COUR D'APPEL
d'ANGERS
Chambre Sociale
ARRÊT N
clm/ jc
Numéro d'inscription au répertoire général : 13/ 01975
numéro d'inscription du dossier au répertoire général de la juridiction de première instance
Jugement Au fond, origine Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale d'ANGERS, décision attaquée en date du 13 Mai 2013, enregistrée sous le no 12 049
ARRÊT DU 27 Janvier 2015
APPELANTES :
LE LYCEE FORESTIER
Rue de l'Ecole Forestière
19250 MEYMAC
non comparant-représenté par Maître HUVEY, avocat au barreau D'ANGERS
LE MINISTERE DE L'ECONOMIE ET DES FINANCES AGENT JUDICIAIRE DU TRESOR
6, rue Louise Weiss
75703 PARIS CEDEX 13
non comparant-représenté par Maître MAUREL, avocat au barreau d'ANGERS
INTIMES :
Monsieur Corentin X...
...
49440 LA CORNUAILLE
comparant-assisté de Maître BERNIER-DUPREELLE, avocat au barreau de PARIS
La SARL ETABLISSEMENTS Z...
...
49123 CHAMPTOCE S/ LOIRE
non comparante-représentée par Maître CREN, avocat au barreau D'ANGERS
LA CAISSE DE MUTUALITE SOCIALE AGRICOLE DU LIMOUSIN
" Champeau "
19019 TULLE
non comparante-ni représentée
LA DIRECTION REGIONALE DE L'ALIMENTATION DE L'AGRICULTURE ET DE LA FORET DU LIMOUSIN
22 rue des pénintents blancs
CS 13916
87039 LIMOGES CEDEX
non comparante-représentée par Maître MAUREL, avocat au barreau d'ANGERS
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 16 Décembre 2014 à 14H00 en audience publique et collégiale, devant la cour composée de :
Madame Anne JOUANARD, président
Madame Catherine LECAPLAIN-MOREL, assesseur
Madame Anne LEPRIEUR, assesseur
qui en ont délibéré
Greffier : Madame BODIN, greffier
ARRÊT : du 27 Janvier 2015, réputé contradictoire, prononcé publiquement, par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par Madame Anne JOUANARD, Président, et par Madame BODIN, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
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FAITS ET PROCÉDURE :
Au cours de l'année scolaire 2009/ 2010, M. Corentin X..., né le 19 octobre 1990, était étudiant au sein du lycée Forestier de Meymac (Corrèze) où il préparait un BTS technico-commercial spécialité " Produits d'origine forestière " au programme duquel figure une période obligatoire de formation en milieu professionnel.
C'est dans ce contexte que, le 16 janvier 2010, une convention de stage le concernant a été conclue entre le lycée Forestier de Meymac et la société Etablissements Z... implantée à Champtocé-sur-Loire (49). Cette convention, signée par le représentant du lycée et par le chef d'entreprise et visée par l'étudiant et par son maître de stage, prévoyait que les périodes de formation au sein de la société Etablissements Z... se dérouleraient du 15 au 19 février 2010, du 15 mars au 26 avril 2010, du 14 juin au 2 juillet 2010, du 16 au 27 août 2010 et du 4 au 8 octobre 2010 et elle stipulait que les " principales tâches confiées au stagiaire " seraient les suivantes : " développement de nouveaux produits, manutention sur chantier ".
Le 18 mars 2010 à 10 h 20, M. Corentin X...a été victime d'un accident sur son lieu de stage au sein de la société Etablissements Z... alors qu'il travaillait seul sur une fendeuse à piquets horizontale, son travail consistant à placer des billons de bois sur la table horizontale de la machine, puis à actionner la manette du vérin hydraulique afin de permettre à un coin métallique de fendre ces pièces de bois.
Ayant constaté qu'une pièce de bois n'avait pas été correctement fendue et que le coin métallique était bloqué dans le bois, M. Corentin X...a écarté la pièce de bois à main nue, ce qui a eu pour conséquence de débloquer le vérin hydraulique. Le morceau de bois ainsi écarté a entraîné la perte d'équilibre de l'opérateur qui s'est finalement retrouvé coincé entre le vérin reculé jusqu'à son point mort et le bâti de la machine.
M. Corentin X...a été désincarcéré par les services de secours et transporté au CHU d'Angers dans un état comateux, le pronostic vital étant engagé. Il est résulté pour lui de cet accident un écrasement du bassin et de très graves lésions, l'expert en assurance mentionnant le 28 octobre 2010 que :
- la victime était alitée et que la marche n'avait pas été reprise ;
- à l'examen orthopédique, il était noté une absence de motricité du membre inférieur droit et, s'agissant du membre inférieur gauche, une extension complète du genou et la mobilité des orteils possible ;
- sur le plan uro-digestif : sonde urétrale encore en place ainsi que la stomie digestive ;
- cicatrices non totalement fermées au niveau de la fesse droite et de l'anus ; très importants amas cicatriciels prenant l'ensemble de la fesse droite et l'hémibassin droit.
Le 18 mars 2010, le lycée Forestier de Meymac a établi une déclaration d'accident du travail.
Par courrier du 4 mai 2010, la caisse de mutualité sociale agricole du Limousin a notifié à l'assuré sa décision de prendre en charge cet accident au titre de la législation professionnelle.
Selon notification de la caisse en date du 13 octobre 2014, l'état de santé de M. Corentin X...a été déclaré consolidé au 30 mai 2013 avec reconnaissance d'un taux d'incapacité permanente partielle de 75 % et attribution d'une rente à compter du 31 mai 2013.
Le 23 juin 2011, l'assuré a saisi la caisse d'une demande d'ouverture d'une procédure amiable de reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur.
