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20/01/2015 | FRANCE | N°12/00310

France | France, Cour d'appel d'Angers, Chambre sociale, 20 janvier 2015, 12/00310


COUR D'APPEL d'ANGERS Chambre Sociale

ARRÊT N clm/ jc

Numéro d'inscription au répertoire général : 12/ 00310.
Jugement Au fond, origine Conseil de Prud'hommes-Formation paritaire de LAVAL, décision attaquée en date du 02 Février 2012, enregistrée sous le no 11/ 00093

ARRÊT DU 20 Janvier 2015

APPELANT :

Monsieur Alain X...... 53400 CRAON

non comparant-représenté par Maître Meriem DEPASSE-LABED, avocat au barreau de RENNES

INTIMEE :

La SAS DIRICKX Le Bas Rocher 53800 CONGRIER

non comparante-représentée par

Maître RIGOT de la SARL MAINE LEXI CONSEIL, avocats au barreau de LAVAL-No du dossier 110145

COMPOSITION DE LA COUR ...

COUR D'APPEL d'ANGERS Chambre Sociale

ARRÊT N clm/ jc

Numéro d'inscription au répertoire général : 12/ 00310.
Jugement Au fond, origine Conseil de Prud'hommes-Formation paritaire de LAVAL, décision attaquée en date du 02 Février 2012, enregistrée sous le no 11/ 00093

ARRÊT DU 20 Janvier 2015

APPELANT :

Monsieur Alain X...... 53400 CRAON

non comparant-représenté par Maître Meriem DEPASSE-LABED, avocat au barreau de RENNES

INTIMEE :

La SAS DIRICKX Le Bas Rocher 53800 CONGRIER

non comparante-représentée par Maître RIGOT de la SARL MAINE LEXI CONSEIL, avocats au barreau de LAVAL-No du dossier 110145

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 02 Décembre 2014 à 14H00, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Catherine LECAPLAIN-MOREL, conseiller chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Anne JOUANARD, président Madame Catherine LECAPLAIN-MOREL, conseiller Madame Isabelle CHARPENTIER, conseiller

Greffier lors des plaidoiries : Madame GOUBET, greffier. Greffier lors du prononcé : Madame BODIN, greffier.

ARRÊT : prononcé le 20 Janvier 2015, contradictoire et mis à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par Madame Anne JOUANARD, président, et par Madame BODIN, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
*******

FAITS ET PROCÉDURE :

