COUR D'APPEL d'ANGERS Chambre Sociale
Numéro d'inscription au répertoire général : 13/ 00063.
Jugement Au fond, origine Conseil de Prud'hommes-Formation paritaire de LAVAL, décision attaquée en date du 06 Décembre 2012, enregistrée sous le no F 12/ 00066
ARRÊT DU 09 Juin 2015
APPELANTS :
LA SARL Ledauphin ZI Sud Route du Mans 53960 BONCHAMPS
Maître Guillaume X... es-qualité de mandataire liquidateur de la sarl Ledauphin ... 53000 LAVAL
non comparants-représentés par Maître LE GOURIFF, avocat substituant Maître Pascal LANDAIS de la SELARL OUTIN GAUDIN et ASSOCIES, avocat au barreau de LAVAL
L'Association pour la gestion du régime de garantie des créances des salariés intervenant par L'UNEDIC CGEA DE RENNES Immeuble Le Magister 4 cours Raphaël Binet-CS 96925 35069 RENNES CEDEX
représentée par Maître FOLLEN, avocat substituant Maître CREN de la SELARL OUTIN GAUDIN et ASSOCIES, avocats au barreau de LAVAL
INTIME :
Monsieur Jean-Claude Y...... 53410 LE BOURGNEUF LA FORET
non comparant-représenté par Maître COME, avocat substituant Maître BRETON de la SELARL ZOCCHETTO-RICHEFOU ET ASSOCIES, avocats au barreau de LAVAL
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 28 Avril 2015 à 14H00, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Clarisse PORTMANN, conseiller chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Anne JOUANARD, président Madame Catherine LECAPLAIN-MOREL, conseiller Madame Clarisse PORTMANN, conseiller
Greffier : Madame BODIN, greffier.
ARRÊT : prononcé le 09 Juin 2015, contradictoire et mis à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par Madame Anne JOUANARD, président, et par Madame BODIN, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
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FAITS ET PROCÉDURE :
M. Jean Claude Y... a été embauché le 21 juin 1988 par la société Piau, entreprise de maçonnerie située à Bourgneuf la Forêt (Mayenne), en qualité de maçon, Q3, coefficient 200, suivant contrat à durée déterminée, qui s'est poursuivi en contrat à durée indéterminée.
La société Piau a été reprise par la société Ledauphin, dont le siège social était à Bonchamp (53).
Le 21 novembre 2011, M. Z..., responsable de l'agence de Bourgneuf la Forêt remettait à M. Jean Claude Y..., contre émargement, une convocation à un entretien devant avoir lieu le vendredi 25 novembre suivant, à 17 heures 30, avec le gérant de la société Ledauphin, au siège social de cette dernière.
A cette date, M. Jean Claude Y... rédigeait un document par lequel il remettait sa démission à effet immédiat.
Le 13 décembre 2011, il saisissait le conseil de prud'hommes de Laval, statuant en référé aux fins de voir déclarer sa démission nulle et non avenue et voir la société Ledauphincondamnée à lui payer une indemnité de préavis ainsi qu'une indemnité de licenciement, et à lui remettre une attestation Pôle Emploi rectifiée. Par ordonnance du 17 février 2012, le conseil de prud'hommes de Laval, statuant en référé, s'est déclaré incompétent et a renvoyé les parties à ses pourvoir au fond.
Le 4 avril 2012, M. Jean Claude Y... a donc saisi la même juridiction, cette fois ci au fond, pour voir prononcer la nullité de sa démission, requalifier la rupture du contrat de travail en licenciement sans cause réelle et sérieuse, et obtenir le paiement de diverses indemnités.
Par un jugement du 6 décembre 2012, le conseil de prud'hommes de Laval a :- requalifié la rupture du contrat de travail de M. Jean Claude Y... de démission en licenciement sans cause réelle et sérieuse,- condamné la société Ledauphinà lui verser les sommes suivantes : *12011, 79 euros au titre de l'indemnité de licenciement, *3711, 80 euros au titre de l'indemnité de préavis et 371, 18 euros au titre des congés payés y afférents, *22270 euros au titre de l'indemnité sans cause réelle et sérieuse,- débouté M. Jean Claude Y... de sa demande de dommage et intérêts pour préjudice moral,- condamné M. Jean Claude Y... à verser à la société Ledauphinla somme de 1136, 62 euros en remboursement d'un paiement indu,- condamné la société Ledauphinà rembourser aux organismes concernés trois mois d'allocation chômage,- condamné la société Ledauphinà payer à M. Jean Claude Y... la somme de 2000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,- débouté la société Ledauphinde sa demande pour frais irrépétibles,- condamné la Société Ledauphinaux dépens.
