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22/09/2015 | FRANCE | N°13/02129

France | France, Cour d'appel d'Angers, Chambre sociale, 22 septembre 2015, 13/02129


COUR D'APPEL
d'ANGERS
Chambre Sociale

ARRÊT N
clm/ jc

Numéro d'inscription au répertoire général : 13/ 02129.

Jugement Au fond, origine Conseil de Prud'hommes-Formation paritaire d'ANGERS, décision attaquée en date du 26 Juin 2013, enregistrée sous le no F 12/ 00367

ARRÊT DU 22 Septembre 2015

APPELANTE :

Madame Alexia X...
...
44190 CLISSON

représentée par Maître MARQUET, avocat substituant Maître BOUGNOUX, Jean pierre BOUGNOUX, avocat au barreau d'ANGERS

INTIMEE :

La Société NEW MAN SAS A

LLFASHION
25 RUE DU MAIL
75002 PARIS

représentée par Maître Philippe GAUTIER, avocat au barreau de LYON

COMPOSITION DE LA COU...

COUR D'APPEL
d'ANGERS
Chambre Sociale

ARRÊT N
clm/ jc

Numéro d'inscription au répertoire général : 13/ 02129.

Jugement Au fond, origine Conseil de Prud'hommes-Formation paritaire d'ANGERS, décision attaquée en date du 26 Juin 2013, enregistrée sous le no F 12/ 00367

ARRÊT DU 22 Septembre 2015

APPELANTE :

Madame Alexia X...
...
44190 CLISSON

représentée par Maître MARQUET, avocat substituant Maître BOUGNOUX, Jean pierre BOUGNOUX, avocat au barreau d'ANGERS

INTIMEE :

La Société NEW MAN SAS ALLFASHION
25 RUE DU MAIL
75002 PARIS

représentée par Maître Philippe GAUTIER, avocat au barreau de LYON

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 16 Juin 2015 à 14H00, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Catherine LECAPLAIN MOREL, conseiller chargé d'instruire l'affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Anne JOUANARD, président
Madame Catherine LECAPLAIN-MOREL, conseiller
Madame Isabelle CHARPENTIER, conseiller

Greffier : Madame BODIN, greffier.

ARRÊT :
prononcé le 22 Septembre 2015, contradictoire et mis à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par Madame Anne JOUANARD, président, et par Madame BODIN, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

*******

FAITS ET PROCÉDURE :

La société NewMan SA exerçait une activité de fabrication et de distribution de vêtements de prêt-à-porter féminin et masculin.

Suivant lettre d'embauche du 16 février 2000 à effet au 3 avril suivant, elle a engagé Mme Alexia X...pour une durée indéterminée en qualité d'assistante marketing statut cadre. Dans le dernier état de la relation de travail, elle percevait une rémunération brute mensuelle forfaitaire de 3 100 ¿.

Mme Alexia X...travaillait sur le site de Cholet de la société NewMan SA.

La convention collective applicable est la convention collective nationale des Industries de l'habillement.

Par courriers du 23 juin 2010, la société NewMan SA a informé ses salariés de la cession " du fonds de commerce NEW MAN " à la société Allfashion, société nouvellement créée et dépendant du groupe Morepeace, devenue ensuite la société NewMan Allfashion exploitant le site de Cholet et, par voie de conséquence, du transfert de plein droit de leurs contrats de travail à cette société en application des dispositions de l'article L. 1224-1 du code du travail à compter du 1er juillet 2010.