La société Dirickx Industries, anciennement dénommée " Dirikx SAS, dépend du groupe Dirickx, groupe mayennais spécialisé dans la protection du périmètre de sites à travers une large gamme de produits et services destinés à la délimitation, la fermeture, le contrôle et la gestion des accès (clôtures, portails, tourniquets, obstacles routiers, détection vidéo, mais aussi activités commerciales liées à l'environnement, la création et l'entretien des espaces verts.
Le 24 mars 1980, la société Dirickx Industries a embauché M. Alain X... sans contrat de travail écrit en qualité d'ouvrier usine atelier " débit coupe ".
En 1995, M. Alain X... a été victime d'un accident du travail ayant entraîné une amputation de l'annulaire gauche.
En 2004, à la suite d'une formation suivie au sein de la société Dirickx Industries, il a obtenu la qualification de soudeur semi-auto coefficient 170, niveau 2, échelon P1. Il avait pour mission de souder à l'atelier serrurerie sur le site de Congrier (53 800). Dans le dernier état de la relation de travail, son salaire brut de base s'élevait à la somme mensuelle de 1 433, 29 ¿ et sa rémunération moyenne mensuelle globale s'élevait à la somme de 1 752, 37 ¿ (moyenne des trois derniers mois).
La relation de travail était régie par la convention collective des industries métallurgiques de la Mayenne.
Après l'avoir convoqué, par courrier du 2 mars 2011 à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 9 mars suivant, par lettre du 18 mars 2011, la société Dirickx Industries lui a notifié son licenciement pour faute grave en ces termes :
" Monsieur, Suite à notre entretien du 9 mars dernier, en présence de Yannick G..., je vous confirme notre décision de procéder à votre licenciement pour faute grave. Les raisons en sont les suivantes :- Le 23 février dernier vers 19h00, sur le poste de travail à la serrurerie, après qu'Olivier Z... et vous, ayez eu des mots concernant votre retard de fabrication et après qu'Olivier Z... vous ait qualifié de " fainéant ", vous vous êtes dirigé vers lui et après l'avoir saisi au col, vous l'avez violemment bousculé contre les palettes. Assez vite, deux témoins, Claude A... et Jérôme B... sont intervenus verbalement et vous ont sommé " d'arrêter ". Olivier Z... ne s'est pas défendu, certainement surpris par votre attaque et vous l'avez lâché.- Les choses auraient pu en rester là, mais alors que les deux témoins s'éloignaient de la scène (après une trentaine de seconde), il ont à nouveau entendu des éclats de voix et un bruit métallique de portail qui frottait contre le poteau et ont clairement vu Olivier Z... étendu par terre et vous le tenant d'une main par le col, avec l'autre bras tendu, prêt à lui mettre un coup de poing.- Vous expliquez qu'Olivier vous a " cherché durant tout l'après midi " en vous qualifiant par deux fois de fainéant depuis le démarrage de l'équipe à 13h00, mais à aucun moment vous n'avez cherché à alerter la hiérarchie sur ces faits. Par ailleurs, vous avez signé le lendemain de la bagarre un document relatant les faits comme décrits dans cette lettre, pour les récuser ensuite le 9 mars : Ce n'est pas cohérent !- Lors de l'entretien du 9 mars 2011, vous avez contesté la description de la 2ème bousculade et qu'Olivier Z... ait été projeté par terre, mais les deux témoins corroborent point par point ce qu'Olivier Z... a décrit. A cela, vous répondez qu'il y a un complot contre vous et que le comportement d'Olivier Z..., ajouté aux taquineries d'autres collègues de travail correspondent à du " harcèlement ".- j'ai tenté de trouver un historique de ces taquineries que vous caractérisez comme du harcèlement, mais s'il est exact que vous avez mentionné en mars 2010 à Fabrice C... (Agent de maîtrise) lors de l'entretien annuel, que vous étiez le " mal-aimé " de l'équipe, et que vous n'arriviez pas à suivre le rythme de fabrication (environ 60 % de la vitesse moyenne), je n'ai pas trouvé de brimades assimilables à du " harcèlement ".- Par ailleurs, vous êtes depuis 30 ans salarié de Dirickx et n'êtes pas physiquement un homme fragile-bien au contraire ! C'est plutôt Olivier Z... la victime ! Lors de situations similaires de bagarres chez Dirickx, nous avons sanctionné les agresseurs par une faute grave, et lorsqu'il y avait riposte de l'autre participant, nous avons licencié les 2 protagonistes. Nous avons rappelé l'an dernier au comité d'entreprise que toute bagarre serait sanctionnée jusqu'à la faute grave et qu'en la matière le " zéro tolérance s'appliquait ". Dans ce cas, vous vous y êtes pris à deux reprises, violemment, devant Olivier Z... qui ne s'est pas défendu et vous niez les faits après avoir signé un document avec deux témoins. Par conséquent, nous n'avons d'autre alternative que de vous confirmer un licenciement pour faute grave. Votre départ est effectif à réception de ce courrier sans indemnité de licenciement ni de préavis... ".

Le 22 avril 2011, M. Alain X... a saisi le conseil de prud'hommes de Laval. Dans le dernier état de la procédure de première instance, il sollicitait, sous le bénéfice de l'exécution provisoire, des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, une indemnité conventionnelle de licenciement, une indemnité de préavis et une indemnité de procédure.
Par jugement du 2 février 2012 auquel il est renvoyé pour un ample exposé, le conseil de prud'hommes de Laval a :
- jugé le licenciement de M. Alain X... dépourvu de cause réelle et sérieuse ;- condamné la société Dirickx Industries au paiement des sommes suivantes : ¿ 1 650, 72 ¿ d'indemnité compensatrice de préavis, ¿ 12 875, 62 ¿ d'indemnité de licenciement, ¿ 30 000 ¿ de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ; ¿ 1 500 ¿ en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;- condamné la société Dirickx Industries à payer aux organismes concernés, en application des dispositions de l'article L. 1235-4 du code du travail, 3 mois d'indemnité de chômage ;- rappelé que l'exécution provisoire est de droit sur les créances salariales dans la limite de neuf mois de salaires calculés sur la moyenne des trois derniers mois que le Conseil a fixé à 1 724, 31 ¿ brut et dit qu'il n'y avait pas lieu de l'ordonner pour le surplus ;- débouté la société Dirickx de sa demande reconventionnelle et l'a condamnée aux dépens.

