COUR D'APPEL
d'ANGERS
Chambre Sociale
ARRÊT N
aj/ jc
Numéro d'inscription au répertoire général : 12/ 01472.
Jugement Au fond, origine Conseil de Prud'hommes-Formation paritaire de SAUMUR, décision attaquée en date du 26 Juin 2012, enregistrée sous le no F 11/ 00111
ARRÊT DU 08 Septembre 2015
APPELANTE :
SA AFFINERIE D'ANJOU
Le Piqueron
49490 LINIERES BOUTON
représentée par Maître Adeline MOREAU, avocat substituant Maître Nicolas BEDON de la SCP DELAGE-BEDON-ROUXEL, avocats au barreau d'ANGERS.
INTIME :
Monsieur Stéphane X...
...
49490 AUVERSE
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Partielle numéro 2012/ 006912 du 14/ 09/ 2012 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de ANGERS)
non comparant-représenté par Maître Alain GUYON de la SCP ALAIN GUYON-PAUL CAO, avocats au barreau d'ANGERS
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 22 Juin 2015 à 14H00, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Anne JOUANARD, président chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Anne JOUANARD, président
Madame Catherine LECAPLAIN-MOREL, conseiller
Madame Anne LEPRIEUR, conseiller
Greffier : Madame BODIN, greffier.
ARRÊT :
prononcé le 08 Septembre 2015, contradictoire et mis à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par Madame Anne JOUANARD, président, et par Madame BODIN, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
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FAITS ET PROCÉDURE,
M Stéphane X...a été embauché par la société Affinerie d'Anjou en contrat de travail à durée déterminée du 15 juin au 15 septembre 2001 en qualité d'aide fondeur et la relation de travail s'est poursuivie à compter du 16 septembre par la signature d'un contrat de travail à durée indéterminée.
La société Affinerie d'Anjou est spécialisée dans le recyclage et l'affinage d'alliage d'aluminium ; elle emploie 28 salariés et la convention collective applicable à la relation de travail entre les parties était celle de la métallurgie.
Le 5 juillet 2011 M X...a été convoqué à un entretien préalable à licenciement pour le 12 juillet suivant avec mise à pied conservatoire et il a été licencié pour faute grave le 19 juillet 2011.
Dans le dernier état de la relation de travail, M X...percevait un salaire brut de 2 099, 43 ¿.
Contestant son licenciement et estimant que son contrat de travail à durée déterminée devait être requalifié en contrat de travail à durée indéterminée, le 2 septembre 2011, M X...a saisi le conseil de prud'hommes de demandes d'indemnisation subséquentes.
Par jugement en date du 26 juin 2012 le conseil de prud'hommes de Saumur :
- a dit que M X...avait été licencié sans cause réelle et sérieuse et a condamné la société Affinerie d'Anjou à lui verser les sommes de 12 000 ¿ à titre de dommages et intérêts sur le fondement de l'article L. 1235-3 du code du travail, 4 198, 86 ¿ au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement, 4 618, 74 ¿ au titre de l'indemnité de préavis incidence des congés payés incluse, 1 594, 76 ¿ au titre du salaire pendant la mise à pied
-a dit que les condamnations de nature salariale porteront intérêts au taux légal à compter de la demande et celles de nature indemnitaire à compter du jugement,
- a ordonné l'exécution provisoire de toutes ses condamnations sur le fondement de l'article 515 du code de procédure civile,
- a débouté M X...de ses autres demandes,
- a condamné la société Affinerie d'Anjou aux dépens.
Par courrier électronique du 10 juillet 2012 la société Affinerie d'Anjou a régulièrement relevé appel de ce jugement.
MOYENS ET PRÉTENTIONS,
Dans ses dernières conclusions régulièrement communiquées déposées le 6 janvier 2015 et à l'audience, la société Affinerie d'Anjou demande à la cour :
- de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté la demande d'indemnité de requalification de M X...,
- de l'infirmer en ses autres dispositions et, en conséquence, de dire et juger que le licenciement de M. X...était fondé sur une cause réelle et sérieuse et que son comportement caractérisait une faute grave, de le débouter de toutes ses demandes et de le condamner à lui verser la somme de 2 000 ¿ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens, et ce compris ceux d'exécution, et le droit prévu à l'article 10 du décret du 12 décembre 1996.