Par courriers individuels du 31 mars 2011, invoquant la chute massive du nombre de clients, celle des ventes et du chiffre d'affaires de l'activité NEWMAN, l'aggravation du résultat déficitaire, la stabilité des coûts de structure alors que les locaux de Cholet étaient devenus trop grands et trop coûteux et l'impossibilité pour le groupe Morepeace de compenser durablement les pertes opérationnelles de l'activité NEWMAN sous peine de menacer sa propre compétitivité, la société NewMan Allfashion a fait connaître à un certain nombre de ses salariés, dont Mme Alexia X..., qu'elle avait décidé de délocaliser, d'une part, ses services administratifs (comptabilité, paye et administration des ventes, informatique, juridique) à Besançon où le groupe Morepeace disposait de structures administratives et de locaux suffisants pour accueillir les services administratifs précédemment implantés à Cholet, d'autre part, le service " communication et export " à Paris où le groupe disposait pareillement de locaux suffisants. Il était prévu que seul le service " Bureau d'études " de la société NewMan ALLFASHION resterait à Cholet.

Mme Alexia X...était informée que ces mesures entraînaient le déplacement de son emploi de responsable marketing à Paris à compter du 1er septembre 2011, les autres dispositions de son contrat de travail demeurant inchangées et l'employeur lui proposant de prendre en charge 50 % de ses frais de déménagement. Il lui était précisé que, cette mesure entraînant une modification de son contrat de travail, en application des dispositions de l'article L. 1222-6 du code du travail, elle disposait d'un délai d'un mois pour faire connaître sa réponse.

Mme Alexia X...a refusé cette proposition de modification de son contrat de travail par courrier du 21 avril 2011.

Par courriers des 27 avril et 2 mai 2011, l'employeur a pris acte de ce refus mais a rappelé ses propositions à la salariée, à savoir, un salaire brut annuel de 44 000 ¿, la prise en charge de ses frais de déplacement à Paris et deux jours de présence à Paris, les autres jours étant assurés en télétravail à partir de son domicile.

Par lettre recommandée du 24 mai 2011, la salariée a confirmé son refus.

Par courrier recommandé du 24 mai 2011 réceptionné le 28 mai suivant, Mme Alexia X...a été convoquée à un entretien préalable à un éventuel licenciement pour motif économique fixé au 9 juin suivant.

Lors de l'entretien préalable, la société NewMan Allfashion a remis à Mme Alexia X...un courrier daté du 9 juin 2011, libellé dans les termes suivants, exposant le motif économique de la rupture de son contrat de travail et lui soumettant une proposition d'adhésion à une convention de reclassement personnalisé :

« Madame,

Dans le cadre du projet de licenciement pour motif économique actuellement en cours, nous avons le regret de vous informer que nous sommes conduits à envisager votre licenciement suite au refus de la proposition de reclassement que nous vous avons faite.

Le groupe auquel appartient notre société est implanté en Allemagne.
En conséquence, conformément à l'article L. 1233-4-1 du code du travail, nous vous prions de nous faire savoir par écrit si vous accepteriez de recevoir des offres de reclassement dans ce pays.
Dans l'affirmative, nous vous remercions de nous indiquer très précisément sous quelles conditions et sous quelles restrictions éventuelles, notamment en matière de localisation et de rémunération, vous seriez disposé à accepter un poste dans ce pays.

Vous avez la possibilité de bénéficier d'une convention de reclassement personnalisé aux conditions définies dans le dossier d'information remis en même temps que le présent courrier.

Ce projet de licenciement repose sur les motifs suivants :

La société Allfashion, filiale de Morepeace, a repris en juillet 2010 l'activité de la société NewMan SA dont vous étiez salarié, avec l'objectif de redresser le chiffre d'affaires qui était en chute depuis quelques saisons, et de re-développer les activités de la marque par la reconquête de marchés, tant en France qu'à l'export.

NewMan est confrontée à une baisse très importante du nombre de ses clients, qu'il s'agisse des succursales, franchises ou multimarques. Ainsi, alors que le nombre de clients de la marque, en France et à l'export, s'établissait à 305 au cours de la saison d'été 2010, il chute à 158 pour la même saison 2011, soit deux fois moins. De même, le nombre de clients au cours de la saison d'hiver 2011 est de 137, contre 187 pour la saison d'hiver 2010.