M. Alain X... a régulièrement relevé appel général de cette décision par lettre recommandée postée le 10 février 2012.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :

Vu les conclusions et observations orales des parties à l'audience des débats du 2 décembre 2014 auxquelles il est renvoyé pour l'exposé détaillé des prétentions et moyens présentés ;
Vu les conclusions enregistrées au greffe le 22 octobre 2013, régulièrement communiquées et reprises oralement à l'audience aux termes desquelles M. Alain X... demande à la cour :

- de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a jugé son licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse et condamné la société Dirickx Industries à lui payer la somme de 12 875, 62 ¿ à titre d'indemnité de licenciement et celle de 1 650, 72 ¿ à titre d'indemnité compensatrice de préavis ;

- de condamner la société Dirickx Industries à lui payer sommes suivantes : ¿ 160 000 ¿ de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant de la rupture du contrat de travail ; ¿ 2500 ¿ en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ; et de la condamner aux entiers dépens.

L'appelant soutient essentiellement que :
- les faits à l'origine du licenciement pour faute grave ne se sont pas déroulés comme les relate l'employeur, lequel a reconnu qu'il avait été qualifié de fainéant par M. Z... mais n'a pas cherché à connaître l'exact déroulé des faits, négligeant de recueillir le témoignages d'autres personnes présentes pour se fonder uniquement sur la version de M. Z... et sur le témoignage de deux autres collègues " amis " de ce dernier tandis que lui-même n'a jamais pu s'expliquer sur les faits qui lui étaient reprochés et a été amené à signer une document préétabli sur les déclarations de M. Z... ; ce document doit être écarté des débats en ce qu'il a dû le signer sans pouvoir le lire intégralement et alors qu'il était en proie à un stress en raison des faits survenus et de la journée de travail écoulée ;- M. E..., directeur des ressources humaines, rédacteur de l'attestation sur laquelle se fonde l'employeur, ayant reçu délégation du président de la société, il doit être considéré comme partie au litige et son attestation, écartée des débats ;- s'il reconnaît avoir pris M. Z... par le col de son bleu de travail en réaction aux agressions verbales de " fainéant " et de " gros mou " dont il avait été la proie de sa part tout au long de l'après-midi, il ne l'a jamais bousculé pour le faire tomber à terre et n'a pas tenté de lui porter des coups ;- depuis plusieurs années, il était victime de brimades, insultes et humiliations verbales de la part de plusieurs collègues d'atelier parmi lesquels M. Z... et les deux seuls salariés qui ont été entendus comme témoins par l'employeur ;- outre qu'elles sont contredites par divers éléments du dossier, les attestations de ses supérieurs hiérarchiques sont inopérantes dans la mesure où les brimades survenaient après qu'ils aient quitté l'atelier vers 17 heures tandis que lui-même et ses collègues de travail auteurs des brimades débauchaient à 21 heures ;- lors de son dernier entretien individuel, il avait informé son supérieur hiérarchique de l'attitude de ses collègues à son égard ; toutefois, méconnaissant son obligation de protéger sa santé et sa sécurité et de faire cesser ces agressions et ce climat délétère, l'employeur s'est totalement désintéressé de ses doléances et de la souffrance ainsi exprimée, et il n'a pas cherché à élucider la situation et à y mettre fin, le laissant ainsi dans la croyance qu'il devait faire cesser seul les agressions dont il était l'objet ;- le licenciement est sans cause réelle et sérieuse en ce que : son geste consistant seulement à avoir pris son collègue de travail par le col s'inscrit en réaction aux propos désobligeants de ce dernier et à l'inaction de l'employeur face aux agressions verbales persistantes dont il était l'objet ; il avait 31 ans d'ancienneté sans aucun incident ; le fait étant unique et exceptionnel, il ne peut pas constituer une faute grave ; l'employeur n'a pas jugé utile de prononcer une mise à pied à titre conservatoire.

