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13/10/2015 | FRANCE | N°12/01204

France | France, Cour d'appel d'Angers, Chambre sociale, 13 octobre 2015, 12/01204


COUR D'APPEL d'ANGERS Chambre Sociale
ARRÊT DU 13 Octobre 2015

clm/ jc
Numéro d'inscription au répertoire général : 12/ 01204.
Jugement Au fond, origine Conseil de prud'hommes-Formation de départage de SAUMUR, décision attaquée en date du 25 Avril 2012, enregistrée sous le no 10/ 00150

APPELANT :
Monsieur Georges X... ... MERON 49260 MONTREUIL BELLAY
comparant-assisté de Maître GODEAU, avocat substituant Maître Patrick BARRET de la SELARL BARRET PATRICK ET ASSOCIES, avocats au barreau d'ANGERS

INTIMEE :
LA SARL TRANSPORTS ARMATI Carre

four Meslier-BP 55 LONGUE JUMELLES 49160 LONGUE
représentée par Maître CREN, avocat de la SELA...

COUR D'APPEL d'ANGERS Chambre Sociale
ARRÊT DU 13 Octobre 2015

clm/ jc
Numéro d'inscription au répertoire général : 12/ 01204.
Jugement Au fond, origine Conseil de prud'hommes-Formation de départage de SAUMUR, décision attaquée en date du 25 Avril 2012, enregistrée sous le no 10/ 00150

APPELANT :
Monsieur Georges X... ... MERON 49260 MONTREUIL BELLAY
comparant-assisté de Maître GODEAU, avocat substituant Maître Patrick BARRET de la SELARL BARRET PATRICK ET ASSOCIES, avocats au barreau d'ANGERS

INTIMEE :
LA SARL TRANSPORTS ARMATI Carrefour Meslier-BP 55 LONGUE JUMELLES 49160 LONGUE
représentée par Maître CREN, avocat de la SELARL LEXCAP-BDH, avocats au barreau d'ANGERS

COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 16 Juin 2015 à 14H00, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Catherine LECAPLAIN MOREL, conseiller chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Anne JOUANARD, président Madame Catherine LECAPLAIN-MOREL, conseiller Madame Isabelle CHARPENTIER, conseiller
Greffier : Madame BODIN, greffier.
ARRÊT : prononcé le 13 Octobre 2015, contradictoire et mis à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par Madame Anne JOUANARD, président, et par Madame BODIN, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PROCÉDURE :
Suivant contrat de travail à durée indéterminée du 1er octobre 1996, la société Transports ARMATI, qui exerce une activité de transports routiers, a embauché M. Georges X... en qualité de conducteur routier de groupe 7, coefficient 150M.
La convention collective nationale des transports routiers et activités auxiliaires du transport était applicable à la relation de travail.
Le 23 août 2008, M. Georges X... a démissionné et il s'est vu remettre ses documents de fin de contrat le 4 septembre suivant.
Par courrier du 7 octobre 2008, il a demandé à son employeur de lui communiquer les disques chronotachygraphes des cinq dernières années. Le 29 octobre 2008, la société Transports ARMATI lui a adressé la copie, enregistrée sur disquette, des données encodées téléchargées depuis sa carte conducteur pour la période août 2007/ juillet 2008. Le 16 février 2009, elle lui a adressé la version imprimée de ces copies relatives à la période du 20 août 2007 au 18 juillet 2008 en lui précisant qu'elle ne pouvait pas lui transmettre les données relatives à la période courue du 21 juillet au 23 août 2008 dans la mesure où son refus de se présenter au siège de l'entreprise après sa démission avait empêché le téléchargement de sa carte conducteur.
Soutenant qu'il avait accompli des heures supplémentaires non payées, par lettre recommandée postée le 27 novembre 2009, M. Georges X... a saisi le conseil de prud'hommes d'Angers afin d'obtenir :- la mise en oeuvre d'une expertise consistant en l'analyse de tous ses disques chronotachygraphes depuis le mois d'octobre 2004 ;- le paiement d'une provision sur rappel de salaire pour heures supplémentaires et d'une indemnité pour travail dissimulé.
Après l'audience de conciliation qui s'est tenue le 25 janvier 2010, la société Transports ARMATI a transmis au salarié l'ensemble de ses disques chronotachygraphes relatifs aux cinq dernières années ayant précédé la rupture du contrat de travail.
Par jugement du 8 novembre 2010, le conseil de Prud'hommes d'Angers s'est déclaré territorialement incompétent au profit du conseil de prud'hommes de Saumur auquel le dossier a été transmis.
Selon procès verbal du 22 septembre 2011, le bureau de jugement du conseil de prud'hommes de Saumur s'est déclaré en partage de voix et a renvoyé la cause et les parties à l'audience de départage du 1er février 2012.
Dans le dernier état de la procédure de première instance, M. Georges X... demandait au conseil :- de " constater " que la société Transports ARMATI ne justifiait pas de la régularité de l'accord d'entreprise signé le 7 juillet 2004 ; en conséquence, de le considérer comme non écrit et de le lui déclarer inopposable ;- de " constater " l'absence d'écrit de la convention de forfait annuel en heures et que les dispositions conventionnelles du 7 juillet 2004 prévoyant l'institution d'une convention de forfait annuel en heures sont contraires aux dispositions légales ;- en conséquence, de lui déclarer cette convention de forfait inopposable ;- avant dire droit sur sa demande de rappel de salaire pour heures supplémentaires, d'ordonner, à ses frais avancés, une mesure d'expertise en donnant mission à l'expert d'examiner l'intégralité des disques chronotachygraphes et de ses bulletins de salaires et de déterminer le nombre d'heures supplémentaires qu'il a accomplies d'octobre 2004 à octobre 2008 ;- de condamner l'employeur à lui payer la somme de 2 000 ¿ à titre de provision à valoir sur son rappel de salaire pour heures supplémentaires ;- de lui donner acte de ce qu'il maintiendrait sa demande de condamnation au paiement de la somme de 16 166, 94 ¿ à titre d'indemnité pour travail dissimulé.
Par jugement du 25 avril 2012 auquel il est renvoyé pour un ample exposé, le conseil de prud'hommes de Saumur statuant en formation de départage a :
- rejeté la demande d'expertise ;- débouté M. Georges X... de toutes ses prétentions ;- l'a condamné à payer à la société Transports Armati la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter les dépens.
M. Georges X... et la société Transports ARMATI ont reçu notification de cette décision respectivement les 9 et 10 mai 2012. Le salarié en a régulièrement relevé appel général par lettre recommandée postée le 7 juin 2012.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :
Vu les conclusions et observations orales des parties à l'audience des débats du 16 juin 2015 auxquelles il est renvoyé pour l'exposé détaillé des prétentions et moyens présentés ;
Vu les conclusions enregistrées au greffe le 24 décembre 2014, régulièrement communiquées et reprises oralement à l'audience aux termes desquelles M. Georges X... demande à la cour :
- de considérer que l'accord d'entreprise signé le 7 juillet 2004 est réputé non écrit et de le lui déclarer inopposable au motif que la société Transports ARMATI ne justifie pas de sa régularité ;- de " constater " l'absence d'écrit de convention de forfait annuelle en heures ;- de lui déclarer inopposable la convention de forfait annuelle en heures au motif que les dispositions conventionnelles du 7 juillet 2004 prévoyant l'institution d'une telle convention sont contraires aux dispositions légales ;- avant dire droit sur sa demande de rappel de salaire pour heures supplémentaires, d'ordonner, à ses frais avancés, une mesure d'expertise en donnant mission à l'expert, essentiellement : ¿ de recueillir et d'examiner l'intégralité de ses disques chronotachygraphes et bulletins de salaires relatifs à la période octobre 2004/ août 2008 ; ¿ de déterminer ses temps de trajet, de service et de repos ; ¿ de déterminer le nombre d'heures supplémentaires qu'il a accomplies du mois d'octobre 2004 au mois d'août 2008 et le nombre de repos compensateurs lui restant éventuellement dus ; ¿ de donner tous éléments utiles pour l'évaluation de son préjudice ;
- de condamner la société Transports ARMATI à lui payer la somme de 2 000 euros à titre de provision à valoir sur son rappel de salaire pour heures supplémentaires non payées ;- de lui donner acte de ce qu'il maintiendra sa demande en paiement d'une indemnité de 16 166, 94 euros pour travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié et sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile ;- pour le cas où elle rejetterait sa demande d'expertise judiciaire, d'inviter les parties à conclure au fond sur la demande en paiement de rappel de salaire pour heures supplémentaires ;- de réserver les dépens.

