COUR D'APPEL
d'ANGERS
Chambre Sociale
ARRÊT N
aj/ jc
Numéro d'inscription au répertoire général : 12/ 02629.
Jugement Au fond, origine Conseil de Prud'hommes-Formation paritaire du MANS, décision attaquée en date du 07 Novembre 2012, enregistrée sous le no F12/ 00153
ARRÊT DU 25 Novembre 2014
APPELANTE :
LA SARL ZAKARIA SAMI
97 Avenue du Général Leclerc
72000 LE MANS
représentée par Maître Nathalie ROUXEL de la SARL ROUXEL-CHEVROLLIER, avocats au barreau d'ANGERS
en présence de Monsieur X..., gérant
INTIME :
Monsieur Ahmed Y...
...
06400 CANNES
non comparant-représenté par Maître Luc LALANNE, avocat au barreau du MANS
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 14 Octobre 2014 à 14H00, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Anne PORTMANN, conseiller chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Anne JOUANARD, président
Madame Catherine LECAPLAIN-MOREL, conseiller
Madame Clarisse PORTMANN, conseiller
Greffier : Madame BODIN, greffier.
ARRÊT : prononcé le 25 Novembre 2014, contradictoire et mis à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par Madame JOUANARD, président, et par Madame BODIN, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
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FAITS ET PROCÉDURE :
Courant novembre 2011, M. Y...a été engagé par la société Zakaria Sami, qui exploite au 97 avenue du Général Leclerc au Mans, un commerce à usage d'épicerie générale, salon de coiffure hommes et femmes, hôtel, boucherie et restauration, en qualité de boucher, sous le régime d'un contrat à durée déterminée, moyennant une rémunération brute de 1365, 03 euros.
La relation de travail a pris fin au mois de décembre suivant à l'initiative de l'employeur.
Par requête parvenue au greffe le 30 avril 2012, M. Y...a saisi le conseil de prud'hommes du Mans de diverses demandes indemnitaires.
Par un jugement en date du 7 novembre 2012, ladite juridiction a :
- requalifié le contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée à effet du 20 novembre 2011,
- dit que la rupture du contrat à durée indéterminée était abusive,
- condamné la société Zakaria Sami à payer à M. Y...les sommes suivantes :
*1365, 03 euros à titre d'indemnité de requalification du contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée,
*6506, 76 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive,
*1365, 03 euros au titre du préavis et 136, 50 euros au titre des congés payés sur préavis,
*8190, 18 euros à titre d'indemnité pour travail dissimulé,
*350 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- débouté M. Y...du surplus de ses demandes,
- ordonné l'exécution provisoire.
Par déclaration en date du 7 décembre 2012 la société Zakaria Sami a interjeté appel de cette décision.
Suivant exploit en date du 6 mars 2013, M. Y...a fait assigner la société Zakaria Sami devant le tribunal de commerce du Mans aux fins de voir ouvrir à son encontre une procédure de liquidation judiciaire. Par un jugement en date du 16 juillet 2013, le tribunal de commerce a ordonné une mesure d'enquête confiée à Me C..., qui a considéré que la situation de cessation des paiements semblait avérée, mais " faiblement ". L'affaire sera évoquée à l'audience du Tribunal de commerce du 16 décembre 2014.
Par une ordonnance en date du 19 février 2014, le Premier Président de la présente juridiction a débouté la société Zakaria Sami de sa demande d'arrêt de l'exécution provisoire du jugement du première instance et, subsidiairement de cantonnement.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :
Par ses écritures régulièrement communiquées parvenues au greffe le 17 septembre 2014, soutenues à l'audience, ici expressément visées et auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé, la société Zakaria Sami sollicite l'infirmation du jugement du 7 novembre 2012, subsidiairement la réduction des dommages et intérêts alloués à M. Y..., et, reconventionnellement, la condamnation de celui-ci à lui payer une somme de 3000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
En effet, elle soutient que M. Y..., qui serait un habitué du travail non déclaré, ce qu'elle a néanmoins refusé, devait commencer le 4 novembre 2011 et qu'une déclaration unique d'embauche avait d'ailleurs été signée. Néanmoins, M. Y..., prétextant un problème familial, a déposé ses affaires à l'hôtel et est reparti à Cannes où il réside. Il est revenu le 14 novembre 2011 mais la société Zakaria Sami a accepté, à sa demande, qu'il n'embauche que le 21 novembre suivant, en raison d'un problème de santé.
