COUR D'APPEL d'ANGERS Chambre Sociale
ARRÊT N clm/ jc
Numéro d'inscription au répertoire général : 13/ 00241.
Jugement Au fond, origine Conseil de Prud'hommes-Formation paritaire du MANS, décision attaquée en date du 18 Décembre 2012, enregistrée sous le no F11/ 00583
ARRÊT DU 22 Septembre 2015
APPELANT :
Monsieur Pascal X...... 72450 LOMBRON
représenté par Maître Boris MARIE de la SCP MARIE et SOULARD, avocats au barreau du MANS
INTIMEE :
LA SCA DE LA PERRIGNE La Perrigne 72460 SAINT CORNEILLE
représentée par Maître PAVET, avocat au barreau du MANS
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 16 Juin 2015 à 14H00, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Catherine LECAPLAIN-MOREL, conseiller chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Anne JOUANARD, président Madame Catherine LECAPLAIN-MOREL, conseiller Madame Isabelle CHARPENTIER, conseiller
Greffier : Madame BODIN, greffier.
ARRÊT : prononcé le 22 Septembre 2015, contradictoire et mis à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par Madame Anne JOUANARD, président, et par Madame BODIN, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
*******
FAITS ET PROCÉDURE :
La SCA de La Perrigne exploite un haras qui accueille habituellement une cinquantaine de chevaux dont vingt en pré-entraînement.
Suivant contrat de travail à durée indéterminée du 5 février 1996, elle a embauché M. Pascal X...en qualité de lad, ouvrier spécialisé au coefficient 125 de la convention collective de la polyculture et de l'élevage de la Sarthe, la durée mensuelle de travail étant fixée à 169 heures outre 4 heures supplémentaires chaque samedi. Dans le dernier état de la relation de travail, le salaire brut mensuel de M. Pascal X...s'élevait à la somme de 1 993, 44 ¿.
Ce dernier a été placé en arrêt de travail pour maladie à compter du 17 septembre 2010 et ce, de façon ininterrompue.
Après l'avoir convoqué, par courrier du 1er avril 2011, à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 11 avril suivant, par lettre du 23 avril 2011, la SCA de La Perrigne a, dans les termes suivants, notifié à M. Pascal X...son licenciement pour absence prolongée perturbant le bon fonctionnement de l'entreprise :
" Monsieur,
Nous vous avons convoqué par courrier recommandé avec accusé de réception le 2 avril dernier à un entretien préalable à licenciement. Vous avez choisi de ne pas vous présenter à cet entretien. Nous vous rappelons que vous êtes absent du haras depuis le 17 septembre 2010 sans interruption. Vous occupiez avec deux autres salariés à plein temps le poste de lad, ce qui impliquait :- la monte des chevaux au pré-entraînement et à l'entraînement le matin-l'entretien des boxes et du haras-la mise à l'herbage, la préparation et la distribution des repas à la jumenterie et sa production-l'entretien général du haras-la préparation des yearlings et des juments pour les ventes qui sont la source, en majeure partie, des revenus du haras.
Votre absence prolongée (plus de 7 mois à ce jour) perturbe le bon fonctionnement de notre petite entreprise. Pour les deux autres employés, il s'en est suivi une surcharge de travail qui ne peut perdurer. Par conséquent, il devient indispensable et urgent de procéder à votre remplacement et, pour cela, prendre le temps de former votre remplaçant. Vous étiez salarié du haras depuis plus de 14 ans et nous sommes plus que surpris par votre attitude depuis votre maladie. Depuis votre arrêt de septembre dernier, vous ne vous êtes jamais manifesté ni pour nous tenir au courant de l'évolution de votre maladie, ni pour prendre des nouvelles du haras. Vous vous êtes contenté de nous faire parvenir vos arrêts de travail successifs, soit par l'intermédiaire de votre épouse, soit par la poste. Il ne nous semble pas pendant toutes ces années avoir manqué d'égard à votre encontre mais plutôt avoir été à votre écoute et vous avoir aidé dans diverses circonstances. Votre manque de confiance envers nous et envers vos collègues nous attriste. À ce jour, nous sommes dans l'obligation de vous notifier, par la présente notre décision de vous licencier. La date de présentation de cette lettre à votre domicile marquera le point de départ de préavis de deux mois auquel vous êtes conventionnellement tenu et au terme duquel votre contrat sera définitivement rompu.... ".
