COUR D'APPEL d'ANGERS Chambre Sociale
ARRÊT N aj/ jc
Numéro d'inscription au répertoire général : 12/ 02683.
Jugement Au fond, origine Conseil de prud'hommes-Formation de départage d'ANGERS, décision attaquée en date du 03 Décembre 2012, enregistrée sous le no 10/ 00591
ARRÊT DU 13 Janvier 2015
APPELANT :
Monsieur BERNARD X...... 44330 VALLET
comparant-assisté de Maître Nathalie CONTENT, avocat au barreau d'ANGERS
INTIMEE :
La SA THALES COMMUNICATIONS 160 BD DE VALMY 92700 COLOMBES
non comparante-représentée par Maître MOREL, avocat au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 01 Décembre 2014 à 14H00, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Anne PORTMANN, conseiller chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Anne JOUANARD, président Madame Catherine LECAPLAIN-MOREL, conseiller Madame Clarisse PORTAMNN, conseiller
Greffier : Madame BODIN, greffier.
ARRÊT : prononcé le 13 Janvier 2015, contradictoire et mis à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par Madame Anne JOUANARD, président, et par Madame BODIN, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
*******
FAITS ET PROCÉDURE :
M. Bernard X... a été embauché par la société Thales communications, à l'époque Thomson CSF, suivant contrat de travail à durée indéterminée à compter du 2 septembre 1991, en qualité de technicien en électronique, niveau V, échelon 3, moyennant une rémunération mensuelle de 13500 francs sur 13 mois.
Il a effectué principalement sa carrière à l'étranger dans le cadre de multiples missions et expatriations.
En dernier lieu, son contrat de travail avait été suspendu le 9 octobre 2007 pour lui permettre de travailler comme assistant technique au sein de la société National Télésystems and Services (NTS) à compter du 1er janvier 2008 et pour une durée de vingt quatre mois.
Néanmoins, cette mission s'est terminée de manière anticipée et la société NTS a donné à M. Bernard X... un ordre de mission pour un déplacement du 1er au 31 octobre 2009 au sein de la société Thales communications sur le site de Cholet.
Par courrier du 21 septembre 2009, la société Thales communications a confirmé à son salarié sa réintégration au sein de l'établissement de Cholet à compter du 2 novembre 2009 en qualité de technicien conduite des opérations service clients niveau V échelon 3. Le 1er novembre 2009, M. Bernard X... a signé un avenant en ce sens.
A son arrivée, il a été affecté au département support technique communication au sein du service soutien technique des équipements.
Par lettre du 25 janvier 2010, il a été convoqué à un entretien préalable qui s'est tenu le 2 février 2010. Il a été licencié le 9 février 2010 pour motif personnel, dans les termes suivants : " Dès votre retour d'expatriation sur l'établissement de Cholet de la société Thales communications, soit depuis le 1er octobre 2009, nous avons constaté votre volonté d'adopter systématiquement un comportement de dénigrement tant de la société Thales communications que de vos responsables hiérarchiques et collègues au sein de l'établissement de Cholet et, plus généralement, du groupe Thales. Nous avons par ailleurs constaté que vous remettiez en cause de façon permanente et ostentatoire le pouvoir de direction de votre employeur en contestant, là encore systématiquement, les directives de vos managers. Cette situation étant, par voie de conséquence, de nature à créer une mauvaise ambiance et un sentiment de malaise au sein du service auquel vous êtes affecté. Cette volonté de dénigrement s'accompagne enfin d'une volonté clairement affirmée au cours des dernières semaines, de ne pas assumer pleinement les fonctions de technicien conduite des opérations services clients qui vous sont confiées.
Ainsi, à titre d'exemple :
En octobre 2009, alors que vous vous trouviez en situation de détachement sur l'établissement de Cholet de la société Thales communications-dans le cadre de votre retour d'expatriation-vous avez publiquement déclaré à propos de votre responsable hiérarchique : " bon alors, il est où Y..., de toute façon, je suis là pour les faire chier ". En novembre 2009, vous n'avez eu de cesse de remettre en cause les activités qui vous étaient confiées, mais aussi de contester votre hiérarchie. Au cours de cette période, vous vous êtes contenté d'exécuter votre travail à minima.
