COUR D'APPEL d'ANGERS Chambre Sociale
ARRÊT N
cp/ jc
Numéro d'inscription au répertoire général : 13/ 00501
numéro d'inscription du dossier au répertoire général de la juridiction de première instance Jugement Au fond, origine Conseil de Prud'hommes-Formation paritaire de VANNES, décision attaquée en date du 26 Décembre 2008, enregistrée sous le no 07/ 00027
ARRÊT DU 05 Mai 2015
APPELANT :
Monsieur Jean-Yves X...... 56800 PLOERMEL
comparant-assisté de Maître Françoise GRUNBERT-MOISSARD de la SCP GRUNBERT-GRUNBERG-MOISSARD-BELLEC-MARTIN, avocats au barreau de VANNES
INTIMES :
LA SCP GERARD Y..., ès qualités de représentant des créanciers de la SA ACIERIES DE PLOERMEL... 56300 LE SOURN
Maître Michel Z..., mandataire judiciaire, ès qualités d'administrateur de la SA ACIERIES DE PLOERMEL ... 35000 RENNES
non comparants-représentés par Maître Bruno LOUVEL, avocat au barreau de RENNES-No du dossier 070730
L'ASSOCIATION POUR LA GESTION DU REGIME DE GARANTIE DES CREANCES DES SALARIES intervenant par l'UNEDIC CGEA de DE RENNES Délégation Régionale AGS CENTRE OUEST Immeuble Le Magister-4 Cours Raphaël Binet 35069 RENNES CEDEX
non comparante-représentée par Maître Bertrand CREN de la SELARL LEXCAP-BDH, avocat au barreau D'ANGERS
LA SA ACIERIES DE PLOERMEL, aujourd'hui dissoute Ayant eu son siège 18 rue du Pardon 56800 PLOERMEL
COMPOSITION DE LA COUR : L'affaire a été débattue le 31 Mars 2015 à 14H00 en audience publique et collégiale, devant la cour composée de :
Madame Anne JOUANARD, président Madame Catherine LECAPLAIN-MOREL, assesseur Madame Clarisse PORTMANN, assesseur
qui en ont délibéré
Greffier : Madame BODIN, greffier
ARRÊT : du 05 Mai 2015, contradictoire, prononcé publiquement, par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par Madame Anne JOUANARD, Président, et par Madame BODIN, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS ET PROCÉDURE :
M. X... a été embauché par la société la société Acieries de Ploermel, ayant une activité de fonderie dans le domaine ferroviaire, le 1er octobre 1974 en qualité de tourneur-fraiseur.
Il a occupé différents postes et, depuis 1988, ses bulletins de salaire mentionnaient la qualification de dessinateur.
Le 6 octobre 2004, la société Acieries de Ploermel a été placée en redressement judiciaire, Me Z... étant désigné en qualité d'administrateur judiciaire. Il a été autorisé par une ordonnance du juge commissaire du 16 décembre 2004 à procéder à quatorze licenciements dont, dans la catégorie Etam, ceux d'un technicien méthode et d " un dessinateur.
C'est ainsi que M. X... a été licencié pour motif économique le 24 décembre 2004.
Le 24 juin 2005, le tribunal de commerce de Vannes a arrêté le plan de redressement par cession totale de la société Acieries de Ploermel au profit de la SCOP acieries de Ploermel Industrie, maintenu Me Z... en qualité d'administrateur et désigné celui-ci comme commissaire à l'exécution du plan.
M. X... a saisi le conseil de prud'hommes de Vannes le 23 janvier 2007 pour contester son licenciement.
Il a été débouté de ses demandes par un jugement du 26 décembre 2008, le conseil de prud'hommes ayant décidé que son licenciement était fondé sur une cause réelle et sérieuse.
Il a interjeté appel de cette décision, en se désistant toutefois de sa demande contre la SCOP acieries de Ploermel Industrie.
Par un arrêt en date du 9 avril 2010, la cour d'appel de Rennes a dit n'y avoir lieu à prononcer la nullité de la saisine du conseil de prud''hommes, déclaré les demandes dirigées contre Me Z... et la SCP Le Dortz-Y..., représentante des créanciers, recevables, renvoyé l'affaire concernant les demandes relatives au caractère réel et sérieux du licenciement.
