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17/03/2015 | FRANCE | N°13/00674

France | France, Cour d'appel d'Angers, Chambre sociale, 17 mars 2015, 13/00674


COUR D'APPEL
d'ANGERS
Chambre Sociale

ARRÊT N
clm/ jc

Numéro d'inscription au répertoire général : 13/ 00674.

Jugement Au fond, origine Conseil de Prud'hommes-Formation paritaire de LAVAL, décision attaquée en date du 14 Février 2013, enregistrée sous le no 12/ 00099

ARRÊT DU 17 Mars 2015

APPELANTE :

Madame Emilie X... épouse Y...
...
...
53170 SAINT PIERRE DES NIDS

non comparante-représentée par Maître GILET de la SCP DELAFOND-LECHARTRE-GILET, avocats au barreau de LAVAL

INTIMEE :

LA FE

DERATION DEPARTEMENTALE DES FAMILLES RURALES, prise en la personne de son représentant légal demeurant en cette qualité audit siège
...

COUR D'APPEL
d'ANGERS
Chambre Sociale

ARRÊT N
clm/ jc

Numéro d'inscription au répertoire général : 13/ 00674.

Jugement Au fond, origine Conseil de Prud'hommes-Formation paritaire de LAVAL, décision attaquée en date du 14 Février 2013, enregistrée sous le no 12/ 00099

ARRÊT DU 17 Mars 2015

APPELANTE :

Madame Emilie X... épouse Y...
...
...
53170 SAINT PIERRE DES NIDS

non comparante-représentée par Maître GILET de la SCP DELAFOND-LECHARTRE-GILET, avocats au barreau de LAVAL

INTIMEE :

LA FEDERATION DEPARTEMENTALE DES FAMILLES RURALES, prise en la personne de son représentant légal demeurant en cette qualité audit siège
62 rue Davout
BP 43952
53032 LAVAL CEDEX 9

représentée par Maître Olivier BURES de la SELARL BFC AVOCATS, avocats au barreau de LAVAL-No du dossier 21200327
en présence de Madame Z..., Présidente

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 17 Février 2015 à 14H00, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Catherine LECAPLAIN MOREL, conseiller chargé d'instruire l'affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Anne JOUANARD, président
Madame Catherine LECAPLAIN-MOREL, conseiller
Madame Anne LEPRIEUR, conseiller

Greffier : Madame BODIN, greffier.

ARRÊT : prononcé le 17 Mars 2015, par arrêt réputé contradictoire et mis à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par Madame Anne JOUANARD, président, et par Madame BODIN, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

*******

FAITS ET PROCÉDURE :

La Fédération départementale Familles Rurales s'inscrit dans le mouvement familial ayant pour objet de répondre aux besoins des familles, défendre leurs intérêts, accompagner les parents dans leur mission d'éducation et participer à l'animation des territoires ruraux.

Dans le cadre de ces missions, le 31 décembre 2007, la Fédération départementale Familles Rurales a conclu avec la Région des Pays de la Loire et la Communauté de communes des Avaloirs une convention dite " emploi tremplin pour le territoire " lui permettant d'obtenir une aide financière destinée à soutenir la réalisation d'un projet de territoire et à créer des emplois pérennes.

Elle a également conclu avec la Communauté de communes des Avaloirs (la C. C. A) une convention de partenariat " coordination jeunesse " ayant pour objet la mise à disposition par la Fédération départementale Familles Rurales au profit de la C. C. A d'un animateur fédéral chargé de mettre en oeuvre des actions enfance/ jeunesse, d'organiser et/ ou d'animer des activités, de coordonner des activités, d'encadrer une équipe d'animation, de participer à la Commission Jeunesse, d'assurer la gestion administrative et budgétaire du Contrat Enfance Jeunesse (C. E. J.), d'être l'interface entre les élus, les associations, les jeunes et les écoles, d'assurer le suivi des groupes de jeunes et d'aider ces derniers à monter leurs projets, d'élaborer des outils de communication, d'effectuer le suivi et l'évaluation de l'action jeunesse, de mettre en place un programme d'animations (stages, concerts, etc.) et d'organiser le transport des jeunes.

