COUR D'APPEL
d'ANGERS
Chambre Sociale
ARRÊT N
aj/ jc
Numéro d'inscription au répertoire général : 12/ 02702.
Jugement Au fond, origine Conseil de Prud'hommes-Formation paritaire du MANS, décision attaquée en date du 16 Novembre 2012, enregistrée sous le no 12/ 00119
ARRÊT DU 16 Décembre 2014
APPELANT :
Monsieur Frédéric X...
...
72500 VOUVRAY SUR LOIR
comparant-assisté de Maître LALANNE de la SCP HAY-LALANNE-GODARD-HERON-BOUTARD-SIMON, avocats au barreau du MANS
INTIMEE :
LA SNC PLOUF
46 rue du 11 Novembre
72500 CHATEAU DU LOIR
non comparante-représentée par Maître CHABRAN, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 03 Novembre 2014 à 14H00, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Anne PORTMANN, conseiller chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Anne JOUANARD, président
Madame Catherine LECAPLAIN-MOREL, conseiller
Madame Clarisse PORTMANN, conseiller
Greffier : Madame BODIN, greffier.
ARRÊT : prononcé le 16 Décembre 2014, contradictoire et mis à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par Madame Anne JOUANARD, président, et par Madame BODIN, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
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FAITS ET PROCÉDURE :
Frédéric X... a été embauché par la société Plouf, qui exploite un espace piscine à Château du Loir (72), selon contrat à durée indéterminée du 1er juillet 2011, à effet du 20 juin 2011, en qualité de chef de bassin responsable de site, statut cadre, moyennant une rémunération annuelle de 24624 euros. Les parties avaient convenu que la période d'essai aurait une durée de trois mois, éventuellement renouvelable.
Par courrier du 9 septembre 2011, l'employeur a proposé le renouvellement de la période d'essai à Frédéric X..., lequel n'a pas donné son accord.
Frédéric X... a été convoqué à un entretien préalable qui s'est tenu le 10 octobre 2011. Il a été licencié pour insuffisance professionnelle par courrier du 20 octobre 2011, ainsi rédigé :
" Depuis quelques semaines, nous avons été amenés à constater un manque de professionnalisme dans votre travail se traduisant notamment par des abandons répétés de votre poste de surveillance de bassin, laissant ainsi à vos collègues maîtres nageurs sauveteurs la charge bien trop lourde de surveiller à la fois le bassin intérieur et le bassin extérieur.
Ces manquements constatés dès les mois de juillet et août par un surveillant de baignade en CDD pendant la période estivale m'ont été rapportés pour la première fois le 16 septembre dernier.
Lors de notre visite du site le 20 septembre 2011, nous avons évoqué ces faits ensemble. Vous nous avez alors répondu qu'il n'y avait aucun problème, et que les faits décrits n'étaient pas avérés.
Le 21 septembre 2011, un nouvel incident de même nature nous a été relaté, cette fois par un maître-nageur sauveteur en CDI depuis début septembre, puis le 25 septembre par un autre de vos collègues lui aussi maître nageur sauveteur qui a déploré que vous ayez un nouvelle fois abandonné votre poste entre 12h25 et 12h35, sans le prévenir, lui laissant ainsi assumer seul la charge de la surveillance des bassins extérieurs et intérieurs.
Au vu de tous les faits rapportés par plusieurs de vos collègues et entrant en totale contradiction avec ce qui avait été évoqué lors de notre visite, nous avons décidé de vous mettre en mise à pied conservatoire à compter du 26 septembre 2011 afin d'éclaircir la situation.
...
Vos fonctions de responsable de site et chef de bassin impliquent de veiller tout particulièrement à la sécurité des usagers et il ne nous est donc pas possible d'accepter que des faits que vous considérez comme de simples négligences de votre part puissent engendrer des conséquences aussi lourdes qu'un accident de noyade d'un usager.
De surcroît, ces agissements ont des répercussions déplorables sur l'équipe en place et sur les usagers du centre aquatique ainsi que sur l'image véhiculée auprès d'eux. Nous ne pouvons plus tolérer que de tels faits se produisent.. "
Contestant cette mesure de licenciement, Frédéric X... a, par courrier enregistré le 21 mars 2011, saisi le conseil de prud'hommes du Mans d'une demande indemnitaire à hauteur de 20000 euros.
Par un jugement du 16 novembre 2012, le conseil de prud'hommes a :
- dit que le licenciement de Frédéric X... était dépourvu de cause réelle et sérieuse,
- condamné la société Plouf à lui payer la somme de 2000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif, outre une somme de 700 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- ordonné l'exécution provisoire de sa décision, sauf en ce qui concerne l'indemnité pour frais irrépétibles.