Par conséquent, le nombre de pièces vendues s'est effondré, passant de 275 278 et 207 510 pour les saisons d'été et hiver 2010, à 85 104 et 73 753 pièces pour les saisons d'été et hiver 2011. Il en a résulté une chute massive du chiffre d'affaires, qui a été divisé par trois entre les saisons d'été 2010 et 2011 (10 685 361 euros en 2010 contre 3 015 846 en 2011). Il est passé de 6 648 927 euros pour la saison d'hiver 2010 à 3 243 626 pour la même saison en 2011.

L'aggravation des pertes attendues pour 2011 est plus que proportionnelle à la baisse de chiffres d'affaires car, dans le même temps, les coûts de structure sont restés à peu près identiques.

Cette situation nous impose de prendre des mesures afin que les pertes très lourdes enregistrées dans l'activité « NewMan » ne viennent pas mettre en péril la pérennité des autres sociétés du groupe Morepeace, principalement Over All, Dellalui et El Internationale.

En effet, Morepeace ne pourra pas compenser les pertes opérationnelles de
NewMan sans qu'il y ait un impact sur les capacités financières de ces sociétés, imposant au groupe l'arrêt de ses investissements et provoquant la perte de sa compétitivité.

Une baisse des coûts est aujourd'hui indispensable pour faire face aux résultats catastrophiques de NewMan SA et sauvegarder la compétitivité du groupe Morepeace.

NewMan dispose de locaux à Cholet devenus bien trop grands et coûteux par rapport aux effectifs qu'ils accueillent. Il a été décidé de déplacer sur Paris et Besançon de services se trouvant actuellement à Cholet. Le Groupe dispose à Besançon de structures administratives et de locaux pour accueillir les services administratifs (comptabilité, paye et administration des ventes, informatique, juridique) de NewMan. Il dispose à Paris également de locaux pour accueillir le service communication et export.

Ces mesures permettraient de réduire considérablement les charges de loyer, et tous les frais liés à l'éloignement des sites (commercial, déplacements, moyens d'exploitation...).
Seul le service bureau d'études demeurera à Cholet mais déménagera dans des locaux plus petits (500 m ² loués suffiront à Cholet au lieu des 3000 actuels).

Ces mesures entraînaient le déplacement de votre emploi de La Séguinière à Miserey Salines.
C'est dans ce cadre que nous vous avons proposé la modification de votre lieu de travail, par courrier recommandé avec demande d'accusé de réception, en date du 1er avril 2011.

Par courrier en réponse en date du 26 avril 2011, vous avez refusé cette proposition.
C'est pourquoi nous sommes contraints d'envisager votre licenciement pour motif économique.

Nous vous rappelons que vous disposez d'un délai de 21 jours pour nous faire part de votre adhésion à la convention de reclassement personnalisé, en nous retournant le bulletin d'adhésion figurant dans le dossier.

En cas d'adhésion, votre contrat de travail sera réputé rompu d'un commun accord à la date d'expiration de ce délai de réflexion, soit le 30 juin 2011.... ».

Mme Alexia X...a adhéré à la convention de reclassement personnalisé le 20 juin 2011 et quitté l'entreprise le 30 juin suivant.

Le 28 mars 2012, elle a saisi le conseil de prud'hommes pour contester le bien fondé de la rupture de son contrat de travail.
Dans le dernier état de la procédure de première instance, contestant la réalité du motif économique invoqué et se prévalant d'un manquement de l'employeur à son obligation de reclassement, elle demandait au conseil de déclarer son licenciement injustifié et de lui allouer des dommages et intérêts de ce chef.

Par jugement du 26 juin 2013 auquel il est renvoyé pour un ample exposé, le conseil de prud'hommes d'Angers section encadrement a débouté Mme Alexia X...de toutes ses prétentions, dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et laissé les dépens " à la charge des parties ".