Face à cette attitude persistante, le 25 novembre 2009, monsieur Christophe Z..., responsable de l'activité " réparations ", vous a remis un courrier rappelant, d'une part, que votre responsable hiérarchique direct était monsieur Philippe Y..., et vous demandant, d'autre part, d'établir un rapport d'activité quotidien. Une fois ce courrier lu, vous l'avez, dans un premier temps, mis en boule puis vous avez quitté le bureau. Dans un second temps, vous avez défroissé le courrier puis l'avez scanné avant de l'afficher dans votre environnement de travail, avec une pancarte sur laquelle vous avez mentionné " Halte au harcèlement ". Vous avez par ailleurs déposé sur l'unité centrale de votre ordinateur un casque avec la mention " Protège cons ".
Immédiatement après, vous avez diffusé un mail à monsieur Christophe Z..., contenant un lien vers un texte de loi sur le harcèlement. Vous avez alors également jugé utile d'envoyer un mail à l'attention de Madame PascaleA..., vice présidente du groupe Thales, de monsieur Blaise B..., directeur général de la société Thales communications et de monsieur Laurent C..., directeur des activités services clients, demandant leur intervention face au harcèlement que vous estimiez subir, en joignant une copie du courrier qui avait été remis par monsieur Christophe Z... le matin même.... Depuis plusieurs semaines, nous avons cependant pu constater dans les faits que vous persistiez à adopter des comportements nuisibles à la vie et au fonctionnement normal du service auquel vous êtes affecté et plus généralement de la société Thales communications.
Une telle attitude a ainsi été caractérisée à diverses reprises par les éléments suivants :- au cours du mois de décembre 2009, monsieur Philippe Y..., votre responsable hiérarchique direct, constatant que vous avez les pieds sur votre bureau et vous l'a fait observer, vous lui avez répondu " j'ai des varices et je peux te fournir un certificat médical ",- le 6 janvier 2010 jour de visite du Président de la République dans notre établissement de Cholet et alors que vous attendiez pour pouvoir accéder au restaurant d'entreprise, vous avez déclaré à la cantonade " bon alors il est parti le nabot ",...- vous avez récemment mis des gants que vous retiriez pour saluer vos collègues tout en refusant de serrer la main de vos responsables.... "
M. Bernard X... a d'abord contesté cette décision par courrier du 17 mars 2010 puis il a saisi le conseil de prud'hommes d'Angers le 2 juin 2010 aux fins de voir juger son licenciement abusif, se voir allouer une indemnité à ce titre, outre le paiement du solde d'une prime géographique.
Par un jugement en date du 3 décembre 2012, ladite juridiction, statuant en formation de départage, a :- dit que le licenciement de M. Bernard X... repose sur une cause réelle et sérieuse,- débouté M. Bernard X... de toutes ses prétentions,- débouté la société Thales communications de sa demande pour frais irrépétibles.
M. Bernard X... a interjeté appel le 13 décembre 2012.
MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :
Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties il est renvoyé, aux dernières conclusions respectivement :- du 9 septembre 2013 pour M. Bernard X...,- du 21 novembre 2014 pour la société Thales communications, soutenues à l'audience, ici expressément visées et qui peuvent se résumer comme suit.
M. Bernard X... demande à la cour :- d'infirmer le jugement du 3 décembre 2012,- de dire son licenciement nul et à défaut dépourvu de cause réelle et sérieuse,- de condamner la société Thales communications à lui payer la somme de 144 979, 92 euros à titre de dommages et intérêts, celle de 5000 euros au titre du solde de sa prime géographique et celle de 2000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,- d'ordonner l'exécution provisoire.
Il soutient en effet à titre principal que son licenciement est nul au motif qu'il a fait l'objet de harcèlement moral. Il invoque à ce titre une mise à l'écart, le fait qu'il se soit vu confier un poste ne correspondant pas à sa qualification, qu'il ait eu peu de travail, qu'il n'ait pas eu de téléphone et d'ordinateur immédiatement, que son arrivée n'ait pas été officialisée, qu'il n'ait pas eu d'entretien annuel alors qu'il était prioritaire en tant que nouvel arrivant et enfin qu'on lui ait demandé d'établir un compte rendu quotidien d'activité.
Il considère qu'en tout état de cause les griefs formulés dans la lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige, ne sauraient constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement au regard de la gravité des fautes commises par son employeur à son égard. Ainsi il indique que s'il a pu avoir des propos malheureux et des attitudes non comprises, c'est en réaction à la situation de harcèlement qu'il subissait. Il fait également valoir que l'audit réalisé entre mai et octobre 2009 révèle qu'avant même son arrivée, il y avait dans le service un mauvaise ambiance et une très mauvaise communication entre la hiérarchie et les équipes de techniciens. M. Bernard X... conteste également les affirmations de M. D..., relatives à des faits prescrits, et avec lequel il y a toujours eu des discordes. Enfin, il indique qu'il a toujours effectué son travail mais qu'il y avait peu d'activité.