Le 17 octobre 2011, M. Pascal X...a saisi le conseil de prud'hommes pour contester son licenciement. Dans le dernier état de la procédure de première instance, il sollicitait le paiement d'une indemnité pour non-respect de la procédure de licenciement et d'une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Par jugement du 18 décembre 2012 auquel il est renvoyé pour un ample exposé, le conseil de prud'hommes du Mans a :
- condamné la SCA de La Perrigne à payer à M. Pascal X...la somme de 400 ¿ à titre d'indemnité pour non-respect de la procédure de licenciement ;- débouté ce dernier de ses autres demandes et débouté la SCA de La Perrigne de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile ;- condamné cette dernière aux dépens incluant la contribution à l'aide juridique de 35 ¿.
M. Pascal X...a régulièrement relevé appel général de cette décision par déclaration électronique formée au greffe le 25 janvier 2013.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :
Vu les conclusions et observations orales des parties à l'audience des débats du 16 juin 2015 auxquelles il est renvoyé pour l'exposé détaillé des prétentions et moyens présentés ;
Vu les conclusions enregistrées au greffe le 12 juin 2015, régulièrement communiquées et reprises oralement à l'audience aux termes desquelles M. Pascal X...demande à la cour :
- d'infirmer le jugement entrepris ;- de condamner la SCA de La Perrigne à lui payer les sommes suivantes : ¿ 1473, 23 euros à titre d'indemnité pour non-respect de la procédure de licenciement ¿ 15 000 ¿ à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, ¿ 1200 ¿ en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;- de condamner la SCA de La Perrigne aux entiers dépens.
L'appelant fait valoir en substance :
- à l'appui de sa demande d'indemnité pour non-respect de la procédure de licenciement, que la lettre de convocation à l'entretien préalable ne comporte pas la mention de l'adresse de la mairie de Saint Corneille ; qu'il est fondé a sollicité de ce chef une somme équivalent à un mois de salaire ;
- s'agissant du licenciement, que : ¿ antérieurement à son arrêt de travail pour maladie, il y avait trois lads au sein de la SCA de La Perrigne, lui-même, M. Y...et M. Z..., ainsi qu'un salarié, M. A..., chargé de l'entretien des boxes de la cour ; ¿ l'intimée ne produit aucun contrat de travail montrant une embauche en lien avec son absence et elle ne justifie pas de la nécessité de procéder à son remplacement définitif ; ¿ l'embauche de M. Paul de B...ne peut s'inscrire ni dans le cadre de son remplacement temporaire, ni dans le cadre de son remplacement définitif en ce qu'elle est intervenue en contrat de travail à durée indéterminée dès le mois de septembre 2010, étant observé que l'intéressé a en réalité débuté son activité à la fin du mois d'août 2010 ; ¿ il ne peut pas non plus être considérer que l'embauche de Mme Amandine C...s'inscrit dans la nécessité de procéder à son remplacement définitif en ce qu'elle est intervenue le 27 juillet 2011, soit plus de trois mois après son licenciement et non à une période proche de celui-ci.
Vu les conclusions enregistrées au greffe le 16 juin 2015, régulièrement communiquées et reprises oralement à l'audience aux termes desquelles, formant appel incident, la SCA de La Perrigne demande à la cour :
- d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a alloué à M. Pascal X...une indemnité pour non respect de la procédure de licenciement et de débouter ce dernier de ce chef de prétention, en tout cas, de ramener l'indemnité à un montant pur principe ;- de confirmer le jugement déféré en toutes ses autres dispositions ;- de condamner en tout état de cause M. Pascal X...à lui payer la somme de 1500 ¿ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter les entiers dépens.