Par jugement du 11 janvier 2012, aujourd'hui définitif, le tribunal correctionnel d'Angers a :
- déclaré la société Etablissements Z... coupable du délit de blessures involontaires par personne morale ayant entraîné une incapacité temporaire totale de travail supérieure à trois mois dans le cadre du travail commis sur la personne de M. Corentin X...le 18 mars 2010, et l'a condamnée à une amende de 25 000 ¿ ;
- déclaré M. Fabrice Z... coupable des faits de blessures involontaires ayant entraîné une ITT supérieure à trois mois par violation manifestement délibérée d'une obligation de sécurité ou de prudence dans le cadre du travail commis sur la personne de M. Corentin X...le 18 mars 2010, d'embauche de travailleur sans organisation de formation pratique et appropriée en matière de sécurité et de mise à la disposition de travailleurs d'équipements de travail non conformes aux règles techniques ou de certification et l'a condamné pour ces faits à la peine de six mois d'emprisonnement assorti du sursis ;
- reçu M. Corentin X...en sa constitution de partie civile ;
- s'est déclaré incompétent pour connaître de sa demande en réparation de son préjudice moral et l'a renvoyé à mieux se pourvoir ;
- reçu M. Jean-Marie X...et Mme Catherine B...épouse X...en leurs constitutions de partie civile ;
- déclaré la société Etablissements Z... et M. Fabrice Z... responsables des préjudices résultant pour eux des faits commis et les a condamnés solidairement à payer à chacun des père et mère de la victime la somme de 7 500 ¿ en réparation du préjudice moral.
Le 5 avril 2012, M. Corentin X...a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale d'Angers. Dans le dernier état de la procédure de première instance, il sollicitait la reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur, le lycée Forestier de Meymac, la fixation au maximum de la majoration de la rente, avant dire droit sur la réparation de son préjudice personnel, la mise en oeuvre d'une expertise médicale et l'allocation de provisions au titre de la souffrance morale, des souffrances physiques, de la diminution des possibilités de promotion professionnelle et du préjudice d'agrément.
Par jugement du 13 mai 2013 auquel il est renvoyé pour un ample exposé, le tribunal des affaires de sécurité sociale d'Angers a, sous le bénéfice de l'exécution provisoire :
- mis hors de cause la Direction régionale de l'alimentation de l'agriculture et de la forêt du Limousin ;
- jugé que l'accident du travail dont M. Corentin X...a été victime le 18 mars 2010 est dû à la faute inexcusable de son employeur, l'Etat français, représenté par l'agent judiciaire de l'Etat ;
- ordonné la majoration de la rente ou du capital qui sera attribué à M. Corentin X...au taux maximum prévu par la loi ;
- déclaré le jugement commun et opposable à la caisse de mutualité sociale agricole du Limousin ;
- condamné l'Etat français, représenté par l'agent judiciaire de l'Etat, employeur de M. Corentin X..., à rembourser à la CMSA du Limousin l'intégralité des conséquences financières imputables à la reconnaissance de la faute inexcusable ;
Avant dire droit sur l'indemnisation,
- alloué à M. Corentin X...la somme de 35 000 ¿ à titre de provision à valoir sur l'indemnisation de ses préjudices ;
- dit que la CMSA du Limousin devait faire l'avance de l'indemnité provisionnelle à charge pour elle d'en recouvrer le montant auprès de l'Etat français, représenté par l'agent judiciaire de l'Etat ;
- sursis à statuer sur la demande d'expertise dans l'attente de la consolidation de M. Corentin X...;
- renvoyé la cause à l'audience du lundi 14 octobre 2013, la notification du jugement valant convocation des parties ;
- condamné l'Etat français, représenté par l'agent judiciaire de l'Etat, à payer à M. Corentin X...la somme de 2 000 ¿ en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- rejeté le surplus des demandes des parties et rappelé que la procédure était gratuite et sans frais.
Le lycée Forestier de Meymac a régulièrement relevé appel de cette décision par déclaration formée au greffe le 26 juillet 2013. Cette instance a été inscrite au répertoire général sous le no 13/ 01975.
L'Etat Français représenté par Monsieur le Ministre de l'économie et des finances, pris en la personne de Monsieur l'Agent judiciaire de l'Etat, en a également régulièrement relevé appel par déclaration formée au greffe le 5 août 2013. Cette instance a été inscrite au répertoire général sous le no 13/ 02138.
Par ordonnance du 23 janvier 2014, le magistrat chargé du suivi de l'affaire a ordonné la jonction de l'affaire inscrite sous le numéro 13/ 02138 avec celle inscrite sous le numéro 13/ 01975, seule subsistante.
Par jugement du 15 juillet 2014, le tribunal des affaires de sécurité sociale d'Angers a, avant dire droit sur la réparation du préjudice personnel de M. Corentin X..., ordonné une mesure d'expertise médicale.
Régulièrement convoquée par lettre recommandée dont elle a accusé réception le 16 décembre 2013, par courrier du 27 novembre 2014 parvenu au greffe le 1er décembre suivant, la CMSA du Limousin a fait connaître à la cour qu'elle ne serait ni présente ni représentée à l'audience. Elle a précisé qu'elle avait exécuté le jugement entrepris en versant à M. Corentin X...les sommes allouées par le tribunal des affaires de sécurité sociale.
Elle n'a pas comparu lors de l'audience 16 décembre 2014.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :
Vu les conclusions et observations orales des parties à l'audience des débats du 16 décembre 2014 auxquelles il est renvoyé pour l'exposé détaillé des prétentions et moyens présentés ;
Vu les conclusions dites " d'appelant no 4 " enregistrées au greffe le 16 décembre 2014, régulièrement communiquées et reprises oralement à l'audience aux termes desquelles le lycée Forestier de Meymac dit EPLEFPA (établissement public local d'enseignement et de formation professionnelle agricole) de Meymac demande à la cour :
- à titre principal, de déclarer les demandes de M. Corentin X...irrecevables en tout cas mal-fondées en ce qu'elles sont dirigées contre lui et de prononcer sa mise hors de cause au motif qu'il n'a pas la qualité d'employeur de M. Corentin X..., l'employeur étant la société Etablissements Z... ;
- à titre subsidiaire, s'il devait être considéré comme l'employeur de M. Corentin X...,
¿ de juger qu'en vertu de l'article L. 811-10 du code rural et de la pêche maritime tel qu'applicable au moment de l'accident en cause, l'Etat français représenté par Monsieur l'Agent judiciaire de l'Etat est seul responsable de tout accident survenu à l'étudiant de sorte que lui-même doit être mis hors de cause ;
¿ de juger qu'il n'a commis aucune faute inexcusable à l'origine de l'accident en cause et de prononcer sa mise hors de cause ;
¿ de juger que seule la société Etablissements Z... a commis " un manquement fautif en qualité de partie tierce à la convention de stage " et, par voie de conséquence, de se déclarer incompétente pour connaître du présent litige et de renvoyer les parties à mieux se pourvoir, seul un recours de droit commun étant ouvert à M. Corentin X...à l'encontre de la société Etablissements Z... ;
- à titre très subsidiaire, de lui donner acte de ce qu'il formule les plus expresses protestations et réserves d'usage quant à la demande d'expertise médicale de M. Corentin X...et de le débouter de ses plus amples demandes ;
- en tout état de cause, de condamner la société Etablissements Z... à lui payer la somme de 2000 ¿ en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Pour soutenir que la société Etablissements Z... avait la qualité d'employeur de M. Corentin X...au moment de l'accident litigieux, l'appelant fait valoir que :
- cette qualité résulte de l'autorité de chose jugée attachée au jugement rendu par le tribunal correctionnel d'Angers le 11 janvier 2012 quant à l'existence d'un contrat de travail et d'un lien de subordination entre la société et la victime ; en effet, les infractions qui ont été retenues contre la société et son dirigeant induisent nécessairement l'existence d'un contrat de travail entre l'auteur de l'infraction et la victime et cette existence ressort des motifs du jugement qui sont le soutien nécessaire du dispositif ;
- l'existence d'une convention de stage conclue avec la société Etablissements Z... n'exclut pas que celle-ci puisse être considérée comme ayant été l'employeur de M. Corentin X...au moment de l'accident litigieux ; tel est bien le cas dès lors qu'il s'avère que la société a totalement méconnu les dispositions de la convention de stage, notamment s'agissant des tâches pouvant être confiées à l'étudiant, et que, sans aucune distinction avec les autres salariés, elle l'a, sans lui assurer aucun encadrement, affecté à un poste de travail n'entrant pas dans les tâches prévues ; ce faisant, elle a créé un lien de préposition entre elle et lui et s'est arrogée le pouvoir de direction, créant ainsi un contrat de travail radicalement indépendant de la convention de stage ;
- étant le seul employeur de M. Corentin X...au moment de l'accident en cause, la société Etablissements Z... doit seule répondre d'une éventuelle faute inexcusable.