Suivant courrier recommandé posté le 7 décembre 2012, Frédéric X... a relevé appel de cette décision quant au montant des dommages et intérêts alloués.
MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :
Dans ses conclusions parvenues le 30 juin 2014, soutenues à l'audience, ici expressément visées et auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé, Frédéric X... demande à la cour :
- de confirmer le jugement entrepris s'agissant du caractère abusif du licenciement,
- de porter à la somme de 20000 euros le montant des dommages et intérêts devant lui revenir et de condamner la société Plouf à lui payer ladite somme,
- de condamner la société Plouf à lui payer une somme de 1500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, et à supporter tous les frais et dépens d'instance.
Il prétend en effet que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse. Il indique que les griefs adressés par son employeur doivent en effet être examinés au regard de la polyvalence de ses fonctions, et du fait que l'équipe, placée sous sa responsabilité, constituée de huit membres jusqu'à le mi-septembre, a ensuite perdu la moitié de son effectif.
Il conteste la valeur probante des pièces produites par son adversaire, consistant principalement en des mails non signés et ne répondant pas aux exigences du code de procédure civile. Il fait valoir qu'il conviendrait que l'employeur communique les badges qui doivent être utilisés lors de l'accès aux locaux administratifs.
Il souligne que les faits dénoncés pour les journées des 8, 9, 10, 11 et 14 septembre 2011 ne sont pas visés dans la lettre de licenciement et ne peuvent dès lors lui être reprochés.
Sur son préjudice, Frédéric X... fait valoir que depuis son licenciement, il n'a pas pu retrouver un emploi lui permettant une stabilité professionnelle et financière.
Par ses conclusions parvenues au greffe le 15 octobre 2014, la société Plouf forme un appel incident du jugement du 16 novembre 2012, et demande à la cour :
- de dire que le licenciement prononcé à l'égard de Frédéric X... repose sur une cause réelle et sérieuse,
- en conséquence, de débouter Frédéric X... de l'intégralité de ses demandes,
- de condamner Frédéric X... à lui verser une somme de 2000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Après avoir rappelé que sa proposition de renouvellement de la période d'essai avait été refusée, de sorte qu'elle n'avait pas d'autre choix que de procéder au licenciement de son salarié, la société Plouf soutient que la preuve de l'insuffisance professionnelle invoquée est suffisamment établie par les pièces produites, et notamment par les courriels émanant d'autres salariés, qui ne voulaient pas assumer le risque d'un accident de noyade.
Elle ajoute que la production des badges n'apporterait rien, puisqu'il n'est pas reproché à Frédéric X... d'avoir quitté l'entreprise mais seulement son poste de surveillant et insiste sur la dangerosité d'un tel comportement.
Enfin, elle prétend que les autres exigences de sécurité et d'hygiène n'ont pas non plus été respectées par son adversaire.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Il convient tout d'abord de relever que la lettre de licenciement fixe les limites du litiges. Par suite, l'employeur ne peut utilement invoquer des faits qui seraient survenus les 8, 9, 10, 11 et 14 septembre 2011, ni un non respect des règles d'hygiène, de tels griefs n'étant pas invoqués dans son courrier du 20 octobre 2011.
Il résulte de ce dernier, que sont exclusivement dénoncés des faits d'abandon du poste de surveillance d'un bassin survenus en juillet et août 2011, ainsi que les 21 et 25 septembre 2011.
Aux termes de l'article 1235-1 du code du travail, " le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.
Si un doute persiste, il profite au salarié ".
En matière prud'homale, la preuve est libre, dès lors qu'elle est licite.
En l'espèce, la société Plouf produit aux débats :
- pièce 5 : un écrit signé de deux collègues de Frédéric X..., Claire Y...et Adrien Z..., qui fait état de faits non visés par la lettre de licenciement et de ce que M. Z..." se plaint également de la période estivale : plusieurs abandons de poste de 10 à 15 minutes sans prévenir les MNS ".
- pièce 6 : un courriel du 16 septembre 2011, émanant de la messagerie de Déborah A..., également maître nageur, qui indique : " Adrien m'a parlé du fait que des problèmes persistent au sein de la piscine donc je vous fais parvenir ce mail dans lequel j'inscris ce que j'ai pu observer durant les mois de juillet et août derniers concernant Frédéric X....