Le salarié fait valoir en substance que :
sur l'application de l'accord d'entreprise :
- l'accord d'entreprise conclu le 7 juillet 2004 prévoyant l'instauration d'une convention de forfait en heures sur l'année contrevient aux dispositions légales (article L. 3313-2 du code des transports) qui prohibent ce type de convention de forfait à l'égard du personnel roulant des entreprises de transport routier ;- il est indifférent à la solution du présent litige que les dispositions de l'article L. 3313-2 du code des transports, créé par l'ordonnance 2010-1307 du 28 octobre 2010, soient postérieures à l'accord d'entreprise du 7 juillet 2004 dans la mesure où ce texte est issu de la recodification du code du travail et n'est, en réalité, que la reprise de l'article L. 212-19 ancien du code du travail qui déclarait les conventions de forfait en heures sur l'année inapplicables au personnel roulant des entreprises de transport routier étant observé qu'en 2006, ces dispositions ont été étendues aux conventions de forfait en jours sur l'année ;- c'est sur le fondement de l'article L. 212-15-3 ancien du code du travail que la jurisprudence a exigé un écrit comme condition de validité des conventions individuelles de forfait annuel et, postérieurement, l'article L. 3121-40 du code du travail a consacré cette exigence jurisprudentielle ; si la loi est donc postérieure à la convention de forfait litigieuse, au moment de la relation de travail en cause, la jurisprudence exigeait déjà un écrit comme condition de validité d'une telle convention ; or, il n'est pas établi qu'il ait jamais signé une convention individuelle de forfait ;- les heures supplémentaires ne doivent donc pas être décomptées selon les dispositions de l'accord d'entreprise du 7 juillet 2004, mais selon les dispositions légales et conventionnelles ;
sur la demande de rappel de salaire pour heures supplémentaires :
- c'est à tort que les premiers juges ont rejeté sa demande d'expertise au motif que l'analyse des disques serait dénuée de pertinence du fait des erreurs de manipulation du chronotachygraphe ; en effet, ces erreurs étant isolées et clairement identifiables, elles ne sont pas de nature à fausser le décompte de son temps de travail ;- par ailleurs, l'absence de réclamation d'un rappel de salaire pour heures supplémentaires durant l'exécution du contrat de travail ne permet pas de rejeter une telle demande en justice ;- la réalité d'heures supplémentaires effectuées et non payées étant d'ores et déjà démontrée, l'obligation de l'employeur n'est pas sérieusement contestable, ce qui justifie l'octroi d'une provision.