Pour soutenir que l'Etat français doit être seul déclaré responsable de l'accident dont M. Corentin X...a été victime, l'appelant fait valoir que :
- tel qu'applicable au 18 mars 2010, l'article L. 811-10 du code rural et de la pêche maritime rappelait que les articles L. 421-1 et L. 421-3 du code de l'éducation étaient applicables aux établissements publics locaux ;
- or, en son alinéa 3, l'article L. 421-3 du code de l'éducation indiquait que le chef d'établissement représente l'Etat au sein de l'établissement ; il s'ensuit que l'Etat n'est pas étranger au fonctionnement des établissements de l'enseignement agricole et que sa responsabilité de ce chef est bien engagée ;
- seul l'Etat représenté par l'Agent judiciaire du Trésor public doit donc être considéré comme employeur et responsable de l'accident litigieux, étant rappelé qu'en matière d'enseignement, la loi du 5 avril 1937 codifiée sous l'article L. 911-4 du code de l'éducation substitue la responsabilité de l'Etat aux participants à l'enseignement public.
A l'appui de l'absence de faute inexcusable de sa part et de l'existence d'un recours de droit commun, l'appelant fait valoir que :
- il n'a pas pu avoir conscience du danger auquel M. Corentin X...se trouvait exposé dans la mesure où la tâche accomplie ne faisait pas partie de celles prévues et où l'étudiant ne l'a pas informé du fait qu'il intervenait en remplacement d'un employé et qu'il avait accepté d'accomplir des travaux non prévus par la convention et qu'il savait " interdits " ; la victime, qui avait compris dès le début de son stage que la société Etablissements Z... l'utiliserait comme n'importe quel autre salarié, a ainsi, non seulement agi de sa seule initiative mais a " couvert " l'entreprise d'accueil en acceptant d'accomplir des travaux que l'un et l'autre savaient interdits ;
- le silence gardé tant par la victime que par la société Etablissements Z... s'agissant des tâches effectivement attribuées à l'étudiant doit conduire à l'exonérer lui-même de toute responsabilité ;
- il apparaît que c'est la société Etablissements Z... qui n'a pas pris les mesures nécessaires pour préserver M. Corentin X...du danger auquel il était exposé puisqu'elle l'a affecté à un poste à risque sans lui dispenser de formation à la sécurité renforcée, l'a fait travailler sur une machine non conforme et ne l'a pas mis en garde au sujet des modifications qui y avaient été apportées ;
- la société Etablissements Z... contestant sa qualité d'employeur alors qu'elle est le seul auteur des fautes à l'origine du dommage, elle doit être considérée comme un tiers responsable de l'accident et M. Corentin X...dispose contre elle d'un recours de droit commun.
Vu les conclusions enregistrées au greffe le 15 décembre 2014, régulièrement communiquées et reprises oralement à l'audience aux termes desquelles Monsieur le Ministre de l'économie, des finances et de l'industrie pris en la personne de Monsieur l'Agent judiciaire de l'Etat, d'une part, la Direction régionale de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt prise en la personne de son Directeur, d'autre part, demandent à la cour :
- de déclarer nul le jugement entrepris ;
- de déclarer nulle l'action engagée par M. Corentin X...à l'encontre de la Direction régionale de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt au motif qu'elle n'est pas dotée de la personnalité morale ;
- de déclarer les demandes de M. Corentin X...irrecevables et mal fondées en ce qu'elles sont dirigées contre elles et de l'en débouter ;
- de prononcer leur mise hors de cause aux motifs :
¿ s'agissant de la Direction régionale de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt, que M. Corentin X...ne forme aucune demande contre elle ;
¿ s'agissant de Monsieur l'Agent judiciaire de l'Etat, que la responsabilité de l'Etat ne peut en aucun cas être mise en jeu dans le cadre de la présente affaire étant observé que M. Corentin X...ne formulait pas la moindre demande contre l'Agent judiciaire de l'Etat de sorte que le tribunal des affaires de sécurité sociale a statué ultra petita.