C'est dans ce contexte que, suivant contrat de travail à durée indéterminée du 9 octobre 2007 à effet au 22 octobre suivant, la Fédération départementale Familles Rurales a embauché Mme Emilie X..., ensuite devenue épouse Y..., née en 1986, en qualité d'animatrice fédérale chargée des actions enfance/ jeunesse de la Communauté de communes des Avaloirs, son lieu de travail habituel étant fixé au siège de la C. C. A à Pré en Pail.
Dans le dernier état de la relation de travail, Mme Emilie Y... percevait un salaire brut mensuel d'un montant de 1 619, 68 ¿.

Les relations entre les parties étaient soumises à l'Accord conventionnel Familles Rurales.

Suite à un rapport établi par Mme Huguette A..., directrice générale de la Communauté de communes des Avaloirs, au sujet d'erreurs reprochées à Mme Emilie Y... dans la mise en oeuvre d'un " séjour à la mer " organisé du 19 au 23 juillet 2010 à Baden, le 2 août 2010, la salariée a été convoquée par le directeur de la Fédération départementale Familles Rurales en présence de représentants de la C. C. A.

Le 6 août 2010, Mme Emilie Y... a établi à l'intention de son employeur un courrier aux termes duquel elle reconnaissait certaines erreurs dans la mise en oeuvre et le déroulement du séjour susvisé, mais soulignait que des modifications imposées par le souci d'accepter les inscriptions d'un maximum de jeunes tout en respectant le budget avaient déstabilisé la programmation des animateurs. Sur un plan plus général, elle faisait valoir qu'en dépit de son jeune âge, de sa charge de travail toujours plus importante et des responsabilités qui lui étaient confiées (responsable du service jeunesse d'un territoire de 16 communes), elle était parvenue à atteindre les objectifs qui lui avaient été fixés grâce, notamment, à un investissement important dans son travail. Elle invoquait également, du fait du comportement de Mme Huguette A... à son égard, des " difficultés quasi permanentes avec la hiérarchie " ainsi que " des remarques perpétuelles et récurrentes, difficiles à gérer malgré sa volonté de bien faire " et à l'origine de " souffrances morale, psychologique et parfois physique ".

Le 23 mai 2011, Mme Emilie Y... a adressé au directeur de la Fédération départementale Familles Rurales un courrier électronique aux termes duquel elle l'informait de ce que, suite à une visite auprès du médecin du travail, devant sa perte de poids, de sommeil, d'appétit et son mal-être généré par la souffrance subie au travail du fait de l'attitude de la directrice de la C. C. A à son égard, ce dernier lui avait conseillé de déposer plainte pour harcèlement moral contre Mme Huguette A... et de solliciter une rupture conventionnelle de son contrat de travail.

Par courrier du 30 mai 2011, le médecin du travail a alerté l'employeur au sujet de la dégradation de l'état de santé " physique et mental " de Mme Emilie Y... " en lien avec ses conditions de travail ".
La salariée a été placée en arrêt de travail pour maladie à compter du début du mois de juin 2011. Le 20 juin 2011, son employeur et elle ont échangé par voie de courrier électronique.

Par lettre du 8 août 2011 évoquant des appels téléphoniques de l'employeur en date des 7, 18 et 25 juillet 2011 ayant pour objet de lui faire part des difficultés générées par son absence, des pressions subies de la part de la C. C. A pour qu'il la remplace et de lui demander ses intentions par rapport à la poursuite de son arrêt de travail, elle a rappelé à son employeur que ses problèmes de santé étaient en lien avec ses conditions de travail et lui a demandé de cesser de lui téléphoner.

Le 18 août 2011, Mme Emilie Y... a déposé plainte pour harcèlement moral à l'encontre de Mme Huguette A..., directrice de la C. C. A. Cette plainte a donné lieu à un classement sans suite décidé le 22 février 2012 motif pris de ce que l'infraction n'était pas suffisamment caractérisée.