Pour justifier le montant de l'indemnisation réclamée, il invoque son ancienneté, son parcours professionnel, son âge et sa perte financière. Il explique enfin que du fait de la fin anticipée de sa dernière mission, il a perdu, sans raison, alors que d'autres collègues poursuivaient leur mission, une partie de sa prime géographique.
La société Thales communications sollicite la confirmation du jugement entrepris, le rejet des demandes indemnitaires de M. Bernard X... et sa condamnation à lui payer une somme de 2000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
En préambule, elle fait valoir que le comportement de M. Bernard X... a été, plus précisément depuis 2007, problématique à plusieurs reprises, celui-ci ayant tenu des propos agressifs à l'égard de l'entreprise, obligeant ses représentants à un échange et à un entretien avec lui afin de le recadrer. Elle prétend que dès le mois de mai 2009, M. Bernard X... s'était inscrit dans une démarche de rupture, sollicitant la négociation de son départ du groupe. Elle estime donc que " tous les dérapages, dénigrements, comportement déloyal " de son salarié n'ont été effectués que pour la pousser à rompre son contrat de travail.
La société Thales communications prétend que M. Bernard X... a fait preuve d'un comportement de dénigrement de sa hiérarchie et n'a pas réalisé le travail confié, s'appuyant sur les attestations de messieurs Y... et Z..., et relevant qu'il avait froissé la lettre que ce dernier lui avait remise le 25 novembre 2009 avant de la scanner et de l'afficher sur son environnement de travail avec une pancarte mentionnant " Halte au harcèlement " et un casque de chantier portant l'inscription " casque protège cons ". Elle ajoute qu'il s'est montré agressif et nuisible. Elle conteste que M. Bernard X... ait été victime de harcèlement, soutenant que les seules remarques dont il a fait l'objet ne portaient que son activité professionnelle et étaient justifiées au regard de son comportement. Elle précise qu'il a eu un ordinateur portable, que plusieurs autres salariés du service avaient le même coefficient que M. Bernard X... et que les entretiens individuels devaient s'échelonner jusqu'au mois de février 2010. Enfin, elle souligne que dans son avis d'aptitude du 1er décembre 2009, le médecin du travail n'a fait aucune recommandation particulière liée à une question de harcèlement moral.
Sur la prime géographique, elle fait valoir qu'elle a été versée prorata temporis le dernier mois de sa mission, comme le prévoyait le contrat signé avec NTS.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
I-Sur l'existence d'un harcèlement :
Aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail : " Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ".
En l'espèce, si M. Bernard X... démontre que l'activité était faible (attestation E...), il n'établit pas que les missions qui lui étaient confiées ne relevaient pas de sa qualification et qu'il y a eu modification de son contrat de travail, étant observé que la société Thales justifie que quatre autre techniciens de niveau V coefficient 395 travaillaient sur la plate-forme.
En revanche, l'appelant démontre :- qu'alors qu'il est arrivé le 1er octobre 2009, sur le site de Cholet, il n'a pu bénéficier d'un ordinateur que début novembre 2009,- que son arrivée n'a pas été officialisée par l'insertion de sa photographie sur le trombinoscope des nouveaux arrivants des mois d'octobre, novembre et décembre 2009,- qu'il n'a pas eu son entretien annuel,- qu'il est le seul auquel il a été demandé d'établir chaque jour un compte rendu d'activité.
Ces faits, pris dans leur ensemble et conjugués avec l'attestation de M. E..., qui indique qu'il " était de notoriété publique, que le retour de Bernard X..., sur la plate-forme PTS, n'était pas le bienvenu aux yeux d'une partie de la hiérarchie (s'il revient, il n'aura ni PC, ni téléphone...) ", cette plate-forme de réparation manquant par ailleurs de charge de travail, laissent présumer un harcèlement.
Il incombe dès lors à l'employeur de démontrer que ses agissements ne sont pas constitutifs d'un harcèlement mais que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
En premier lieu, sur l'ordinateur, il établit (pièce 53-1) que M. Bernard X... en a été doté dès le 2 novembre 2009, soit immédiatement après sa réintégration dans la société, étant précisé que pour toute la période du mois d'octobre 2009, il était détaché sur le site par la société NTS.