Vu les conclusions enregistrées au greffe le 3 septembre 2014, régulièrement communiquées et reprises oralement à l'audience aux termes desquelles la société Dirickx Industries demande à la cour :
- de juger que le licenciement de M. Alain X... est bien fondé par une faute grave ;- d'infirmer le jugement entrepris ;- de condamner M. Alain X... à lui rembourser la somme de 15 518, 79 ¿ versée au titre de l'exécution provisoire du jugement entrepris et ce, sous astreinte de 100 ¿ par jour de retard à compter du 21 ème jour suivant l'expiration des délais de recours de l'arrêt à intervenir ;- de condamner M. Alain X... à lui payer la somme de 4 000 ¿ en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter les entiers dépens de première'instance et d'appel.

La société Dirickx Industries soutient essentiellement que :
la matérialité des faits reprochés à M. Alain X... est établie par l'enquête réalisée par, M. E..., directeur des ressources humaines, lequel a entendu personnellement les témoins directs des faits et disposait du compte rendu établi par le responsable de l'atelier à partir des déclarations de la victime, de l'appelant et des deux collègues qui sont intervenus lors de l'altercation ; M. Alain X... a pu lire ce compte-rendu avant de le signer sans que sa signature lui ait été extorquée ; il ressort des éléments recueillis que l'altercation s'est déroulée en deux temps et que l'appelant a bien entraîné son collègue au sol et s'apprêtait à lui mettre un coup de poing, ce qu'il a confirmé avant de ses rétracter ; ces faits justifient un licenciement pour faute grave étant observé que, par les éléments qu'il produit, M. Alain X... ne rapporte pas la preuve des propos désobligeants et provocations qu'il invoque ni, par voie de conséquence, celle d'un manquement de sa part à son obligation de sécurité à son égard ; l'absence de mise à pied a titre conservatoire durant l'enquête est sans incidence sur la reconnaissance d'une faute grave.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

Sur le licenciement :
La faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise. Il incombe à l'employeur d'en rapporter la preuve.
Au cas d'espèce, il ressort des termes de la lettre de licenciement du 18 mars 2011 que la faute grave invoquée à l'encontre de M. Alain X... consiste en des violences commises le 23 février 2011 à l'encontre d'un collègue de travail, M. Olivier Z..., et qui tiennent dans les faits suivants :
- après que M. Olivier Z... lui ait tenu des propos relatifs à son retard de fabrication et l'ait traité de fainéant, il s'est dirigé vers lui, l'a saisi au col, l'a violemment bousculé contre les palettes et il l'a lâché sur l'intervention de deux collègues de travail, témoins des faits, M. Claude A... et M. Jérôme B... qui lui ont demandé d'arrêter ;- très rapidement après, alors qu'ils s'éloignaient, les deux témoins ont de nouveau entendu des éclats de voix et un bruit métallique de portail et ils ont constaté que M. Olivier Z... était étendu à terre tandis que lui-même le tenait par le col d'une main et s'apprêtait à lui asséner un coup de poing avec l'autre bras tendu.

Les pièces produites par la société Dirickx Industries dont M. Alain X... demande qu'elles soient écartées des débats sont, d'une part, la pièce no 7 consistant dans le compte-rendu des faits survenus le 23 février 2011, établi par M. Hervé Blériot, chef d'atelier-responsable de production, supérieur hiérarchique de l'appelant, le 24 février 2011 et qui porte les signatures de M. Alain X..., de M. Olivier Z..., de M. Claude A... et de M. Jérôme B..., témoins, d'autre part, la pièce no 13 qui est l'attestation établie par M. Dominique E..., directeur des ressources humaines du Groupe Dirickx et auteur de la lettre de licenciement.
M. Alain X... ne conteste pas que ces pièces ont été régulièrement communiquées et en temps utile pour assurer le respect du contradictoire et il n'en discute pas la validité mais seulement, en fait, le caractère probant. Il n'existe donc pas de motif pour les écarter des débats et la cour appréciera leur caractère probant.
Il ressort de l'attestation établie par M. Yannick G..., membre du comité d'entreprise et délégué syndical qui a assisté M. Alain X... lors de l'entretien préalable, et des explications fournies par ce dernier que, le 23 février 2011, il travaillait en binôme avec M. Olivier Z... sur un poste de travail au sein de l'atelier " montage ". L'appelant reconnaît avoir, ce jour là, empoigné M. Olivier Z... par le col de son bleu de travail dans un mouvement d'humeur qu'il explique par le fait que son collègue lui avait reproché sa lenteur à plusieurs reprises au cours de l'après-midi et l'avait traité de " fainéant " et de " gros mou " et qu'il était couramment l'objet de telles remarques désobligeantes de la part de plusieurs de ses collègues de travail. Il résulte de l'attestation établie par M. G... que, lors de l'entretien préalable, le salarié a reconnu avoir pris de nouveau M. Olivier Z... par le col au motif qu'alors qu'il repartait, il l'a de nouveau entendu le traiter de " fainéant ".