Un contrat initiative emploi a par suite été signé pour la période du 21 novembre 2011 au 20 mai 2012, avec une période d'essai expirant le 4 décembre 2011.
La société Zakaria Sami prétend en premier lieu que si le contrôleur du travail a constaté la présence au magasin de M. Y...le dimanche 20 novembre 2011, celui-ci n'a pas pour autant travaillé et, ayant les clefs de l'établissement, a pris seul l'initiative de l'ouvrir.
Elle fait valoir en second lieu qu'il lui a remis, le 2 décembre 2011, la lettre datée du même jour, l'informant de la rupture du contrat, ce qui a provoqué une violente réaction de sa part et son refus d'en donner décharge.
La société Zakaria Sami s'oppose à la requalification du contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée, en faisant valoir, d'une part, que la seule mention du " contrat initiative emploi " suffit à satisfaire à l'exigence de motivation du recours à un contrat à durée déterminée et, d'autre part, que M. Y...ne démontre pas qu'il a travaillé avec l'accord de son employeur le 21 novembre 2011.
Sur la rupture, elle soutient que si M. Y...a refusé de signer la décharge, elle lui a bien remis la lettre du 2 décembre en respectant le délai de prévenance.
Subsidiairement, elle souligne que, dans le cas où le contrat serait requalifié en contrat à durée indéterminée et la rupture considérée comme abusive, il convient d'allouer à M. Y...une indemnité correspondant au préjudice qu'il a subi, lequel a été en l'espèce très limité.
Enfin, la société Zakaria Sami conclut au rejet de la demande fondée sur l'existence d'un travail dissimulé, la preuve d'une intention de se soustraire à ses obligations légales n'étant pas, selon elle, démontrée.
Par ses dernières conclusions régulièrement communiquées déposées à l'audience du 14 octobre 2014, soutenues oralement, ici expressément visées et auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé, M. Y...demande à la cour de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions et, y ajoutant de condamner la société Zakaria Sami à lui payer la somme de 2519, 55 euros au titre des heures supplémentaires outre les congés payés y afférents, ainsi qu'une somme de 1500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Il prétend tout d'abord que le contrat signé le 14 novembre 2011 pour une période de travail allant du 21 novembre 2011 au 5 mai 2012 doit être requalifié en contrat à durée indéterminée dans la mesure où il ne comporte pas le motif du recours à un contrat à durée déterminée. Il conteste d'ailleurs que ce soit un contrat initiative emploi qui ait été régularisé et soutient qu'à supposer même que ce soit le cas, il devait également être motivé au regard des articles L. 1242-2 et L. 1242-12 du code du travail.
Il fait valoir que la rupture notifiée par un courrier daté du 2 décembre 2011 mais posté le 9 décembre suivant, donc après la période d'essai, est abusive, contestant que la lettre du 2 décembre lui ait été remise en main propre. Il ajoute qu'en réalité, il avait débuté son activité le 2 novembre 2011 et en tout cas antérieurement au 21 novembre.
Subsidiairement, pour le cas où le contrat ne serait pas requalifié en contrat à durée indéterminée, M. Y...prétend que la rupture, intervenue après l'expiration de la période d'essai, est abusive, et lui ouvre droit à une allocation indemnitaire de 6505, 76 euros.
En tout état de cause, il fait valoir qu'il a fait des heures supplémentaires dont il sollicite le paiement à hauteur de 2519, 55 euros, avec les congés payés y afférents, outre une indemnité pour travail dissimulé, dans la mesure où il a débuté son activité avant la date du 21 novembre 2011 figurant sur les documents officiels.