Le 11 février 2011, la cour d'appel de Rennes a :
- infirmé le jugement du conseil des prud'hommes de Vannes en ce qu'il a débouté M. X... de ses demandes,- dit que le licenciement de celui-ci était dépourvu de cause réelle et sérieuse pour défaut de recherche de reclassement effective,- fixé la créance de M. X... au passif du redressement judiciaire de la société Acieries de Ploermel à la somme de 45000 euros et alloué à M. X... une somme de 2000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
La société Ajire, venant aux droits de Me Z... et la SCP Y..., venant aux droits de la SCP Le Dortz-Y... ont formé un pourvoi en cassation à l'encontre de ces décisions.
Par un arrêt du 23 octobre 2012, la Cour de cassation a rejeté le pouvoir dirigé contre l'arrêt du 9 décembre 2010 mais cassé celui du 11 février 2011 pour les motifs suivants : " Attendu que, pour reconnaître le salarié créancier de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, la cour d'appel après avoir constaté qu'il n'existait pas de possibilité de reclassement dans l'entreprise et dans le groupe auquel elle appartenait, a retenu que les démarches effectuées à cette fin auprès des sociétés sous-traitantes étaient insuffisantes en raison des informations contenues dans les lettres qui leur étaient adressées ; Qu'en statuant comme elle l'a fait, sans qu'il résulte de ses constatations que les entreprises sous-traitantes appartenaient au même groupe que l'employeur, la cour d'appel a violé le texte susvisé. "
L'affaire a été renvoyée devant le cour de céans.
MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :
Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties il est renvoyé, aux dernières conclusions respectivement :
- du 27 mars 2015 pour M. X...,- du 20 juin 2014 pour la société Ajire et la SCP Y...,- du 26 mars 2015 pour le Ggea de Rennes, soutenues à l'audience, ici expressément visées et qui peuvent se résumer comme suit.
M. X... demande à la cour :
- d'infirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Vannes du 26 décembre 2008,- de dire et juger son licenciement sans cause réelle et sérieuse,- de dire et juger son licenciement irrégulier pour non respect des règles relatives à l'ordre des licenciements,- en conséquence, de fixer sa créance au redressement judiciaire de la société Acieries de Ploermel comme suit :-60 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ou, subsidiairement, pour non respect des critères de l'ordre des licenciements,-4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,- de déclarer l'arrêt opposable au CGEA de Rennes,- de dire que la garantie de l'Ags s'exercera à hauteur de 76 080 euros, et subsidiairement de 53 727, 95 euros sous réserve qu'elle justifie du règlement de la somme de 2 2142, 63 euros,- de mettre les dépens à la charge du redressement judiciaire de la société Acieries de Ploermel.
Il prétend en effet que la convention collective des industries métallurgiques électriques et électronique du Morbihan-Métallim-mentionne que les procédures et garanties en cas de mutations et de licenciements collectifs d'ordre économique sont réglées par l'accord national sur les problèmes généraux de l'emploi. L'article 28 du dit accord du 12 juin 1987 impose selon lui de rechercher les possibilités de reclassement à l'extérieur de l'entreprise en faisant appel à la commission territoriale pour l'emploi.
Or, il fait valoir que Me Z... n'a pas recherché les possibilités de reclassement au sein du groupe Amsted, dont dépendait la société Acieries de Ploermel, lequel comprend 47 sites dans le monde et emploie 9200 personnes. En outre, il n'a pas non plus procédé à un examen individuel des possibilités de reclassement dans le groupe Keystone, n'écrivant qu'à Keystone Europe, et se contentant d'une recherche généralisée et collective. Il ajoute que le poste d'opérateur conducteur machine disponible auprès de la société Safir ne lui a pas été proposé, alors qu'il pouvait l'occuper après une période d'adaptation. Il soutient encore que Me Z... a pas procédé à des tentatives de reclassement auprès des entreprises liées à la société Acieries de Ploermel, et notamment des sous traitants et qu'il ne justifie pas avoir fait appel à la commission territoriale de l'emploi, ce qui suffit à rendre le licenciement sans cause réelle et sérieuse.
S'agissant de son préjudice, il fait valoir que licencié à près de 50 ans, il n'a pas retrouvé d'emploi et a fini par démarrer une activité de taxi, qui ne lui a pas permis de se rémunérer pendant trois ans.
En ce qui concerne l'ordre des licenciements, il fait valoir qu'il n'était pas le seul dans sa catégorie professionnelle, laquelle comprenait également M. A... et M. B.... Il soutient que le conseil de prud'hommes a inversé la charge de la preuve en indiquant qu'il ne démontrait pas que l'ordre des licenciements n'était pas respecté, et qu'en tout état de cause, il rapporte cette preuve.