Aux termes de l'attestation qu'il a établie le 30 septembre 2011, M. Hervé Blériot dont il n'est pas discuté qu'il n'a pas assisté à la scène litigieuse, indique qu'après avoir entendu la version des faits telle que rapportée successivement par chacun de M. Alain X..., M. Olivier Z..., et MM. A... Claude et Jérôme B... en présence de M. Fabrice C..., agent de maîtrise, il a retranscrit ces déclarations en demandant à chacun de lire et signer le compte-rendu s'il était d'accord avec les faits énoncés. Tous les intéressés l'ont signé et M. Alain X... y a apporté la mention manuscrite suivante pour préciser que, le jour des faits, M. Olivier Z... l'avait traité de fainéant : " plusieurs fois et ce, depuis plusieurs jours, ainsi que ses collègues ".
Il résulte du compte-rendu établi par M. Hervé Blériot que M. Olivier Z... lui a déclaré s'être déplacé pour dire à M. Alain X... qu'il ne travaillait pas assez vite, que cette remarque n'a pas plu à son collègue qui l'a " bousculé le long des palettes ", que M. Claude A... est alors intervenu pour le calmer mais que M. X... l'a de nouveau bousculé " à le faire tomber au sol " et que lui-même s'est laissé faire. M. Alain X... qui ne conteste pas deux empoignades a, quant à lui, reconnu " une friction orale " qu'il a expliquée par le fait d'avoir été traité par M. Z... de fainéant à plusieurs reprises et depuis plusieurs jours, et ce, y compris par d'autres collègues. Il a contesté que M. Z... soit tombé au sol. Les deux témoins ont déclaré avoir vu M. X... empoigner M. Z... au col de sa combinaison et le bousculer contre les palettes, lui avoir demandé d'arrêter, ce qu'il a fait avant de recommencer de sorte qu'en se retournant, ils ont constaté que M. Z... était au sol.

Dans le cadre de la présente instance, la société Dirickx Industries ne produit pas de récits établis par MM. Z..., A... et B... ni le récit d'aucun autre témoin des faits. Aux termes de l'attestation qu'il a établie, M. Dominique E... se contente de désigner les personnes entendues au cours des opérations d'enquête qu'il déclare avoir menées et d'indiquer qu'il a consigné leurs dires sans toutefois relater la teneur des déclarations recueillies sauf à préciser que, lors des deux premiers entretiens qu'il a eus avec le salarié, celui-ci ne parlait ni de " brimades " ni de " harcèlement moral " mais expliquait sa réaction par le fait que M. Z... l'avait traité de fainéant à deux reprises au cours de l'après-midi. Il n'est pas justifié de l'établissement d'un compte-rendu d'enquête ou de procès-verbaux d'audition. La preuve d'une enquête sérieuse menée au sujet des faits en cause et pour élucider les brimades dont le salarié se plaignait et la situation de " mal aimé " dont, de l'aveu même de l'employeur dans la lettre de licenciement, il s'était déjà plaint lors de son entretien individuel du 10 mars 2010, n'est donc pas rapportée.