L'employeur fait valoir en substance :
- s'agissant de l'irrégularité qui affecte certes la lettre de convocation à l'entretien préalable en ce qu'elle n'indique pas l'adresse de la mairie de Saint Corneille, que le salarié ne justifie pas pour autant avoir été dans l'impossibilité de présenter ses observations et à avoir subi un préjudice autre que purement formel ;
- s'agissant du licenciement, que « l'organisation du fonctionnement du haras s'est trouvée modifiée » puisqu'en raison de l'absence de M. Pascal X...pour maladie, il a dû demander à M. Paul de B..., fils du dirigeant de la SCA de La Perrigne, de rentrer d'Australie où il se trouvait pour ses études et ce, afin d'assurer des fonctions de lad au sein de l'entreprise ; qu'en outre, il a dû faire appel à une autre personne qui a été embauchée en qualité de lad suivant contrat de travail signé au mois de juillet 2011 ; qu'il est ainsi établi que l'absence prolongée de M. Pascal X...a entraîné une désorganisation de l'entreprise et a nécessité son remplacement définitif.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Sur le licenciement :
Si l'article L. 1132-1 du code du travail fait interdiction de licencier un salarié notamment en raison de son état de santé ou de son handicap, ce texte ne s'oppose pas au licenciement motivé, non par l'état de santé du salarié, mais par la situation objective de l'entreprise dont le fonctionnement est perturbé par l'absence prolongée ou les absences répétées du salarié. Ce dernier ne peut toutefois être licencié que si les perturbations entraînent la nécessité pour l'employeur de procéder à son remplacement définitif par l'engagement d'un autre salarié. Les perturbations doivent être appréciées à la date du licenciement et le remplacement définitif du salarié licencié doit intervenir à une date proche de cette mesure.
Au cas d'espèce, il ressort des explications fournies par les parties et des pièces versées aux débats que :
- au moment de l'arrêt de travail de M. Pascal X...pour maladie intervenu le 17 septembre 2010, la SCA de La Perrigne employait (cf registre des entrées et sorties du personnel-pièce no 23 de l'intimée) : ¿ un chef d'élevage avec le statut de cadre en la personne de M. Jean Hugues de B..., gérant de l'entreprise, ¿ trois lads : M. Pascal X..., M. Patrick Y...et M. Didier Z..., ¿ deux apprentis, M. Guillaume D...et Mme Camille E..., ¿ une secrétaire ;- M. Paul de B..., fils du gérant, a été embauché le 29 septembre 2010 en qualité de lad en contrat de travail à durée indéterminée (cf registre des entrées et sorties du personnel-pièce no 23 de l'intimée et les bulletins de paie de M. Paul de B...-pièces no 2 à 21 de l'intimée), étant observé qu'aucun élément ne permet d'accréditer les affirmations de l'appelant selon lesquelles le fils du gérant aurait commencé à travailler au sein de l'entreprise dès la fin du mois d'août 2010 ;
- Mme C...Amandine a été embauchée en qualité de lad à temps partiel pour une durée mensuelle de travail de 114 heures et ce, suivant contrat de travail à durée indéterminée (pièce no 22 de l'intimée) conclu le 27 juillet 2011 à effet au 1er juillet précédent, étant observé que le registre des entrées et sorties du personnel mentionne le " 31-01-11 " comme date d'entrée de cette salariée au sein de l'entreprise ;- le chef d'élevage et les deux apprentis étaient toujours en poste au moment du licenciement.
La SCA de La Perrigne ne produit aucune pièce et ne fournit aucune explication concrète au soutien de son affirmation selon laquelle l'absence prolongée de M. Pascal X...aurait perturbé le fonctionnement de l'entreprise. Elle présente expressément l'embauche de M. Paul de B...en qualité de lad en contrat de travail à durée indéterminée le 29 septembre 2010 comme destinée à pallier l'absence de M. Pascal X...et elle n'allègue aucune autre cause, notamment aucun accroissement d'activité, à l'origine de cette embauche. Elle ne soutient pas que M. Paul de B...aurait occupé d'autres fonctions que celles de lad, notamment après l'embauche de Mme Amandine C....