La salariée a régulièrement relevé appel général de cette décision par lettre recommandée avec accusé de réception postée le 25 juillet 2013.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :

Vu les conclusions et observations orales des parties à l'audience des débats du 16 juin 2015 auxquelles il est renvoyé pour l'exposé détaillé des prétentions et moyens présentés ;

Vu les conclusions enregistrées au greffe le 22 mai 2015, régulièrement communiquées et reprises oralement à l'audience aux termes desquelles Mme Alexia X...demande à la cour :

- d'infirmer le jugement entrepris ;
- de déclarer son licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse aux motifs, d'une part, que le motif économique invoqué à l'appui de la rupture de son contrat de travail n'est pas justifié, d'autre part, que l'employeur a failli à son obligation de reclassement à son égard ;

- de condamner la société NewMan SAS venant aux droits de la société NewMan Allfashion à lui payer les sommes suivantes :

¿ 81 672 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (24 mois de salaire) ;
¿ 6 000 euros à titre de rappel de salaire pour la période de novembre 2010 à juin 2011 ;
¿ 2 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- de dire que les condamnations à intervenir porteront intérêt au taux légal à compter du jour de la demande ;
- de condamner la société NewMan SAS aux entiers dépens.

La salariée soutient en substance que :

sur le motif économique :

- les difficultés économiques invoquées ayant été intentionnellement créées par l'employeur et résultant directement de ses choix désastreux et de ses insuffisances qui ont généré les plaintes de nombreux clients pour absence de marchandises à vendre et annulation intentionnelle de livraisons de la part du fournisseur sans solution de remplacement malgré des commandes passées au cours de l'année 2010, elles ne peuvent pas justifier la rupture de leur son contrat de travail ;
- les difficultés économiques existaient déjà au moment du rachat et du transfert des contrats de travail à la société Allfashion de sorte que, sauf pour l'employeur à justifier de leur aggravation, ce qu'il ne fait pas puisqu'au contraire, il apparaît que la situation économique de l'entreprise s'est améliorée entre l'été 2010 et l'été 2011, elles ne peuvent pas fonder son licenciement ;
- l'employeur qui a lui-même déclaré que " son action sur le produit ne serait pleinement effective qu'à compter de la saison hiver 2011 " n'a pas attendu le résultat de cette saison pour engager les licenciements ;
- la société NewMan SAS faisant partie d'un groupe, les difficultés économiques doivent s'apprécier au niveau du secteur d'activité du groupe auquel elle appartient ; or, l'employeur n'allègue, ni ne justifie de difficultés économiques affectant le secteur d'activité du groupe auquel il appartient ;

sur la sauvegarde de la compétitivité :

- l'employeur argue de la nécessité de sauvegarder la compétitivité du groupe, mais il n'allègue que des menaces particulières affectant la compétitivité de son entreprise sans caractériser de menace pesant sur la compétitivité au niveau du secteur d'activité du groupe auquel il appartient ;
- aux termes de la lettre énonçant le motif économique de son licenciement, l'employeur indique que la sauvegarde de la compétitivité du groupe nécessitait de baisser les coûts de fonctionnement de la société NewMan Allfashion ; or la Cour de cassation a pu décider que la sauvegarde de la compétitivité du secteur d'activité ne pouvait résulter de la seule réduction des frais fixes ;
- la preuve d'une menace sur la compétitivité au niveau du secteur d'activité du groupe fait donc défaut ;

sur le reclassement :
- l'employeur n'établit pas avoir procédé à une recherche de reclassement au niveau du groupe, et qu'il ait été dans l'impossibilité de la reclasser.

Vu les conclusions enregistrées au greffe le 15 juin 2015, régulièrement communiquées et reprises oralement à l'audience aux termes desquelles la société NewMan SAS venant aux droits de la société NewMan ALLFASHION demande à la cour :

- de confirmer le jugement entrepris et, par voie de conséquence, de débouter la salariée de l'ensemble de ses prétentions ;
- de la condamner à lui verser la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- de la condamner aux entiers dépens de l'instance.