Vu les conclusions enregistrées au greffe le 12 juin 2015, régulièrement communiquées et reprises oralement à l'audience aux termes desquelles la société Transports Armati demande à la cour :
- de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions et de condamner M. Georges X... à lui payer la somme de 2 000 euros au titre de ses frais irrépétibles d'appel ;- subsidiairement, au cas où une mesure d'expertise serait ordonnée, de juger que les frais en découlant seront entièrement à la charge de M. Georges X....
L'employeur fait valoir en substance que :
sur l'application de l'accord d'entreprise :
- l'accord d'entreprise conclu le 7 juillet 2004 a été régulièrement adopté, ratifié par M. Z..., responsable de la section départementale CFDT Transport, et déposé auprès de l'Inspection du travail ; il est issu d'un large consensus social ;- il est de principe que la loi nouvelle n'invalide pas un accord collectif antérieur dont la validité s'apprécie par rapport à la loi applicable au jour de sa signature ;
- l'article L. 3313-2 du code des transports selon lequel les conventions de forfait sur l'année en heures et en jours ne sont pas applicables aux salariés appartenant au personnel roulant des entreprises de transport routier étant issu de l'ordonnance du 28 octobre 2010, soit d'un texte bien postérieur à l'accord d'entreprise du 7 juillet 2004, il est inopérant de la part du salarié de l'invoquer ;- de même, les articles L. 212-19 et L. 212-15-3 anciens du code du travail, qui ont successivement interdit les conventions de forfait annuel en heures et en jours pour les conducteurs routiers étant respectivement issus de la loi du 12 novembre 2004 et de la loi du 5 janvier 2006, il est tout aussi inopérant de la part du salarié de les invoquer ;
sur l'accord écrit individuel du salarié :
- il existe en l'espèce un accord individuel écrit puisqu'aux termes du contrat de travail conclu le 1er octobre 1996 par les parties, il a été convenu d'un forfait mensuel de 210 heures ;- l'accord d'entreprise conclu le 7 juillet 2004 est plus favorable au salarié puisqu'il prévoit un forfait mensuel de 200 heures pour la même rémunération ;- conformément aux dispositions de cet accord d'entreprise et comme cela résulte des bulletins de salaire, toutes les heures accomplies au-delà du forfait ont donné droit à repos compensateur de récupération que le salarié a pris outre une semaine de repos ;- la jurisprudence imposant l'existence d'un écrit comme condition de validité d'une convention individuelle de forfait a été considérée comme inopportune par la loi qui, aux termes de l'article L. 3122-6 du code du travail, a précisé que la mise en place d'une répartition des horaires sur une période supérieure à la semaine et au plus égale à l'année prévue par un accord collectif ne constitue pas une modification du contrat de travail, de sorte qu'elle ne requiert pas l'accord écrit du salarié ;
sur la demande de rappel de salaire pour heures supplémentaires :
- le raisonnement suivi par le salarié est inexact car il ne tient aucun compte de l'accord d'entreprise aux termes duquel la durée du travail doit s'apprécier par année civile, et au prorata du temps de présence en cas de départ en cours d'année ;- le décompte du salarié ne respectant pas ces règles, sa demande provisionnelle devra être rejetée ;- en outre, le décompte produit ne permet pas de savoir s'il a pris en considération les repos compensateurs dont il a bénéficié et, si l'accord d'entreprise du 7 juillet 2004 devait lui être déclaré inopposable, les règles relatives au décret du 26 janvier 1983 dont il se prévaut pour le calcul de son temps de travail sont inexactes car de nombreuses réformes sont intervenues ultérieurement, notamment le décret du 4 janvier 2007 ;- ses heures supplémentaires ont bien été rémunérées de façon régulière ;
sur la désignation d'un expert :
- comme l'a retenu le conseil de prud'hommes, la désignation d'un expert est injustifiée dans la mesure où l'analyse des disques serait dénuée de sens dès lors qu'il est établi que des erreurs régulières et importantes de manipulation du chronotachygraphe rendent nécessairement très aléatoires les données autres que celles relatives au seul temps de conduite ;- l'audience devant le juge départiteur a permis de démontrer que les véritables raisons de la démission de M. Georges X... tenaient au fait qu'il n'effectuait plus de transports régionaux à la semaine mais des transports plus courts, ce qui ne lui convenait plus à titre personnel, et non au défaut de rémunération d'heures supplémentaires ;- il n'appartient pas à la juridiction de pallier par voie d'expertise la carence totale de la partie demanderesse dans la preuve qui lui incombe ;

sur le travail dissimulé :
- l'intention coupable de l'employeur, nécessaire pour caractériser le travail dissimulé, n'étant pas démontrée, les demandes du salarié à ce titre devront donc être rejetées.