Vu les conclusions enregistrées au greffe le 2 octobre 2014, régulièrement communiquées et reprises oralement à l'audience aux termes desquelles M. Corentin X...demande à la cour de confirmer le jugement en toutes ses dispositions et de condamner le lycée Forestier de Meymac à lui payer la somme de 2 000 ¿ en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Il fait valoir en substance que :
- la seule convention à prendre en considération est la convention de stage conclue le 16 janvier 2010 et la circonstance que la société Etablissements Z... ait pu lui confier l'accomplissement de travaux non prévus par cette convention et le faire travailler dans des conditions dangereuses n'a pas fait naître un contrat de travail verbal entre lui et cette société ;
- en vertu de cette convention de stage, c'est l'Etat qui a la qualité d'employeur et l'accident dont il a été victime le 18 mars 2010 au temps et au lieu de l'exécution de son stage, déclaré comme accident du travail par le lycée Forestier de Meymac et pris en charge comme tel par la CMSA du Limousin, relève bien de la législation professionnelle et de la compétence exclusive des juridictions de sécurité sociale et non d'un recours de droit commun contre la société Etablissements Z... ;
- il n'a commis aucune faute et, à supposer même qu'il ait été en mesure d'informer le lycée Forestier de Meymac du danger encouru au poste auquel il avait été affecté le jour de l'accident, l'absence d'information, qui ne saurait constituer une faute volontaire d'une exceptionnelle gravité, ne serait pas de nature à exonérer l'employeur de sa faute inexcusable ;
- la faute inexcusable est en l'espèce caractérisée en ce qu'il a été affecté sur une machine dangereuse qu'il n'avait pas le droit d'utiliser, qu'il n'a bénéficié d'aucune formation ni a fortiori d'une formation à la sécurité renforcée et n'a pas été informé des risques liés à l'utilisation de cette machine, qu'il n'était doté d'aucun équipement de protection individuelle autre que des chaussures de sécurité, que personne ne supervisait son travail et que les postes de travail les plus proches étaient très éloignés du sien, que la machine était affectée de nombreuses non conformités, avait été modifiée et n'était pas dotée d'un dispositif d'arrêt normal et d'urgence.
Vu les conclusions enregistrées au greffe le 12 décembre 2014, régulièrement communiquées et reprises oralement à l'audience aux termes desquelles la société Etablissements Z... demande à la cour :
- de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a dit qu'en cas de reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur, l'Etat français, représenté par Monsieur l'Agent judiciaire de l'Etat, employeur de M. Corentin X..., devait être condamné à rembourser à la CMSA du Limousin l'intégralité des conséquences financières imputables à la reconnaissance de la faute inexcusable ;
- de prononcer sa mise hors de cause pure et simple ;
- de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté le surplus des demandes dirigées contre elle ;
- de débouter le lycée Forestier de sa demande formée en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle fait valoir en substance que :
- en vertu des articles L. 412-8 du code de la sécurité sociale s'agissant du régime général et de l'article L. 751-1 du code rural et de la pêche maritime s'agissant du régime agricole, les étudiants bénéficiant d'une convention de stage en entreprise entrent dans le champ d'application de la législation relative aux accidents du travail et aux maladies
professionnelles ;
- il est de jurisprudence constante que lorsqu'un étudiant stagiaire est victime d'un accident du travail, l'établissement d'enseignement a seul la qualité d'employeur et reste tenu des conséquences de la faute inexcusable nonobstant le fait que l'accident soit survenu au sein de l'entreprise où la formation est exécutée et que le dirigeant de l'entreprise ait pu être pénalement condamné pour un manquement relatif à la sécurité ;
- nonobstant l'existence d'une éventuelle clause contraire, l'établissement d'enseignement ne dispose d'aucun recours subrogatoire à l'encontre de l'entreprise au sein de laquelle l'accident est survenu même si elle est l'auteur de la faute ;
- elle ne peut donc pas avoir la qualité d'employeur de M. Corentin X...; seul le lycée Forestier de Meymac a cette qualité et doit répondre des conséquences dommageables de la faute inexcusable de celui qu'il s'est substitué dans la direction de la victime ;
- ayant la qualité de substitué dans la direction de M. Corentin X..., elle ne peut pas non plus avoir la qualité de tiers.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Sur les demandes en nullité du jugement, en nullité de l'action engagée contre la Direction régionale de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt du Limousin et de mise hors de cause de cette dernière :
A l'appui de sa demande en nullité du jugement entrepris, Monsieur le Ministre de l'économie et des finances pris en la personne de Monsieur l'Agent judiciaire de l'Etat fait valoir que le tribunal a statué au-delà de sa saisine en désignant l'Etat français, représenté par Monsieur l'Agent judiciaire de l'Etat, comme l'employeur de M. Corentin X...et en le condamnant à rembourser à la CMSA du Limousin l'ensemble des " conséquences financières imputables à la reconnaissance de la faute inexcusable ".
Toutefois, en l'absence d'excès de pouvoir, la circonstance que les premiers juges aient pu statuer ultra petita à cet égard, en ce que ni M. Corentin X...ni le lycée Forestier de Meymac ne demandaient de voir déclarer l'Etat français employeur du stagiaire et tenu des conséquences financières de la faute inexcusable, ne constitue pas une cause de nullité. Cette irrégularité peut être réparée selon la procédure prévue aux articles 463 et 464 du code de procédure civile ou par la voie de l'appel. La demande en nullité du jugement sera donc rejetée.
La Direction régionale de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt du Limousin n'étant pas dotée de la personnalité morale, l'action engagée contre elle par M. Corentin X..., qui d'ailleurs ne formait aucune prétention contre cette dernière, ne peut qu'être déclarée nulle et le jugement confirmé en ce qu'il a prononcé sa mise hors de cause.
Sur l'exception d'incompétence, sur la détermination de l'employeur et sur les demandes de mise hors de cause du lycée Forestier de Meymac et de Monsieur l'Agent judiciaire de l'Etat :
L'article L. 751-1 du code rural et de la pêche maritime dans sa version applicable à la présente espèce (ancien article 1145 du code rural issu de l'article 7 de la loi no 76-622 du 10 juillet 1976 portant dispositions diverses relatives aux assurances sociales et aux accidents en agriculture) dispose :
" I.- Il est institué un régime d'assurance obligatoire contre les accidents du travail et les maladies professionnelles des salariés des professions agricoles qui s'applique aux salariés agricoles mentionnés à l'article L. 722-20.
II.- Bénéficient également du présent régime :
1o Les élèves des établissements d'enseignement technique et de formation professionnelle agricoles pour les accidents survenus par le fait ou à l'occasion de cet enseignement ou de cette formation ;...
8o Les élèves et étudiants des établissements autres que ceux mentionnés au 1o effectuant, auprès d'un employeur relevant du régime agricole, un stage dans les conditions définies à l'article 9 de la loi no 2006-396 du 31 mars 2006 pour l'égalité des chances, pour les accidents du travail survenus par le fait ou à l'occasion de stages effectués dans le cadre de leur scolarité ou de leurs études.