L'employeur fait valoir en substance que :

sur le motif économique de la rupture du contrat de travail :

- la modification du contrat reposant sur un motif économique relève d'une procédure particulière instaurée par la loi, qui s'applique notamment en cas de licenciement fondé sur des motifs résultant d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutive notamment à des difficultés économiques et à la nécessité de réorganiser l'entreprise pour sauvegarder sa compétitivité ;
- dans de tels cas, dès lors que la réorganisation de l'entreprise était nécessaire pour prévenir des difficultés économiques à venir, le licenciement ne peut pas être considéré sans cause réelle et sérieuse même si la situation économique de l'employeur n'était pas obérée à la date de la rupture ;
- or les difficultés financières de la société NewMan Allfashion sont tout à fait avérées, car les résultats de l'entreprise n'avaient cessé de se dégrader, comme le prouvent les données comptables produites ; les initiatives prises par l'employeur, permettant une réorganisation sans pour autant supprimer un poste, n'ont pas suffi à rétablir la situation, qui a même empiré ;
- contrairement aux dires de la salariée, la société NewMan Allfashion, qui a tout mis en oeuvre pour relancer la marque NEWMAN, n'est pas à l'origine des difficultés économiques de l'entreprise et n'a commis aucune faute de gestion ;
- le motif économique qui a " présidé " à la rupture du contrat de travail de Mme Alexia X..." repose sur la sauvegarde de la compétitivité du Groupe Morepeace mise en péril par les difficultés économiques de l'entreprise NewMan SAS " ; malgré les résultats positifs des autres sociétés du groupe Morepeace, l'employeur pouvait légitimement procéder à une réorganisation de l'entreprise en vue de prévenir des difficultés économiques futures et de sauvegarder la compétitivité du groupe mise en péril par les difficultés économiques de la société NewMan SAS ;

sur le respect de l'obligation de reclassement :

- il a bien rempli son obligation de reclassement envers la salariée, en cherchant un poste en interne, en lui proposant une convention de reclassement personnalisé permettant un reclassement externe et en l'interrogeant sur la possibilité d'un reclassement en Allemagne ;
- les registres des entrées et sorties du personnel des sociétés du groupe Morepeace établissent qu'aucun poste de reclassement n'était disponible.

Invité à fournir cette précision à l'audience, le conseil de la société NewMan SAS a indiqué que les sociétés dépendant du groupe Morepeace relèvent toutes, comme l'intimée, du secteur d'activité de la fabrication et de la distribution de vêtements de prêt-à-porter.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

Sur le licenciement :

Aux termes de l'article L. 1233-3 du code du travail, constitue un licenciement pour motif économique, le licenciement effectué pour un ou plusieurs motifs, non inhérents à la personne du salarié, qui repose sur une cause économique (notamment, des difficultés économiques ou des mutations technologiques, mais aussi, la réorganisation de l'entreprise, la cessation non fautive d'activité de l'entreprise), laquelle cause économique doit avoir une incidence sur l'emploi du salarié concerné (suppression ou transformation) ou sur son contrat de travail, en l'occurrence, emporter une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel de son contrat de travail.

Pour satisfaire aux exigences de ce texte et à celle de motivation de la lettre de licenciement, cette dernière doit énoncer, non seulement, l'une des causes économiques admises pour justifier le licenciement pour motif économique, mais aussi l'incidence de cette cause économique sur l'emploi ou sur le contrat de travail du salarié, c'est à dire la cause matérielle de la rupture.

Au cas d'espèce, il ressort clairement du courrier du 9 juin 2011 que la cause matérielle de la rupture du contrat de travail de Mme Alexia X...tient en la modification, refusée par cette dernière, d'un élément essentiel de son contrat de travail, à savoir, le lieu d'exercice de son emploi. Ce point ne fait pas débat.

S'agissant de la cause économique du licenciement, il n'est pas nécessaire que la lettre énonçant le motif économique de la rupture mentionne précisément la catégorie de cause économique sur laquelle l'employeur a entendu fonder cette mesure, elle doit énoncer des faits précis et matériellement vérifiables qui permettent au juge de les rattacher à l'une des causes économiques admissibles.