MOTIFS DE LA DÉCISION :
1o) Sur la demande d'inopposabilité à M. Georges X... de l'accord d'entreprise du 7 juillet 2004 et de la convention de forfait en heures sur l'année :
- sur la validité de l'accord d'entreprise du 7 juillet 2004 :
L'article L. 212-15-3 II alinéa 2 ancien du code du travail, dans sa version applicable au 1er juillet 2004, issue de la loi 2004-626 du 30 juin 2004, disposait que les conventions ou accords collectifs prévoyant la possibilité de conclure des conventions de forfait en heures sur l'année pouvaient préciser que ces conventions de forfait étaient applicables aux salariés itinérants non cadres dont la durée du temps de travail ne pouvait être prédéterminée ou qui disposaient d'une réelle autonomie dans l'organisation de leur emploi du temps pour l'exercice des responsabilités qui leur étaient confiées.
Le 7 juillet 2004, en vertu de ce texte, un accord d'entreprise portant annualisation du temps de travail du personnel itinérant non cadre a été conclu au sein de la société Transports ARMATI pour une prise d'effet au 1er juillet 2004. Cet accord d'entreprise, applicable à l'ensemble du personnel roulant de la société, fixe, pour les conducteurs grands routiers, la durée annuelle de travail sur la base de laquelle le forfait est établi à 2400 heures, soit 200 heures par mois, soit un temps de service hebdomadaire de 46 heures. Il prévoit que la rémunération des conducteurs grands routiers fait l'objet d'un lissage sur douze mois pour 200 heures de travail mensuel avec rémunération majorée des heures supplémentaires. Il octroie aux conducteurs grands routiers une semaine, soit cinq jours ouvrés, de repos compensatoires par an.
Cet accord d'entreprise a été ratifié par M. Dominique Z..., délégué syndical, représentant de l'organisation syndicale CFDT et il a été déposé à l'Inspection du travail le 9 septembre 2004.
En cause d'appel, M. Georges X... ne discute pas la régularité de cet accord.
Il est de principe que la validité d'un accord collectif doit s'apprécier au regard de la loi applicable au jour de sa signature et que la loi nouvelle n'invalide pas un accord collectif antérieur valablement conclu.
Au cas d'espèce, c'est l'article L. 212-19 ancien du code du travail dans sa version issue de l'ordonnance no 2004-1197 du 12 novembre 2004 qui est venu déclarer le second alinéa du II de l'article L. 212-15-3 du même code inapplicable aux salariés appartenant au personnel roulant des entreprises de transport routier et qui a donc exclu la possibilité de conclure avec ces derniers des conventions de forfait annuel en heures.
C'est ce même texte, dans sa version issue de la loi no 2006-10 du 5 janvier 2006 qui, en plus du second alinéa du II de l'article L. 212-15-3 du code du travail, est venu déclarer le troisième alinéa du III de cet article inapplicable aux salariés appartenant au personnel roulant des entreprises de transport routier et qui a donc exclu la possibilité de conclure avec eux non seulement des conventions de forfait en heures sur l'année, mais aussi des conventions de forfait en jours sur l'année.
Enfin, l'article L. 3313-2 du code du transport selon lequel " Les dispositions des articles L. 3121-42 (relatif aux conventions de forfait en heures sur l'année) et L. 3121-43 (relatif aux conventions de forfait en jours sur l'année) du code du travail ne sont pas applicables aux salariés appartenant au personnel roulant des entreprises de transport routier. " et qui est la reprise de l'article L. 212-19 ancien du code du travail, est issu de l'ordonnance no 2010-1307 du 28 octobre 2010.
A compter du 1er mai 2008, l'article L. 212-15-3 ancien du code du travail a été remplacé par les articles L. 3121-38, L. 3121-40, L. 3121-42 à L. 3121-49, L. 3121-51 et L. 3171-3 nouveaux du code du travail.
L'article 19 de la loi 2008-789 du 20 août 2008 portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail, laquelle a modifié, notamment, les articles L. 3121-42 et L. 3121-43 du code du travail, énonce que " Les accords conclus en application des articles L. 3121-40 à L. 3121- 51du code du travail dans leur rédaction antérieure à la publication de la présente loi restent en vigueur. ".
Il résulte de l'ensemble de ces éléments que les textes invoqués par M. Georges X... pour soutenir que les dispositions de l'accord d'entreprise du 7 juillet 2004 seraient contraires aux dispositions légales qui prohibent la possibilité de conclure une convention de forfait en heures avec le personnel roulant des entreprises de transport sont entrés en vigueur postérieurement à la date de conclusion de l'accord litigieux. Compte tenu, d'une part, du principe selon lequel la validité d'un accord collectif s'apprécie au regard de la loi applicable au jour de sa signature, d'autre part, des dispositions de l'article 19 de la loi du 20 août 2008, il est donc inopérant de la part du salarié d'invoquer l'article L. 212-19 ancien du code du travail dans ses versions issues de l'ordonnance no 2004-1197 du 12 novembre 2004 et de la loi no 2006-10 du 5 janvier 2006 et l'article L. 3313-2 du code du transport pour tenter de conclure que l'accord d'entreprise ne serait pas valable.