III.- En ce qui concerne les personnes mentionnées au II, des décrets déterminent à qui incombent les obligations de l'employeur et fixent les bases des cotisations et celles des indemnités. ".
Il résulte de ce texte qu'au moment de l'accident litigieux, en sa qualité d'étudiant en BTS au sein d'un établissement public local d'enseignement et de formation professionnelle agricole, M. Corentin X...bénéficiait de la législation relative aux accidents du travail et aux maladies professionnelles.
L'article L. 452-1 du code de la sécurité sociale, auquel renvoie l'article L. 751-9 du code rural et de la pêche s'agissant du régime agricole, énonce : " Lorsque l'accident est dû à la faute inexcusable de l'employeur ou de ceux qu'il s'est substitués dans la direction, la victime ou ses ayants droit ont droit à une indemnisation complémentaire dans les conditions définies aux articles suivants. ".
Il en ressort que la demande en reconnaissance de la faute inexcusable à l'origine d'un accident du travail doit être dirigée contre la personne qui a la qualité d'employeur.
Aux termes de la convention de stage conclue le 16 janvier 2010 entre le lycée Forestier de Meymac et la société Etablissements Z..., il était convenu que M. Corentin X...ne percevrait pas de rémunération ou gratification.
Dans ce cas de figure, en vertu de l'article D. 751-3 I A du code rural et de la pêche maritime, les obligations imposées aux employeurs de main d'oeuvre incombaient donc au directeur de l'établissement signataire de la convention de stage, en l'occurrence, au directeur du lycée Forestier de Meymac, lequel est un établissement public local d'enseignement et de formation professionnelle agricole.
C'est d'ailleurs ce que rappellent diverses clauses de la convention de stage conclue le 16 janvier 2010 sur un document pré-imprimé établi à l'entête du lycée Forestier de Meymac.
En effet, tout d'abord, l'article 3 énonce que " Le stagiaire demeure, pendant toute la durée de sa formation, sous statut scolaire et reste, à ce titre, sous l'autorité du chef de l'établissement d'enseignement et de formation professionnelle agricole " lequel veille, en mettant en oeuvre les diligences normales, à ce que les conditions de déroulement de stage soient de nature à préserver la santé et la sécurité de l'élève et à lui garantir une formation pratique correspondant à l'enseignement reçu. ".
L'article 7 rappelle qu'en application des dispositions des articles L. 751-1 et L. 761-14 du code rural, les stagiaires de l'enseignement agricole bénéficient de la législation sur les accidents du travail et qu'en cas d'accident survenu à l'élève stagiaire soit au cours du travail, soit au cours du trajet, le responsable de l'entreprise informe le chef d'établissement d'enseignement au plus tard dans les 24 heures et qu'il incombe à ce dernier d'établir la déclaration d'accident du travail et de l'adresser à la caisse de mutualité sociale agricole. C'est bien ce qu'a fait le lycée Forestier de Meymac en l'espèce en établissant le 18 mars 2010 une déclaration d'accident du travail que la CMSA du Limousin a réceptionnée le 22 mars suivant.
Par la suite, le lycée Forestier de Meymac n'a jamais contesté la décision de la caisse de prendre en charge l'accident litigieux au titre de la législation professionnelle et il n'a pas sollicité l'inopposabilité de cette décision à son égard, notamment en contestant sa qualité d'employeur.
Contrairement à ce que soutient l'appelant, la société Etablissements Z... ne peut pas avoir la qualité de tiers responsable de l'accident contre lequel M. Corentin X...disposerait d'un recours de droit commun.
En effet, avec le lycée Forestier de Meymac, cette société est l'autre partie à la convention de stage avec la qualité d'entreprise d'accueil. Au sens de l'article L. 452-1 du code de la sécurité sociale auquel renvoie l'article L. 751-9 du code rural et de la pêche maritime, au moment de l'accident en cause, loin d'avoir la qualité de tiers, elle était donc substituée à l'appelant dans la direction de M. Corentin X....
Outre le fait que seul ce dernier dispose de l'action en reconnaissance de l'existence d'un contrat de travail le liant à la société Etablissements Z..., la circonstance que cette dernière ait pu enfreindre les dispositions de la convention de stage en affectant le stagiaire à des tâches ou postes de travail non prévus par le contrat et, au surplus, présentant un danger pour lui, n'est nullement de nature, à elle seule, à permettre de caractériser soit sa qualité de tiers, soit l'existence d'un contrat de travail verbal qui serait né entre elle et le stagiaire.
S'il est exact que le jugement du tribunal correctionnel d'Angers du 11 janvier 2012 a acquis, non pas seulement l'autorité de la chose jugée comme l'invoque l'appelant, mais la force de chose jugée puisqu'il n'est pas discuté qu'il est aujourd'hui définitif, cette décision n'emporte pas consécration définitive de l'existence d'un contrat de travail entre M. Corentin X...et la société Etablissements Z.... En effet, l'autorité de la chose jugée ne s'attache qu'au dispositif d'une décision de justice. Or, le dispositif du jugement pénal ne contient aucune disposition consacrant l'existence d'un contrat de travail entre la stagiaire et l'entreprise d'accueil.
En outre, comme énoncé à l'article L. 4111-1 du code du travail et comme l'a précisément rappelé le tribunal correctionnel dans les motifs de sa décision, les dispositions du code du travail relatives à la santé et à la sécurité au travail s'appliquent non pas seulement " aux salariés " mais " aux travailleurs " dont l'article L. 4111-5 du même code précise qu'ils sont " les salariés, y compris temporaires, et les stagiaires ainsi que toute personne placée à quelque titre que ce soit sous l'autorité de l'employeur. ". La juridiction pénale qui a clairement rappelé qu'au moment de l'accident en cause, M. Corentin X...effectuait un stage au sein de la société Etablissements Z..., entreprise d'accueil, et que M. Fabrice Z... avait la qualité de maître de stage à l'égard de ce dernier a donc très bien pu déclarer tant la personne morale que la personne physique coupables d'infractions commises à l'occasion du travail sans pour autant retenir l'existence d'un contrat de travail liant la victime à la société, ce qui ne ressort d'ailleurs nullement des énonciations de la décision invoquée.
Il ressort de ces développements qu'au moment de l'accident litigieux, la société Etablissements Z... n'avait ni la qualité d'employeur de M. Corentin X..., ni la qualité de tiers responsable et qu'en vertu des dispositions de l'article D. 751-3 I A du code rural et de la pêche maritime, c'est le lycée Forestier de Meymac qui avait la qualité d'employeur de la victime.