La société Ledauphina interjeté appel de cette décision, qui lui avait été notifiée le 13 décembre 2012, par lettre recommandée postée le 8 janvier 2013.
Elle a été placée en redressement judiciaire par un jugement du tribunal de commerce de Laval du 2 octobre 2013. Cette procédure a été convertie en liquidation judiciaire par une décision du 17 décembre 2014, la Selarl Guillaume X... ès qualités étant désignée en qualité de mandataire liquidateur.
MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :
Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties il est renvoyé, aux dernières conclusions respectivement :- du 15 janvier 2015 pour la Selarl Guillaume X... ès qualités,- du 17 mars 2015 pour M. Jean Claude Y...,- du 21 avril 2015 pour l'AGS, soutenues à l'audience, ici expressément visées et qui peuvent se résumer comme suit.
La Selarl Guillaume X... ès qualités demande à la cour : A titre principal :- d'infirmer le jugement déféré en ce qu'il a requalifié la démission de M. Jean Claude Y... en un licenciement sans cause réelle et sérieuse et en ce qu'il a condamné la société Ledauphinà payer au salarié diverses indemnités ;- de le confirmer en ce qu'il a condamné M. Jean Claude Y... à verser à l'employeur la somme de 1136, 52 euros en répétition de l'indu,- de déclarer les demandes de M. Jean Claude Y... infondées et de les rejeter, A titre subsidiaire,- de limiter la condamnation au titre du préavis à la somme de 3172, 98 euros bruts, congés payés afférents compris, compte tenu du versement déjà effectué, En toute hypothèse,- de condamner M. Jean Claude Y... à verser à la Selarl Guillaume X... ès qualités la somme de 3000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
La Selarl Guillaume X... ès qualités fait en effet valoir que M. Jean Claude Y... a été convoqué par le gérant de la société Ledauphinen raison de la mauvaise qualité de son travail, mais pas en vue d'un éventuel licenciement, qu'au cours de l'entretien, il lui a été indiqué qu'il irait travailler à Bonchamp pour intégrer une équipe plus importante permettant un meilleur encadrement, mais que le salarié a refusé cette modification des modalités d'exécution de son contrat de travail, ce qu'il ne pouvait légitimement faire, préférant donner sa démission.
Elle conteste que la volonté de M. Jean Claude Y... n'ait pas été libre et éclairée, soulignant que celui-ci avait la qualité de chef de chantier, encadrant des maçons, devant remplir des comptes rendus de chantier et lire des documents techniques. Elle soutient encore que M. Jean Claude Y... ne démontre pas le vice du consentement dont il prétend avoir été la victime et prétend que la lettre de démission n'est aucunement équivoque, faisant valoir que l'intimé a attendu une quinzaine de jours avant de se rétracter.
Subsidiairement, la Selarl Guillaume X... ès qualités fait observer que M. Jean Claude Y... ne justifie pas de son préjudice matériel, et que le préjudice moral qu'il invoque est en réalité financier. Elle indique qu'elle a déjà versé 910 euros à M. Jean Claude Y... correspondant à la période de préavis et qu'elle a, à tort, effectué un virement de 1136, 62 euros au profit de son ancien salarié le 10 février 2012. Elle en sollicite par suite le remboursement.
M. Jean Claude Y... sollicite de la cour qu'elle confirme le jugement du conseil de prud'hommes de Laval sauf en ce qu'il l'a débouté de sa demande de dommages et intérêts pour préjudice moral, qu'elle condamne la Selarl Guillaume X... ès qualités à lui payer une somme de 10000 euros au titre dudit préjudice " résultant de la délivrance d'une attestation Assedic ne permettant pas de bénéficier de l'indemnité de retour à l'emploi et correspondant au manque à gagner de la non-attribution de l'allocation d'aide au retour à l'emploi ", outre une somme de 3000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Il fait valoir qu'il pensait qu'il était convoqué à un entretien en vue d'un licenciement, qu'après lui avoir exposé ses griefs, le gérant de la société Ledauphinlui a dit qu'il irait travailler à Bonchamp et que face à son souhait de continuer à travailler à Bourneuf La Forêt, M. Ledauphinlui a dicté, dans son bureau, une lettre, dont il n'a pas eu le double. Il précise qu'il pensait avoir été licencié, et que ce n'est que lorsqu'il a reçu l'attestation Pôle Emploi, qu'avec sa fille, il a compris qu'il avait donné sa démission. Il soutient que toujours avec l'aide de sa fille, il a envoyé une lettre de protestation à la Société Ledauphin, et qu'il s'est présenté au travail le 12 décembre suivant, mais que l'accès de l'entreprise lui été refusé.