Comme l'ont exactement retenu les premiers juges, cet accord est parfaitement valable en ce que, en l'état des dispositions de l'article L. 212-15-3 II alinéa 2 ancien du code du travail dans sa version applicable au 1er juillet 2004, issue de la loi 2004-626 du 30 juin 2004, il pouvait prévoir la possibilité de conclure des conventions de forfait en heures sur l'année avec les personnels roulants des entreprises de transport routier.
- sur l'exigence d'une convention individuelle de forfait en heures sur l'année :
Selon l'article L. 212-15-3 paragraphe I du code du travail, la durée de travail des cadres ne relevant pas des dispositions des articles L. 212-15-1 et L. 212-15-2 peut être fixée par des conventions individuelles de forfait établies sur une base hebdomadaire, mensuelle ou annuelle. Il en résulte que ces conventions doivent nécessairement être passées par écrit.
Afin de tenir compte du caractère aléatoire de leur horaire et/ ou de l'autonomie dont ils disposent dans l'organisation de leur emploi du temps, le paragraphe II alinéa 2 de ce texte autorise, dans les termes suivants, les employeurs à conclure des conventions de forfait en heures sur l'année avec des salariés itinérants non cadres : " La convention ou l'accord peut également préciser que les conventions de forfait en heures sur l'année sont applicables aux salariés itinérants non cadres dont la durée du temps de travail ne peut être prédéterminée ou qui disposent d'une réelle autonomie dans l'organisation de leur emploi du temps pour l'exercice des responsabilités qui leur sont confiées ". Rapproché du paragraphe I, il résulte de ce texte que, lorsque la convention ou l'accord collectif permet l'application d'un forfait en heures sur l'année aux salariés itinérants non cadres, l'application d'un tel forfait à un salarié relevant de cette catégorie suppose la conclusion avec lui d'une convention individuelle de forfait qui fixe sa durée de travail, en l'occurrence en heures sur l'année. Une telle convention individuelle de forfait doit nécessairement être passée par écrit, le seul renvoi général fait dans le contrat de travail à l'accord d'entreprise ne pouvant constituer l'écrit requis. L'absence de convention écrite individuelle de forfait en heures sur l'année rend le forfait inopposable au salarié.
Il est inopérant de la part de la société Transports ARMATI d'invoquer, pour tenter d'échapper à l'exigence d'une convention individuelle écrite de forfait en heures sur l'année, les dispositions de l'article L. 3122-6 du code du travail ainsi libellé : " La mise en place d'une répartition des horaires sur une période supérieure à la semaine et au plus égale à l'année prévue par accord collectif ne constitue pas une modification du contrat de travail. ". En effet, tout d'abord, ce texte est issu de la loi no 2012-387 du 22 mars 2012 et, surtout, il ne traite pas de la durée du travail dont relèvent les conventions de forfait, mais il traite de la répartition des horaires de travail.
Par ailleurs, il convient de ne pas confondre les conventions de " forfait salaire ", par lesquelles les parties conviennent d'une rémunération forfaitaire incluant dans la rémunération mensuelle un nombre déterminé d'heures supplémentaires régulièrement accomplies (seules les heures supplémentaires effectuées au-delà de ce nombre étant rémunérées en plus du forfait) et qui constituent une outil de calcul de la rémunération, avec les conventions de forfait en heures, au mois ou à l'année en cause au titre de l'accord d'entreprise litigieux et qui constituent un mode de décompte du temps de travail par fixation d'un cadre d'appréciation de la durée du travail (semaine, mois, année) et de l'unité de mesure utilisable (heure ou jour).
Au cas d'espèce, contrairement à ce que soutient l'employeur et à ce qu'ont retenu les premiers juges, l'article III intitulé " Rémunération " du contrat de travail conclu entre les parties le 1er octobre 1996 qui prévoit que M. Georges X... percevra un salaire mensuel de 8 659 francs pour un horaire de 210 heures par mois ne répond pas à l'exigence d'une convention individuelle de forfait en heures sur l'année. En effet, cette clause, qui ne peut d'ailleurs pas correspondre à un forfait en heures sur l'année en ce qu'elle ne prévoit pas un nombre d'heures de travail sur l'année mais un nombre d'heures de travail sur le mois, ne permet pas de décompter le temps de travail du salarié. Il s'agit d'une clause qui fixe une rémunération forfaitaire en contrepartie d'un nombre d'heures de travail accomplies au cours du mois.
Force est donc de constater que l'employeur ne justifie d'aucune convention individuelle de forfait en heures sur l'année conclue avec M. Georges X... en application de l'accord d'entreprise du 7 juillet 2004.
Pour l'ensemble de ces motifs, par voie d'infirmation du jugement déféré, cet accord d'entreprise et le forfait en heures sur l'année invoqués à son égard doivent en conséquence lui être déclarés inopposables.