Par courrier du 7 septembre 2011 emportant réponse au courrier de la salariée du 8 août précédent, la Fédération départementale Familles Rurales lui a rappelé que, suite au droit d'alerte exercé par le médecin du travail, elle lui avait proposé soit sa réintégration dans le même emploi que celui précédemment occupé mais avec fixation de son lieu de travail au siège de la Fédération à Laval, soit une rupture conventionnelle. Elle lui indiquait qu'elle demeurait à sa disposition pour l'une ou l'autre de ces possibilités.
Elle ajoutait que, s'interrogeant sur son absence de reprise du travail le 2 septembre 2011 à l'issue de son dernier arrêt de maladie, elle avait pris pour elle un rendez-vous auprès du médecin du travail pour le 9 septembre suivant et la priait de s'y présenter.

Par courrier électronique du 9 septembre 2011 reprenant les termes de la lettre adressée à la salariée le 7 septembre précédent, l'employeur informait le médecin du travail des offres formulées auprès de cette dernière, à savoir, réintégration dans son poste avec fixation de son lieu de travail à Laval ou rupture conventionnelle.

A l'issue du premier examen de la visite de reprise intervenu le 9 septembre 2011, le médecin du travail a déclaré Mme Emilie Y... " Apte " à son poste d'animatrice " dans les conditions précisées dans votre courrier reçu le 9/ 9/ 11 par mail. ".

Par courrier du 12 septembre 2011, Mme Emilie Y... a fait connaître à la Fédération départementale Familles Rurales qu'elle n'acceptait pas de modification de son contrat de travail par changement de son lieu de travail pour le voir fixer à Laval et qu'elle n'était pas opposée à sa proposition de rupture conventionnelle.

Par lettre du 16 septembre 2011, l'employeur lui a indiqué qu'afin de " poursuivre la relation de travail dans de bonnes conditions ", il attendait son retour de congés payés au siège de la Fédération afin d'avoir un entretien pour " l'accueillir au mieux, et redéfinir ensemble ses missions " au sein de la Fédération ". Un rendez-vous lui était proposé à cette fin pour le 26 septembre suivant.

A l'issue du second examen de la visite de reprise intervenu le 26 septembre 2011, le médecin du travail a déclaré Mme Emilie Y... " Inapte total et définitif à son poste " d'" animatrice à la communauté de communes de Pré en Pail " et " Apte selon les modalités du courrier de l'employeur. ".

Par courrier du 28 septembre 2011, Mme Emilie Y... a réitéré son refus de toute modification de son contrat de travail avec affectation à Laval.

Après l'avoir convoquée, par courrier du 26 octobre 2011, à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 7 novembre 2011, par courrier recommandé du 10 novembre suivant, la Fédération départementale Familles Rurales a notifié à Mme Emilie Y..., dans les termes suivants, son licenciement pour inaptitude et refus du poste proposé au siège de la Fédération :

" Madame Y...,

A la suite de notre entretien du 7 novembre 2011, nous vous informons que nous avons décidé de vous licencier pour le motif suivant : inaptitude totale et définitive à votre poste. En effet, suite à l'avis d'inaptitude reçu de la médecine du travail en date du 26 septembre 2011, nous vous avons proposé un poste ou siège de la Fédération que vous avez refusé.
Le préavis ne pouvant être effectué, vous cesserez de faire partie de nos effectifs le 12 novembre 2011..... ".

Le 7 juin 2012, Mme Emilie Y... a saisi le conseil de prud'hommes pour contester le bien fondé de son licenciement.
Dans le dernier état de la procédure de première instance, soutenant que son inaptitude résultait de faits de harcèlement moral imputables à l'employeur, elle poursuivait la nullité de son licenciement. A titre subsidiaire, elle arguait de ce qu'elle était bien fondée à refuser un poste de reclassement emportant modification de son contrat de travail et de ce que son licenciement, exclusivement fondé sur le refus de ce poste, devait être déclaré nul, à tout le moins dépourvu de cause réelle et sérieuse. Elle sollicitait le paiement d'une indemnité compensatrice de préavis et de dommages et intérêts pour licenciement nul, en tout cas, injustifié.