J'ai pu constater qu'il abandonnait son poste sans me prévenir, lorsqu'on était que tous les deux en surveillance. (Une personne est même venue me signaler un problème qui avait eu lieu l'intérieur alors que j'étais en surveillance à l'extérieur) ",
- pièce 7 : email daté du 21 septembre 2011, émanant de la messagerie de Claire Y..., qui fait valoir que le jour même, Frédéric X... s'est absenté de son poste de surveillance de 10 heures à 10 heures 45, pour accueillir des représentants de la communauté de communes Loir et Bercé, alors que son collègue Sylvain B...était seul en surveillance, elle-même assurant un cour. Elle précise avoir dû prendre en charge, en plus de sa surveillance, le cour de Frédéric X... à 10 heures 45, celui-ci n'étant revenu qu'à 11 heures 10.
- pièce 8 : courriel émanant de la boîte email d'Adrien Z..., qui précise : " Je me permets de vous contacter suite aux nouvelles fautes de Frédéric X....
En effet, en ce jour du 25 septembre 2011, M. X... a abandonné son poste de surveillance de 12 heures 25 à 12 heures 35 sans m'avertir.
Etant en surveillance à l'extérieur, je ne voyais plus personne en surveillance à l'intérieur, alors j'ai appelé Frédéric au talkie-walkie, mais impossible de le joindre, donc je me suis placé entre les deux bassins et il n'y avait effectivement plus personne en surveillance alors que deux clients étaient encore dans les bassins intérieurs. "
- pièce 12 : courrier du 15 mai 2012, signé d'Adrien Z..., qui confirme ce courriel.
Si aucune de ces pièces ne répond aux exigences de l'article 202 du code de procédure civile, elles ne sont pas pour autant, nécessairement dépourvues de toute force probante, celle-ci devant être appréciée par les juges.
Or, le nombre des témoignages ainsi produits, ainsi que la précision des faits décrits pour les 21 et 25 septembre 2011, conduisent à retenir qu'ils établissent suffisamment la réalité des abandons de poste allégués, sans qu'il soit nécessaire d'ordonner la communication des badgeages, étant relevé qu'il ne résulte d'aucune pièce que ceux-ci sont utilisés pour quitter les bassins et non pour quitter l'établissement.
L'attestation de M. C...qui relate que Frédéric X... a fait correctement son travail lorsque sa fille a été blessée le 30 juillet 2011 et l'avis favorable de la commission pour le contrôle des établissements de baignade ne permettent pas de les remettre en cause.
C'est d'autant plus vrai, que, pour le 25 septembre 2011, Frédéric X... écrit dans ses conclusions, que lors de la réouverture du bassin intérieur, fermé pour un problème technique de 8 heures 30 à 11 heures 30 environ, " les deux seuls baigneurs qui fréquentaient le bassin extérieur ont choisi de rentrer sur le bassin intérieur et ont normalement été soumis à la surveillance de Monsieur Z....
Ainsi contrairement à ce que dénonce ce témoin celui-ci n'était pas seul à surveiller deux bassins puisque la piscine extérieure était inoccupée et que seuls deux baigneurs occupaient le bassin intérieur ". Il reconnaît ainsi qu'un seul bassin était surveillé, étant relevé que rien n'empêchait les baigneurs ou l'un d'entre eux, de retourner dans le bassin extérieur.
En outre, il ne peut se prévaloir de la présence de trois maîtres nageurs pour la journée du 21 septembre 2011, alors que Mme Y...écrit, sans être véritablement démentie sur ce point, qu'elle était en cour.
Frédéric X... ne démontre pas qu'il n'avait pu organiser différemment la visite des représentants de la communauté de communes et n'indique pas pour quelle raison il s'est absenté le 25 septembre 2011. Il n'est donc pas possible de considérer que l'ampleur de ses tâches ne lui permettait pas de respecter l'obligation, dont il reconnaît l'existence, de veiller à ce que chaque bassin soit en permanence surveillé.
Les faits dénoncés étant susceptibles de conséquences graves quant à la sécurité des baigneurs, le licenciement de Frédéric X... apparaît justifié.
Le jugement du conseil de prud'hommes en date du 16 novembre 2012 sera en conséquence infirmé et Frédéric X... débouté de l'ensemble de ses demandes.
Il n'apparaît pas inéquitable de laisser à la société Plouf la charge de ses frais irrépétibles de sorte que la demande présentée de ce chef sera rejetée
Partie succombante, Frédéric X... supportera les dépens de première instance et d'appel.
PAR CES MOTIFS,
La cour, statuant publiquement, contradictoirement et en matière sociale,
- Infirme le jugement rendu le 16 novembre 2012 par le conseil de prud'hommes du Mans en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau,
- Dit que le licenciement de Frédéric X... repose sur une cause réelle et sérieuse,
- Le déboute de toutes ses demandes,
- Rejette les demandes présentées par la société Plouf,
- Condamne Frédéric X... aux dépens de première instance et d'appel.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,
V. BODINAnne JOUANARD