2o) Sur les heures supplémentaires :
S'il résulte des dispositions de l'article L. 3171-4 du code du travail que la preuve des heures de travail effectuées n'incombe spécialement à aucune des parties et que l'employeur doit fournir au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié, en cas de litige relatif à l'existence et au nombre d'heures de travail accomplies il appartient toutefois au salarié d'étayer sa demande en paiement d'heures supplémentaires par la production d'éléments suffisamment précis quant aux horaires effectivement réalisés pour permettre à l'employeur de répondre en fournissant ses propres éléments.
Il ne fait pas débat que la durée mensuelle de travail de M. Georges X... était de 200 heures. Il ressort des quelques bulletins de salaire qu'il produit (janvier à juillet 2008) que sa rémunération mensuelle brute de base (d'un montant de 1 945 ¿ dans le dernier état de la relation de travail) correspondait à 151, 67 heures payées au taux normal, 34, 33 heures supplémentaires majorées à 25 % et 14 heures supplémentaires majorées à 50 %. Lui étaient payées en outre chaque mois un nombre variable d'heures de nuit. Chaque bulletin de salaire mentionne le temps de service total en détaillant les temps de conduite et les " autres temps ".
A l'appui de sa demande d'expertise destinée à déterminer le nombre d'heures supplémentaires accomplies et formée à l'appui de sa demande de rappel de salaire présentée à simple titre provisionnel, M. Georges X... verse aux débats :
- les copies de ses disques chronotachygraphes afférents à la période écoulée du 1er octobre 2004 au 4 mai 2007 ;- un courrier daté du 17 mars 2009 portant en objet : " Heures supplémentaires " sur lequel il a mentionné, mois par mois du mois d'août 2007 au mois d'août 2008, le nombre global d'heures supplémentaires qu'il prétend avoir accomplies, le total s'établissant à 112 h 55 ;- un tableau des mois de juillet à octobre 2008 sur lequel il a mentionné, jour par jour du 1er juillet au 21 octobre 2008, le nombre d'heures supplémentaires non payées qu'il estime avoir accomplies, étant observé que certains jours ne comportent aucune mention d'heures supplémentaires et que le temps journalier invoqué en heures supplémentaires non réglé s'établit entre un-quart d'heure et 2 h 45.
Il résulte des " affichages " de relevés d'activité de M. Georges X... correspondant aux données électroniques encodées téléchargées depuis sa carte conducteur personnelle qu'en raison des manipulations incorrectes qu'il faisait du sélecteur de son appareil chronotachygraphe (carte constamment laissée dans l'appareil notamment au cours des fins de semaine, déclenchement automatique du chronotachygraphe suite au déplacement du camion de quelques mètres seulement les jours de repos), les temps de service enregistrés (d'une part, temps de service consacrés à la conduite, d'autre part, temps de service autres que la conduite à savoir, les temps de travail tels que ceux consacrés au chargement/ déchargement, à l'entretien du véhicule, les temps de mise à disposition) sont entachés de très nombreuses et importantes inexactitudes.
Il apparaît ainsi que le salarié a :- certaines fins de semaine, placé le sélecteur sur " travail " au lieu de le placer sur " repos " (exemples : samedi et dimanche 14 et 15/ 07/ 2007, samedi et dimanche 22 et 23/ 09/ 2007, samedi et dimanche 13 et 14/ 10/ 2007) ;- placé le sélecteur sur " dispo " au lieu de temps de " repos " (exemples : jeudi 30/ 08/ 2007, vendredi 31/ 08/ 2007, mardi 18/ 09/ 2007) ;- placé le sélecteur sur " travail " au lieu de " repos " (exemples : vendredi 21/ 09/ 2007, mercredi 26/ 09/ 2007, vendredi 12/ 10/ 2007, mercredi 17/ 10/ 2007, jeudi 18/ 10/ 2007). A titre d'exemples, ces mauvaises manipulations ont conduit à l'enregistrement d'une durée de travail de 105, 27 heures au cours de la semaine du 9 au 15/ 07/ 2007, d'une durée de travail de 110, 29 heures au cours de la semaine du 17 au 23/ 09/ 2007, d'une durée de travail de 103, 45 heures au cours de la semaine du 8 au 14/ 10/ 2007. Comme il l'a fait devant les premiers juges, en cause d'appel, le salarié ne conteste pas ces mauvaises manipulations mais affirme qu'elles seraient isolées et clairement identifiables. D'ailleurs, ces mauvaises manipulations sources d'importantes inexactitudes amenaient l'employeur à " retraiter " mois par mois les données enregistrées, ce que le salarié ne discute pas.