Au cas d'espèce, étant rappelé que la sauvegarde de la compétitivité ne constitue pas en soi une cause économique admise, il résulte en réalité des termes de la lettre du 9 juin 2011 énonçant le motif économique du licenciement engagé à l'égard de la salariée que la cause économique invoquée par la société NewMan SAS pour fonder la rupture de son contrat de travail réside dans la réorganisation de l'entreprise.

En effet, l'employeur y énonce que la modification du contrat de travail de la salariée par mutation de l'intéressée sur un site du groupe situé à Paris était justifiée par la nécessité de réorganiser l'entreprise, en l'occurrence, la société NewMan Allfashion, en transférant ses services administratifs à Besançon (plus précisément à Miserey Salines 25) et son service communication et export à Paris, ce qui permettait de supprimer une partie importante de ses locaux de Cholet devenus trop grands et trop coûteux, cette réorganisation étant, selon l'employeur, justifiée, d'une part, par les difficultés économiques de la société NewMan Allfashion qui imposaient de réduire ses coûts de structures et de fonctionnement, d'autre part, par la nécessité de sauvegarder la compétitivité du groupe Morepeace.

Pour constituer une cause économique de licenciement, la réorganisation de l'entreprise doit être justifiée soit par des difficultés économiques, soit par des mutations technologiques, soit par la nécessité de sauvegarder sa compétitivité dans son secteur d'activité, ce qui suppose démontré dans ce dernier cas, que cette compétitivité soit menacée et que l'organisation existante de l'entreprise soit impuissante à y pallier. Par contre, la réorganisation de l'entreprise conduite dans le seul souci d'améliorer le fonctionnement de l'entreprise ou de privilégier son niveau de rentabilité au détriment de la stabilité de l'emploi ne constitue pas une cause économique valable de licenciement. Lorsque l'entreprise appartient à un groupe, la réorganisation doit être rendue nécessaire pour sauvegarder la compétitivité du secteur d'activité du groupe auquel elle appartient.
En outre, la prise en considération de difficultés économiques prévisibles à venir n'est possible pour l'appréciation du bien fondé du motif économique tiré de la réorganisation de l'entreprise que lorsque cette réorganisation est motivée par la nécessité de sauvegarder sa compétitivité. Par contre, lorsqu'elle est motivée par des difficultés économiques, le motif économique doit être apprécié en considération de difficultés économiques existant à la date du licenciement, le juge ayant la faculté de s'appuyer sur des éléments de preuve connus ou divulgués postérieurement dès lors qu'ils se rapportent à la période contemporaine au licenciement ou permettent d'éclairer la situation qui existait à cette époque.

Lorsque l'entreprise appartient à un groupe, les difficultés économiques s'apprécient au niveau du groupe, dans la limite du secteur d'activité auquel elle appartient.
La société NewMan SAS, auparavant la société NewMan ALLFASHION, dépend du groupe Morepeace qui comprend également la société Morepeace, la société Delalui, la société El Internationale et la société Over All toutes implantées à Miserey Salines (25) près de Besançon.
Ces cinq sociétés relevant du même secteur d'activité, à savoir, la fabrication et la distribution de vêtements de prêt-à-porter, les difficultés économiques invoquées au soutien de la nécessité de réorganiser la société NewMan SAS doivent être appréciées au niveau de ce groupe.

Or, étant observé qu'il s'est écoulé moins d'un an entre la cession de la société NewMan SA à la société Allfashion dépendant du groupe Morepeace et la rupture en cause, les quelques documents comptables versés aux débats ne permettent de caractériser des difficultés économiques, ni au niveau du groupe, ni même au niveau de l'entreprise.