M. Jean Claude Y... prétend que la lettre de démission a donc été écrite sous la contrainte, qu'elle a été extorquée et qu'elle ne révèle pas une intention claire et non équivoque de démissionner.
Sur son préjudice, il précise qu'il ne perçoit aucune allocation Pôle Emploi et qu'il est dans une situation catastrophique, d'extrême précarité.
Le CGEA de Rennes et l'Ags demandent à la cour ;- de donner acte à l'AGS de son intervention,- de réformer le jugement entrepris et de débouter M. Jean Claude Y... de l'intégralité de ses demandes,- subsidiairement, au cas où une créance sera fixée au passif de la liquidation judiciaire de la Société Ledauphin, de dire et juger que cette créance ne sera garantie par l'Ags que dans les limites prévues par l'article L. 3253-8 du code du travail et les plafonds prévus par les articles L. 3253-17 et D. 3253-5 du même code,- de condamner M. Jean Claude Y... aux dépens.
Ils font valoir que M. Jean Claude Y... ne démontre pas le vice du consentement qu'il invoque, rappelant qu'il avait la qualité de chef de chantier, et rejoint les observations de la Selarl Guillaume X... ès qualités concernant le caractère prétendument équivoque de la démission.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Il convient tout d'abord de préciser que, compte tenu de l'ouverture à l'égard de la Société Ledauphind'une procédure collective, M. Jean Claude Y... ne peut solliciter la condamnation de l'entreprise mais seulement la fixation de ses créances dans la liquidation judiciaire ouverte à son égard.
I-Sur la démission de M. Jean Claude Y... :
La démission ne peut résulter que d'une manifestation claire et non équivoque de volonté du salarié de rompre son contrat de travail.
Or, en l'espèce, il convient d'observer que la lettre dont s'agit a été donnée dans les circonstances suivantes :- lors d'un entretien pour lequel M. Jean Claude Y... avait été convoqué quelques jours plus tôt, par une lettre remise contre émargement, formalisme inhabituel qui pouvait laisser penser au salarié qu'il ferait l'objet d'une sanction disciplinaire ou d'un licenciement,- dans le bureau du gérant de la société, au siège de cette dernière, alors qu'il est constant qu'il était rattaché à l'agence de Bourneuf la Forêt, laquelle avait un responsable en la personne de M. Z...,- après que l'employeur ait fait des reproches au salarié sur la qualité de son travail et lui ait fait part de sa volonté de l'affecter à des équipes rattachées à Bonchamp,
Dans ce contexte particulièrement impressionnant et perturbant, où un salarié convoqué de manière à laisser planer un doute sur son avenir professionnel, un vendredi soir après sa semaine de travail, et face à un employeur qui entendait lui imposer un changement, fut il limité aux seules modalités d'exécution de son travail, qui n'en demeurait pas moins pour M. Jean Claude Y..., important, la démission donnée par celui-ci ne pouvait résulter d'une volonté libre, ce que corroborent l'écriture tremblante et peu assurée de la lettre, ainsi que le fait que, dès le 13 décembre suivant, soit moins de quinze jours plus tard, M. Jean Claude Y... a saisi le conseil de prud'hommes aux fins d'en solliciter la nullité.
En outre, la lettre de démission n'est pas dénuée d'équivoque. En effet, elle est rédigée d'une écriture hésitante et peu habile, émanant manifestement d'une personne qui a des difficultés à écrire, étant précisé que les comptes rendus de chantier que le salarié devait rédiger nécessitaient juste de remplir les horaires et le lieu de travail, le mot " démission " étant d'ailleurs quasiment illisible, M. Jean Claude Y... ayant plutôt écrit " démion ". Force est d'ailleurs de constater qu'il n'est pas contesté que M. Jean Claude Y... s'est rendu au travail le 12 décembre 2011, ce qui confirme qu'il n'avait pas compris le sens de son courrier.
Dès lors, en l'absence de manifestation claire et non équivoque d'une volonté libre de démissionner, la rupture du contrat de travail doit être requalifiée en licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Le jugement du conseil de prud'hommes de Laval sera donc, de ce chef, confirmé.