Il suit de là que la seule pièce produite par l'employeur à l'appui de la matérialité des faits reprochés à M. Alain X... aux termes de la lettre de licenciement est le compte-rendu établi le 24 février 2011 par M. Olivier H.... Or, si la première empoignade par le col est reconnue et si la victime et les deux témoins s'accordent pour indiquer que M. Z... aurait été " bousculé " " le long " ou " contre " les palettes, contrairement aux termes de la lettre de licenciement, à aucun moment ils ne qualifient cette bousculade de violente et n'emploient l'adverbe " violemment ".

Quant au second temps d'altercation invoqué par l'employeur à aucun moment ni la victime, ni les témoins ne font état de l'existence " d'éclats de voix ", ni du fait qu'au sol, M. Z... aurait été de nouveau maintenu au col par M. X... par une main et que ce dernier aurait été prêt à lui asséner un coup de poing de son autre bras tendu, tel que mentionné dans la lettre de rupture. En effet, au sujet de ce second temps, M. Z... a seulement indiqué à M. H... avoir été de nouveau bousculé au point d'être tombé au sol et s'être laissé faire, tandis que les deux témoins ont relaté avoir " aperçu Olivier au sol " en précisant que, dans sa chute, il avait heurté un portail.
La preuve d'une bousculade de nature violente contre les palettes fait donc radicalement défaut de même que celle d'un maintien de la victime au sol assorti d'une menace de coup de poing. Aux termes du compte-rendu établi par M. H..., M. Alain X... a expressément contesté que M. Z... soit tombé au sol, ce qu'il a confirmé à l'audience devant la cour. En l'absence d'autre élément venant confirmer cette chute au sol, ce compte-rendu ne permet pas, à lui seul, d'en faire la preuve.