Elle fait essentiellement valoir :
- que l'action de M X...en paiement d'une indemnité de requalification de son contrat de travail à durée déterminée qui a pris fin le 15 septembre 2001 est prescrite en application de l'article 2224 du code civil ou, en toute hypothèse, de l'article L. 143-14 du code du travail ; que par ailleurs dans la mesure où le contrat de travail à durée déterminée s'est poursuivi le 16 septembre 2001 par un contrat de travail à durée déterminée avec effet rétroactif, sa demande de requalification est mal fondée.
- que le licenciement de M X...était légitime au regard des griefs avérés contenus dans la lettre de licenciement à savoir des absences injustifiées réitérées-malgré les remontrances et avertissements antérieurs-et sans prévenir qui caractérisent des actes d'insubordination, un abandon de poste et une exécution déloyale du contrat de travail ; que la poursuite de ces absences l'autorisait à se prévaloir de ses absences antérieures ayant déjà donné lieu à sanction ; que ces faits sont caractéristiques d'une faute grave compte tenu de leur réitération et de leur imprévisibilité et des conséquences sur l'organisation du travail de l'équipe à laquelle le salarié appartient dans l'entreprise.
Dans ses dernières conclusions régulièrement communiquées déposées le 3 avril 2014 et à l'audience M X...demande à la cour de confirmer le jugement entrepris en ses dispositions non contraires à ses demandes et y ajoutant :
- de condamner la société Affinerie d'Anjou à lui verser la somme de 1 500 ¿ à titre d'indemnité de requalification sur le fondement de l'article L. 1245-2 alinéa 2 du code du travail,
- d'ordonner sous astreinte la délivrance d'une attestation Pole emploi, d'un bulletin de salaire et d'un certificat de travail conformes à la décision à intervenir,
- de condamner la société Affinerie d'Anjou à lui verser la somme de 1 500 ¿ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et à son avocat celle de 1 200 ¿ sur le fondement de l'article 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991 et aux dépens.
Il soutient en résumé :
- sur sa demande d'indemnité de requalification : que son contrat de travail à durée déterminée du 14 juin 2001 ne comporte pas de motif de sorte que sa requalification en contrat de travail à durée indéterminée s'impose ; qu'il est recevable et fondé en sa demande d'indemnité qui, contrairement à ce que soutient la société Affinerie d'Anjou, n'est pas prescrite ;
- sur son licenciement : que si la continuité d'un comportement fautif peut justifier le licenciement d'un salarié, encore faut-il que ces comportements n'aient pas déjà été sanctionnés de sorte qu'en l'espèce ses seules absences qui peuvent être prises en compte sont celles des 8 avril et 29 juin 2011 ; que celle du 8 avril-qui est antérieure de plus de deux mois à l'engagement de la procédure-ne figure pas comme telle sur son bulletin salaire ce dont il se déduit que l'employeur ne l'a pas considéré comme fautive ; qu'il ne reste donc comme grief que son absence du 29 juin 2011 qui n'est pas non plus portée comme telle sur son bulletin de salaire et qui, à elle seule, ne peut constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement ;
- que ses demandes d'indemnisation sont justifiées.
Pour plus ample exposé des moyens et prétentions des parties il convient de se reporter à leurs écritures ci dessus visées figurant au dossier de la procédure et aux débats à l'audience du 22 juin 2015.
MOTIFS DE LA DÉCISION,
Sur la requalification,
M Stéphane X...a été embauché par la société Affinerie d'Anjou en contrat de travail à durée déterminée du 15 juin au 15 septembre 2001 en qualité d'aide fondeur et la relation de travail entre les parties s'est poursuivie à compter du 16 septembre 2001 par la signature d'un contrat de travail à durée indéterminée.
En application des dispositions de l'article L. 1242. 12 du code du travail, le contrat de travail à durée déterminée qui a un caractère dérogatoire, est établi par écrit et il comporte la définition précise de son motif, à défaut de quoi il est réputé conclu pour une durée indéterminée.
L'action en requalification d'un contrat de travail à durée déterminée irrégulier en contrat de travail à durée indéterminée est soumise à la prescription de droit commun ; elle était soumise à la prescription trentenaire que la loi du 17 juin 2008 a réduite à cinq ans.