Pour répondre au Ggea, il soutient qu'il existait bien une commission paritaire territoriale dans le Morbihan. Il prétend que le plafond de garantie doit s'apprécier au jour où la cour va statuer, et en tout état de cause au jour du jugement arrêtant le plan. Il ajoute qu'il convient de déduire la somme nette qu'il a reçue, sous réserve que l'Ags justifie de ce paiement.
La société Ajire et la SCP Y... demandent à la cour de confirmer le jugement du conseil des prud'hommes de Vannes en ce qu'il a jugé que le licenciement reposait sur une cause réelle et sérieuse et sur une application régulière des critères de licenciement.
Ils soutiennent en effet que les possibilités de reclassement doivent s'apprécier au sein de l'entreprise ou au sein du groupe, que des liens capitalistiques ne suffisent pas et qu'il faut vérifier qu'en raison des activités, de l'organisation et du lieu d'exploitation, une permutation est possible. Ils prétendent qu'aucun reclassement en interne n'était possible compte tenu des difficultés de la société Acieries de Ploermel et que les autres sociétés du groupe, interrogées sur les possibilités de reclassement, ont répondu négativement. Ils ajoutent qu'aucune permutation n'était envisageable avec les divisions chemin de fer et transport qui portent sur des activités distinctes situées aux Etats Unis, et que Me Z... est allé au delà de ses obligations en interrogeant des entreprises extérieures. Ils contestent que la volonté des partenaires sociaux ait été, en 1987, d'étendre l'obligation de reclassement, laquelle n'existait alors pas.
La société Ajire et la SCP Y... font valoir en outre, sur l'ordre des licenciements, que M. X... ne justifie pas qu'il n'a pas été respecté et qu'il était le seul de sa catégorie.
Le Cgea et l'Ags demandent à la cour :
- de donner acte à l'Ags de son intervention pour le Cgea de Rennes,- de confirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Vannes,- de débouter M. X... de toutes ses demandes,
- subsidiairement, de dire et juger que sa créance ne sera garantie que dans les limites fixées par les articles L3253 du code du travail et dans les plafonds prévus par les articles L3253-17 et D3253-5 du même code, soit en l'espèce 59 424 euros.
Ils font valoir en effet que M. X... ne rapporte pas la preuve de l'existence d'une commission territoriale de l'emploi, et, à supposer cette preuve établie, qu'elle avait pour mission de rechercher des possibilités de reclassement. Ils s'en rapportent pour le surplus aux moyens de la société Ajire et la SCP Y....
Sur leur garantie, ils font valoir que le plafond doit s'apprécier à la date de la notification du licenciement et que l'Ags a bien avancé à la procédure collective les sommes figurant sur sa fiche de synthèse.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
I-Sur le licenciement :
Aux termes de l'article L. 1233-4 du code du travail : " Le licenciement pour motif économique d'un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d'adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l'intéressé ne peut être opéré dans l'entreprise ou dans les entreprises du groupe auquel l'entreprise appartient ".
Il est constant que les relations de travail de la société Acieries de Ploermel et de ses salariés étaient régies par la convention Metelim (convention collective des industries métallurgiques, électriques et électroniques d'Ille et Vilaine et du Morbihan) étendue, laquelle prévoit, en son article 37 que : " pour les industries des métaux, les procédures et garanties en cas de mutations et licenciements collectifs d'ordre économique sont réglées par l'accord national sur les problèmes généraux de l'emploi ".
Or, l'article 28 de ce dernier, en date du 12 juin 1987, impose à l'employeur qui envisage de prononcer des licenciements pour motif économique de rechercher les possibilités de reclassement à l'extérieur de l'entreprise en faisant appel à la commission territoriale de l'emploi.
La méconnaissance par l'employeur de dispositions conventionnelles qui étendent le périmètre de reclassement et prévoient une procédure destinée à favoriser un reclassement à l'extérieur de l'entreprise, avant tout licenciement, constitue un manquement à l'obligation de reclassement préalable au licenciement et prive celui-ci de cause réelle et sérieuse, peu important à cet égard que, comme le soutient la société Ajire, lesdites dispositions conventionnelles soient antérieures à l'obligation légale de reclassement.