En effet, il en ressort que :
- la société NewMan SAS a enregistré :
¿ au 31/ 12/ 2010 pour six mois d'exercice comptable : un chiffre d'affaires net de 3 892 410 ¿, un résultat courant avant impôts de-1 352 517 ¿ et une perte de 1 365 098 ¿ ;
¿ au 31/ 12/ 2011 : un chiffre d'affaires net de 6 151 999 ¿, un résultat courant avant impôts de-3 172 740 ¿ et un bénéfice de 1 197 219 ¿ étant observé qu'elle a bénéficié de la part de la société Morepeace d'un abandon de créances en compte courant pour un montant de 6 100 000 ¿ ;

- la société Morepeace a enregistré :
¿ au 31/ 12/ 2010 pour un exercice comptable de douze mois : un résultat courant avant impôts de 5 684 641 ¿ et un bénéfice de 3 784 641 ¿ ;
¿ au 31/ 12/ 2011 : un résultat courant avant impôts de 6 698 463 ¿ et un bénéfice de 14 804 875 ¿ en dépit de l'abandon de compte courant consenti à la société NewMan SAS pour un montant de 6 100 000 ¿ ;

- les autres sociétés du groupe ont enregistré au 31/ 12/ 2011 (étant observé qu'aucune donnée comptable n'est fournie en ce qui les concerne au titre de l'exercice 2010) :
¿ la société Delalui : un chiffre d'affaires net de 16 578 219 ¿, un résultat courant avant impôts de 5 052 540 ¿ et un bénéfice de 5 039 737 ¿ ;
¿ la société El Internationale : un chiffre d'affaires net de 21 627 746 ¿, un résultat courant avant impôts de 4 166 666 ¿ et un bénéfice de 3 511 479 ¿ ;
¿ la société Over All : un chiffre d'affaires net de 3 028 592 ¿, un résultat courant avant impôts de 5 560 452 ¿ et un bénéfice de 5 546 374 ¿.

La société NewMan SAS s'avère donc défaillante à rapporter la preuve de l'existence, au niveau du groupe Morepeace ou même à son propre niveau, de difficultés économiques contemporaines au licenciement litigieux qui aient été de nature à commander sa réorganisation par déplacement des emplois en cause à Besançon.

La réorganisation invoquée comme nécessaire pour sauvegarder la compétitivité de l'entreprise ou, si elle appartient à un groupe, la compétitivité du secteur d'activité dont ce groupe relève suppose que soit démontrée par l'employeur une menace, un péril pesant sur l'entreprise ou sur le secteur d'activité concerné (telle l'arrivée d'un nouveau concurrent, la disparition du produit...) et qui impacte défavorablement son positionnement sur le marché.

La société NewMan SAS ne soutient ni aux termes de la lettre de licenciement ni même dans le cadre de la présente instance que la réorganisation décidée aurait été rendue nécessaire pour sauvegarder sa propre compétitivité. Elle n'invoque que la nécessité de sauvegarder la compétitivité du groupe Morepeace. Or, outre que les résultats comptables enregistrés par les sociétés du groupe Morepeace, ci-dessus rappelés, ne permettent pas de mettre en évidence une telle menace, l'intimée ne démontre ni ne caractérise d'ailleurs aucune menace qui, au moment des licenciements en cause, aurait pesé soit sur elle-même soit sur le secteur d'activité du prêt-à-porter dont relève le groupe Morepeace mais elle motive en réalité la réorganisation par la volonté de fermer des locaux à Cholet afin de réaliser des économies de fonctionnement et de structures. La réorganisation de l'entreprise conduite dans le souci de réaliser de telles économies au détriment de la stabilité de l'emploi ne constitue pas une cause économique valable de licenciement.

Par voie d'infirmation du jugement déféré, faute de motif économique établi et sans qu'il soit nécessaire de répondre au moyen tiré du manquement de l'employeur à son obligation de reclassement, la rupture du contrat de travail de Mme Alexia X...doit en conséquence être déclarée dépourvue de cause réelle et sérieuse.