Aux termes de l'article L. 811-8 du code rural et de la pêche maritime, les établissements publics locaux d'enseignement et de formation professionnelle agricole sont dotés de la personnalité civile et de l'autonomie administrative et financière.
L'article R. 811-26 du même code prévoit que le directeur de l'établissement public local représente l'Etat au sein de l'établissement public ; qu'il est l'organe exécutif de l'établissement public et qu'en cette qualité, notamment, il représente l'établissement en justice et dans tous les actes de la vie civile.
Dans la mesure où le lycée Forestier de Meymac est un établissement public local d'enseignement et de formation professionnelle agricole doté de la personnalité civile et de l'autonomie administrative et financière, rien ne justifie que la qualité d'employeur soit transférée à une autre personne morale, en l'occurrence, comme l'ont fait les premiers juges, à l'Etat français, et le lycée Forestier de Meymac doit répondre de la faute inexcusable susceptible d'être consacrée dans le cadre de la présente affaire, peu important qu'elle ait pu être en pratique commise par la société Etablissements Z... qu'il s'était, au moment des faits, substituée dans la direction du stagiaire.
Il résulte de l'ensemble de ces développements que ce sont bien les dispositions relatives aux accidents du travail, soit la législation de la sécurité sociale, qui trouvent à s'appliquer au présent litige, que la cour est compétente pour en connaître et que c'est le lycée Forestier de Meymac qui a la qualité d'employeur de M. Corentin X...et doit répondre des conséquences d'une éventuelle faute inexcusable.
L'article R. 751-71 du code rural et de la pêche maritime dispose : " La caisse de mutualité sociale agricole paie les majorations des indemnités prévues à l'article L. 452-2 du code de la sécurité sociale et en récupère le montant au moyen d'une cotisation complémentaire imposée à l'employeur ".
D'autre part, si le second alinéa de l'article D. 751-3 I A du code rural et de la pêche maritime prévoit que certaines prestations et indemnités sont à la charge de l'Etat, il en ressort qu'il s'agit exclusivement de certaines prestations et indemnités versées à la victime en vertu de l'assurance obligatoire des accidents du travail et maladies professionnelles, ce qui exclut les indemnités pouvant être allouées au titre de l'indemnisation complémentaire liée à la reconnaissance d'une faute inexcusable.
L'exception d'incompétence sera en conséquence rejetée et le jugement entrepris sera infirmé en ce qu'il a jugé que l'Etat français, représenté par Monsieur l'Agent judiciaire de l'Etat, était l'employeur M. Corentin X...et en ce qu'il l'a condamné à rembourser à la CMSA du Limousin l'intégralité des conséquences financières imputables à la reconnaissance de la faute inexcusable.
M. Corentin X...et le lycée Forestier de Meymac seront déboutés de l'ensemble de leurs demandes formées à l'encontre de Monsieur le Ministre de l'économie et des finances pris en la personne de Monsieur l'Agent judiciaire de l'Etat.
Sur la faute inexcusable :
L'article L. 452-1 du code de la sécurité sociale, auquel renvoie l'article L. 751-9 du code rural et de la pêche s'agissant du régime agricole, énonce : " Lorsque l'accident est dû à la faute inexcusable de l'employeur ou de ceux qu'il s'est substitués dans la direction, la victime ou ses ayants droit ont droit à une indemnisation complémentaire dans les conditions définies aux articles suivants. ".
En vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l'employeur est tenu envers celui-ci d'une obligation de sécurité de résultat, notamment en ce qui concerne les accidents du travail. Le manquement à cette obligation a le caractère d'une faute inexcusable, au sens de l'article L 452-1 du code de la sécurité sociale, lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.
Il est indifférent que la faute inexcusable commise par l'employeur ait été la cause déterminante de l'accident survenu au salarié et il suffit qu'elle en soit une cause nécessaire pour que la responsabilité de l'employeur soit engagée, alors même que d'autres fautes auraient concouru au dommage.
Il appartient au salarié qui invoque la faute inexcusable de son employeur de rapporter la preuve de ce que celui-ci avait, ou aurait dû avoir, conscience du danger auquel il était exposé et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.
Aux termes de la convention de stage conclue le 16 janvier 2010 entre le lycée Forestier de Meymac et la société Etablissements Z..., il était prévu que les principales tâches devant être confiées à M. Corentin X...étaient des travaux de développement de nouveaux produits et des travaux de manutention sur chantier.
Il ressort des pièces versées aux débats, soit, des procès-verbaux d'enquête établis par la gendarmerie, du procès-verbal de la Direction du travail clos le 24 janvier 2011, du rapport d'expertise technique établi le 9 août 2010 par M. Jean-Yves C..., expert agréé près la cour d'appel d'Angers, au sujet de l'état de la machine à l'origine de l'accident et du jugement du tribunal correctionnel d'Angers en date du 11 janvier 2012 que les circonstances de l'accident, lesquelles ne sont pas discutées, ont été les suivantes :
- le 18 mars 2010, M. Corentin X...avait pour tâche de fendre des morceaux de bois et de les transformer en piquets au moyen d'une fendeuse à piquets horizontale, machine qui fonctionne en extérieur attelée en porte-à-faux à un tracteur agricole dont le moteur fournit la force motrice à la machine, l'attelage étant réalisé via un arbre à cardans ;
- le travail du stagiaire consistait à placer des billons de bois sur la table horizontale de la machine, puis à actionner la manette du vérin hydraulique afin de permettre à un coin métallique de fendre les pièces de bois ;
- à 10 h 20, le jeune a constaté qu'une pièce de bois n'avait pas été correctement fendue et que le coin était bloqué dans le bois ; il a écarté cette pièce à la main ce qui a eu pour effet de débloquer le vérin hydraulique ; le morceau de bois ainsi écarté a entraîné une perte d'équilibre de la victime qui a malencontreusement heurté la manette de commande et a entraîné le recul du vérin ; M. Corentin X...s'est alors trouvé coincé entre le coin métallique et le bâti de la machine ; la pièce de bois a heurté sa hanche droite, le stagiaire s'est trouvé entraîné vers le bâti de la machine au niveau de la fesse gauche ; il a voulu arrêter le vérin en manipulant une seconde fois la manette de commande mais, sans résultat ; le vérin a irrésistiblement reculé jusqu'à son point mort, coinçant M. Corentin X...entre le vérin et le bâti de la machine ; les cris de la victime ont alerté un collègue de travail qui a arrêté le moteur du tracteur et s'est rendu dans les bureaux pour alerter les secours tandis que la victime est parvenue elle-même à composer le 18 au moyen de son téléphone portable ; l'opération de désincarcération a duré plus d'une heure selon le témoignage d'un pompier et, au moment où le stagiaire est arrivé à l'hôpital, le pronostic vital était engagé.