Par jugement du 14 février 2013 auquel il est renvoyé pour un ample exposé, le conseil de prud'hommes de Laval a débouté Mme Emilie Y... de l'ensemble de ses prétentions, débouté l'employeur de sa demande de remboursement de l'indemnité de licenciement et de sa demande en paiement d'une indemnité de procédure et laissé à chaque partie la charge de ses dépens.
Mme Emilie Y... a régulièrement relevé appel de ce jugement par lettre recommandée postée le 4 mars 2013. Lors de l'audience du 17 février 2015, Mme Y... a comparu volontairement par l'intermédiaire de son conseil.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :

Vu les conclusions et observations orales des parties à l'audience des débats du 17 février 2015 auxquelles il est renvoyé pour l'exposé détaillé des prétentions et moyens présentés ;

Vu les conclusions enregistrées au greffe le 22 décembre 2014, régulièrement communiquées et reprises oralement à l'audience aux termes desquelles Mme Emilie X... épouse Y... demande à la cour :
- d'infirmer le jugement entrepris ;
- de déclarer son licenciement nul, en tout cas, dépourvu de cause réelle et sérieuse, aux motifs :
¿ à titre principal, que son inaptitude physique trouve son origine dans des faits de harcèlement moral imputables à Mme Huguette A..., directrice générale de la C. C. A et dont l'employeur doit répondre ;
¿ à titre subsidiaire, que son licenciement est exclusivement fondé sur son refus d'accepter un poste de reclassement qui, au surplus, emportait modification de son contrat de travail et que l'employeur a failli à son obligation de reclassement en ne mettant pas tout en oeuvre pour la reclasser sur un autre poste ;
- de condamner la Fédération départementale Familles Rurales à lui payer les sommes suivantes :
¿ 3 653, 29 ¿ à titre d'indemnité compensatrice de préavis incidence de congés payés incluse ;
¿ 19 436 ¿ de dommages et intérêts pour licenciement nul, en tout cas dépourvu de cause réelle et sérieuse ;
¿ 2 000 ¿ en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- de la condamner aux entiers dépens.

La salariée fait valoir en substance que :
- elle a subi de la part de Mme Huguette A... des attitudes discriminatoires, des agissements de dénigrement, des réflexions désobligeantes assorties d'attitudes physiques inadaptées que ses éventuelles erreurs ne peuvent pas justifier et qui, génératrices d'une souffrance au travail, ont dégradé ses conditions de travail et ont altéré sa santé en entraînant un épuisement psychologique voire un syndrome dépressif franc ;

- la circonstance que sa plainte pénale pour harcèlement moral ait été classée sans suite est sans incidence sur la solution du présent litige et les faits invoqués sont suffisamment établis par les pièces qu'elle produit ;
- l'employeur n'est pas intervenu pour faire cesser ces agissements de harcèlement moral.

Vu les conclusions enregistrées au greffe le 14 janvier 2015, régulièrement communiquées et reprises oralement à l'audience aux termes desquelles la Fédération départementale Familles Rurales demande à la cour de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions, de condamner Mme Emilie Y... à lui payer la somme de 1 000 ¿ en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter les entiers dépens.

L'employeur fait valoir en substance que :
- la salariée ne fait état d'aucun agissement répété susceptible d'entrer dans le cadre de la définition du harcèlement moral ;
- la plainte pénale qu'elle a déposée de ce chef a été classée sans suite et il ressort des auditions recueillies qu'en fait Mme Emilie Y... supportait mal qu'une quelconque remarque puisse lui être adressée même si elle commettait des erreurs ;
- la salariée a tout mis en oeuvre pour que le médecin du travail la déclare inapte à son poste ;
- la Fédération départementale Familles Rurales étant une association qui fonctionne avec un budget principalement constitué de subventions, les postes dont il dispose sont limités ;
- il a tout mis en oeuvre pour assurer le reclassement de Mme Emilie Y... mais il ne disposait pas de solution de reclassement autre que le même emploi à exercer à Laval et le refus de la salariée d'accepter ce poste procède de sa part d'une attitude de blocage quant au reclassement proposé ;
- il a rempli son obligation de reclassement.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

Sur le licenciement :
Aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir des agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

En application de l'article L. 1154-1 du même code, lorsque le salarié établit la matérialité de faits précis et concordants constituant selon lui un harcèlement, il appartient au juge d'apprécier si ces éléments pris dans leur ensemble permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral et, dans l'affirmative, il incombe à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs, étrangers à tout harcèlement.