Par une note en délibéré en date du 23 octobre 2014, qu'il avait expressément été autorisé à déposer, M. Y...a contesté avoir modifié la date de fin de contrat pour faire figurer le 5 mai 2012 et avoir imité la signature du gérant de la société Zakaria Sami.
Son adversaire a répondu le 30 octobre 2014, maintenant qu'un seul contrat de travail avait été conclu.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
I-Sur le début de la relation contractuelle :
Il incombe au salarié de rapporter la preuve qu'il a commencé à travailler avant le 21 novembre 2011, date figurant sur le contrat de travail signé par lui le même jour, dont l'original est versé aux débats, et sur la déclaration unique d'embauche.
Pour ce faire, il produit tout d'abord un contrat daté du 4 novembre 2011, mais qui, n'étant pas signé, n'a pas de valeur probante, et ce d'autant plus que la déclaration unique d'embauche effectuée le 3 novembre 2011 a été annulée avec la mention " le salarié ne s'est pas présenté ".
Il verse également aux débats un autre contrat de travail, daté du 21 novembre 2011, mais qui aurait été signé avant son établissement les 4 et 14 novembre 2011, conclu pour une période allant du 21 novembre au 5 mai 2012.
Compte tenu de cette incohérence quant à la date de sa signature prétendue, mais aussi du fait que l'original n'est pas produit, ce document ne peut être retenu à l'encontre du contrat signé le 21 novembre 2011.
Ce dernier est au contraire corroboré par le contrat unique d'insertion régularisé le 17 novembre 2011, signé de l'employeur, du salarié et de Pôle emploi et prévoyant une période de travail allant du 21 novembre 2011 au 20 mai 2012.
Il y a donc lieu de retenir, que même si elles ont pu tergiverser, les parties sont finalement parvenues à un accord pour régulariser un contrat de travail initiative emploi d'une durée de six mois commençant le 21 novembre 2011 et s'achevant le 20 mai 2012.
S'agissant de l'exécution de ce contrat de travail, le salarié ne démontre pas qu'il a commencé et s'est terminé à une autre date.
En effet, s'il s'est vu remettre un chèque d'un montant de 1200 euros lors de la rupture du contrat, ce qui ne peut correspondre à sa rémunération pour seulement 13 jours, cette somme n'est pas conforme aux bulletins de salaire produits et deux témoins, M. Z... et M. A..., précisent qu'elle indemnisait également M. Y...pour ses frais de déplacement.
En outre, M. Y...verse certes aux débats une lettre de Mme B..., contrôleur du travail, datée du 30 janvier 2012, et dans laquelle elle indique : " Suite à notre conversation téléphonique de ce jour, et après lecture de votre contrat de travail, il s'avère qu'il y a une erreur manifeste de dates. En effet, votre contrat de travail mentionne une date de début de contrat le 21 novembre 2011, alors que vous étiez présent en qualité de salarié, à la boucherie, sise 97 avenue du Général Leclerc au Mans (gérant M. X...Driss), lors de mon contrôle le dimanche 20 novembre 2011. "
Si ce document suffit à établir que M. Y...a en réalité commencé à travailler à cette dernière date, en revanche, il ne démontre pas qu'il a agi, non pas de sa propre initiative, mais à la demande de son employeur, alors qu'il est constant qu'hébergé dans l'hôtel, il avait les clefs de l'établissement, et qu'un témoin, M. D..., indique que M. X...avait, devant lui confirmé à M. Y..., qui voulait commencer le 20 novembre, qu'il ne débuterait que le 21, et que voyant la boucherie ouverte le dimanche, il avait appelé le gérant de la société Zakaria Sami, qui lui avait indiqué que ce n'était pas normal.
Sur la requalification du contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée :
Le contrat initiative emploi constitue un des cas de recours au contrat à durée déterminée pouvant être conclu dans les cadre de l'article L. 1242-3 du code du travail " au titre des dispositions légales destinées à favoriser le recrutement de certaines catégories de personnes sans emploi ".