Il résulte des déclarations faites aux gendarmes par M. Corentin X...et par M. Fabrice Z..., le chef d'entreprise, que l'accident s'est produit juste après que le stagiaire se soit mis aux commandes de la machine qu'il n'avait utilisée qu'une fois auparavant et au fonctionnement de laquelle il avait été initié de façon rapide et sommaire par M. Fabrice Z... alors qu'il ne connaissait pas ce type de machine, le lycée ne disposant que d'une fendeuse verticale, et n'avait pas été informé des risques qu'elle présentait.
Pour réaliser le travail confié, M. Corentin X...a été laissé seul, sans tuteur, formateur ou autre collègue à ses côtés alors que son poste de travail était éloigné d'une distance de 50 à 100 mètres de la zone de travail des salariés les plus proches, lesquels avaient une mauvaise vision de sa situation en raison des stocks de bois volumineux les séparant de lui.
Pour tout équipement de sécurité, il disposait de chaussures de sécurité et de vieux gants de jardinage.
Le chef d'entreprise a lui-même indiqué aux gendarmes que la machine utilisée par le stagiaire le jour de l'accident " servait peu, juste parfois pour répondre à un dépannage quand les commandes poussent un peu plus en avril mai " de sorte que depuis des années, elle servait pendant environ 15 jours/ un mois dans l'année.
Il ressort du rapport d'expertise technique et du procès-verbal établi par la direction du travail, lequel fait référence au rapport établi par l'APAVE le 19 avril 2010 que cette machine, acquise par l'entreprise en février 2000, présentait des défauts d'entretien ainsi que des non-conformités dont certaines résultaient de modifications apportées à l'initiative du chef d'entreprise afin d'améliorer les performances de rendement de ce poste de travail, ces non-conformités étant à l'origine de l'accident.
L'expert a constaté qu'en dépit de sa date de mise en fonctionnement, la machine n'avait fait l'objet d'aucun entretien curatif.
Les non-conformités relevées sont essentiellement les suivantes :
- le levier de commande de la machine aurait dû être vertical mais il avait été modifié en vue d'améliorer les performances de rendement et il se trouvait disposé à proximité des zones à risques de cisaillement ; du fait de cette modification, l'opérateur devait sortir de la zone de sécurité pour utiliser la machine ;
- la longueur du levier de commande ainsi modifié entraînait des risques de manoeuvres involontaires ;
- le carter de protection présent sur la machine avait été changé et ne correspondait pas à celui d'origine qui, grâce à une cornière soudée sur le dessus du carter, permettait de protéger le levier de commande de toute manoeuvre intempestive tendant à pousser le levier vers l'arrière et donc à faire rentrer le vérin ; compte tenu de la modification apportée au levier de commande, il n'existait plus aucun dispositif de protection empêchant une manoeuvre intempestive de ce levier entraînant le retour de l'outil ;
- le nouveau carter de protection mis en place, provenant d'une autre fendeuse, était inadapté ;
- les éléments mobiles de travail étaient accessibles depuis le poste de travail ce qui générait des risques de cisaillement et d'écrasement ;
- le ressort du distributeur hydraulique n'étant plus efficace, le chef d'entreprise avait installé un sandow avec mousqueton ou tendeur élastique dont l'action était permanente et qui évitait de la part de l'opérateur une action maintenue et répétée sur le levier de commande lors de la phase de recul, ce qui augmentait la cadence de travail car la force à exercer pour commander le retour de l'outil était plus faible ; la présence de ce tendeur générait des risques de cisaillement et d'écrasement entre le coin et le bâti de la fendeuse par commande intempestive du recul du coin ;
- le jour des faits, l'arrêt immédiat du mouvement du vérin hydraulique par relâchement du levier de commande n'a pas pu se faire à cause de la présence du tendeur élastique, ce qui explique que M. Corentin X...n'ait pas pu arrêter la machine alors qu'il se faisait entraîner par le recul du vérin ;
- la machine ne disposait pas d'un dispositif d'arrêt normal et d'urgence.
En affectant M. Corentin X...à l'utilisation d'une machine très peu utilisée au sein de l'entreprise, dangereuse en raison d'un défaut d'entretien curatif, de nombreuses non-conformités et de modifications apportées par le dirigeant de la société Etablissements Z... en vue d'améliorer les cadences de travail et le rendement et qui obligeaient l'opérateur à travailler en zones à risques de cisaillement et d'écrasement, sans disposer d'un dispositif d'arrêt normal et d'urgence, et ce, sans l'informer de cette dangerosité ni lui assurer une formation effective et sérieuse à l'usage de cette machine, en le laissant travailler seul, à un endroit éloigné des autres postes de travail et peu visible, la société Etablissements Z... a, le 18 mars 2010, exposé M. Corentin X...à un danger dont elle ne pouvait pas ne pas avoir conscience et elle n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver, étant souligné qu'il est établi que les non-conformités et modifications révélées sont à directement l'origine des blessures subies par le stagiaire.
Il suit de là que l'accident du travail dont M. Corentin X...a été victime le 18 mars 2010 trouve son origine dans une faute inexcusable commise par la société Etablissements Z..., entreprise d'accueil du stagiaire, que le lycée Forestier de Meymac s'était substituée dans la direction de ce dernier et dont il incombe à l'appelant de répondre, étant observé que ce dernier a commis une faute en ne procédant, comme cela résulte de l'enquête de gendarmerie, à aucune visite ni même à aucune démarche auprès de l'entreprise utilisatrice pour s'assurer des conditions de sécurité et d'encadrement dans lesquelles l'étudiant accomplirait son stage et de la nature des tâches qui lui seraient confiées alors que l'article 3 de la convention de stage prévoit que le chef d'établissement d'enseignement doit veiller, " en mettant en oeuvre les diligences normales ", à ce que les conditions de déroulement de stage soient de nature à préserver la santé et la sécurité de l'élève et à lui garantir une formation pratique correspondant à l'enseignement reçu.