Il suit de là que :- l'embauche de M. Paul de B...en CDI dès le 29 septembre 2010 ne peut pas être considérée comme ayant été destinée à assurer le remplacement définitif de M. Pascal X...par l'engagement d'un autre salarié, en ce qu'ayant précédé le licenciement de 6 mois et 3 semaines, elle n'est pas intervenue à une date proche de cette mesure ;- en ce qu'elle est intervenue en CDI et non en CDD, cette embauche ne pourrait pas non plus être considérée comme destinée à assurer le remplacement temporaire de M. Pascal X..., étant souligné qu'en cause d'appel, l'employeur ne soutient plus cette thèse ;- à la date du licenciement, soit au 23 avril 2011, l'entreprise comptait donc, hormis M. Pascal X..., trois lads à temps plein en CDI (MM. Y..., Z...et de B...) outre le chef d'élevage et les deux apprentis ainsi que la secrétaire, soit une situation équivalente à celle qui existait au moment de l'arrêt de travail de l'appelant, et la SCA de La Perrigne ne fournit aucune explication et ne produit aucune pièce pour tenter de caractériser, à la date du licenciement, une désorganisation de l'entreprise ou une perturbation de son fonctionnement liée à l'absence de l'appelant depuis 7 mois et qui aurait nécessité de procéder à son remplacement définitif ;- quelle qu'ait été la date d'embauche de Mme Amandine C..., dès lors que l'entreprise comptait trois lads embauchés en CDI et en activité effective à temps plein tant au 31 janvier 2011 qu'à la date du licenciement de M. Pascal X...et que l'intimée est défaillante à rapporter la preuve d'une perturbation du fonctionnement de l'entreprise liée à l'absence prolongée de l'appelant, l'embauche de cette salariée en CDI ne peut pas non plus être considérée comme ayant été rendue nécessaire pour procéder au remplacement définitif de M. Pascal X...en raison des perturbations générées par son absence prolongée.
La SCA de La Perrigne étant défaillante à rapporter la preuve, qui lui incombe, de l'existence, au moment du licenciement, de perturbations du fonctionnement de l'entreprise liées à l'absence prolongée de M. Pascal X...et entraînant la nécessité pour elle de procéder à son remplacement définitif par l'engagement d'un autre salarié, par voie d'infirmation du jugement déféré, le licenciement de ce dernier ne peut qu'être déclaré dépourvu de cause réelle et sérieuse.
M. Pascal X...comptant, au moment de son licenciement, plus de deux ans d'ancienneté dans une entreprise employant habituellement moins de onze salariés, trouvent à s'appliquer les dispositions de l'article L. 1235-5 du code du travail selon lequel, en cas de licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, le salarié peut prétendre à une indemnité correspondant au préjudice subi. En considération de la situation particulière de M. Pascal X..., notamment de son âge (42 ans) et de son ancienneté (15 ans et 3 mois) au moment de la rupture, de sa capacité à retrouver un emploi compte tenu de sa formation (situation de chômage établie jusqu'en février 2012, baisse de revenus de moitié établie pour l'année 2012 et baisse de revenus de l'ordre de 5 000 ¿ établie au titre de l'année 2013) et des circonstances de la rupture, la cour dispose des éléments nécessaires pour évaluer le préjudice résultant pour lui du licenciement injustifié à la somme de 15 000 ¿.
Aux termes de l'article L. 1232-4 du code du travail, " La lettre de convocation à l'entretien préalable adressée au salarié mentionne la possibilité de recourir à un conseiller du salarié et précise l'adresse des services dans lesquels la liste de ces conseillers est tenue à sa disposition. ".
La convocation à l'entretien préalable adressée à M. Pascal X...comporte une irrégularité, non discutée, liée au fait qu'elle ne mentionne pas l'adresse de la mairie de Saint Corneille (72), lieu du siège de la SCA de La Perrigne où l'entretien préalable était fixé et où il aurait pu consulter la liste des conseillers du salarié. Il est nécessairement résulté de cette irrégularité un préjudice que les premiers juges ont exactement apprécié en allouant à M. Pascal X...la somme de 400 ¿. Ce chef de décision sera confirmé.
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant publiquement, en matière sociale, par arrêt contradictoire et en dernier ressort ;
Infirme le jugement entrepris en ce qu'il a débouté M. Pascal X...de ses demandes pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et d'indemnité de procédure ;
Le confirme en toutes ses autres dispositions ;
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Déclare le licenciement de M. Pascal X...dépourvu de cause réelle et sérieuse et condamne la SCA de La Perrigne à lui payer la somme de 15 000 ¿ à titre de dommages et intérêts pour licenciement injustifié ;
Condamne la SCA de La Perrigne à lui payer la somme de 1 200 ¿ au titre de ses frais irrépétibles de première instance et d'appel ;
Déboute la SCA de La Perrigne de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile ;
La condamne aux dépens d'appel.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,
V. BODINAnne JOUANARD