Comme les premiers juges l'ont relevé de façon pertinente, ces erreurs régulières dans les manipulations du sélecteur de l'appareil chronotachygraphe de M. Georges X... privent de fiabilité les informations fournies par cet instrument relativement à la réalité, à la durée et à la nature des temps de travail qu'il a accomplis.
Par ailleurs, en ce qu'ils globalisent les heures supplémentaires alléguées par mois ou par jour, le courrier du 17 mars 2009 et le tableau des mois de juillet à octobre 2008 ne constituent pas des éléments suffisamment précis quant aux horaires effectivement réalisés par le salarié pour permettre à l'employeur de répondre.
Il convient de rappeler qu'aux termes de l'article 146 du code de procédure civile, une mesure d'instruction, notamment une expertise, ne peut pas être ordonnée en vue de suppléer la carence de la partie dans l'administration de la preuve. Or, pas plus qu'il ne le faisait en première instance comme l'ont souligné les premiers juges, le salarié ne produit en cause d'appel un examen, auquel il aurait procédé ou fait procéder, de quelques disques à titre d'échantillon pour tenter de mettre en évidence les dépassements d'horaires qu'il allègue au-delà des 200 heures mensuelles régulièrement payées. Les premiers juges ont estimé à juste titre que, dès lors que les erreurs régulières de manipulation du chronotachygraphe rendent très aléatoires et non fiables les données enregistrées autres que les seuls temps de conduite, l'analyse des disques par un expert serait un travail dénué de pertinence. Le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu'il a rejeté la demande d'expertise.
En produisant des disques chronotachygraphes dépourvus de fiabilité et deux relevés imprécis globalisant des heures supplémentaires sur une période limitée à août 2007/ octobre 2008, M. Georges X... n'étaye pas sa demande en paiement d'une provision à titre de rappel de salaire pour heures supplémentaires.
Dès lors que la demande de rappel de salaire pour heures supplémentaires est considérée comme non étayée dans son principe, il n'y a pas lieu à réouverture des débats pour inviter l'appelant à former sa demande chiffrée, non provisionnelle, de rappel de salaire pour heures supplémentaires, étant observé qu'il a eu tout loisir de formaliser cette demande et de soumettre à la cour toutes les pièces qu'il estimait utiles au succès de ses prétentions.
Enfin, le " donner acte " étant dépourvu de toute portée juridique, il n'y a pas lieu de donner suite aux " demandes de donner acte " formées par M. Georges X....

PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant publiquement, en matière sociale, par arrêt contradictoire et en dernier ressort ;
Infirme le jugement entrepris en ce qu'il a débouté M. Georges X... de sa demande tendant à ce que lui soient déclarés inopposables l'accord d'entreprise du 7 juillet 2004 et le forfait en heures sur l'année invoqués à son égard ;
Statuant à nouveau de ce chef, déclare inopposables à M. Georges X... l'accord d'entreprise du 7 juillet 2004 et le forfait en heures sur l'année ;
Confirme le jugement déféré en toutes ses autres dispositions ;
Y ajoutant,
Condamne M. Georges X... à payer à la société Transports ARMATI la somme de 1 000 ¿ au titre de ses frais irrépétibles d'appel ;
Dit n'y avoir lieu aux " donner acte " sollicités par M. Georges X... ;
Le condamne aux dépens d'appel.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Angers
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 12/01204
Date de la décision : 13/10/2015
Sens de l'arrêt : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée
Type d'affaire : Sociale

Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.angers;arret;2015-10-13;12.01204 ?
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