En deuxième lieu, sur le problème du trombinoscope, il est constant que M. Bernard X... avait été, depuis son embauche et jusqu'en 2007, affecté au site de Cholet et qu'il y avait été présent. Dès lors, il n'était ni nouvel arrivant, ni muté, de sorte que ce grief est inopérant.
En troisième lieu, concernant l'évaluation, la société Thales communications démontre que sur les 26 personnes que comptait le service, au moins trois ont eu entretien début février 2010. La situation de M. X... n'était donc pas exceptionnelle, et son employeur pouvait légitimement lui laisser le temps de s'adapter avant de faire le point avec lui.
Enfin, pour la demande de compte rendu quotidien d'activité, la société Thales communications, qui ne conteste pas que M. Bernard X... ait été le seul salarié concerné, indique qu'elle était liée à la mauvaise volonté mise par celui-ci pour exécuter son travail, ce que démontrent les attestations de messieurs Z... et Lebert.
En outre, il est suffisamment démontré par lesdites attestations qu'elle n'a pas été maintenue, en l'absence de tout élément contraire produit par M. X... qui, si elle n'avait pas été retirée, n'aurait pas manqué de verser aux débats une copie des comptes rendus dressés ou de relances reçues. Dès lors, à supposer que ce fait puisse être considéré comme un fait de harcèlement, il n'a pas été répété.
Par suite, le jugement du conseil de prud'hommes d'Angers sera confirmé en ce qu'il n'a pas retenu l'existence d'un harcèlement moral de M. X....
II-Sur le licenciement :
M. X... ne conteste pas que lors de son arrivée, en octobre 2009, il a eu, à l'égard de son supérieur, la phrase qui lui est prêtée dans la lettre de licenciement, à savoir : " Bon alors, il est où Y..., de toute façon, je suis là pour les faire chier ".
Il reconnaît dans sa lettre du 17 mars 2010 avoir refusé de serrer la main d'au moins un de ses supérieurs, ce que confirme M. F..., prétextant une réciprocité qui n'est pas démontrée.
Il ne conteste pas non plus avoir apposé sur son bureau un casque de chantier avec la mention " casque protège cons ", ni avoir mis en boule le courrier que lui avait lu M. Z... pour lui rappeler que son supérieur était M. Y..., ni mis le pied sur un tiroir de son bureau, prétextant des varices (attestations F... et Y...).
M. F... confirme également qu'il utilisait des propos ironiques et parfois désobligeants à l'égard de sa hiérarchie.
Ces faits sont d'ailleurs en adéquation avec des emails envoyés à sa hiérarchie lorsqu'il était en expatriation, et notamment un courriel du 15 juillet 2008 dans lequel il indique " je suis fier de travailler en collaboration avec les personnels des bénéfices et pertes ", un autre du 19 juillet 2008 sur les mérites de l'agressivité, et un du 2 juillet 2009 dans lequel il écrit " Que faire du sujet encombrant sur le plan comportemental qu'est X.... Je vous propose de négocier mon départ du groupe ", ces documents démontrant une personnalité manifestement provocatrice et peu respectueuse de la hiérarchie !
Dès lors les comportements susvisés constituaient une cause réelle et sérieuse de licenciement, et ce d'autant plus qu'ils ont persisté après un rappel à l'ordre le 25 novembre 2009.
Le jugement du conseil de prud'hommes sera donc confirmé également sur ce point.
III-Sur la prime géographique :
La société Thales communications justifie que lors de son départ de la société NTS, M. Bernard X... a perçu une prime au prorata de la mission effectuée, ce qui n'est d'ailleurs pas contesté.
Dans la mesure où il n'est pas démontré que la société Thales communications soit responsable de la rupture anticipée de la mission de M. Bernard X..., la demande de celui-ci tendant à une indemnisation de son manque à gagner ne saurait prospérer.
IV-Sur les demandes accessoires :
Il n'apparaît pas inéquitable de laisser à chaque partie la charge de ses frais irrépétibles. Partie succombante, M. Bernard X... supportera les entiers dépens.
PAR CES MOTIFS,
La cour, statuant en matière sociale, contradictoirement et publiquement,
- Confirme le jugement du 3 décembre 2012 en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
- Rejette les demandes pour frais irrépétibles,
- Condamne M. Bernard X... aux dépens d'appel.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,
V. BODIN Anne JOUANARD