Mme Emilie Y... produit tout d'abord l'intégralité des procès-verbaux d'audition et des éléments recueillis dans le cadre de l'enquête préliminaire réalisée par les services de gendarmerie suite à sa plainte pour harcèlement moral.

Il ressort des dépositions recueillies auprès de dix de ses collègues de travail que :

- Mme Huguette A..., directrice de la C. C. A, était une professionnelle compétente et très exigeante avec l'ensemble du personnel dont elle surveillait beaucoup le travail ; de caractère peu diplomate, elle avait coutume de faire des réflexions désobligeantes aux salariés de façon général et générait une ambiance de travail mauvaise et tendue ;

- toutefois, elle avait toujours son " bouc émissaire " du moment ; d'emblée, elle n'a pas apprécié Mme Emilie Y... qu'elle trouvait trop jeune pour occuper le poste concerné, étant ajouté qu'elle avait déclaré souhaiter que soit embauché un homme pour remplir ces fonctions ;

- ne faisant pas confiance à Mme Emilie Y..., Mme Huguette A... encadrait et surveillait son travail de façon plus étroite et plus particulière qu'elle ne le faisait pour les autres salariés (indication fournie de façon concordante par l'ensemble des témoins), l'un des témoins indiquant qu'elle était " toujours sur son dos " ;

- Mme Huguette A... adressait constamment des remarques et critiques désobligeantes à la salariée au sujet de son travail, de son manque d'organisation, du manque de respect des règles, cette dernière écopant de beaucoup plus de remarques que ses collègues, telles que : " tu ne comprends jamais rien à ce qu'on te dit ", " tu entends ce que tu veux ", " c'est nul " ; l'un des témoins indique que, lorsqu'elle faisait une erreur, la directrice " ne la loupait pas " ;

- ces remarques désobligeantes étaient parfois accompagnées de tapes données sur la tête de la salariée au moyen d'une chemise cartonnée ;

- Mme Huguette A... dénigrait régulièrement Mme Emilie Y... auprès de ses collègues de travail en invoquant son incompétence, le manque de qualité de son travail, son manque d'organisation ;

- lors du retour de congé de maternité d'une salariée et de Mme Emilie Y..., la directrice a publiquement félicité la première sur le fait qu'elle avait retrouvé sa ligne, tandis qu'elle a fait observer à l'appelante de façon désobligeante qu'elle avait encore du poids à perdre ;

- selon Mme Marie-laure B... qui occupait le même bureau que l'appelante, les remarques que Mme Huguette A... adressait à cette dernière étaient plus piquantes, plus personnelles, touchant non seulement au travail mais aussi à sa façon de s'habiller, à sa personnalité en général, le témoin précisant qu'elle-même n'aurait pas supporté de telles remarques et qu'elles ont empiré au fil du temps, qu'elle a parfois constaté que sa collègue pleurait suite à ces critiques et remarques désobligeantes ;
- alors que Mme Emilie Y... était une personne enjouée et dynamique lors de son arrivée au sein de la C. C. A, ses collègues de travail ont constaté la nette dégradation de son état psychologique au fil du temps.

