minima à CCN Ann porteurs ", d'autre part, ses indemnités kilométriques forfaitaires calculées conformément aux dispositions contractuelles arrêtées entre les parties et conformes aux dispositions conventionnelles. Ces indemnités kilométriques pour frais de déplacement lui ont donc été versées en plus de la rémunération convenue dont elle ne soutient pas qu'elle aurait été inférieure au SMIC ou au minimum conventionnel applicable au niveau 1 dont elle dépendait.
Dans ces conditions, Mme Huguette Y..., qui pourrait tout au plus poursuivre l'inopposabilité des dispositions conventionnelles litigieuses mais ne peut pas en demander la nullité, n'établit ni que les indemnités qui lui ont été réglées en compensation de ses frais de déplacement auraient été manifestement disproportionnées au regard du montant réel des frais engagés, ni qu'elle aurait été rémunérée à un niveau inférieur au SMIC ou au minimum conventionnel dû, ni qu'elle aurait travaillé " quasiment à perte " ou pour un salaire non décent comme elle le prétend.
Le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu'il l'a déboutée de sa demande de rappel de frais de déplacement.
Et, en l'absence de preuve d'une rémunération versée à un niveau inférieur au SMIC ou au minimum conventionnel dû, et du fait qu'elle aurait travaillé " quasiment à perte " ou pour un salaire non décent, l'appelante sera déboutée de sa demande nouvelle en paiement de la somme de 1 000 ¿ à titre de dommages et intérêts.
Sur la prise d'acte :
Lorsqu'un salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur, cette rupture produit les effets, soit d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient, soit dans le cas contraire, les effets d'une démission. La prise d'acte ne produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse qu'à la condition que les faits invoqués, non seulement, soient établis, la charge de cette preuve incombant au salarié, mais constituent un manquement suffisamment grave de l'employeur empêchant la poursuite du contrat de travail. Aux termes du courrier qu'elle a adressé à son employeur, Mme Huguette Y... a motivé sa prise d'acte par :- le défaut de suivi médical et de visite médicale d'embauche,- le non-respect de ses obligations par l'employeur en ce qu'il ne lui aurait pas permis d'exécuter correctement sa prestation en lui transmettant régulièrement les journaux en retard de sorte qu'elle n'aurait pas pu effectuer ses livraisons en temps et en heure,- le non-respect de ses obligations en termes d'indemnisation de ses frais de déplacement.
Dans le cadre de l'instance prud'homale, la salariée n'invoque plus le manquement lié au retard dans la mise à disposition des journaux. Elle ne produit d'ailleurs aucune pièce pour tenter de justifier du manquement ainsi allégué.
Le défaut de visite médicale d'embauche a été précédemment jugé non imputable à la société DISTRIBANJOU PRESSE et le grief tiré du non-respect par l'employeur de ses obligations en termes d'indemnisation des frais de déplacement a été jugé non fondé.
Le défaut de vérification par la société DISTRIBANJOU PRESSE de la mise en oeuvre, par la société Duchesne, précédent employeur, d'une visite médicale périodique et le défaut d'organisation d'une telle visite par le nouvel employeur ne constituent pas de sa part un manquement suffisamment grave empêchant la poursuite du contrat de travail. Le jugement déféré sera en conséquence confirmé en ce qu'il a retenu que la prise d'acte devait produire les effets d'une démission et a débouté la salariée de ses demandes en paiement des indemnités de rupture et de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Il sera confirmé en ce qu'il a condamné Mme Huguette Y... à payer à l'employeur la somme non discutée de 614, 87 ¿ pour non-respect du préavis d'un mois.

PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant publiquement, en matière sociale, par arrêt contradictoire et en dernier ressort ;
Infirme le jugement entrepris uniquement en ce qu'il a débouté Mme Huguette Y... de sa demande de dommages et intérêts pour défaut de visite médicale périodique, en ses dispositions relatives aux dépens et aux frais irrépétibles ;
Le confirme en toutes ses autres dispositions ;
Statuant à nouveau des chefs infirmés et ajoutant,
Condamne la société DISTRIBANJOU PRESSE à payer à Mme Huguette Y... la somme de 500 ¿ à titre de dommages et intérêts pour défaut de visite médicale périodique ;
Déboute Mme Huguette Y... de sa demande indemnitaire pour " travail en échange d'un salaire non décent " ;
Déboute les parties de leurs demandes formées au titre de leurs frais irrépétibles de premières instance et d'appel et dit que chacune d'elles conservera la charge de ses dépens de premières instance et d'appel.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Angers
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 13/02146
Date de la décision : 13/10/2015
Sens de l'arrêt : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée
Type d'affaire : Sociale

Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.angers;arret;2015-10-13;13.02146 ?
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