Il appartient à l'employeur de démontrer qu'il n'existait pas, lors du licenciement économique litigieux, de commission territoriale de l'emploi. Or, non seulement cette preuve n'est pas rapportée en l'espèce, mais bien plus, M. X... justifie par la production d'un article paru en 1995 dans la revue Travail et Emploi et par un accord du 2 juin 2010 relatif à la création d'une commission paritaire régionale de l'emploi et de la formation professionnelle, qu'une commission paritaire territoriale avait bien été créée pour les départements d'Ille et Vilaine et du Morbihan.
La société Ajire ne justifiant pas, et même n'alléguant pas, que Me Z... avait saisi cette commission avant de procéder au licenciement de M. X..., ce licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse. Sans même qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens, il apparaît que le jugement du conseil de prud'hommes de Vannes doit, pour ce motif, être infirmé.
Le salarié était, au moment de son licenciement, âgé de près de 50 ans et avait une ancienneté dépassant 30 ans. Il avait fait preuve d'une polyvalence certaine dans l'entreprise où il avait exercé diverses fonctions. Il justifie qu'il a dû se reconvertir en commençant une activité d'artisan taxi, laquelle a été, à tout le moins jusqu'en 2008, déficitaire. Eu égard à ces éléments, et au montant de son dernier salaire, de l'ordre de 1700 euros, il convient d'évaluer son préjudice à la somme de 45000 euros.
Il y a lieu, par application de l'article 1235-4 du code du travail, d'ordonner d'office le remboursement par la procédure collective des indemnités qui ont pu être versées par Pôle Emploi dans la limite de deux mois ainsi qu'il sera dit au dispositif.
II-Sur la garantie de l'Ags :
Il résulte des dispositions de l'article D. 143-2, devenu l'article D. 3253-5 du code du travail, que le montant maximum de la garantie de l'Ags s'apprécie à la date à laquelle est due la créance du salarié et au plus tard à la date du jugement arrêtant le plan ou prononçant la liquidation judiciaire.
La créance de M. X... est née à la date de son licenciement, soit en l'espèce le 24 décembre 2004. C'est donc à cette date qu'il convient d'apprécier le plafond de garantie de l'Ags, laquelle justifie que ce plafond était de 59 424 euros.
Il convient d'en déduire les avances faites par l'Ags pour un montant de 26 083, 27 euros, dont celle-ci justifie suffisamment en produisant une fiche de synthèse, que le seul bulletin de salaire du salarié du mois de décembre 2004 ne suffit pas à contredire, dès lors, d'une part, que des sommes apparaissent avoir été versées antérieurement, et, d'autre part, que le montant des avances versées aux organes de la procédure collective ne se confond pas nécessairement avec ce qui a été payé par ce dernier au salarié.
En revanche, il n'y a pas lieu de déduire de ce plafond les sommes payées par Me Z... à l'aide de fonds dont il disposait dans le cadre de la procédure collective.
III-Sur les demandes accessoires :
Il n'apparaît pas inéquitable d'allouer à M. X... la somme de 2000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, étant observé que celui-ci ne sollicite pas la condamnation de son adversaire à lui verser cette somme, mais que sa créance soit, de ce chef également, fixée dans le cadre de la procédure collective de la société Acieries de Ploermel.
Partie succombante, la procédure de redressement judiciaire supportera les dépens de première instance et d'appel.
Le présent arrêt sera déclaré opposable à L'AGS, dont les garanties ne seront dues que dans les limites prévues au code du travail, ainsi qu'il sera dit ci-dessous.
PAR CES MOTIFS,
La cour, statuant en matière sociale, publiquement et contradictoirement,
Infirme le jugement rendu le 26 décembre 2008 par le conseil de prud'hommes de Vannes,
Statuant à nouveau,
Fixe les sommes dues à M. X... dans le cadre de la procédure de redressement judiciaire de la société Acieries de Ploermel aux sommes suivantes :
*45 000 euros en réparation du préjudice lié à la rupture abusive du contrat de travail, *2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Ordonne le remboursement des indemnités versées par Pôle Emploi arrêtées à la date de la présente décision et dans la limite de deux mois,
Déclare la présente décision opposable au gérant de l'AGS dans les limites et plafonds prévus par l'article L. 3253-6, L. 3253-17 et D. 3253-5 du code du travail, soit 59424 euros, incluant les avances déjà payées par l'Ags,
Rejette les demandes pour le surplus,
Dit que les dépens seront supportés par la procédure de redressement judiciaire.