Le 2 septembre 2011 à la date à laquelle M X...a saisi le conseil de prud'hommes ces délais n'étaient pas expirés de sorte que la société n'est pas fondée à opposer la prescription à cette demande.
Le contrat de travail à durée déterminée du 14 juin 2001 produit aux débats ne comporte pas mention de son motif de sorte qu'il est incontestablement irrégulier et doit donc être réputé conclu pour une durée indéterminée.
La circonstance que ce contrat de travail à durée déterminée se soit poursuivi à son échéance par un contrat de travail à durée indéterminée, même avec reprise de l'ancienneté, ne prive pas M X...du droit d'en demander la requalification dès lors qu'il était incontestablement irrégulier.
Il y a lieu en conséquence faire droit à sa demande de ce chef.
Les dispositions de l'article L. 1245-2 du code du travail stipulent que, lorsque le juge fait droit à la demande de requalification, il accorde au salarié une indemnité à la charge de l'employeur ne pouvant être inférieure à un mois de salaire.
Le jugement entrepris doit donc être infirmé de ce chef et la société Affinerie d'Anjou condamnée à verser à M. X...la somme demandée et non discutée en son quantum de 1 500 ¿ à titre d'indemnité de ce chef.
Sur le licenciement,
Il appartient à la cour de vérifier que le licenciement a une cause objective reposant sur des griefs matériellement vérifiables qui doivent être établis par l'employeur, constitués la véritable raison du licenciement et être suffisamment pertinents pour le justifier.
Au surplus au cas d'espèce, la faute visée dans la lettre de licenciement de M. X...ayant été qualifiée de grave, il faut qu'elle résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible la poursuite du contrat de travail et le maintien du salarié dans l'entreprise, même pendant la durée du préavis.
La lettre de licenciement du 19 juillet 2011 qui fixe les limites de la cour est ainsi libellée :
« Nous avons le regret, par la présente, de vous notifier votre licenciement pour faute grave.
Vous ne vous êtes pas présenté à votre poste de travail le 29 juin 2011 sans justifier de cette absence lors de votre retour dans l'entreprise alors que nous vous avions avisé de ne plus faire preuve d'un tel comportement.
En effet ces agissements, extrêmement pénalisants pour l'entreprise, se sont réitérés à plusieurs reprises et en dernier lieu le 8 avril 2011, date à laquelle, sans aucune information de votre part, sans avoir jamais adressé un quelconque justificatif, vous ne vous êtes pas présenté au travail.
De même le 17 juillet 2009 vous ne vous êtes pas présenté à votre poste de nuit sans que l'on en ait été informé et sans que vous ayez justifié cette absence. Il vous a été notifié une sanction disciplinaire.
Enfin, en septembre 2009, soit deux mois seulement après votre absence injustifiée ayant donné lieu à sanction, vous aviez demandé à bénéficier d'un congé sans solde pour les 22, 23, 24 et 25 septembre. Nous n'avions pu vous donner notre accord pour une prise de congé à ces dates. Malgré ce défaut d'autorisation, vous ne vous êtes pas présenté à votre poste de travail durant quatre jours ! ! !
Cet acte traduisait en outre une véritable insubordination de votre part et une exécution déloyale de vos obligations contractuelles en ce que vous aviez délibérément ignoré · nos directives et que vous vous êtes absenté sans nous prévenir ni, justifier de cette absence. Pour ces faits, vous avez également fait l'objet d'une sanction disciplinaire.
Ces absences injustifiées, et pour lesquelles vous n'avez jamais pris la peine de nous informer de leur survenance, démontrent de votre part une totale méconnaissance de vos obligations contractuelles les plus élémentaires.
Elles préjudicient à l'organisation du travail et leur répétition illustre le caractère délibéré avec quel vous agissez, au mépris de vos collègues de travail et de nos engagements avec nos clients.
EIles constituent en outre un abandon de poste et caractérisent l'exécution déloyale de votre contrat de travail de telle sorte que votre maintien dans l'entreprise n'est plus possible.
Votre licenciement prendra effet dès première présentation de ce courrier sans préavis ni indemnité à l'exception de l'indemnité compensatrice de congés payés ».
Suivent les mentions relatives à la couverture prévoyance et au droit DIF ainsi que la renonciation par l'employeur à l'application de toute clause contractuelle de non concurrence.