L'appelante produit également deux attestations très circonstanciées de Mmes Lydia D... et Marie-Laure B..., collègues de travail déjà entendues dans le cadre de l'enquête préliminaire, qui confirment globalement les éléments ci-dessus et font ressortir en outre que Mme Huguette A... établissait des listes de tâches à l'intention de Mme Emilie Y..., la brimait au sujet de ses congés en la menaçant de ne pas valider ses demandes si elle n'avait pas achevé un travail, agissait en sorte qu'elle ne savait jamais à l'avance si elle pourrait partir en vacances, qu'alors qu'elle était en RTT au cours de son cinquième mois de grossesse, la directrice l'a rappelée à son domicile afin qu'elle aille assister à une réunion ne présentant aucun intérêt particulier.
Selon Mme Marie-Laure B..., la directrice traitait Mme Emilie Y... de " bordélique ", d'incompétente et disait qu'il ne fallait pas " lui faire de cadeau ".
Les deux témoins confirment la dégradation de l'état de santé physique (perte d'appétit et de poids) et psychologique de Mme Emilie Y... (notamment, pleurs au travail) au fil du temps.

Par ailleurs, en ce qui concerne son état de santé, l'appelante verse aux débats :
- le courrier adressé le 30 mai 2011 à la présidente de la Fédération départementale Familles Rurales par le médecin du travail, aux termes duquel ce dernier déclarait avoir constaté " la dégradation de l'état de santé physique et mental " de Mme Emilie Y... " en relation avec ses conditions de travail " et faire usage de son droit d'alerte afin que soient mises en oeuvre des actions de prévention et des actions destinées à diminuer le risque d'altération de la santé des salariés au travail ;
- le certificat médical établi par son médecin traitant le 16 août 2011, rapportant un état dépressif franc évoluant depuis le 9 juin 2011 et nécessitant un traitement par anti-dépresseurs et anxiolytiques et précisant que l'interrogatoire relatif aux causes de cet état mettait en évidence un climat conflictuel au travail avec " une impression de dévalorisation fréquente " ;
- l'attestation établie le 11 août 2011 par le psychologue qui a suivi Mme Emilie Y... à la demande de son médecin traitant et décrit, à l'issue de sept séances, des difficultés de concentration et des troubles de la gestion émotionnelle (hypersensibilité au stress, à la tristesse et à la colère).

Mme Emilie Y... avait alerté son employeur de façon précise au sujet de sa souffrance au travail liée au comportement de la directrice générale par courrier du 6 août 2010 dont les termes ont été précédemment relatés et par courrier électronique du 23 mai 2011.

Par ces éléments, Mme Emilie Y... établit la matérialité de faits précis, concordants, répétés et qui se sont poursuivis pendant toute la durée de la relation de travail en dépit l'alerte écrite donnée par la salariée le 6 août 2010, à type de pressions par une surveillance particulièrement étroite, de constantes remarques et critiques désobligeantes tant de nature professionnelle que de nature personnelle proférées publiquement, parfois accompagnées de gestes humiliants (tapes sur la tête au moyen d'une chemise cartonnée), d'attitudes de dénigrement auprès de ses collègues de travail, de brimades, le tout caractérisant un traitement plus dur réservé à la salariée, qui ont eu pour effet une dégradation de ses conditions de travail, une atteinte portée à sa dignité et une altération de sa santé physique et mentale, lesquels éléments et agissements, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'une situation de harcèlement moral.

L'employeur ne produit quant à lui aucune pièce de nature à contredire utilement les témoignages versés aux débats par la salariée s'agissant des agissements commis à son égard par la directrice générale de la C. C. A et du comportement de cette dernière.
Il ne produit pas la moindre pièce propre à établir que Mme Emilie Y... aurait régulièrement commis des erreurs dans l'exécution de son travail et se serait montrée particulièrement inorganisée et légère. Entendue par les services de gendarmerie, Mme Lydie E..., adjointe de direction au sein de la C. C. A, a d'ailleurs indiqué qu'elle faisait bien son travail.
A supposer même que Mme Emilie Y... ait pu commettre des erreurs, voire de façon régulière, et présenter quelques défauts, notamment d'organisation, ils ne sauraient justifier les agissements répétés ainsi établis commis à son encontre, ayant créé un environnement hostile et entraîné une dégradation de ses conditions de travail préjudiciable à sa dignité et à sa santé et dont l'employeur, qui n'a pris aucune mesure pour l'en préserver au cours de la relation de travail dès que la situation a été portée à sa connaissance, doit répondre.