Les seuls faits établis à l'encontre de M. Alain X... sont donc deux empoignades successives. Le salarié a constamment indiqué qu'elles s'inscrivaient en réaction aux propos de " fainéant " réitérés à son encontre au cours de l'après-midi par M. Olivier Z..., lequel a reconnu qu'il s'était déplacé pour lui faire remarquer qu'il ne travaillait pas assez vite. Il ressort des termes de la lettre de licenciement que l'employeur a admis que M. Alain X... avait été traité de " fainéant " par la victime. Enfin, l'appelant, dont il n'est pas discuté qu'il a été victime d'un accident du travail à l'origine de l'amputation d'un doigt, verse aux débats cinq attestations de collègues de travail qui témoignent de façon concordante de ce que, depuis plusieurs années, et surtout depuis un an, au sein de l'atelier où se sont déroulés les faits en cause, il était, de la part de certains collègues de travail, parmi lesquels M. Olivier Z..., M. Bruno I..., M. Jérôme B... et M. Bertrand J..., l'objet de moqueries, d'insultes, d'humiliations, de critiques telles que " Fainéant ", " Bon à rien ", " Gros mou ", ces témoins précisant qu'il était le " souffre douleur ", " le mal aimé ", un témoin précisant qu'ils " en profitaient " en raison de son caractère calme et " sans histoires " et un autre soulignant sa patience.
Ces attestations concordantes font preuve des critiques et humiliations réitérées invoquées par le salarié et elles ne sont pas utilement contredites par celles produites par l'employeur, de deux supérieurs hiérarchiques, dont l'un était membre du comité d'entreprise, qui indiquent n'avoir pas été témoins de telles brimades et que M. Alain X... ne s'est pas plaint auprès d'eux d'être victime de " harcèlement " ou de brimades répétitives. En effet, il n'est pas discuté que les chefs d'équipe terminent leur travail vers 17 heures/ 18 heures alors que les ouvriers demeurent à l'atelier jusqu'à 21 heures. En outre, le témoin Fabrice C..., chef d'équipe et membre du CE, indique : " il y avait des plaisanteries entre collègues sur divers sujets mais Alain n'est jamais venu me voir pour me dire qu'il subissait du harcèlement " et il ajoute que ce dernier " était conscient qu'il travaillait moins vite que ses collègues et ses collègues nous le faisait remonter. ".
Il convient de relever qu'aux termes du compte-rendu d'entretien individuel établi le 10 mars 2010 au sujet de M. Alain X..., l'employeur avait noté qu'il donnait " l'impression d'être solitaire dans le travail " et qu'il convenait de " faire évoluer l'esprit d'équipe dans le groupe ". Aux termes de la lettre de licenciement, l'employeur a expressément indiqué que M. Alain X... avait, lors de cet entretien individuel, déclaré à son supérieur hiérarchique qu'il était le " mal aimé de l'équipe ". Ces éléments permettent de considérer, qu'au moment du licenciement, l'employeur ne pouvait pas ne pas avoir la connaissance et la conscience de ce qu'au sein de l'équipe de travail, le salarié était, à tout le moins, mis à mal par ses collègues, notamment du fait d'une certaine lenteur d'exécution.
Enfin, la circonstance que le salarié n'ait pas saisi la commission " mobilité " de ses difficultés n'est pas de nature à contredire utilement les témoignages qu'il produit et est sans incidence sur la solution du présent litige quant au bien fondé du licenciement.
Comme l'ont exactement retenu les premiers juges, les deux empoignades, qui sont les seuls faits établis à l'encontre de M. Alain X..., ne constituent ni une faute grave, ni même une cause réelle et sérieuse de licenciement en ce qu'elles représentent une réaction mesurée aux propos de " fainéant " tenus par la victime de façon réitérée à son égard au cours de l'après-midi et s'inscrivent au surplus dans un climat persistant de moqueries, de critiques, d'humiliations proférées à son égard par quelques collègues de travail, notamment au sujet de sa vitesse d'exécution et que l'employeur n'ignorait pas absolument même s'il pouvait ne pas en mesurer l'ampleur exacte.
Sur les conséquences pécuniaires du licenciement :
En l'absence de faute grave, M. Alain X... a droit à une indemnité compensatrice de préavis et à une indemnité de licenciement. Le jugement sera confirmé de ces chefs, les sommes qui lui ont été allouées procédant d'une exacte appréciation de ses droits et n'étant pas discutées.
M. Alain X... justifiant d'une ancienneté supérieure à deux ans dans une entreprise employant habituellement au moins onze salariés (de 200 à 499 selon l'attestation Pôle emploi), il peut prétendre à l'indemnisation de l'absence de cause réelle et sérieuse de son licenciement sur le fondement de l'article L. 1235-3 du code du travail, selon lequel l'indemnité à la charge de l'employeur ne peut pas être inférieure aux salaires des six derniers mois, lesquels se sont élevés en l'espèce à la somme de 11 544, 90 ¿.
Compte tenu de la situation personnelle de M. Alain X..., notamment de son âge (54 ans) et de son ancienneté au moment de la rupture, du fait qu'après des emplois en intérim, il n'a retrouvé un emploi de soudeur en contrat de travail à durée indéterminée qu'à compter du 3 septembre 2012, des circonstances du licenciement, la cour dispose des éléments nécessaires pour porter à la somme de 70 000 ¿ le montant de l'indemnité propre à réparer le préjudice qui est résulté pour lui de son licenciement.
La société Dirickx Industries sera déboutée de sa demande de remboursement de la somme par elle versée en vertu de l'exécution provisoire attachée de droit au jugement entrepris.
Il convient de confirmer le jugement déféré en ses dispositions relatives à l'application de l'article L. 1235-4 du code du travail.

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant publiquement, en matière sociale, par arrêt contradictoire et en dernier ressort ;
Déboute M. Alain X... de sa demande tendant à voir rejeter des débats les pièces no 7 et 13 produites par la société Dirickx Industries ;
Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions sauf s'agissant du montant de l'indemnité allouée au salarié pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
Statuant à nouveau de ce chef, condamne la société Dirickx Industries à payer à M. Alain X... la somme de 70 000 ¿ à titre d'indemnité pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse ;
Ajoutant au jugement entrepris, Déboute la société Dirickx Industries de sa demande de remboursement de la somme par elle versée en vertu de l'exécution provisoire attachée de droit au jugement entrepris et de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel ;

La condamne à payer à M. Alain X... la somme de 2 000 ¿ au titre de ses frais irrépétibles d'appel et la condamne aux dépens d'appel.

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,

V. BODIN Anne JOUANARD


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Angers
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 12/00310
Date de la décision : 20/01/2015
Sens de l'arrêt : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée
Type d'affaire : Sociale

Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.angers;arret;2015-01-20;12.00310 ?
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