Compte tenu de la requalification intervenue, M. Jean Claude Y... est en droit de prétendre à une indemnité de préavis de deux mois, aux congés payés y afférents et à une indemnité de licenciement. Les montants alloués par le conseil de prud'hommes ne sont pas contestés dans leur principe. Par suite, il convient de fixer la créance de M. Jean Claude Y... à la procédure de liquidation judiciaire de la Société Ledauphinaux sommes retenues par les premiers juges, sauf à déduire de l'indemnité de préavis, la somme de 910 euros payée à ce titre par la société Ledauphin.
M. Jean Claude Y... a été licencié à l'âge de 48 ans, alors qu'il avait une ancienneté de plus de 23 ans. Il ne justifie pas de la situation qui a été la sienne depuis cette date. Compte tenu de ces éléments et de son dernier salaire, de l'ordre de 1900 euros, il apparaît que l'évaluation faite par le conseil de prud'hommes de Laval du préjudice lié à la rupture abusive du contrat de travail n'est aucunement excessive.
Il motive sa demande de dommages et intérêts pour préjudice moral en faisant valoir que celui-ci résulte " de la délivrance d'une attestation Assedic ne permettant pas de bénéficier de l'indemnité de retour à l'emploi et correspondant au manque à gagner de la non-attribution de l'allocation d'aide au retour à l'emploi ". Il s'agit donc en réalité d'une demande en réparation de son préjudice financier. Or, celui-ci a déjà été réparé par les sommes ci-dessus allouées. Ce chef de demande sera donc rejeté.
Enfin, il convient de fixer à trois mois le montant des indemnités Pôle Emploi que devra rembourser la Selarl Guillaume X... ès qualités, ainsi qu'il sera dit au dispositif.
II-Sur le paiement indu :
La Selarl Guillaume X... ès qualités justifie que la société Ledauphina effectué un virement de 1136, 62 euros au profit de M. Jean Claude Y... le 10 février 2012 au titre de son salaire. M. Jean Claude Y... ayant quitté l'entreprise, il s'agit d'un paiement indu, dont le remboursement doit être ordonné. Le jugement sera donc confirmé sur ce point.
III-Sur les demandes accessoires :
La présente disposition sera déclarée opposable au CGEA et à l'AGS, dont les garanties s'appliqueront dans les limites fixées au dispositif.
La Selarl Guillaume X... ès qualités succombant en cause d'appel, il convient de confirmer la décision entreprise en ses dispositions relatives aux dépens et à l'article 700 du code de procédure civile.
Pour les mêmes motifs, elle supportera les dépens de l'instance d'appel, sera condamnée à verser à son adversaire une somme de 1800 euros au titre des frais irrépétibles qu'il a exposés en cause d'appel, et subséquemment déboutée de la demande présentée à ce titre.
PAR CES MOTIFS,
La cour statuant en matière sociale, publiquement et contradictoirement,
- Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a :- requalifié la rupture du contrat de travail de M. Jean Claude Y... de démission en licenciement sans cause réelle et sérieuse,- débouté M. Jean Claude Y... de sa demande de dommage et intérêts pour préjudice moral,- condamné M. Jean Claude Y... à verser à la société Ledauphinla somme de 1 136, 62 euros en remboursement d'un paiement indu,- condamné la société Ledauphinà payer à M. Jean Claude Y... la somme de 2000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Compte tenu de la liquidation judiciaire intervenue et y ajoutant :
- Fixe comme suit les sommes dues à M. Jean Claude Y... dans le cadre de la procédure collective ouverte à l'égard de la société Ledauphin : *12 011, 79 euros au titre de l'indemnité de licenciement, *3 711, 80 euros au titre de l'indemnité de préavis et 371, 18 euros au titre des congés payés y afférents, dont à déduire la somme de 910 euros déjà payée, *22 270 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- Ordonne le remboursement des indemnités versées par Pôle Emploi arrêtées la date de la présente décision et dans la limite de trois mois,
- Déclare la présente décision opposable au gérant de l'AGS dans les limites et plafonds prévus par l'article L. 3253-8, L. 3253-17 et D. 3253-5 du code du travail,
- Condamne Me X... ès qualités à payer à M. Y... une somme de 1800 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- Rejette les demandes pour le surplus,
- Condamne la Selarl Guillaume X... ès qualités aux dépens d'appel.