Les absences reprochées à M. X...dans la lettre de licenciement sont établies et elles ne sont d'ailleurs pas contestées dans leur matérialité. M X...ne justifie pas par ailleurs qu'il en ait préalablement averti son employeur et/ ou qu'il les ait justifiées par la suite voire même qu'elles aient été « justifiables ».
Il soutient seulement que, parmi ses absences antérieures, certaines ont déjà été sanctionnées et que d'autres sont antérieures de plus de deux mois à l'introduction de la procédure de licenciement et n'ont pas été considéré comme fautives de sorte qu'il ne demeure que celle du 29 juin 2011 qui ne peut justifier, à elle seule, son licenciement, au surplus pour faute grave.
Si l'article L. 1332-4 du code du travail dispose qu'aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance l'employeur peut cependant invoquer une faute prescrite lorsqu'un nouveau fait fautif du salarié est constaté dès lors que les deux fautes procèdent d'un comportement identique.
Par ailleurs si un même fait fautif ne peut être sanctionné deux fois, l'existence de nouveaux griefs autorise l'employeur à retenir des fautes antérieures, même déjà sanctionnées, pour apprécier la gravité des faits reprochés au salarié, à condition que la sanction alors invoquée ne soit pas antérieure de plus de trois ans à l'engagement des nouvelles poursuites disciplinaires.
Dans la lettre de licenciement et pour le justifier, l'employeur reproche à M. X...une absence injustifiée le 29 juin 2011, ce fait s'étant donc produit dans le délai de deux mois précédant sa convocation à l'entretien préalable à licenciement ; il ajoute une précédente absence non justifiée et sans prévenir le 8 avril 2011 qui certes date de plus de deux mois mais dont le fait qu'elle n'ait pas donné lieu à sanction ne permet pas de lui ôter son caractère injustifié.
Son absence du 29 juin 2011 caractérise ainsi la persistance d'un comportement identique consistant à ne pas venir travailler sans prévenir et sans justifier d'un motif légitime.
Elle marque un comportement récurrent de la part de M. X...de désinvolture, de non respect de ses obligations contractuelles voire d'insubordination qui doit être considéré comme particulièrement grave dans la mesure où il avait déjà été sanctionné pour des faits identiques moins de trois ans auparavant soit, ainsi que cela résulte de la lettre de licenciement et qu'il ne le discute pas, le 17 juillet 2009 pour ne pas s'être présenté à son poste de nuit sans en avoir informé l'employeur et sans avoir justifié cette absence et, en septembre 2009, soit seulement deux mois plus tard, pour ne pas s'être présenté à son poste de travail les 22, 23, 24 et 25 septembre alors qu'il n'avait pas été fait droit à sa demande de congés sans solde pour cette période.
Par ailleurs M. X...ne fait aucune observation sur le fait que ses absences réitérées et sans prévenir, et notamment celle du 29 juin 2011, ont entraîné des perturbations dans l'organisation de l'équipe de quatre ouvriers avec lequel il travaille par un redistribution nécessaire des tâches affectées à chacun et un ralentissement de la production.
Il s'ensuit que le licenciement pour faute grave de M. X...doit être considéré comme justifié.
Le jugement entrepris doit donc être infirmé de ce chef et M X...débouté de toutes ses demandes d'indemnisation au titre de son licenciement.
L'équité commande le rejet des demandes des parties fondées sur l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
La cour, statuant publiquement en matière sociale par arrêt contradictoire et en dernier ressort
INFIRME le jugement entrepris en toutes ses dispositions.
STATUANT à nouveau et y AJOUTANT :
REJETTE le moyen tiré de la prescription de l'action de M X...en requalification de son contrat de travail à durée déterminée en contrat de travail à durée indéterminée.
REQUALIFIE en contrat de travail à durée indéterminée le contrat de travail à durée déterminée du 14 juin 2001.
CONDAMNE la société Affinerie d'Anjou à verser à M. X...la somme de 1 500 ¿ au titre de l'indemnité de requalification.
DEBOUTE M X...de toutes ses demandes au titre de son licenciement.
DEBOUTE la société Affinerie d'Anjou et M. X...de leurs demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile.
CONDAMNE la société Affinerie d'Anjou aux dépens de première instance et d'appel.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,
V. BODINAnne JOUANARD