Justifiant d'une ancienneté supérieure à deux ans dans une entreprise employant habituellement au moins onze salariés, Mme Alexia X...peut prétendre à l'indemnisation de l'absence de cause réelle et sérieuse de la rupture de son contrat de travail sur le fondement de l'article L. 1235-3 du code du travail, selon lequel l'indemnité à la charge de l'employeur ne peut pas être inférieure aux salaires des six derniers mois, lesquels se sont élevés en l'espèce à la somme de 21 735 ¿.
Compte tenu de la situation particulière de la salariée, notamment de son âge (38 ans) et de son ancienneté (11 ans et 4 mois) au moment de la rupture, des circonstances de celle-ci, de sa capacité à retrouver un emploi, des éléments soumis à l'appréciation de la cour, il convient d'allouer à Mme Alexia X...la somme de 42 000 ¿ à titre de dommages et intérêts pour rupture injustifiée.
Cette somme de nature indemnitaire portera intérêts au taux légal à compter du présent arrêt.

Enfin, en l'absence de motif économique, la convention de reclassement personnalisé devenant sans cause, l'employeur est tenu de rembourser les indemnités de chômage éventuellement versées au salarié, sous déduction de la contribution prévue à l'article L. 1233-69 du code du travail. Au cas d'espèce, il convient de limiter ce remboursement à quatre mois.

Sur le rappel de salaire :

A l'appui de cette demande, la salariée fait valoir que, dans le cadre de la reprise de la société NewMan SA par la société NewMan ALLFASHION, chacun des salariés s'est investi et a accepté de travailler plus ; que, dans ce contexte, à compter du mois de novembre 2010, elle a accepté d'effectuer des missions supplémentaires ; qu'à compter du 9 novembre 2010, comme en atteste l'organigramme, elle est devenue " responsable marketing et communication " ; que ses fonctions se sont alors notablement alourdies en ce qu'elle avait la charge du plan média, du budget " communication ", de la gestion du site internet de la marque et des photos de campagne, et qu'elle assumait les fonctions d'attachée de presse ce qui imposait de nombreux déplacements ; que cette surcharge de travail lui a valu un arrêt de travail du 31 janvier au 7 février 2011.

La société NewMan SAS conteste le changement de fonction et l'alourdissement de tâches allégué et oppose que la salariée n'en rapporte pas la preuve.

Comme l'ont exactement retenu les premiers juges, les billets de train, l'organigramme et les courriers électroniques adressés le 31 janvier 2011 par Mme Alexia X...à son supérieur hiérarchique avec la liste des missions relevant, selon elle, d'un responsable marketing, et la liste des missions ne relevant pas des fonctions de ce dernier ne permettent pas de faire la preuve du surcroît de travail allégué.
Le jugement sera confirmé en ce qu'il a rejeté ce chef de prétention.

PAR CES MOTIFS :

La cour statuant publiquement, en matière sociale, par arrêt contradictoire et en dernier ressort ;

Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

Statuant à nouveau et y ajoutant ;

Déclare la rupture du contrat de travail de Mme Alexia X...dépourvue de cause réelle et sérieuse ;

Condamne la société NewMan SAS à Mme Alexia X...la somme de 42 000 ¿ à titre de dommages et intérêts pour rupture injustifiée et ce, avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt ;

Ordonne le remboursement par la société NewMan SAS à Pôle emploi des indemnités de chômage éventuellement payées à Mme Alexia X...à la suite de la rupture de son contrat de travail, dans la limite de quatre mois et ce, sous déduction de la contribution prévue à l'article L. 1233-69 du code du travail ;

Déboute Mme Alexia X...de sa demande de rappel de salaire ;

Condamne la société NewMan SAS à payer à Mme Alexia X...la somme de 2 000 ¿ en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

Déboute la société NewMan SAS de ce chef de prétention et la condamne aux entiers dépens de première instance et d'appel.

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,

V. BODINA. JOUANARD


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Angers
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 13/02129
Date de la décision : 22/09/2015
Sens de l'arrêt : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours
Type d'affaire : Sociale

Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.angers;arret;2015-09-22;13.02129 ?
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