La Fédération départementale Familles Rurales échoue ainsi à démontrer que les faits matériellement établis sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Contrairement à ce qu'ont retenu les premiers juges, le harcèlement moral est en conséquence établi et le jugement déféré doit être infirmé en ce qu'il l'a écarté.

Le harcèlement moral devant au cas d'espèce, eu égard aux éléments rappelés ci-dessus, être retenu comme étant à l'origine de l'inaptitude physique de la salariée ayant abouti à son licenciement, celui-ci doit par conséquent être déclaré nul.

Il n'y a pas lieu à examen de la demande subsidiaire tendant à voir déclarer le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse et des moyens invoqués à l'appui de cette prétention.

Sur les conséquences financières du licenciement nul :

Dans la mesure où l'inaptitude physique ayant abouti au licenciement trouve son origine dans un manquement imputable à l'employeur, la salariée a droit à l'indemnité compensatrice de préavis, peu important qu'elle ait été dans l'incapacité de l'exécuter.
Compte tenu d'un délai congé de deux mois et du montant de la rémunération que Mme Emilie Y... aurait perçue si elle avait exécuté son préavis, la Fédération départementale Familles Rurales sera condamnée à lui payer de ce chef la somme de 3 239, 36 ¿ outre 323, 93 ¿ de congés payés afférents.

Dès lors que Mme Emilie Y..., dont le licenciement est nul, ne demande pas sa réintégration, elle a droit, en plus des indemnités de rupture, à une indemnité réparant l'intégralité du préjudice résultant du caractère illicite de son licenciement et au moins égale à six mois de salaire, quels que soient son ancienneté et l'effectif de l'entreprise.
Compte tenu de la situation particulière de la salariée, notamment de son âge (25 ans) et de son ancienneté (un peu plus de 4 ans) au moment de la rupture, de sa capacité à retrouver un emploi au regard, notamment, de son état de santé (elle justifie être restée au chômage au moins jusqu'en mai 2012), des circonstances du harcèlement subi, de sa durée et des conséquences dommageables qu'il a eues pour la salariée telles qu'elles ressortent des pièces et des explications fournies, la cour dispose des éléments nécessaires pour fixer à 15 000 ¿ le montant des dommages et intérêts propres à réparer son préjudice.

La Fédération départementale Familles Rurales indiquant elle-même qu'elle n'entend pas discuter les dispositions du jugement qui l'ont déboutée de sa demande de remboursement de la somme de 1 333, 70 ¿ qu'elle indique avoir indûment versée comme correspondant au doublement de l'indemnité de licenciement, et la cour n'étant saisie d'aucune demande ni d'aucun moyen de ce chef, le jugement déféré sera confirmé sur ce point.

PAR CES MOTIFS,

La cour, statuant publiquement, en matière sociale, contradictoirement et en dernier ressort ;

Confirme le jugement en ce qu'il a débouté la Fédération départementale Familles Rurales de sa demande reconventionnelle en remboursement de la somme de 1 333, 70 ¿ et de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile ;

L'infirme en toutes ses autres dispositions ;

Statuant à nouveau des chefs infirmés et ajoutant,

Prononce la nullité du licenciement de Mme Emilie Y... ;

Condamne la Fédération départementale Familles Rurales à lui payer les sommes suivantes :

-3 239, 36 ¿ à titre d'indemnité compensatrice de préavis outre 323, 93 ¿ de congés payés afférents,
-15 000 ¿ en réparation du préjudice résultant du caractère illicite du licenciement,
-2 000 ¿ au titre de ses frais irrépétibles de première instance et d'appel ;

Déboute la Fédération départementale Familles Rurales de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile ;

La condamne aux entiers dépens de première instance et d'appel.

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,

V. BODINAnne JOUANARD


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Angers
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 13/00674
Date de la décision : 17/03/2015
Sens de l'arrêt : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours
Type d'affaire : Sociale

Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.angers;arret;2015-03-17;13.00674 ?
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