Le contrat de travail à durée déterminée signé le 21 novembre 2011 pour une durée de six mois, produit en original par l'employeur, mentionne, en son article 2, qu'il s'agit d'un contrat initiative emploi conclu en application de l'article L. 5134-70 du code du travail.
Dès lors, il doit être considéré qu'il remplit l'exigence de définition précise du motif de recours au contrat à durée déterminée.
Par ailleurs, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, il n'est pas démontré que M. Y...a commencé à travailler avant la date du 21 novembre 2011 figurant au contrat. En conséquence, il n'y a pas lieu à requalification du contrat.
La décision du conseil de prud'hommes sera infirmée de ce chef et M Y...débouté de ses demandes de requalification et d'indemnités subséquentes.
- Sur la rupture du contrat :
Si la rupture d'un contrat pendant la période d'essai n'obéit en principe à aucune forme, les parties ont convenues, dans la convention qu'elles ont signée le 21 novembre 2011 que : " toute rupture de la période d'essai quel qu'en soit l'auteur sera notifiée par écrit remis en main propre contre récépissé ou adressé en recommandé avec demande d'avis de réception ".
L'existence d'un " récépissé " n'est pas requise à peine de nullité mais est uniquement destiné à rapporter la preuve de la remise. Or, en l'espèce, si M. Y...n'a pas signé la lettre du 2 décembre 2011, il est établi par les témoignages de M. Z... et M. A..., que l'intimé a bien reçu cette lettre, le jour même.
Il a donc été informé de la rupture du contrat avant la fin de la période d'essai et, au surplus, dans le respect du délai de prévenance.
Par suite, il ne peut prétendre à aucune indemnisation à ce titre de sorte que le jugement du conseil de prud'hommes doit être, également de ce chef, infirmé.
- Sur le paiement des heures supplémentaires et le travail dissimulé :
En application de l'article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accompli, il appartient au salarié d'étayer sa demande par la production d'éléments suffisamment précis quant aux horaires effectivement réalisés pour permettre à l'employeur de répondre en fournissant ses propres éléments.
En l'espèce, chacune des parties produits un décompte, jour par jour, de ce qu'auraient été les horaires de travail de M. Y....
Ces décomptes ne sont, ni l'un ni l'autre, corroborés par d'autres pièces. Celui produit par M. Y...présente des incohérences, en ce que, d'une part, il fait remonter la relation de travail au 2 novembre 2011, alors qu'aucune preuve n'est produite de ce chef ainsi qu'il a été dit ci-dessus, et, d'autre part, il fait mention d'horaires peu vraisemblables de 15 heures par jour (7h- 22h), tous les jours pendant plus de dix jours.
Au regard de ces éléments, il apparaît que les documents produits par M. Y...ne sont pas suffisamment précis et fiables pour permettre d'étayer sa demande.
Celle-ci sera en conséquence rejetée.
Il en sera de même de celle tendant à l'octroi d'une indemnité pour travail dissimulé, puisque la preuve d'une prise de travail anticipée ou de la réalisation d'heures non mentionnées sur les bulletins de salaire n'est pas démontrée.
- Sur les autres demandes :
Partie succombante, M. Y...supportera les entiers dépens de première instance et d'appel et sera subséquemment débouté de sa demande pour frais irrépétibles.
Il n'apparaît pas inéquitable de laisser à la société Zakaria Sami la charge de ses frais irrépétibles de sorte que la demande présentée par elle de ce chef sera rejetée.
PAR CES MOTIFS,
La cour, statuant publiquement, contradictoirement, en matière sociale,
Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau
Déboute M Y...de toutes ses demandes,
Y ajoutant,
Déboute la société Zakaria Sami de sa demande présentée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne M. Y...aux dépens de première instance et d'appel.
LE GREFFIER, LE PRESIDENT,
V. BODINAnne JOUANARD