Compte tenu du contexte de stage, du jeune âge du stagiaire et de l'absence de preuve d'une information donnée à ce dernier par le lycée Forestier de Meymac s'agissant des tâches qu'il pouvait ou non accepter d'exécuter, la circonstance que M. Corentin X...ait pu accepter d'exécuter toutes sortes de travaux et même être désireux d'en découvrir le plus possible et, à supposer qu'il ait été mis à même de fournir cette information, la circonstance qu'il n'ait pas informé le lycée de son affectation à l'utilisation d'une fendeuse à piquets ne permettent pas de caractériser une attitude fautive de sa part. En tout état de cause, à les supposer fautifs, contrairement à ce que soutient l'appelant, ces faits ne seraient pas de nature à l'exonérer de sa responsabilité dès lors qu'il a commis une faute inexcusable qui a été une cause nécessaire de l'accident litigieux.
Par voie d'infirmation du jugement déféré, il convient de dire que l'accident du travail dont M. Corentin X...a été victime le 18 mars 2010 a trouvé sa cause dans une faute inexcusable de la société Etablissements Z..., substituée dans la direction au lycée Forestier de Meymac, employeur, au sens de l'article L. 452-1 du code de la sécurité sociale, et qu'il appartient à ce dernier d'en répondre.
Sur la majoration de rente, l'expertise et la provision :
La faute inexcusable de l'employeur ayant été retenue, M. Corentin X...a droit au bénéfice des indemnités complémentaires prévues aux articles L. 452-2 et L. 452-3 du code de la sécurité sociale tel qu'interprété par le Conseil constitutionnel dans sa décision no 2010-8 QPC du 18 juin 2010.
Aucune faute inexcusable n'étant même alléguée à l'encontre de M. Corentin X..., il convient de confirmer le jugement entrepris en ce qu'en application de l'article L. 452-2 du code de la sécurité sociale, il a ordonné la majoration au maximum de la rente qui lui est versée et, en application de l'article R. 751-71 du code rural et de la pêche maritime, il y a lieu de dire que cette majoration lui sera versée directement par la CMSA du Limousin qui en récupérera le montant auprès du lycée Forestier de Meymac.
La provision allouée à la victime n'étant discutée ni dans son principe, ni dans son montant, il convient de confirmer le jugement entrepris de ce chef.
Par voie d'infirmation du jugement déféré, il convient de dire que la provision allouée et toutes les indemnités complémentaires liées à la faute inexcusable seront versées directement à M. Corentin X...par la CMSA du Limousin qui en récupérera le montant auprès du lycée Forestier de Meymac.
Le jugement déféré n'a pas ordonné d'expertise médicale et la cour n'est pas saisie d'une telle demande. Il n'y a donc pas lieu de donner acte au lycée Forestier de Meymac de ses protestations et réserves sur ce point.
Sur les frais irrépétibles :
Le jugement déféré sera infirmé en ce qu'il a condamné l'Etat français, représenté par Monsieur l'Agent judiciaire de l'Etat à payer à M. Corentin X...la somme de 2 000 ¿ en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et ce dernier sera débouté de ce chef de prétention.
Le lycée Forestier de Meymac sera condamné à payer à M. Corentin X...la somme de 2 000 ¿ en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et il sera lui-même débouté de ce chef de prétention.
L'appelant qui succombe en son recours sera condamné au paiement du droit prévu par l'article R. 144-10 alinéa 2 du code de la sécurité sociale, lequel droit ne peut excéder le dixième du montant mensuel prévu à l'article L. 241-3 du même code.
PAR CES MOTIFS ;
La cour statuant publiquement, en matière sociale, par arrêt réputé contradictoire et en dernier ressort ;
Rejette la demande en nullité du jugement entrepris et rejette l'exception d'incompétence soulevée par le lycée Forestier de Meymac ;
Déclare nulle l'action engagée par M. Corentin X...contre la Direction régionale de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt du Limousin ;
Infirme le jugement entrepris en ce que :
- il a jugé que l'Etat français, représenté par Monsieur l'Agent judiciaire de l'Etat, était l'employeur M. Corentin X...;
- il l'a condamné à rembourser à la CMSA du Limousin l'intégralité des conséquences financières imputables à la reconnaissance de la faute inexcusable, notamment, la majoration de rente et l'indemnité provisionnelle ;
- il a condamné l'Etat français, représenté par Monsieur l'Agent judiciaire de l'Etat, à payer à M. Corentin X...la somme de 2 000 ¿ en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
Statuant à nouveau ;
Déboute M. Corentin X...et le lycée Forestier de Meymac de l'ensemble de leurs demandes formées contre l'Etat français, représenté par Monsieur le Ministre de l'économie, des finances et de l'industrie pris en la personne de Monsieur l'Agent judiciaire de l'Etat ;
Juge que le lycée Forestier de Meymac avait la qualité d'employeur de M. Corentin X...au moment de l'accident du travail litigieux ;
Dit que l'accident du travail dont M. Corentin X...a été victime le 18 mars 2010 a trouvé sa cause dans une faute inexcusable de la société Etablissements Z..., substituée dans la direction au lycée Forestier de Meymac, employeur, au sens de l'article L. 452-1 du code de la sécurité sociale et dit qu'il incombe à ce dernier de répondre des conséquences de cette faute inexcusable ;
Dit que la majoration de rente, ainsi que la provision allouée et toutes les indemnités complémentaires liées à la faute inexcusable seront versées directement à M. Corentin X...par la Caisse de mutualité sociale agricole du Limousin qui en récupérera le montant auprès du lycée Forestier de Meymac ;
Déboute M. Corentin X...de sa demande formée au titre des frais irrépétibles à l'encontre de l'Etat français ;
Confirme le jugement entrepris en toutes ses autres dispositions ;
Y ajoutant,
Dit n'y avoir lieu à donner acte au lycée Forestier de Meymac de ses protestations et réserves au sujet de l'expertise médicale ;
Déclarer le présent arrêt commun et opposable à la CMSA du Limousin ;
Condamne le lycée Forestier de Meymac à payer à M. Corentin X...la somme de 2 000 ¿ en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
Déboute le lycée Forestier de Meymac de sa demande formée au titre des frais irrépétibles ;
Condamne le lycée Forestier de Meymac au paiement du droit prévu par l'article R. 144-10 alinéa 2 du code de la sécurité sociale liquidé à la somme de 317 ¿.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,
Viviane BODINAnne JOUANARD